Difficultés et risques liés à la constitution d’un réseau économique clandestin

Nos gouvernements continuent de travailler à la transformation numérique, même si les signes d’une crise économique importante deviennent de plus en plus évidents, ou justement pour cette raison. Juste depuis le début du mois de mai 2023, la Banque du Canada a lancé une consultation publique sur le dollar numérique, et USAID a organisé à Washington un événement pour souligner la réussite de la transformation numérique grâce à l’implantation de DIIA en Ukraine, qui servirait de modèle en la matière aux « autres démocraties ».

La Banque du Canada voudrait faire croire aux Canadiens que rien n’a été décidé quant à la création d’une monnaie numérique de banque centrale, qu’elle ne remplacera pas les billets de banque, et qu’on les consulte simplement pour avoir leur avis sur la question, afin d’aider cette noble institution à offrir des services monétaires de qualité dans un monde en perpétuel changement et de se préparer adéquatement en prévision du jour où on pourrait décider de créer cette nouvelle forme de monnaie accessible à tous, par exemple parce que l’argent comptant ne serait plus accepté comme mode de paiement dans un nombre croissant de commerces. Comme si ce n’était pas la responsabilité de la Banque du Canada de veiller à ce qu’on accepte sur tout le territoire canadien les billets de banque qu’elle émet ! Comme si elle devait se régler sur la décision des commerces, petits ou grands, de ne plus accepter les paiements en argent comptant pour proposer un substitut accessible à tous ! Et on voudrait nous faire croire que cette nouvelle monnaie serait respectueuse de la vie privée ? Respectueuse de la vie privée comme nos cartes de débit et de crédit et les applications mobiles que nous utilisons pour faire des paiements, dans des commerces ou en ligne… Car ce ne serait pas une atteinte à notre vie privée quand les banques et les sociétés de crédit collectent des données sur nos transactions, les surveillent et, sur demande, les transmettent à nos gouvernements, ce qui peut mener au gel des moyens de paiement auquel le gouvernement canadien a eu recours pour mettre fin au « Freedom Convoy » en février 2022.

Et on voudrait nous faire croire que l’implantation de DIIA (qui est à la fois une application mobile et un portail en ligne), pour accéder à de nombreux services gouvernementaux et pour payer ses impôts et ses taxes, est une bonne chose en Ukraine et, éventuellement, dans « d’autres démocraties », occidentales ou non. Dans l’hypothèse où les gouvernements américain et ukrainien ne nous mentent pas autant sur cette réussite technologique que sur les succès de l’armée ukrainienne dans sa lutte contre l’envahisseur russe et sa grande contre-offensive qui tarde à venir et qui, selon plusieurs analystes militaires, semble vouée à l’échec, nous pouvons nous demander si les Ukrainiens se porteront aussi bien de l’ingérence dans les services gouvernementaux des puissances étrangères étatiques (USAID et UKAID) et non étatiques (VISA et Google) impliquées dans le développement de DIIA, que cela a été le cas de la prise de contrôle par les gouvernements occidentaux, surtout les Américains, de leurs affaires politiques intérieures et extérieures depuis le coup d’État du Maïdan en 2014. En plus des grands risques de surveillance et d’espionnage auxquels sont exposés les organismes gouvernementaux et les citoyens ukrainiens, cette digitalisation des services gouvernementaux rend les administrations gouvernementales ukrainiennes dépendantes de ces puissances étrangères et contribuent à faire encore plus de l’Ukraine ou de ce qui en reste un État vassal des États-Unis. Car que se passerait-il si les Ukrainiens qui sont restés en Ukraine et qui n’ont pas été envoyés à l’abattoir pour défendre l’hégémonie américaine déclinante réussissaient à se donner un gouvernement qui ne servirait plus les États-Unis et qui essaierait de se soustraire à leur emprise ? Celui-ci aurait à faire face rapidement à toutes sortes de sanctions, dont certaines viseraient DIIA et auraient pour but d’empêcher les services gouvernementaux de fonctionner. Et on voudrait que les « autres démocraties » imitent l’Ukraine en se rendant dépendantes du gouvernement américain et des grandes corporations américaines et en sacrifiant ainsi leur souveraineté, sans laquelle la démocratie ne saurait pourtant exister que formellement, aussi longtemps que les dirigeants élus se conforment aux volontés de ces puissances étrangères. Le Canada, même s’il n’aura pas recours à l’aide de USAID et de UKAID, pourrait adopter d’ici quelques années une variante de DIIA et devenir encore plus un État vassal des États-Unis, à la manière de l’Ukraine, dans un contexte où le monde est en train de se séparer en deux grands blocs d’États et où les États-Unis en perte de puissance s’efforcerait de contrôler encore plus les États qui lui sont soumis, ainsi que leurs populations.

Venons-en à l’intégration probable de la monnaie numérique de banque centrale à une variante de DIIA, puisque cette monnaie serait considérée comme un service offert aux citoyens par le gouvernement, lequel devrait être lié aux autres services gouvernementaux rendus accessibles par cette application, par exemple les taxes et les impôts à payer. Sous prétexte d’éviter les fraudes fiscales et de lutter contre la corruption, le gouvernement canadien (et d’autres gouvernements qui resterait sous la botte américaine) pourrait surveiller directement tous nos revenus et toutes nos dépenses, et nous réclamer de l’argent non pas seulement en fonction des sommes gagnées et dépensées. Il pourrait aller plus loin et nous taxer en fonction de la manière dont nous gagnons et dépensons notre argent, sous prétexte de lutte contre les changements climatiques ou de soutien de l’effort de guerre (seulement économique ou non) contre la Russie, la Chine et leurs alliés. Cet argent serait alors en grande partie redistribué aux start-ups écologiques et aux grandes entreprises d’armement contrôlées par de grands groupes financiers, dont nous deviendrions encore plus les vaches à lait. Ou bien, dans un contexte où les finances de l’État se portent de plus en plus mal, ce pourrait être nos habitudes de vie, alimentaires et autres, qui seraient documentés par le gouvernement, afin de déterminer les suppléments à la « taxe santé » qu’il nous faudrait payer en fonction des facteurs de risque supplémentaires (tabac, alcool, drogue, viande, sucre, sel, gras, inactivité, utilisation d’une voiture, non-vaccination, etc.) que nous représenterions pour le réseau public de santé, selon les savants calculs des actuaires ou des intelligences artificielles. Encore pire, ces nouveaux instruments technologiques permettraient à notre gouvernement, s’il le désirait, de décider ce que nous avons ou n’avons pas le droit d’acheter et en quelle quantité, ce qui pourrait servir à nous forcer à acheter des marchandises et des services qu’on veut favoriser, à nous en interdire d’autres qui seraient trop bons pour de la canaille comme nous et qui seraient réservés aux « élites » dirigeantes et financières, à nous interdire l’achat de certains produits et l’accès à certains services parce que nous serions de méchants non-vaccinés, et à nous imposer des mesures d’austérité dans un contexte où les conditions économiques auxquelles nous sommes habitués pourraient se dégrader rapidement, à cause de la politique étrangère désastreuse des États-Unis et de ses vassaux, dont c’est nous qui devrons faire les frais et dont c’est nous qui faisons déjà les frais.

Bien entendu, un tel système de contrôle économique pourrait être privé, d’ici quelques années, de ses conditions d’existence en raison de la politique étrangère belliqueuse occidentale, sous la gouverne du gouvernement américain, qui ne semble pas vouloir admettre que son hégémonie est déjà une chose du passé, et qui semble prêt à tout pour essayer d’en sauver l’apparence. Les économies occidentales pourraient être privées des métaux rares, des composantes électroniques et des technologies nécessaires à la réussite de la transformation numérique. Le problème le plus visible et le plus probable, c’est une pénurie de nouveaux téléphones mobiles, surtout si les gouvernements occidentaux sont assez fous pour adopter des sanctions économiques contre la Chine (qui pourrait décider de les leur rendre), et s’ils provoquent un conflit armé en Asie, sous prétexte de soutenir l’indépendance de Taïwan. Il serait peut-être possible de contrecarrer cette pénurie de téléphones si leurs fabricants et si les concepteurs de leurs systèmes d’exploitation (Apple et Google) décidaient de mettre fin à l’obsolescence programmée qui leur permet maintenant de s’enrichir, parce qu’elle ne serait plus avantageuse ou praticable. On pourrait alors augmenter la durée de vie des appareils mobiles en prolongeant la période durant laquelle ils recevraient des mises à jour et en s’assurant qu’ils soient compatibles avec les nouvelles versions des systèmes d’exploitation, même quand ils ont quelques années. Dans le cas des téléphones Android, il est déjà possible de le faire en installant des dérivés d’Android, ce qui montre que si ces téléphones deviennent rapidement obsolètes, c’est parce que les fabricants et Google ne désirent pas augmenter leur durée de vie et préfèrent forcer leurs utilisateurs à changer d’appareil après quelques années. Le problème de pénurie de piles au lithium demeurerait toutefois, étant donné que celles-ci ont une durée de vie assez limité quand on fait un usage intensif et quotidien des téléphones mobiles. Ce serait encore pire si les gouvernements occidentaux persistaient dans leur projet de changer les voitures à essence par des voitures électriques qui auraient elles aussi besoin de piles au lithium.

Quoi qu’il en soit, il est important de nous préparer à résister en trouvant des voies de contournement et de bien comprendre ce que ça implique. Même si le système de contrôle économique que je crains ne voyait pas le jour ou ne durerait pas à cause de troubles économiques trop grands, les précautions prises pour exister en marge de ce système pourraient aussi servir à atténuer les effets de ces troubles.


Jusqu’à maintenant, plusieurs facteurs ont permis l’émergence et la survie des marchés clandestins, qu’il s’agisse de marchandises de contrebande, contrefaites ou interdites, ou de services ou de marchandises fournis de manière à ne pas payer de taxes sur la consommation et d’impôt sur le revenu ou pour échapper à des réglementations jugées trop contraignantes. L’argent comptant, quand il était le moyen de paiement le plus courant pour les particuliers, avait l’avantage de ne pas laisser de traces ; et il n’était pas suspect de retirer régulièrement des billets de banque en assez grande quantité pour effectuer ses dépenses quotidiennes, puisqu’ils étaient aussi bien utilisés pour faire des transactions sur le marché officiel que sur le marché clandestin. L’usage de l’argent comptant était seulement problématique pour des dépenses plus grandes, pour lesquels les chèques ou les virements bancaires étaient généralement utilisés. Plus récemment, l’utilisation des cryptomonnaies a permis aux acheteurs de garder l’anonymat pour certaines de leurs transactions légales ou illégales et d’étendre le marché clandestin au commerce en ligne. Mais les autorités, qui veulent lutter contre la corruption ou seulement mettre leur sale nez partout, surveillent et réglementent de plus en plus l’acquisition, le minage et la possession des cryptomonnaies, ceux qui les utilisent couramment pour acheter ou pour vendre des produits étant de plus en plus soupçonnés d’être impliqués dans des activités illégales, bien qu’on ne puisse pas s’assurer si c’est bien le cas ou non, ou précisément pour cette raison. Au besoin, il était et continue d’être possible de graisser la patte à des policiers ou à des bureaucrates pour pouvoir continuer à faire clandestinement ses affaires sans être inquiété, surtout quand le crime organisé est impliqué, les pots-de-vin étant alors souvent accompagnés de menaces explicites ou implicites contre ceux qui auraient envie de refuser. Enfin, il arrive parfois que le marché clandestin soit nécessaire au fonctionnement du marché officiel, comme c’était le cas dans d’anciens pays soviétiques. Tout le monde sait alors que ce marché existe, beaucoup y font régulièrement des affaires, et les autorités tolèrent souvent son existence et en profitent même. Ceux qui sont punis arbitrairement pour ce que beaucoup d’autres font impunément et même ouvertement sont alors généralement ciblés pour d’autres raisons que ces affaires, qui ne sont qu’un prétexte pour leur faire des ennuis : ils ont irrité des personnes en position de leur nuire pour des motifs personnels, ou ils sont considérés comme des opposants ou des adversaires politiques qu’il faut neutraliser et dont il faut faire un exemple.

Avec la création d’une monnaie numérique de banque centrale qui s’imposerait peu à peu comme le seul mode de paiement ou le mode de paiement normal et qui permettrait de surveiller et de contrôler toutes nos transactions, et avec la disparition progressive de l’argent comptant et le renforcement de la réglementation contre les cryptomonnaies, il deviendrait beaucoup plus difficile, surtout pour les simples particuliers que nous sommes, de soustraire nos transactions à cette surveillance et à ce contrôle et de constituer un réseau économique clandestin viable. Il importe de nous demander quelles difficultés et quels risques sont associés à l’existence d’un tel réseau, afin que celui-ci puisse avoir une chance de se constituer et de ne pas être immédiatement attaqué ou démantelé par les autorités politiques et bureaucratiques et leurs partenaires privés (banques, sociétés de crédit, corporations informatiques, etc.), auxquels serait profitable le nouveau système économique mis en place grâce à la monnaie numérique de banque centrale.

Tout d’abord, il faudrait que la monnaie utilisée dans ce réseau clandestin soit aussi indépendante que possible du marché officiel et de la monnaie numérique de banque centrale qui y serait utilisée. Il ne serait vraisemblablement pas possible de convertir la monnaie numérique de banque centrale en cette monnaie clandestine et concurrente, ou vice versa, grâce aux applications de paiement qui devraient obligatoirement être utilisées pour faire des transactions. Ou si on trouve une manière de faire cette conversion, on laisse vraisemblablement des traces et on risque d’attirer l’attention sur soi et sur l’ensemble du réseau clandestin. C’est pourquoi toutes sortes de questions doivent être posées. Quelle forme prendrait la monnaie clandestine ? Comment réglerait-on sa création, quand ce réseau clandestin prendrait forme et après, au fur et à mesure qu’il grandirait et que de nouvelles personnes s’y intégreraient ? Comment déterminer la création de la bonne quantité de monnaie, afin d’éviter son manque, ce qui entraverait les échanges, ou sa création excessive, ce qui provoquerait vraisemblablement de l’inflation au sein du réseau clandestin ? Comment éviterait-on la contrefaçon de cette monnaie ? Régulerait-on les prix des produits et des services qu’on pourrait acheter avec cette monnaie ? Ou laisserait-on tout libre, en espérant que les lois du marché organiseraient automatiquement les choses pour le mieux, ou se fiant à l’instinct et à la capacité innée d’auto-organisation des membres ? Ce ne sont pas des difficultés que je prétends résoudre ici. En fait, j’en suis incapable. J’ai besoin d’y réfléchir et de regarder les idées, et peut-être aussi les expériences, de groupes de dissidents, si du moins celles-ci soient décrites sur internet, ce qui n’est pas forcément le cas s’ils prétendent vraiment à la clandestinité et s’ils comprennent ce que ça implique. Je fais donc seulement de signaler ici ces difficultés, en insistant sur l’importance de ne pas évacuer ces problèmes grâce à l’idée d’une communauté où tout serait mis en commun, qui ne résoudrait certainement pas tout, et qui poserait de nouveaux problèmes, et pas seulement en ce qui a trait au communisme économique (voir mon billet du 19 février 2023).

Étant donné la surveillance et le contrôle des transactions financières que rendrait possible une monnaie numérique de banque centrale, l’indépendance et la survie d’un réseau économique clandestin seraient grandement déterminées par sa capacité à dépendre le moins possible de produits et de services qui proviendraient du marché officiel et qui seraient payés avec cette monnaie numérique. Le maraîcher clandestin qui achèterait ses semences et ses engrais de cette manière se ferait rapidement repérer, ne pourrait probablement pas s’approvisionner suffisamment et attirerait l’attention des autorités sur le réseau, tout comme la couturière clandestine qui voudrait acheter du tissu pour fabriquer des vêtements et les vendre ailleurs que sur le marché officiel. La même chose se produirait pour l’achat, l’entretien et la réparation de machines agricoles ou de camions de transport, à quoi il faudrait ajouter l’essence ; et pour l’achat de l’électricité nécessaire à la production clandestine de marchandises et à l’offre de services clandestins, ou encore pour l’acquisition de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes, qu’il faudrait aussi entretenir et réparer, ce qu’on pourrait difficilement faire sans avoir recours au marché officiel ou sans détourner une partie des marchandises et des services qui lui sont normalement destinés. Je me demande donc si la production clandestine de certaines marchandises et l’offre de certains services clandestins sont possibles et ne sont pas trop risquées. Si c’était bien le cas, ce serait la capacité des membres de ce réseau à se dégager du marché officiel qui serait limitée ou compromise.

Il serait aussi nécessaire que tous les membres du réseau économique clandestin assument ou simulent une présence suffisante sur le marché officiel, par l’obtention et la dépense d’une quantité assez grande monnaie numérique, car le traçage des transactions financières ne porterait pas seulement sur celles qui seraient faites, mais aussi sur celles qui ne seraient pas faites. Des personnes qui ne travailleraient pas et ne dépenseraient pas du tout ou pas assez pour gagner assez de monnaie de numérique de banque centrale et pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires seraient rapidement soupçonnées de s’adonner à des activités économiques clandestines. Il est même raisonnable de craindre que celles dont les gains et les dépenses s’éloigneraient trop des schémas habituels soient l’objet d’alertes faites par des intelligences artificielles spécialement conçues pour repérer des irrégularités qui échapperaient souvent aux enquêteurs humains. On dira que, de toute façon, le réseau économique clandestin serait probablement un marché d’appoint, étant donné les difficultés décrites plus haut, et que ses membres devraient forcément aussi travailler et dépenser sur le marché officiel. Certes. Mais il y a une différence importante entre le fait de s’agiter sur ce marché pour se procurer ce que le marché clandestin ne permet pas d’obtenir ou permet trop difficilement d’obtenir, et le fait de s’y agiter pour donner l’impression qu’on vit seulement de ce qu’il procure. Une telle mascarade détournerait une plus grande partie du temps et de l’énergie du réseau économique clandestin, et réduirait du même coup ce qu’il peut fournir à ses membres, qui deviendraient plus dépendants du marché officiel. Il serait peut-être possible d’atténuer cet inconvénient en détournant vers le réseau clandestin une partie des choses qui viennent du marché officiel et dont on aurait eu immédiatement besoin si on ne s’adonnait pas aussi à des activités économiques clandestines, en plus de participer au marché officiel.

Regardons la situation en face : si la monnaie numérique de banque centrale est utilisée de la manière que nous craignons, pour surveiller et contrôler nos transactions financières, pour nous imposer de nouvelles réglementations sur les biens et les services, et pour nous faire payer de nouvelles taxes en fonction de ce que nous consommons ou faisons, il est à peu près certain que nos gouvernements considéreront ce réseau économique clandestin comme une forme de marché noir et ses membres comme des criminels qu’il faudrait punir sévèrement, d’autant plus qu’ils se soustrairaient aussi à l’impôt sur les revenus obtenus grâce à ces activités illicites. Ils auraient bien beau croire et dire qu’ils ne font rien de mal, invoquer leurs droits et leurs libertés et soutenir que les nouvelles lois selon lesquelles on les considérerait comme des criminels sont anticonstitutionnelles, le gouvernement et ses sbires ne les traiteraient pas moins comme des criminels. Il faudrait par conséquent qu’ils acceptent et assument l’illégalité et les risques qui l’accompagnent ou qu’ils renoncent à faire partie d’un réseau économique clandestin. Pas moyen de faire autrement. Il en résulte que ceux qui persisteraient dans ce choix devraient chercher comment échapper aux enquêteurs, comment se protéger contre les tentatives d’infiltration des policiers, comment instaurer une culture du secret, et comment se faire craindre et se venger des délateurs. Puis la question des rapports à entretenir – de cohabitation, de coopération, de protection, de subordination ou de concurrence – avec le crime organisé devrait être posée, puisque celui-ci tend à exercer une forte emprise sur le marché noir, comme c’est déjà le cas pour des marchandises de contrebande ou illégales et des services interdits. Pourquoi le crime organisé agirait-il autrement à l’égard des activités nouvellement interdites qu’il le fait actuellement pour les produits importés illégalement ou contrefaits ou pour le trafic des drogues interdites, ou comme il le faisait pour le commerce clandestin de l’alcool pendant la prohibition ? Les membres de ce réseau clandestin ne risqueraient-ils pas de se retrouver pris entre deux feux, à savoir la police chargée de lutter contre le marché noir et les organisations criminelles qui considèrent le marché noir comme leur chasse gardée ?


Ce n’est là qu’un aperçu rapide des difficultés et des risques qui attendent ceux qui décideraient de constituer un réseau économique clandestin après l’adoption d’une monnaie numérique de banque centrale et la décision de l’utiliser pour surveiller et contrôler nos transactions financières. Je ne les ai pas exposés pour dissuader ces personnes, mais pour qu’elles ne se lancent pas naïvement dans un projet dont les implications, parfois graves, leur échapperaient, sans avoir d’abord essayé d’anticiper concrètement la situation et de trouver des manières de surmonter ces obstacles.