Déclaration de la variole du singe comme urgence de santé publique de portée internationale (1)

« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. »

Il fallait bien que cela finisse par arriver : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que la variole du singe est une urgence de santé publique de portée internationale (public health emergency of international concern ou PHEIC, que les bureaucrates de l’OMS prononcent « fake »), alors que la fin de la « pandémie » de COVID-19 n’a pas encore été déclarée, et qu’on ne sait pas ce qu’il faudrait pour qu’elle se termine, à part peut-être la « vaccination récurrente » de la totalité de la population mondiale. Il y a de quoi s’inquiéter, non pas à cause de la variole du singe elle-même, mais à cause de ce que l’OMS pourrait recommander aux États membres, et à cause des mesures soi-disant sanitaires que les États membres pourraient décider d’imposer à leurs populations, par zèle sanitaire ou pour servir des fins politiques. Comme pour la COVID-19, ces restrictions peuvent très bien ne pas avoir pour cible la variole du singe, mais les primates susceptibles d’être infectés.


Prenons d’abord connaissance de la déclaration faite par Tedros Adhanom Ghebreyus, directeur-général de l’OMS, à l’occasion de la conférence de presse du 23 juillet 2022. Cela pressait tellement que le directeur-général s’est senti dans l’obligation dedéclarer le PHEIC samedi, même si le Comité d’urgence de l’OMS n’a pas réussi obtenir un consensus sur la réalité de ce PHEIC.

La déclaration du directeur-général commence par un bref résumé de l’évolution de la situation liée à la variole du singe :

« A month ago, I convened the Emergency Committee under the International Health Regulations to assess whether the multi-country monkeypox outbreak represented a public health emergency of international concern.

At that meeting, while differing views were expressed, the committee resolved by consensus that the outbreak did not represent a public health emergency of international concern.

At the time, 3040 cases of monkeypox had been reported to WHO, from 47 countries.

Since then, the outbreak has continued to grow, and there are now more than 16 thousand reported cases from 75 countries and territories, and five deaths.

In light of the evolving outbreak, I reconvened the committee on Thursday of this week to review the latest data and advise me accordingly.

I thank the committee for its careful consideration of the evidence, and issues.

On this occasion, the committee was unable to reach a consensus on whether the outbreak represents a public health emergency of international concern. »

(C’est moi qui souligne.)

Est-ce que la situation a vraiment changé depuis la première rencontre du Comité d’urgence ? Au fur et à mesure que le temps passe, le nombre de cas de variole du singe ne peut qu’augmenter. La question qu’il faut nous poser, c’est combien il y a de cas actifs en même temps. Selon l’OMS, cette maladie dure d’un demi-mois ou à un mois (stage fiévreux et stage éruptif) après l’apparition des premiers symptômes. Il faut donc soustraire les 3040 premiers cas rapportés à la fin du mois de mai, et qui doivent être guéris depuis, ce qui veut dire qu’il reste environ 13 000 cas. Plusieurs des 13 000 cas dépistées depuis la fin mai ne sont certainement plus actifs. Étant donné que nous ne savons pas quand les premiers symptômes sont apparus, il nous est impossible de savoir combien il reste de cas actifs. Supposons que pendant le dernier mois, environ 50 % de ces cas se sont rétablis. Il resterait donc environ 6500 cas actifs quand le directeur-général de l’OMS a déclaré le PHEIC. Nous sommes donc bien loin d’une propagation exponentielle de la maladie, et la situation ne semble pas être déjà ou sur le point de devenir hors de contrôle à l’échelle internationale, car les cas actifs dépistés jusqu’à maintenant représentent approximativement 0,00008 % de la population mondiale

Quant aux décès qui auraient été causés par la variole du singe, il y en aurait seulement eu 5 depuis un mois, ce qui est très négligeable (0,00000625 % de la population mondiale). Et le taux de létalité (nombre de décès par rapport au nombre de personnes infectées) est d’environ 0,0315 % pour l’instant.

On dira peut-être que c’est parce qu’on ne surveille pas suffisamment la variole du singe, et que le nombre de cas et le nombre de décès sont donc largement sous-estimés. La déclaration du PHEIC aurait justement pour effet d’accroître cette surveillance nécessaire pour avoir une idée juste de la situation. Mettons. Advenant qu’une forte hausse des cas et des décès serait observée après un renforcement des mesures de surveillance de la variole du signe, il faudrait bien se garder d’y voir simplement un signe de l’aggravation de la propagation de la maladie, sans tenir compte du fait qu’elle pourrait résulter en grande partie ou en totalité de cette surveillance accrue. On ne peut pas affirmer, sans se rendre coupable d’incohérence, que cette surveillance accrue est requise parce qu’on a sous-estimé les cas et les décès liés à la variole du singe jusqu’à maintenant, et faire ensuite comme si le nombre de cas et de décès déclarés avant le renforcement de la surveillance était fiable, pour interpréter la hausse résultant de cette surveillance accrue comme la preuve scientifique d’une « propagation exponentielle » de la maladie, au nom de laquelle on voudrait renforcer encore une fois la surveillance de la propagation, pour interpréter les résultats obtenus de la même manière, et ainsi de suite. Ne serait-il pas préférable de nous dire alors que la situation est loin d’être catastrophique s’il faut tous ces efforts pour dénicher ces cas et ces décès, dont on ignorerait l’existence autrement ? Ne serait-ce pas de la folie furieuse d’imposer à nouveau des mesures soi-disant sanitaires à toute la population ou à une partie de la population jugée plus vulnérable, ou seulement d’envisager de le faire ?

Enfin il faudrait savoir ce qu’on entend par des « cas » de variole du singe ? S’agit-il de personnes qui ont des symptômes et qui sont vraiment malades ? Ou s’agit-il plutôt de personnes asymptomatiques auxquelles les autorités sanitaires nationales ont fait passer des tests de dépistage qui détectent des résidus du virus parce qu’elles ont été identifiées comme des contacts de personnes infectées et malades, des contacts de personnes infectées et asymptomatiques, ou des contacts de personnes qui ont elles-mêmes été identifiées comme des contacts de personnes déclarées infectées (malades ou non) ou de personnes elles aussi identifiées comme des contacts ? L’accumulation de ce genre de « cas » grâce au traçage des contacts et au dépistage des personnes asymptomatiques entraînerait nécessairement ce que les journalistes et les autorités politiques et sanitaires ont pris l’habitude d’appeler des « explosions de cas », et reviendrait à comparer des pommes avec des oranges.

Voyons maintenant comment le directeur-général de l’OMS justifie sa décision de déclarer que la variole du singe est un PHEIC :

« Under the International Health Regulations, I am required to consider five elements in deciding whether an outbreak constitutes a public health emergency of international concern. »

Le directeur-général, en tant que chef suprême de l’OMS, ne dit pas que l’événement concerné doit répondre à cinq critères quand il évalue s’il est bien un PHEIC. Il est seulement tenu de prendre en compte les cinq éléments que voici, conformément à l’article 12 du Règlement sanitaire international. Cela est très différent et lui laisse une certaine marge de manœuvre, qu’il agrandit en ne prenant pas en compte tous ces éléments :

« First, the information provided by countries – which in this case shows that this virus has spread rapidly to many countries that have not seen it before; »

Outre le fait qu’on insiste seulement ici sur la rapidité de la propagation dans de nombreux pays, et pas sur l’ampleur de la propagation dans ces pays, il n’est aucunement question de la gravité des cas et de la fréquence des décès liés à cette propagation. On se contente de dire que la variole du singe se propagerait rapidement où elle ne se propageait pas avant. Le directeur-général déclare seulement qu’il a pris en compte l’information transmise par les pays touchés, sans montrer pourquoi cette information est suffisamment précise et appuie sa décision de déclarer comme PHEIC la variole du singe.

« Second, the three criteria for declaring a public health emergency of international concern, which have been met; »

En bon bureaucrate, le directeur-général ne nous dit pas quels sont les critères auxquels il faut répondre, selon le Règlement sanitaire international, pour déclarer un PHEIC. Il nous dit seulement que la variole du singe répond à ces critères et qu’on a suivi la procédure de déclaration d’un PHEIC. Je ne vois d’ailleurs pas exactement de quoi il parle, puisqu’il y a quatre critères dans le Règlement sanitaire international (p. 56 à 59), et qu’un événement doit répondre à seulement deux de ces critères pour être considérée comme un PHEIC :

  1. Les répercussions de l’événement sur la santé publique sont-elles graves ?

  2. L’événement est-il inhabituel ou inattendu ?

  3. Y a-t-il un risque important de propagation internationale ?

  4. Y a-t-il un risque important de restrictions aux voyages internationaux ou au commerce international ?

Peut-être que le directeur-général veut dire que la variole du singe répond à trois de ces quatre critères. Il faudrait alors savoir lesquels pour comprendre ce qui motive sa décision, même si nous savons déjà qu’il considère que c’est le cas des critères 2 et 3, la propagation de la variole du singe dans de nombreux pays ayant été déclarée inattendue et inhabituelle, ce qui lui permet de faire d’une pierre deux coups. (Pour une analyse détaillée de l’algorithme utilisé pour déclarer les PHEIC conformément au Règlement sanitaire international, je vous renvoie à mes billets du 10 juin et du 11 juin 2022.)

« Third, the advice of the Emergency Committee, which has not reached consensus; »

Le directeur-général a une manière très particulière de tenir compte de l’avis que le Comité d’urgence lui a transmis et dans lequel un consensus n’a pas été exprimé à propos de l’existence ou de la non-existence d’un PHEIC. Au lieu de s’abstenir ou d’attendre qu’un tel consensus soit atteint, ce qu’il aurait fait s’il avait pris au sérieux les délibérations du Comité d’urgence, il a décrété que la variole du singe est un PHEIC. Et on voudrait nous faire croire que l’OMS n’a pas une gouvernance autoritaire !

« Fourth, scientific principles, evidence and other relevant information – which are currently insufficient and leave us with many unknowns; »

Le directeur-général voudrait nous faire croire qu’il tient compte des principes scientifiques, des éléments de preuve et des autres informations pertinentes en déclarant que ceux-ci sont insuffisants et qu’ils comportent une grande part d’inconnu. Aussi bien dire qu’ils sont inexistants, étant donné la prétendue radicale nouveauté que la variole du singe doit avoir pour être considérée comme un PHEIC. C’est cette déficience des connaissances scientifiques qui devraient motiver la décision du directeur-général et qui lui permettrent de se décharger du fardeau de la preuve. Ce qui revient à dire qu’il déclare que la variole du singe est un PHEIC parce que nous ignorerions beaucoup de choses à son sujet. C’est de la grande science ! Et sans doute pourra-t-on nous refaire le coup pour d’autres PHEIC, et invoquer l’ignorance plus tard afin de se disculper. Comme c’est commode !

« And fifth, the risk to human health, international spread, and the potential for interference with international traffic. »

Mais encore ? Le directeur-général ne daigne pas s’expliquer. Il lui suffit de dire qu’il tient compte du risque pour la santé humaine, du risque de propagation internationale, et d’une possible interférence pour le commerce et le « trafic international », pour qu’il tienne compte de cet élément. Ce serait là un cas d’école d’énoncé performatif !

C’est tout ce qu’il faut au directeur-général pour promulguer son décret :

« WHO’s assessment is that the risk of monkeypox is moderate globally and in all regions, except in the European region where we assess the risk as high.

There is also a clear risk of further international spread, although the risk of interference with international traffic remains low for the moment.

So in short, we have an outbreak that has spread around the world rapidly, through new modes of transmission, about which we understand too little, and which meets the criteria in the International Health Regulations.

For all of these reasons, I have decided that the global monkeypox outbreak represents a public health emergency of international concern. »

(C’est moi qui souligne.)

Si le risque est modéré partout sauf en Europe où il serait élevé, pourquoi le directeur-général déclare-t-il une urgence de santé publique de portée internationale ? Pourquoi ne pas déclarer une urgence de santé publique de portée plus limitée ? S’il est vrai que l’Europe est constituée de plusieurs États-nations (quoiqu’à cause de l’UE, ce sont pour la plupart des États croupions), et qu’on pourrait donc parler, selon cette affirmation du directeur-général, d’une urgence internationale, il faudrait à tout le moins préciser ce qu’on entend par là, sinon tout ce qu’on dit international est susceptible d’être appliqué sans discernement à une grande partie de la planète.

Il est curieux de voir le directeur-général affirmer que le risque d’interférence au trafic international est faible, après l’avoir invoqué pour justifier sa décision. Sans doute veut-il dire qu’un risque existe à part entière même s’il est faible. À ce compte, tous les risques existeraient toujours, et on pourrait les invoquer pour justifier toutes sortes de choses, quand on siège à l’OMS ou dans d’autres circonstances. C’est d’ailleurs ce qui se passe assez souvent quand on invoque la sacro-sainte sécurité pour éviter les accidents, nous imposer des obligations et des interdictions et contrôler nos comportements.

S’il n’est pas faux de dire que la variole du singe peut être considérée comme un PHEIC à partir de l’algorithme décisionnel très malléable qui se trouve dans le Règlement sanitaire international, le directeur-général se moque de nous ou il est de mauvaise foi quand il fait mine de croire que son décret est conforme à l’article 12 du règlement, auquel il déroge en deux points, le troisième et le quatrième, en faisant comme si un consensus avait été atteint au sein du Comité d’urgence dont l’avis doit être pris en considération, et en reconnaissant lui-même que les connaissances scientifiques sur la « nouvelle » variole du singe sont très partiels et donc insuffisants pour justifier la déclaration de l’existence d’un PHEIC, l’absence ou le manque de connaissances scientifiques ne pouvant certainement pas être considérés comme une justification scientifique.

Étant donné que le directeur-général use malgré tout de son pouvoir pour déclarer que la variole du singe est un PHEIC, les États membres qui craignent que l’OMS profite de l’occasion pour s’ingérer dans leurs affaires et établir ainsi un autre précédent sur lequel elle pourra s’appuyer plus tard pour étendre son pouvoir, devraient critiquer ouvertement l’OMS, menacer de s’en retirer et, si le directeur-général ne veut rien entendre, le faire.

Quant aux membres du Comité d’urgence, s’ils prennent au sérieux le Règlement, et à plus forte raison s’ils ne pensent pas que la variole du singe constitue un PHEIC, ils devraient critiquer publiquement cette décision du directeur-général, et faire des représentations auprès de l’Assemblée mondiale de la Santé et du Conseil exécutif de l’OMS. Que les représentants des États membres à l’OMS se rappellent donc qu’ils représentent les intérêts nationaux de ces États et de leurs populations, et qu’ils ne sont pas les sous-fifres du directeur-général.


Soyons réalistes : nous ne devons pas espérer grand-chose de telles démarches au sein de l’OMS ou par les États membres, si quelqu’un décidait de les faire. Il importe donc de nous demander ce que cette déclaration permet à nos gouvernements de faire et ce qu’ils auront envie d’en faire, en tant que tel, mais aussi en prenant en compte d’autres événements, comme la guerre en Ukraine et les effets désastreux des sanctions économiques qui se feront de plus en plus sentir pour les populations occidentales. Ne voulant pas me répéter à ce sujet, je suggère à mes lecteurs de lire ou de relire mon billet du 23 mai 2022, en leur demandant bien entendu de tenir compte du fait que le récent décret sur l’existence du PHEIC par le directeur-général change la situation et rend plus probables certaines conjectures.

Je continuerai mes réflexions sur les implications de ce décret dans un autre billet où j’analyserai le rapport que le Comité d’urgence a transmis au directeur-général, peu avant la conférence de presse de ce dernier.

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