Effondrement : notre civilisation au bord du gouffre ? – Interview d’Aurore Stéphant à Thinkerview

Aurore Stéphant est une ingénieure géologue minière spécialisée dans les enjeux environnementaux et sanitaires de l’industrie minière, qui fait partie de l’association SystExt (Systèmes Extractifs et Environnements). Dans une interview sur Thinkerview le 26 février 2023, elle explique de manière assez détaillée les difficultés liées à la transition énergétique dans le but de lutter contre les changements climatiques. Ceux qui prétendent se préoccuper de l’environnement sont tellement obsédés par la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à l’utilisation des combustibles fossiles et par leur remplacement complet ou presque par des énergies renouvelables, qu’ils ignorent généralement les grands problèmes de faisabilité des plans de transition énergétique dont il nous faudrait espérer notre salut, de même que leurs conséquences environnementales. Pour fabriquer les voitures électriques censées remplacer complètement les voitures à essence et pour construire les nouvelles infrastructures de production et de distribution des énergies renouvelables, il nous faudrait augmenter très rapidement l’extraction de métaux rares ou moins rares, en allant même jusqu’à les chercher au fond des océans. Ce qu’Aurore Stéphant trouve non seulement irréaliste, mais délirant.

Outre le fait que les quantités estimées de métaux reposent sur des modèles statistiques très hypothétiques, il y a les problèmes d’extraction et de traitement de ces métaux, qui se trouvent en quantités infimes dans des milliards de tonnes de roc et de boue. Dans certains cas, on n’a pas la moindre idée de la manière de récupérer et d’extraire ces métaux à des milliers de mètres de profondeur. Dans d’autres cas, on explore des possibilités qui n’ont pas encore été mises en pratique, qui seraient très énergivores, pour lesquelles il faudrait utiliser des énergies fossiles et qui contamineraient encore plus les océans à cause du rejet des déchets miniers. Et les politiciens, les bureaucrates et les experts qui les servent font comme si ces métaux étaient disponibles et comme si leur extraction n’était pas très polluante quand ils planifient la transition énergétique et les transformations économiques qui doivent en résulter. Vraiment, ça promet !

J’en viens à me dire, étant donné toutes les ressources qui seront engouffrées dans les projets de transition énergétique sans produire les résultats voulus, qu’il s’agit essentiellement de dépenser de manière improductive et stupide les ressources limitées dont nous disposons, pour enrichir les grandes corporations industrielles et financières engagées dans cette transition, le tout en aggravant la pénurie d’énergie et la pollution grâce à ces plans foireux censés assurer notre avenir énergétique et protéger la planète.

À partir de ce point, nous pouvons adopter deux attitudes.

Soit nous pouvons nous conformer bêtement à ce que promeuvent, planifient, demandent ou exigent les gouvernements, et nous dire qu'il faut en faire même plus, par exemple ne plus voyager, ne plus chauffer suffisamment nos logements, ne plus manger de viande, ne plus avoir de voitures ou les utiliser le moins possible, prendre sa douche à l'eau froide, porter les mêmes vêtements deux ou trois jours et les aérer au lieu de les laver, en laissant les autorités gouvernementales et les grandes corporations financières et industrielles y aller à fond avec la transition énergétique et l'électrification des transports, en espérant superstitieusement que notre sentiment de culpabilité et les sacrifices individuels auxquels nous consentirons nous sauveront du désastre environnemental, de la pénurie de métaux et d’énergie, de la pauvreté et de la misère, ainsi que de tous les troubles sociaux et politiques qui pourraient en résulter.

Soit nous pouvons nous opposer aux dépenses improductives et délirantes et à la pollution massive qu’impliquent ces projets de transition énergétique farfelus qui consistent à presque tout refaire à neuf, sous prétexte de lutter contre les changements climatiques (mais en fait pour enrichir à nos dépens et encore plus démesurément ces grandes corporations), en refusant ce qu'on appelle la cinquième révolution industrielle qui implique le gaspillage massif de métaux et d'énergie pour nous procurer des gadgets dont nous pouvons nous passer et qui servent à nous surveiller et à nous contrôler, afin de revenir à des technologies plus simples et plus durables et de faire disparaître les produits industriels qui contiennent des composantes électroniques superflues, comme les téléphones dits intelligents, les voitures et les électroménagers, qui marchaient très bien avant ces vains raffinements – et enfin nous demander de quelle manière nous pourrions devenir beaucoup moins nombreux en quelques générations pour continuer à vivre aussi décemment et agréablement que possible, tout en évitant de contaminer encore plus les sols, les océans, les mers, les cours d’eau et l’air.