Remarques sur le plan de déconfinement du Québec - partie 1

Le 18 mai, notre gouvernement a présenté en grande pompe son plan de déconfinement pour l’été 2021. On peut remarquer un changement notable dans l’humeur de nos concitoyens, qui y voient une bonne nouvelle comme on en aurait eu très peu depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire en mars 2020. Les jeunes adultes se ruent dans les centres de vaccination dans l’espoir de retrouver leur « liberté » et de revenir à la « normalité ». Mais il serait de voir de quelle « liberté » et de quelle « normalité » il s’agit, et quelles sont les conditions fixées par le gouvernement, avant de nous réjouir.

En plus de la page internet qui résume les grandes lignes de son plan de déconfinement, le gouvernement a publié deux documents intitulés « Assouplissements prévus pour tous les paliers » et « Assouplissements à venir par paliers ». Dans ces deux documents, on constate que le système de paliers couleurs sera maintenu au moins jusqu’à la fin du mois d’août, après quoi il sera peut-être aboli si la situation épidémiologique le permet et si la couverture vaccinale de 75 % des personnes de 12 ans et plus est atteinte. Il en résulte que les assouplissements aux mesures sanitaires mitigent certaines des mesures sanitaires en vigueur pour chaque palier d’alerte. Ce qui complexifie une situation déjà embrouillée.

Analysons le premier document, ce qui nous donnera une idée d’ensemble des assouplissements tant attendus par la population québécoise. Je me référerai parfois au deuxième document pour remettre en perspective les fameux assouplissements et les évaluer adéquatement.

 

Assouplissement en vigueur le 28 mai 2021

La fin du couvre-feu, en vigueur depuis le début du mois de janvier dans la majorité des régions du Québec, est certainement un gain significatif. C’est là l’une des mesures les plus arbitraires décrétées par le gouvernement, en ce qu’elle assimile toutes les personnes qui ne sont pas chez elles à l’heure prescrite à des personnes qui ont participé ou qui auraient pu participer à des rassemblements illégaux (voir les billets du 9 janvier et du 13 janvier). Même si je suis content de la fin de cette mesure qui devait initialement durer quelques semaines, je n’éprouve pas la moindre reconnaissance envers notre gouvernement. Je me refuse aussi à voir dans cet assouplissement l’effet et la récompense (pour beaucoup, c’est tout un) de l’effort collectif de vaccination. Outre le fait que cette mesure aurait dû prendre fin il y a longtemps et n’aurait même jamais dû être adoptée, le gouvernement fixe pour objectif le passage de la plupart des régions au palier jaune d’ici le 14 juin, si bien qu’on fait seulement de devancer de quelques jours ou de deux semaines la levée de cette mesure, pour en revenir sur ce point non seulement à la même situation qu’au début du déconfinement du printemps et de l’été 2020, mais aussi à la même situation que pendant la première « vague », alors que personne n’était vaccinée et que le port du masque n’était pas encore obligatoire dans les lieux publics fermés et les transports en commun.

Quant à l’ouverture des terrasses extérieures des restaurants, elle constitue seulement un gain pour les régions en rouge, par opposition aux régions actuellement en orange ou en jaune où les salles à manger intérieures sont ouvertes aux mêmes conditions que les terrasses. On ne voit pas pourquoi ce serait un assouplissement d’autoriser l’ouverture des terrasses et on ne voit pas pourquoi il faudrait une autorisation, compte tenu que les risques de transmission à l’extérieur sont beaucoup plus faibles à l’extérieur qu’à l’intérieur. Même pour les régions actuellement en rouge, cet assouplissement est bien peu de chose, puisqu’il devrait se produire aussitôt qu’elles passeraient en orange, ce qui ne saurait tarder d’après les objectifs de notre gouvernement, qui prévoit que la plupart des régions seront revenues au palier jaune d’ici le 31 mai.

Pour leur part, les rassemblements extérieurs sur les terrains privés sont seulement permis pour les propriétaires d’une maison, et parfois pour les locataires d’une maison ou d’un appartement qui dispose d’une cour. Tant mieux pour ces personnes. Mais ce ne sont assurément pas elles qui ont souffert le plus du confinement et qui ont le plus besoin d’assouplissements. Tous les citadins qui tirent le diable par la queue et qui habitent dans de petits logements dans lesquels ils ont passé la plupart de leur temps depuis le mois d’octobre 2020, ne sont nullement concernés par cet assouplissement. Ceux qui ont élaboré le plan de déconfinement, qu’ils appartiennent à la classe politique ou à la bureaucratie, ont probablement de la peine à imaginer ce que c’est que de vivre dans ces conditions, ou ne s’en soucient guère. Puis n’avions-nous pas le droit, à partir du 22 mai 2020 (même dans le Grand Montréal), de participer à de tels rassemblements extérieurs, sans dépasser 10 personnes, et aussi sans limite de résidences de provenance (l’idée d’un maximum de trois résidences différences a été abandonnée après avoir été proposée). Ce qui veut dire que cet assouplissement constitue un recul comparativement à l’an dernier, quand personne n’était vacciné. En fait la liberté qu’on nous offre en échange de la vaccination est bien peu de chose.

Pour ce qui est de la levée des interdictions de déplacement entre les régions, celle-ci a eu lieu pour la majorité des régions de la province plus tôt l’année dernière que cette année. Nous ne sommes donc pas plus libres cet été que l’été dernier malgré la vaccination d’une grande partie de la population québécoise.

La seule vraie nouveauté, à ce qu’il semble, c’est le maximum de 2 500 personnes dans les grandes salles intérieures et les stades extérieurs. Mais comme ces personnes doivent être séparées en groupes de 250 personnes et se faire assigner des places, il s’agit en réalité de 10 rassemblements différents de 250 personnes, ce qui est déjà autorisé à tous les paliers de couleur. Remarquons aussi le contrôle accru des participants que cela exige : entrées, sorties et toilettes distinctes pour chaque zone ; zones intérieures délimitées ; surveillance des zones en tout temps ; gestion des entrées répartie dans le temps.

 

Assouplissements en vigueur le 11 juin 2021

En ce qui concerne l’ouverture des terrasses de bar pour les régions aux paliers rouge et orange, on pourrait parler d’un assouplissement supplémentaire notable si le gouvernement n’avait pas fixé pour objectif le passage de la plupart des régions au palier jaune 3 jours plus tard, comme nous l’avons déjà dit.

L’assouplissement qui vise spécifiquement les terrasses des bars pour les régions au palier jaune n’apporte rien de plus : il est déjà permis, dans ces régions, aux occupants de deux résidences d’être assis à la même table, à l’intérieur. En toute logique, pourquoi faudrait-il une autorisation spéciale pour en faire autant sur une terrasse, à l’extérieur, où le risque de transmission est bien moindre ? Comme pour les terrasses des restaurants, on dirait que le gouvernement essaie de faire passer pour des assouplissements ce qui est seulement rendu possible en raison de l’arrivée du printemps et du retour des journées chaudes et ensoleillées.

L’augmentation de la taille des groupes (25 personnes maximum) dans la pratique extérieure du sport peut être qualifiée d’assouplissement, le maximum étant de 12 personnes même pour les régions au palier jaune. Mais on semble resserrer les mesures en les assouplissant, puisque la pratique de sports avec contacts brefs au palier jaune doit maintenant être supervisée, alors qu’elle ne devait pas l’être avant.

 

Assouplissements en vigueur le 25 juin 2021

D’abord, on peut difficilement considérer l’ouverture des camps de jour et des camps de vacances comme un assouplissement rendu possible par la vaccination. Cette ouverture a eu lieu à peu près à la même date que l’été dernier et comme les écoles fermeront pour les vacances estivales à la fin du mois de juin, c’est suffisant pour justifier l’existence de ces activités pour les enfants sans une augmentation des risques, du point du gouvernement. D’autant plus que ces activités se déroulent généralement à l’extérieur, contrairement à l’enseignement. Inutile de poser comme condition de cet « assouplissement » l’injection de la première dose de vaccins à 75 % de la population âgée de 12 ans et plus, surtout en période estivale.

Passons maintenant à l’autorisation d’organiser des activités et des événements publics extérieurs selon des règles particulières. Avant de conclure qu’il s’agit vraiment d’un assouplissement, regardons en quoi consistent ces fameuses règles :

« Dès le 25 juin 2021, les festivals et autres événements offrant des spectacles extérieurs pendant lesquels les spectateurs sont debout ou assis sans place assignée pourront se tenir, partout au Québec, à condition de respecter les mesures sanitaires de base ainsi que d’autres mesures spécifiques. Un maximum de 2 500 personnes seront autorisées sur chaque site.

Tous les festivals et événements devront se dérouler dans le respect des mesures sanitaires de base (distanciation entre les personnes ne résidant pas à la même adresse et port du masque ou du couvre-visage selon les règles en vigueur), et de mesures spécifiques. Certaines modifications aux mesures à respecter pourraient être apportées selon l’évolution de la situation épidémiologique.

Afin de limiter les attroupements avant, pendant et après les festivals et événements, une circulation fluide et organisée devra être assurée sur l’ensemble des sites, notamment dans les endroits qui créent des goulots d’étranglement comme les entrées et les sorties.

Les festivals et événements ayant plusieurs sites devront s’assurer que chaque site est situé à une distance minimale de 500 mètres des autres sites, et qu’il est doté d’entrées et de sorties distinctes.

L’accès à tout site devra être contrôlé et sera autorisé sur réservation uniquement avec vente de billets. L’utilisation d’un système d’achat de billets en ligne est recommandée puisqu’il permet de maintenir un registre comprenant le nom et le numéro de téléphone des personnes.

La tenue des festivals et événements est conditionnelle à l’approbation de la direction de santé publique régionale et des autorités compétentes en la matière. »

Bref, on nous demande, après avoir été vaccinés, de considérer comme un assouplissement des mesures sanitaires le fait de pratiquer la distanciation sociale et de porter le masque à l’extérieur, de devoir se plier à une prise en charge de nos déplacements par les organisateurs des festivals et de s’inscrire sur un registre des participants par le seul fait d’acheter des billets. Voilà un été qui s’annonce des plus festifs et des plus libres !

Mais notre gouvernement juge bon d’ajouter des règles qui s’appliquent spécifiquement aux événements extérieurs accueillant des spectateurs qui restent debout ou assis sans places fixes :

  • Maximum de 2 500 personnes admises par site

  • Tout site devra être séparé en sections. Chaque section :

    • sera délimitée par une barrière physique;

    • sera séparée des autres sections par une distance d’au moins 2 m;

    • pourra accueillir un maximum de 250 personnes (excluant les travailleurs et les bénévoles);

    • devra avoir, par personne admise, une superficie minimale de 4 m² au palier de préalerte (jaune) et au palier d’alerte (orange) ou de 6 m² au palier d’alerte maximale (rouge);

    • est supervisée par un minimum de 1 surveillant par 125 personnes.

  • La distanciation physique de deux mètres est obligatoire entre les personnes résidant à des adresses différentes

  • Port du masque ou du couvre-visage selon les règles en vigueur

  • Concessions alimentaires ouvertes, mais la vente devra se faire par du personnel ambulant pour éviter la circulation, les attroupements et les files d’attente

C’est tellement clair que ça se passe de commentaires.

Maintenant regardons les règles qui s’appliquent aux stades extérieurs ayant des places fixes assignées d’avance, question de voir s’il y a vraiment un allègement :

  • Maximum de 2 500 personnes admises par site

  • Places assises attitrées d’avance

  • Distanciation physique de deux mètres entre les personnes résidant à des adresses différentes (ou de 1,5 mètre en palier d’alerte vert ou jaune)

  • Port du masque ou du couvre-visage selon les règles en vigueur

  • Surveillance par un minimum de 1 surveillant par 250 personnes assises. Le surveillant devra avoir une vue directe sur toutes les sections de sièges dont il est responsable

À part le plus grand nombre de personnes admises dans les stades, rien de nouveau sous le soleil. On dirait bien que le contrôle et la surveillance auxquels on nous soumet depuis la déclaration d’urgence sanitaire se pérennisent avec ce plan de déconfinement. Les nouvelles choses qu’on nous autorise à faire ne semblent être que des occasions de consolider ce contrôle et cette surveillance.

Le seul véritable assouplissement, c’est un allègement des exigences sur le port du masque et la distanciation sociale lors des rassemblements privés, seulement pour les personnes qui ont reçu deux doses de vaccin. Mais on ne décrit pas ces allègements. Puis on voit mal comment cet assouplissement dans les rassemblements privés pourrait être appliqué en excluant les personnes non vaccinées, à moins que les forces de l’ordre prévoient surveiller ces rassemblements privés pour s’assurer que les personnes non vaccinées ne s’arrogent pas des privilèges auxquelles elles n’ont pas droit. Ce qui pose assurément problème, pour ceux d’entre nous qui ne veulent pas d’un état policier.

 

Assouplissements prévus pour la fin août ou plus tard

On nous dit clairement qu’on n’ira pas plus loin si 75 % des 12 ans et plus n’ont pas reçu deux doses de vaccin à la fin de l’été. Mais on ne nous dit pas qu’on ira nécessairement de l’avant si cet objectif vaccinal est atteint. Il faudra voir si la situation épidémiologique le permettra. Et dans le meilleur des cas, ce sera des allègements progressifs. Bref, le gouvernement se garde la possibilité d’en faire beaucoup moins qu’il ne promet pour obtenir de nous que nous nous fassions vacciner, et n’exclut pas la possibilité que les fameux vaccins n’améliorent pas la situation épidémiologique de façon suffisante pour permettre ces assouplissements, qui sont les seuls à changer vraiment quelque chose dans ce plan de déconfinement.

Ce qu’on dit, en somme, c’est ceci : faites-vous tous vacciner et on verra à la fin de l’été ce que l’on peut faire si les vaccins sont aussi efficaces qu’on le croit et si un nouveau variant ne vient pas changer la donne.

Je conclus en attirant votre attention sur un allègement qui est absent des deux documents auxquels je me suis référé dans ce billet, et qui est seulement mentionné sur la page internet consacré au plan de déconfinement

Voilà qui donne à penser pour nous qui ne voulons pas être vaccinés. Outre le fait que cela montre que la couverture vaccinale de 75 % de la population ne procurerait pas une immunité collective, cela devrait nous inciter à nous demander quels dispositifs de contrôle et de surveillance notre gouvernement pourrait implanter pour vérifier que les personnes non vaccinées ne se relâchent pas quant à la pratique de la distanciation sociale et le port du masque dans les lieux publics. Le passeport vaccinal nous vient immédiatement à l’esprit. J’y reviendrai dans un prochain billet, entre autres choses.

Pour l’instant, gardons bien en tête que les allègements qu’on nous propose pourraient être, pour la plupart, facilement obtenus par le retour aux paliers de couleur jaune et vert, et que nous avons bénéficié d’eux durant l’été 2020, sans avoir été préalablement vaccinés. N’oublions pas aussi qu’ils sont autant d’occasions pour nos autorités de mettre en place des dispositifs de surveillance et de contrôle qui sont acceptés d’autant plus facilement qu’ils rendraient à nouveau possibles des « libertés ». Enfin, qu’il soit clair que le gouvernement ne s’engage à rien de précis même si l’objectif vaccinal est atteint à la fin de l’été.

À suivre.