Sur un algorithme du Règlement sanitaire international de l’OMS (1)

L’Organisation mondiale de la santé voulant faire adopter aux États membres une sorte de « traité pandémie » qui doit lui permettre de renforcer la surveillance des événements pouvant mener à de futures « pandémies », de préparer et de coordonner les réponses à ces menaces sanitaires à l’échelle internationale, de soutenir les États vigilants et respectueux des normes sanitaires internationales, et d’exercer des pressions et peut-être de punir les États membres récalcitrants ou voyous, il importe de prendre connaissance du contenu de la troisième édition du Règlement sanitaire international (RSI) déjà en vigueur et qu’on mettra vraisemblablement en marge de l’adoption du traité. Cela nous permettra de prendre connaissance de la procédure grâce à laquelle l’OMS détermine si une « urgence de santé publique de portée internationale » a lieu, puisque c’est de ça que tout le reste découle.


Avant d’entrer vraiment dans cette question particulière, voyons quel est l’objet du Règlement sanitaire international :

« L’objet et la portée du RSI (2005) consistent à prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux. »

(Avant-propos, p. vii)

Ce n’est donc pas des maladies qu’il s’agit de prévenir, contre lesquelles il faut se protéger, qu’il faut maîtriser et auxquelles il faut réagir. Ce dont il s’agit dans le Règlement, ce sont les actions à prendre contre la propagation internationale des maladies, et pas contre les maladies elles-mêmes. Ce qui veut dire que la surveillance, la prévention et le contrôle de la propagation des maladies sont, dans le cadre du Règlement, les moyens par excellence de lutter contre ces maladies susceptibles de se propager d’un pays à l’autre. Les traitements contre ces maladies et la prise en charge efficace des malades n’entrent même pas en jeu ici. À la rigueur, des maladies qu’on peut traiter facilement, si on s’en donne les moyens, peuvent faire partie de l’objet du Règlement. Encore pire, l’emphase mise sur la prévention et du contrôle de la propagation peut détourner les efforts des professionnels de la santé et des gouvernements nationaux du soin des malades, pour miser principalement sur la lutte contre la propagation des maladies, en imposant des mesures dites sanitaires indistinctement aux personnes en santé ou malades, et non infectées ou infectées. Nous connaissons la chanson.

Le fait qu’on a recours à « une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques que [la propagation des maladies] présente pour la santé publique » confirme mon impression. Il ne s’agit du danger que les maladies représentent pour les personnes concrètes susceptibles d’être malades, mais du danger que la propagation des maladies représente « pour la santé publique ». Je ne vois pas à quelle réalité se rapporte ici l’expression « santé publique ». La santé, si on entend par là le fait d’être en santé et de ne pas être malade, n’est pas une affaire collective. Les populations d’une ville, d’une province ou d’un pays ne peuvent pas être collectivement en santé ou malades. Ce sont toujours des personnes particulières qui sont en santé ou qui sont malades. Quand on dit qu’une population est en santé ou malade, on veut seulement dire que les personnes qui la constituent sont dans une large mesure en santé ou malades. Certains diront que c’est précisément ce qu’on veut dire par « santé publique » dans ce contexte. Alors pourquoi ne pas avoir dit les choses plus simplement ? Pourquoi les obscurcir inutilement ? Vraisemblablement pour donner l’impression qu’on parle de quelque chose de plus compliqué et de plus complexe, qui transcende la réalité concrète des personnes en santé ou malades. La « santé publique » a alors tout ce qu’il faut pour devenir une abstraction coupée de la réalité, qui a pour toute substance des chiffres qu’on peut par conséquent manipuler à son gré, mais qui n’abandonne pas la prétention de dire comment les choses sont vraiment ou devraient être, derrière les apparences trompeuses. Et si la réalité n’est pas conforme à cette abstraction, c’est la réalité qui a tort.

C’est cette abstraction qui permet de dire – de manière circulaire, auto-référentielle et auto-justificatrice – qu’on lutte contre les risques que la propagation des maladies pose pour la santé publique grâce à une action de santé publique. Les prétendus médecins et scientifiques emploient ici un style bureaucratique qui, par son obscurité et sa vacuité, n’a rien à envier au style théologique. En effet, des fanatiques religieux qui mêleraient politique et superstition pourraient dire : « Le but de la présente bulle pontificale est de donner au Saint-Office les moyens de réagir à la propagation de l’erreur grâce à une action de salut public proportionnée et limitée aux risques qu’elle représente pour le salut public. » Pour de tels fanatiques, la propagation de ce qu’ils considèrent être une grave erreur constitue en lui-même un danger pour le salut public. Le désastre pourrait seulement être évité grâce une action concertée de salut public. Le fait que « l’erreur » ne trouble pas l’ordre public, et que les troubles ne sont pas apparents, ne change rien à l’affaire pour eux. Ces troubles doivent forcément exister puisque l’erreur est contraire aux dogmes « vrais » et « bénéfiques » auxquels ils croient. Si on ne voit pas ces maux en regardant autour de soi, c’est que le mal, invisible, couve quelque part. Au besoin, ces maux peuvent devenir des châtiments à venir, infligés à la communauté des croyants dans une vie après la mort ou quand la fin du monde arrivera. Bref, on a affaire à un équivalent superstitieux des « malades asymptomatiques » qui propageraient le mal encore plus insidieusement que les « malades symptomatiques », et qui constitueraient un danger encore plus grand.

Quand il est question de la santé publique (ou du salut public), on comprendra qu’il ne faut guère prêter foi aux déclarations selon lesquelles on cherche à éviter de « créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux ». Car toutes les entraves seraient par définition proportionnées et utiles en ce qu’elles serviraient à protéger le plus grand bien de tous, c’est-à-dire la santé publique (ou le salut public). Signalons aussi qu’on ne fait part d’aucune restriction quant à l’entrave des droits et des libertés des individus par les mesures sanitaires aussi longtemps qu’ils restent sur le territoire des États membres et qu’ils ne sont pas assimilés à des marchandises dont il ne faut pas entraver le transit d’une région d’un monde à une autre.

L’avant-propos du règlement continue comme suit :

« Le RSI (2005) contient une série d’innovations, notamment a) une portée qui n’est pas limitée à une maladie ou à un mode de transmission donné mais qui couvre « une pathologie humaine ou une affection, quelle qu’en soit l’origine ou la source, ayant ou susceptible d’avoir des effets nocifs importants pour l’être humain » ; b) l’obligation pour les Etats Parties de développer des capacités essentielles minimales en santé publique ; c) l’obligation pour les Etats Parties de notifier à l’OMS les événements susceptibles de constituer une urgence de santé publique de portée internationale conformément aux critères définis ; d) des dispositions autorisant l’OMS à prendre en considération les rapports officieux sur des événements de santé publique et à obtenir vérification de ceux-ci par les Etats Parties ; e) des procédures pour que le Directeur général détermine l’existence d’une « urgence de santé publique de portée internationale » et formule des recommandations temporaires correspondantes après avoir tenu compte de l’avis d’un Comité d’urgence ; f) la protection des droits de l’homme pour les voyageurs et autres personnes ; et g) la création de points focaux nationaux RSI et de points de contact RSI à l’OMS pour les communications urgentes entre les Etats Parties et l’OMS. »

(Avant-propos, p. vii-viii. C’est moi qui souligne.)

Outre le fait que le Règlement semble pouvoir s’appliquer à presque toutes les maladies et à tous les autres dangers pour la santé humaine (la contamination par des agents chimiques par exemple), il n’est même pas nécessaire qu’il y ait effectivement des effets nuisibles : la possibilité de tels effets pour l’être humain suffit. Avec des si, on pourrait mettre Paris en bouteille. Ce qui s’est littéralement produit, avec Paris et tant d’autres villes, à la suite de la propagation du fameux virus et de ses variants.

Il n’en demeure pas moins vrai que les États membres sont obligés de notifier à l’OMS des événements qui sont susceptibles d’être une urgence de santé publique de portée internationale. En combinant les énoncés a) et c), voici ce que nous obtenons : « Les États membres sont tenus de notifier à l’OMS les événements susceptibles de constituer une urgence de santé publique de portée internationale, c’est-à-dire des pathologies ou des affections, quelle qu’en soit l’origine ou la source, ayant ou susceptibles d’avoir des effets nocifs importants pour l’être humain. » Sous prétexte de prudence, on redouble donc la possibilité des effets nocifs pour l’être humain. Entre de tels événements et des maladies qui ont effectivement des effets nocifs graves pour l’être humain et qui constituent de véritables urgences sanitaires de portée internationale, il y a un abysse. Ce qui est aggravé par le fait qu’on ne précise pas à quelle fréquence ces effets nuisibles doivent se produire pour qu’on considère comme un danger ces événements susceptibles d’être des urgences sanitaires elles-mêmes susceptibles d’avoir des effets nocifs importants pour l’être humain. Cela fait beaucoup de « si ».

Il est clair, à la lecture de ces énoncés, que leurs rédacteurs cherchent à augmenter la fréquence à laquelle les États membres doivent notifier des événements susceptibles de constituer une urgence de santé publique de portée nationale, à laquelle l’OMS doit examiner les événements notifiés, et à laquelle elle déclare que des événements constituent une telle urgence. Ce que confirme la conclusion de l’avant-propos du Règlement, où l’on dit a essayé de mettre de plus en plus de choses sous sa portée, sous prétexte de faire durer le règlement dans le temps :

« En décidant de ne pas limiter l’application du RSI (2005) à certaines maladies, l’idée était de préserver la pertinence et l’applicabilité du Règlement pour de nombreuses années en dépit de l’évolution continue des maladies et des facteurs qui conditionnent leur apparition et leur transmission. Les dispositions du RSI (2005) actualisent et modifient également de nombreuses fonctions techniques et autres fonctions réglementaires, y compris les certificats applicables aux voyages et aux transports internationaux et les prescriptions applicables aux ports, aéroports et postes-frontières internationaux. »

(Avant-propos, p. viii. C’est moi qui souligne.)

On n’en est pas moins en train de préparer une sorte de traité qui, vraisemblablement, apportera d’importants changements au Règlement, non pas pour étendre son application à des nouvelles maladies (il s’applique déjà à tout ce qui peut exister), mais pour rendre les recommandations et les obligations dictées par l’OMS pour contraignantes pour les États membres. C’est que le Règlement doit être soumis à un processus d’amélioration continue pour suivre « l’évolution continue des maladies et des facteurs qui conditionnent leur apparition et leur transmission ». Ou plutôt : « l’évolution continue des maladies et des facteurs qui conditionnent leur apparition et leur transmission » doit être mise en évidence et même accentuée pour permettre l’amélioration continue du Règlement et l’empêcher de devenir obsolète.


Selon l’article 6 du Règlement, les États membres sont tenus d’évaluer les événements qui surviennent sur leur territoire à l’aide de l’instrument de décision présenté à l’annexe 2 (p. 56) et de notifier l’OMS des événements susceptibles de constituer des urgences de santé publique de portée internationale au regard de cet instrument de décision. En vertu de l’article 12, cet instrument doit être utilisé par le directeur général de l’OMS pour déterminer si les événements notifiés constituent des urgences de santé publique de portée internationale, en tenant aussi compte des informations fournies par les États membres, de l’avis du Comité d’urgence, des principes scientifiques et des éléments de preuve scientifiques disponibles, et d’une évaluation du risque pour la santé humaine, du risque de propagation internationale et du risque d’entraves au trafic international.

Voyons en quoi consiste cet instrument.

(Je vous suggère d’ouvrir les images ci-dessous dans une autre fenêtre de votre navigateur ou de les télécharger afin de pouvoir les voir en lisant mes analyses.)

Voici l’algorithme que doivent utiliser les États membres et le directeur général de l’OMS. C’est moi qui ai ajouté lettres qui sont en verts et les nombres en chiffres romains qui sont en bleu pour m’y référer quand j’analyserai l’algorithme.

Dès qu’un événement est détecté par le système de surveillance national qu’ont dû mettre en place les États membres pour se conformer au Règlement, trois possibilités entraînent l’utilisation de cet algorithme.

La possibilité A concerne la présence inhabituelle ou inattendue d’un cas des quatre maladies énumérées (variole, poliomyélite, grippe, SRAS) susceptible d’avoir des répercussions sur la santé publique. Il n’en faut pas davantage : les États membres doivent notifier ces événements à l’OMS.

La possibilité C concerne des maladies dont on dit qu’elles sont susceptibles d’avoir d’importantes répercussions sur la santé publique et de se propager rapidement d’un pays à l’autre (choléra, peste pulmonaire, fièvre jaune, fièvres hémorragiques, fièvre à virus du Nil occidental, etc.). Dans ce cas, l’algorithme doit être utilisé pour déterminer si on doit ou non déclarer les événements à l’OMS. Je m’étonne que les cas inhabituels et inattendus de grippe et de SRAS (possibilité A) soient considérés comme des menaces plus grandes « pour la santé publique » que le choléra, la peste pulmonaire et la fièvre Ebola, et doivent être notifiés automatiquement à l’OMS sans qu’on ait à passer d’abord par l’algorithme et à répondre aux mêmes questions que pour ces dernières maladies. Cela doit être dû au fait qu’assez étrangement des réponses positives à ces questions ont été incluses dans la possibilité A.

La possibilité B concerne tous les événements susceptibles d’avoir une ampleur internationale auxquels les possibilités A et B ne s’appliquent pas. Il s’agit donc d’une possibilité « etc. » qui doit pouvoir s’appliquer à toutes les maladies, quelles qu’en soient les causes et les origines, qui n’apparaissent pas dans les deux autres possibilités. Voilà qui augmente considérablement la fréquence des cas où les États membres devront utiliser cet algorithme et, ce faisant, devront notifier des événements à l’OMS.

Passons maintenant aux questions auxquelles doivent répondre les États membres quand il s’agit de la possibilité A ou B.

La question I est assez floue. Que veut-on dire par « graves pour la santé publique » ? À partir de quel point des répercussions doivent-elles être considérées comme graves ? Et que fait-on de leur fréquence ? Puis, dans le cas d’une réponse négative à cette question, c’est-à-dire dans le cas d’un événement qui n’a pas de répercussions graves sur la santé publique, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit décidé immédiatement de ne pas déclarer l’événement à l’OMS, sans qu’on ait à répondre aux autres questions. Mais non : il faut répondre quand même aux autres questions. Si bien qu’un événement n’ayant pas de graves répercussions « pour la santé publique » peut être déclaré à l’OMS et pourrait constituer une urgence de santé publique de portée internationale, si le directeur général en décide ainsi. Difficile d’y voir autre chose qu’une grave incohérence.

La question II est elle aussi assez floue et elle oriente vers une déclaration de l’événement à l’OMS. Tout ce qui sort de l’ordinaire tendra à être considéré comme de nouvelles maladies ou de nouvelles variantes de maladies qui représentent un « risque potentiel », contre lesquelles il faut « faire quelque chose », et qu’il faut par conséquent déclarer à l’OMS. En outre, je trouve étrange qu’on puisse s’attarder à un événement inhabituel ou inattendu, tout simplement parce qu’il est inhabituel et inattendu, même quand on reconnaît qu’il n’a pas de répercussions « graves pour la santé publique ».

Quant à la question III, qui pourrait faire sens s’il était établi que l’événement peut avoir de graves conséquences pour la santé d’un nombre considérable de personnes, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous soucier du « risque de propagation internationale » quand on a reconnu qu’il n’a pas de répercussions graves « sur la santé publique » et qu’il n’est pas inhabituel ou inattendu. En quoi la propagation internationale d’une maladie qui n’a pas de répercussions graves « sur la santé publique » et qui n’est pas inhabituel ou inattendu pose-t-elle problème ? Alors pourquoi même poser cette question, si ce n’est pour faire de la propagation un problème en soi et augmenter les chances de notification de l’événement à l’OMS et de déclaration par l’OMS d’une urgence de santé publique de portée internationale ?

La question IV ne fait pas davantage sens. Comment peut-il ou devrait-il y avoir raisonnablement un risque important de restrictions aux voyages internationaux et au commerce international pour un événement qui aurait des répercussions graves « sur la santé publique », mais qui ne serait pas inhabituel ou inattendu et qui ne poserait pas un risque important de propagation internationale ? Ou pour un événement qui n’aurait pas de répercussions graves « sur la santé publique », mais qui serait inhabituel ou inattendu, et pour lequel il y aurait un risque important de propagation internationale ? Ou pour un événement qui n’aurait pas de répercussions graves « sur la santé publique », qui ne serait pas inhabituel ou inattendu, et pour lequel il y aurait seulement un risque de propagation internationale ? Dans ces trois cas, la décision d’un gouvernement national ou d’une organisation supranationale d’imposer des restrictions aux voyages internationaux et au commerce international serait fort discutable, voire arbitraire, et pourrait très bien être un cas exemplaire de zèle sanitaire. Alors pourquoi faire de cette possibilité un critère d’évaluation en vertu duquel un événement devrait être notifié à l’OMS ? C’est littéralement marcher sur la tête. Faut-il voir dans cette manière de concevoir l’algorithme de la mauvaise foi crasse ou de la bêtise profonde ? Ou encore les deux à la fois, l’une n’excluant pas nécessairement l’autre ? Quoi qu’il en soit, cela augmente les chances de notification de l’événement à l’OMS et de déclaration par l’OMS d’une urgence de santé publique de portée internationale.

On dirait que tout a été mis en place pour obtenir ce résultat le plus souvent possible, tout comme la déclaration d’une urgence de santé publique d’importance internationale à partir de ces notifications, puisque le directeur général utilise lui aussi cet outil pour évaluer les événements notifiés par les États membres.

Voici les résultats qu’on obtient quand on dresse la liste des combinaisons de réponses aux questions qui apparaissent explicitement dans l’algorithme.

Cinq combinaisons de réponses sur neuf mènent à la notification des événements à l’OMS, c’est-à-dire environ 55 %. Mais cela est trompeur. On arrête de poser des questions dès qu’on obtient deux réponses positives pour un événement donné. Si nous n’en tenons pas compte, nous sous-estimons la proportion des combinaisons de réponses qui résultent en une notification des événements à l’OMS. Par exemple, un événement qui aurait des répercussions graves « sur la santé publique » et qui serait inhabituel ou inattendu doit être notifié à l’OMS, et ce, peu importe s’il y a ou non un risque important de propagation internationale et s’il y a ou non un risque important de restrictions aux voyages internationaux et au commerce international. Même si ces différentes combinaisons de réponses aux questions n’apparaissent pas dans l’algorithme et y sont traitées de la même manière, elles existent et il faut tenir compte d’elles dans notre décompte.

Après cet ajustement, le résultat est de onze combinaisons sur seize (69 %) qui mènent à la notification d’un événement à l’OMS, dont le directeur, rappelons-le, aura aussi recours à cet algorithme pour évaluer les événements notifiés par les États membres et déterminer s’il faut déclarer ou non que ce sont des urgences de santé publique de portée internationale. Mais ne supposons pas que les événements soumis à cet algorithme se répartissent également dans les différentes combinaisons de réponses aux questions, et donc que 69 % des événements sont notifiés à l’OMS par les États membres ou déclarés urgences sanitaires de portée internationales par l’OMS. Faute de disposer de statistiques provenant des différents États membres et de l’OMS sur l’utilisation de cet algorithme, il nous est impossible de savoir ce qu’il en est exactement.

Ceci dit, nous pouvons questionner la pertinence de certaines combinaisons de réponses aux questions qui mènent à une décision positive, que celles-ci soit explicitement ou implicitement présente dans l’algorithme.

Pourquoi notifier un événement (combinaison # 4) qui aurait des conséquences graves « sur la santé publique » et qui serait inattendu ou inhabituel, mais qui ne serait pas associé à un risque important de propagation internationale et, par le fait même, qui ne serait pas non plus associé à un risque important des restrictions aux voyages internationaux et au commerce international ? En quoi pourrait-il alors constituer une urgence de santé publique de portée internationale ? Ne serait-il pas une affaire de portée seulement nationale ? Pourquoi l’OMS devrait-elle alors s’en mêler ?

Pourquoi notifier un événement (combinaison # 7) qui aurait des conséquences graves « sur la santé publique », mais qui ne serait pas inhabituel ou inattendu et qui ne serait pas lié à un risque important de propagation internationale, tout simplement parce que quelqu’un, quelque part, pourrait avoir la drôle d’idée d’imposer pour si peu des restrictions aux voyages internationaux et au commerce international malgré l’absence d’un risque important de propagation internationale ? Pourquoi faire de cette décision absurde et arbitraire un critère de notification des événements susceptibles de constituer des urgences sanitaires de portée internationale ? N’est-ce pas une autre décision au moins aussi absurde et arbitraire que la première ?

Pourquoi notifier un événement (combinaison # 10) qui n’aurait pas de répercussions graves « sur la santé publique » et qui ne serait pas lié à un risque de restrictions aux voyages internationaux et au commerce international, tout simplement parce qu’il serait inhabituel ou inattendu et qu’il y aurait un risque de propagation internationale ? Ou voit-on un problème digne de l’attention de l’OMS et des États membres où la maladie pourrait se propager, et assez grave pour provoquer tout un branle-bas de combat à l’échelle internationale ?

Pourquoi notifier un événement (combinaison # 11) qui n’aurait pas de répercussions graves « sur la santé publique » et qui ne serait pas lié à un risque de propagation internationale, seulement parce qu’il est inhabituel ou inattendu et que quelqu’un, quelque part, pourrait avoir la drôle d’idée d’imposer des restrictions aux voyages internationaux et au commerce international malgré l’absence d’un risque important de propagation internationale, et aussi de répercussions graves « sur la santé publique » ? Comme je l’ai déjà dit en parlant de la combinaison # 7, pourquoi faire de cette décision absurde et arbitraire un critère de notification des événements susceptibles de constituer des urgences sanitaires de portée internationale ? N’est-ce pas une autre décision au moins aussi absurde et arbitraire que la première ?

Pourquoi notifier un événement (combinaison # 13) qui n’aurait pas de répercussions graves « sur la santé publique » et qui ne serait pas inhabituel ou inattendu, seulement parce qu’il y aurait un risque important de propagation international et aussi un risque important de restrictions aux voyages internationaux et au commerce national ? En pareil cas, pourquoi la propagation internationale de cette maladie poserait-elle problème ? Et pourquoi admettre comme critère d’évaluation la possibilité tout aussi aberrante de restrictions des voyages et du commerce international, ce qui est aussi absurde que pour les combinaisons # 7 et # 11 ?

Ça commence à faire beaucoup ! Voilà cinq combinaisons de réponses qu’il faudrait retrancher de celles qui mènent à une notification des événements à l’OMS en tant qu’urgences possibles de santé publique de portée internationale… Et en y regardant de plus près, par exemple en prenant connaissance de ce qu’on considère pour répondre positivement aux quatre questions de l’algorithme (ce que je ferai dans un autre billet), nous pourrions peut-être trouver à redire à propos de certaines des six combinaisons de réponses restantes.

À cela il faut ajouter que, quand un événement n’est pas notifié, il faut continuer à ea surveiller et le repasser dans l’algorithme, pour avoir éventuellement à le notifier à l’OMS en tenant compte d’informations supplémentaires, si on en vient à répondre positivement à deux des quatre questions. Ce n’est peut-être pas pour rien qu’en anglais on parle de PHEIC (Public health emergency of international concern), et que les bureaucrates de l’OMS eux-mêmes utilisent cet acronyme en le prononçant « fake ».

Le problème avec cet algorithme, c’est que ses concepteurs (et vraisemblablement aussi ses utilisateurs) appliquent machinalement la règle des deux critères sur quatre, sans regarder ce que ça donne concrètement comme résultat. On ne se pose pas de questions, pourvu que les événements évalués répondent à deux des quatre critères choisis, ce qui a pour effet de générer artificiellement des urgences de santé publique de portée internationale. À ce compte, il pourrait y avoir régulièrement des urgences sanitaires, et celles-ci ne devraient plus être considérées comme inhabituelles ou inattendues et faire l’objet d’un traitement particulier. Mais il faut de quoi occuper les bureaucrates de l’OMS et de quoi justifier l’augmentation de leur financement et l’octroi de nouveaux pouvoirs de surveillance et de contrôle, ainsi que l’augmentation des ressources humaines et financières attribuées par les États membres pour la surveillance et l’évaluation au niveau national des événements susceptibles de constituer des urgences de santé publique de portée internationale qu’il leur faut notifier à l’OMS en vertu du Règlement sanitaire international.

Cet algorithme, qui a pour fonction de donner une impression de rigueur intellectuel, m’a tout l’air d’un bel exemple de pensée ou d’absence de pensée bureaucratique, qui n’a évidemment rien à voir avec la démarche scientifique, car le tour d’esprit procédural caractéristique de la bureaucratie est radicalement incompatible avec l’investigation scientifique. Le procéduralisme bureaucratique, même s’il s’efforce de ménager une place à la science, c’est la mort de la science et, de manière plus générale, de la pensée critique. Le fait qu’il faut, pour les combinaisons de réponses analysées un peu plus haut, notifier les événements à l’OMS, ou les considérer comme des urgences de santé publique de portée internationale, montre que les concepteurs et les utilisateurs ne soumettent pas à la critique ce qu’ils font et qu’ils ont intérêt à ne pas le faire.

Cet algorithme n’a rien à voir non plus avec la médecine. On se situe à un degré d’abstraction où il n’est pas question de l’état de santé des personnes concrètes et de l’art de les soigner ou de réduire les chances qu’elles tombent malades. Les médecins qui s’accommodent de ce mode de pensée procédural montrent qu’ils sont devenus des bureaucrates à part entière, et qu’ils ont cessé de pratiquer la médecine.

Pourquoi faire partie d’une organisation qui fait de pareilles bourdes, à dessein ou par bêtise, et qui prétend s’ingérer dans les affaires des États membres et régler nos vies par les recommandations et les obligations qu’elle formule ? Pourquoi la financer ?


Étant donné l’imposition de cet algorithme à l’échelle internationale, les événements susceptibles de constituer des urgences de santé publique de portée internationale courent les rues. Il faut donc maintenir sur le pied de guerre une armée de soi-disant « experts », en fait des bureaucrates de la pire espèce, pour surveiller et évaluer ces événements, à l’échelle nationale et à l’échelle internationale. L’excroissance bureaucratique qui a pour nom « santé publique » est alors en position de s’accaparer plus de ressources et de donner libre cours à ses tendances expansionnistes, ce qu’elle s’efforce de justifier et d’imposer comme une nécessité grâce aux urgences sanitaires, effectives ou possibles, dont elle fait peser constamment sur nous la menace. La préparation et l’adoption du « traité pandémie », censé donner des dents à l’OMS et étendre son emprise sur les États membres sous prétexte d’améliorer les capacités de surveillance de ces urgences et de réponse concertée à ces urgences, s’inscrit donc à merveille dans ce processus d’expansion. On peut en dire autant de la création de la Commission permanente de prévention, de préparation et de riposte en cas d’urgence sanitaire, dont j’ai parlé dans mon billet du 4 juin 2022.

Ces bureaucrates spécialisés en « santé publique » sont donc pour nous un fléau comparable aux membres des agences de sécurité et de renseignement et des forces policière dont l’omniprésence serait justifiée par la multiplication des dangers dont il faudrait nous protéger et par l’augmentation démesurée du nombre de règlements à faire appliquer et les infractions à ces règlements qui en résultent ; ou encore un fléau comparable aux curés qui, à une époque pas si lointaine (surtout au Québec), justifiaient leur vie aux dépens des laïcs et leur pouvoir et leur influence sur la vie de leurs ouailles par les occasions de péchés véniels ou mortels qui seraient partout, qui pourraient compromettre leurs chances de salut et de leur interdire l’accès à la vie éternelle, et dont ils pourraient les protéger et les purifier.

Partie 2