Le tabou du contrôle politique de la population humaine

S’il y a une chose qui fait grincer des dents et même qui scandalise les bien-pensants qui constituent l’essentiel de nos sociétés et aussi les dissidents, c’est l’idée d’un contrôle politique de la population humaine. Il suffit d’évoquer cette idée, sans même la défendre, seulement pour l’examiner ou la discuter, pour se faire soupçonner ou accuser d’avoir des idées totalitaires. Il y a des différences, il est vrai.

Les plus conservateurs d’entre nous refusent le droit à l’avortement ou cherchent à le limiter – ce qui revient à imposer un devoir d’avoir des enfants qu’on ne veut pas – en se qualifiant eux-mêmes de « pro-vie » et en considérant souvent leurs adversaires comme des assassins ou des tueurs de fœtus, sauf peut-être quand il s’agit d’une femme ou d’une adolescente violée, à plus forte raison si c’est un cas d’inceste. S’ils sont prêts à reconnaître que la société ou l’État peut intervenir pour empêcher l’interruption d’une grossesse non désirée, et donc se mêler de la procréation ou de la reproduction au détriment de la liberté des femmes d’en décider autrement, ils refusent catégoriquement cette idée quand il s’agit plutôt de réguler la reproduction, dans le but de diminuer la population ou de l’empêcher d’augmenter, en invoquant la liberté et le droit sacré des individus ou des familles d’avoir autant d’enfants qu’ils le désirent, et en qualifiant de totalitaire un État, par exemple la Chine, qui déciderait de ne pas respecter ce droit prétendument sacré et inaliénable. Leur réaction plus favorable, quand il est question d’une politique nataliste, montre qu’il leur semble acceptable ou même louable que l’État intervienne pour inciter les individus à fonder des familles et, plus rarement, pour pénaliser ceux qui n’en auraient pas ou pas assez, et nous confirme que leur aversion pour une politique de réduction ou de contrôle de la population n’est pas motivée par un principe politique selon lequel l’État ne devrait pas se mêler de la reproduction.

Pour leur part, les libéraux et les partisans autoproclamés du progrès social sont des défenseurs acharnés du droit à l’avortement, au point d’en faire quelque chose de sacré, et de considérer assez souvent ceux qui ne sont pas du même avis comme des barbares rétrogrades qu’ils vouent à tous les diables. Ils s’indignent à l’idée que l’État puisse empêcher les femmes de disposer librement de leur propre corps et leur imposer contre leur gré les maux et les douleurs de la grossesse et des obligations familiales qu’elles refusent ou qu’elles ne sont pas capables d’assumer correctement parce qu’elles manquent d’argent, ont d’autres projets de vie ou trouvent que nous sommes déjà trop nombreux sur la planète, par exemple. Mais ces libéraux et ces progressistes seraient pour la plupart beaucoup moins nombreux à être favorables à un contrôle politique de la population, qui impliquerait qu’on empêche les individus d’avoir des enfants s’ils le désirent ou d’avoir autant d’enfants qu’ils désirent ; et s’indigneraient des moyens horribles qu’il faudrait à leur avis prendre pour réaliser ce projet, par exemple la stérilisation des adultes en âge de se reproduire et l’élimination des bébés superflus, surtout quand ils souffriraient de handicaps importants ou de maladies graves et seraient considérés comme des êtres inférieurs indignes de vivre. Ils joindraient ici leur voix à celle des conservateurs pour crier au nazisme, à l’eugénisme et plus rarement au néo-malthusianisme, et pour réclamer le droit pour les femmes et aussi les hommes d’avoir des enfants, mais ils se distingueraient d’eux en se faisant aussi les défenseurs du même droit pour les gais, les lesbiennes et les transexuels en couple ou célibataires. Et en cela ils iraient plus loin qu’eux dans la défense du droit sacré d’avoir des enfants, surtout s’ils croyaient que les parents atypiques et les couples ou les familles non traditionnels seraient particulièrement ciblés par l’État, sous prétexte qu’ils seraient moins aptes à avoir des enfants et à les éduquer convenablement que les personnes et les couples hétérosexuels et que les familles plus traditionnelles ou conventionnelles.

Dans ces deux cas, bien que pour des raisons différentes, il est donc généralement hors de question de voir dans le contrôle de la population humaine, notamment pour éviter ou réduire la surpopulation, un enjeu collectif et l’objet d’une politique, soit qu’on conteste l’existence ou même la possibilité d’un problème de surpopulation, soit qu’on considère que le remède est pire que le mal, soit qu’on juge que des programmes d’éducation à la contraception et de planification familiale, principalement en Afrique, s’avèrent être une solution préférable et plus efficace. Même les croisés de la lutte contre les changements climatiques, qui se vantent parfois de ne pas avoir d’enfants, ne vont généralement pas jusqu’à réclamer ou à envisager une telle politique pour sauver la planète et l’humanité, sauf peut-être derrière des portes closes, quand ils sont entre eux.

Les opposants aux mesures soi-disant sanitaires, et plus particulièrement à la vaccination de masse contre la COVID-19, qui pensent assez souvent que la lutte contre les changements climatiques est une arnaque monumentale et un prétexte pour nous contrôler et nous appauvrir, partagent presque toujours avec leurs concitoyens plus orthodoxes ou moutonniers cette aversion pour une politique de contrôle de la population humaine, bien que ces derniers jugent impossible l’existence d’un tel projet, justement parce qu’ils excluent d’emblée la possibilité que les riches et les puissants soient capables de telles horreurs, et accusent de complotisme ceux qui divergent sur ce point. Une des principales raisons pour lesquelles les opposants prennent les fameux vaccins en grippe, c’est que ceux-ci rendraient infertiles les adultes en âge de procréer et empêcheraient aussi les enfants de se reproduire une fois devenus des adultes, c’est que les politiques de confinement et de vaccination qui ciblent tout particulièrement les personnes âgées auraient permis de réduire leur nombre jugé trop grand, c’est que les vaccins feraient mourir en grand nombre des adultes dans la force de l’âge, c’est que tout ça s’inscrirait (peut-être ou certainement, selon les opposants) dans un projet de dépopulation qui consisterait à faire disparaître progressivement les « mangeurs inutiles », c’est-à-dire les travailleurs dont les grands oligarques et les grandes corporations n’auraient plus besoin et dont l’existence même serait jugée superflue, à cause de la plus grande automatisation rendue possible grâce à l’intelligence artificielle et à la robotique. À cela il faudrait ajouter la lutte contre les changements climatiques et les sanctions économiques contre la Russie et peut-être bientôt la Chine, qui seraient autant de manières de nous appauvrir dramatiquement, de provoquer artificiellement des pénuries d’énergie et de nourriture, d’orchestrer l’effondrement économique des pays occidentaux et des autres pays qui sont sous leur dépendance, et de réduire la population de ces pays grâce à une crise ou à une catastrophe économique, énergétique et alimentaire qui aurait pour effet que le taux de mortalité dépasserait le taux de natalité, déjà bas en Occident. Et comme si ça ne suffisait pas, nos gouvernements et l’OTAN seraient en train de nous préparer une guerre mondiale capable de dépeupler des continents entiers ! Pour beaucoup d’opposants, il n’est pas seulement question d’aversion pour cette politique. Ils croient aussi que les problèmes de surpopulation sont une invention délirante ou malveillante, comme la COVID (ou même les virus) et les changements climatiques causés par les émissions de gaz à effet de serre, pour nous priver du droit d’exister ou du moins de vivre dignement. Étant donné les balivernes qu’on nous raconte effrontément depuis 2020 ou même depuis des décennies, il est légitime de se poser des questions à ce sujet.

Enfin, les prêtres de l’idéologie sanitaire ont prétendu agir pour empêcher coûte que coûte une catastrophe sanitaire qui, selon leurs modélisations mathématiques ou leurs prédictions astrologiques, aurait provoqué des centaines de millions de morts en l’absence d’une politique de confinement rigoureuses et des merveilleux vaccins, a priori sûrs et efficaces. C’est ainsi qu’ils auraient tiré profit de la crainte superstitieuse d’une pandémie pratiquement capable d’anéantir l’humanité – crainte d’ailleurs parente de l’aversion scandalisée que suscite l’idée d’une politique de contrôle ou de réduction de la population humaine – pour mettre en place des politiques et des conditions économiques propices à la décroissance démographique, voire à une catastrophe démographique. Et c’est aussi de cette manière qu’agiraient les prêtres de l’idéologie climatique, qui pour empêcher une crise climatique capable, nous disent-ils, de dépeupler la planète d’ici quelques décennies ou quelques siècles, tâchent d’introduire ou de justifier des mesures d’austérité susceptibles de provoquer une baisse significative de la population humaine en l’espace de quelques générations, du moins dans les pays occidentaux, ce qu’on pourrait essayer de compenser en augmentant l’immigration. Dans les deux cas, ces prêtres provoqueraient ce qu’ils prétendraient vouloir empêcher, pour ne pas enfreindre le tabou du contrôle de la population humaine, pour ne pas scandaliser la population bien-pensante, et pour lui donner l’impression qu’ils la protègent.

Après ce survol de plusieurs positions morales et politiques, il semble donc exister une sorte de tabou sur le contrôle politique de la population humaine dans nos sociétés occidentales, à la fois dans la pensée et la morale dominante et dans l’opposition et la dissidence. Sur ce point, les opposants et les dissidents sont tout à fait orthodoxes. Il se peut que cette orthodoxie impose d’importantes limites à ce qu’ils peuvent penser et désirer, diminuent leur capacité d’opposition et les empêchent de rompre vraiment avec les idées, les sentiments et les valeurs communément partagés qui ont contribué à la crise ou aux crises dans lesquelles nous nous trouvons actuellement, dont il est de plus en plus difficile de nier l’existence et la gravité, et qu’il est vraisemblablement impossible de résoudre sans sortir des sentiers battus.


J’ignore dans quelle mesure les mesures soi-disant sanitaires et soi-disant écologiques qu’on nous a imposées, qu’on continue de nous imposer ou qu’on nous imposera vraisemblablement s’inscrivent bien dans un plan concerté pour contrôler ou réduire la population humaine. Si tel est le cas, le fait que les grands oligarques et leurs valets politiciens et bureaucratiques ne se soucient pas le moins du monde de notre bonheur, et qu’ils croient appartenir à une sous-espèce humaine supérieure qui les autoriserait à mépriser la canaille que nous serions presque tous, doit assurément intervenir dans leur manière de contrôler la population humaine. Mais est-ce là une raison suffisante pour conclure qu’il n’y a pas vraiment de problèmes de surpopulation, et même qu’il ne saurait y en avoir, et donc que toute politique visant à stabiliser ou à réduire la population humaine est superflue, inutile et même nuisible pour nous ? Cela ne reviendrait-il pas à supposer, parce qu’on utilise souvent contre nous la médecine et la pharmacologie et qu’elles sont la chose des grandes corporations et des bureaucraties nationales et supranationales, que les maladies qu’on prétend soigner n’existent simplement pas, et donc que la médecine et la pharmacologie ne sauraient nous être utiles et pourraient seulement nous nuire ? Ne serait-il pas beaucoup plus sage ou plus raisonnable de remettre en question la compréhension que nous avons ou croyons avoir de la surpopulation ou des maladies, les causes que nous leur attribuons et les remèdes que nous essayons de leur apporter ? En étant bornés au point d’exclure d’entrée de jeu l’existence d’un problème de surpopulation et l’utilité de politiques de contrôle de la population, quelles qu’elles soient, ne laisserions-nous pas le champ libre aux « élites », qui pourraient alors imposer sournoisement une politique de contrôle de la population au « peuple » auquel nous appartenons et dont elles méprisent les intérêts et le bonheur ? À l’inverse, en acceptant d’envisager la possibilité de problèmes de surpopulation ou de population, et d’essayer de concevoir des politiques capables de résoudre ces problèmes et de servir nos intérêts et notre bonheur, ne rendons-nous pas plus difficile à nos maîtres d’utiliser le tabou dont sont l’objet les politiques de contrôle de la population pour nous traiter comme du bétail ? En essayant de prendre en charge l’élaboration de telles politiques, en proposant et en discutant des politiques populationnelles capables de concurrencer le projet dépopulationniste qu’on attribue aux « élites », ne nous opposons-nous pas plus efficacement à celui-ci ? Au lieu d’être l’objet passif de ce projet, que les « élites » discuteraient presque toujours derrière les portes closes, n’est-il pas dans notre intérêt de jouer un rôle actif dans l’élaboration, l’adoption et l’application de politiques populationnelles plus favorables à notre bonheur, et qui pourraient aussi avoir pour but de contrôler ou d’empêcher la reproduction de ces « élites » ? Ces politiques – élaborées, adoptées et appliquées ouvertement et publiquement – ne seraient-elles pas plus compatibles avec la démocratie que les formes de contrôle populationnel qu’essaieraient de nous imposer subrepticement les « élites » et qui, à strictement parler, ne relèveraient pas de la politique, mais consisteraient plutôt en des procédures médicales de masse et en des mesures d’attrition économique rendues possibles par le vide politique et juridique en matière de politique explicite de contrôle de la population ? Ne pourrions-nous pas même essayer d’élaborer une politique qui aurait pour but de rendre impossible ou très difficile le projet dépopulationniste attribué aux « élites », en détruisant ou en minant les conditions populationnelles non seulement nécessaires à sa réalisation, mais aussi à sa conception ?

Je vous propose donc, dans cette série de billets que j’écrirai au cours des prochaines semaines ou des prochains mois, d’enfreindre le tabou qui porte sur les politiques de contrôle de la population, et qui contribue à nous asservir extérieurement et intérieurement, c’est-à-dire jusque dans nos idées, nos opinions, nos sentiments et nos valeurs. Ainsi, même si cette transgression n’aboutissait pas, dans un avenir plus ou moins proche, à l’adoption réfléchie de politiques de contrôle de la population plus favorables à nos intérêts et à notre bonheur, elle aurait quand même un effet libérateur en ce qu’elle rendrait possible une attitude critique plus radicale et une ouverture des perspectives, qui concerneraient à la fois le projet dépopulationniste attribué aux « élites », l’opposition assez dogmatique qui existe à son égard chez les dissidents et leurs auditeurs ou lecteurs, ainsi que les représentations et les sentiments communs qui portent sur les politiques de contrôle de la population, quelles qu’elles soient.

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