Remarques sur le plan de déconfinement du Québec - partie 2

Dans mon billet précédent sur le plan de déconfinement du Québec, j’ai fait une analyse détaillée des assouplissements que nous offre le gouvernement en échange de notre vaccination. En tant que tel, c’est déjà un drôle de marché. À ma connaissance, on n’a jamais vacciné massivement une population majoritairement saine et peu à risque de tomber gravement malade en lui promettant des bénéfices qui n’ont rien à voir avec sa santé. Je sais bien que c’est sous prétexte d’améliorer la situation épidémiologique qu’on vaccine la population : ce serait seulement après cette amélioration qu’il serait possible d’accorder des assouplissements. Seulement le discours et la pensée ont pris un raccourci : il s’agit de nous faire vacciner pour retrouver une part de notre « liberté » et de revenir à une sorte de « normalité », en passant par-dessus l’amélioration de la situation épidémiologique et la diminution des risques pour des personnes de toute façon majoritairement très peu à risque de tomber gravement malade. Cela fait donc à plusieurs d’entre nous l’effet d’une demande de rançon : « si vous ne vous faites pas vacciner en grand nombre, nous continuons à vous priver d’une grande partie de votre liberté et vous pouvez faire une croix sur un retour à une certaine normalité ». Et ce qu’on nous promet en échange de cette rançon devrait assez souvent se produire d’après les prévisions du gouvernement indépendamment des assouplissements spéciaux, par le seul retour aux paliers de couleur orange, jaune et vert pendant l’été. Il y a bien l’exception des grands événements extérieurs, des festivals et des matchs sportifs, mais les conditions fixées pour la tenue de ces événements sont telles qu’il en résulte la mise en place de nouveaux dispositifs de contrôle et de surveillance des participants. Si bien que nous pouvons nous demander si c’est par abus de langage qu’on parle alors de « liberté », et si nous voulons de la nouvelle « normalité » qu’on nous propose, en laissant toutefois entrevoir d’autres assouplissements à l’automne, mais en restant dans le vague et en ne s’engageant à rien. Car serait-on en train de nous duper ? S’agirait-il moins d’un plan de déconfinement que d’un plan pour finaliser la vaccination de la population québécoise, en se concentrant sur les personnes les moins à risque et pour lesquelles il faut utiliser d’autres moyens de coercition que la simple crainte du virus pour obtenir un fort taux de vaccination ?

Il est manifeste que, dans ce plan de déconfinement et de vaccination de la population, il est surtout question des loisirs de cette dernière. Presque tous les assouplissements prévus à des dates précises ce printemps et cet été concernent des loisirs.

Ce n’est qu’à partir de la fin du mois d’août qu’on parle d’un retour à la normale dans les milieux d’enseignement primaire, secondaire et supérieur et dans les milieux de travail, et de la fin du palier de couleurs, mais sans donner de dates précises, puisque cela dépend de l’atteinte d’une couverture vaccinale de 75 % et de l’évolution de la situation épidémiologique à l’automne, le gouvernement ayant lui-même des doutes quant à l’efficacité des vaccins, surtout contre de nouveaux variants.

Le slogan qui figure sur les documents officiels qui présentent le plan de déconfinement du gouvernement est donc tout à fait approprié.

Pourquoi ne pas avoir écrit plutôt « pour retrouver vos activités » ? Assurément notre gouvernement nous traite comme des enfants, ce que montrent aussi des affiches où il est écrit « ici je porte mon couvre-visage », par exemple.

Alors voilà : il s’agit essentiellement de nos loisirs et de nos divertissements dans ce plan de déconfinement. Le retour de ces activités, c’est le levier qu’on utilise pour nous inciter à nous faire vacciner.

Comme dans le plan de réouverture de la Saskatchewan que j’ai analysé il y a une dizaine de jours, on omet d’aborder plusieurs questions, notamment celles qui sont d’ordre politique, comme si la « crise sanitaire » était seulement ou avant tout une crise sanitaire.

Mais il y a une différence notable dans le plan de déconfinement du Québec : on y dit ouvertement que les allègements qui concernent le port du masque et la distanciation sociale dans les lieux publics sont réservés aux personnes vaccinées, ce qui amène évidemment son lot de questions.

Comment les autorités politiques et sanitaires s’y prendront-elles pour rendre applicables ces allègements, c’est-à-dire pour s’assurer que seules les personnes qui ont reçu deux doses de vaccins en profitent ? Même si toutes les personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées continuaient à suivre scrupuleusement les consignes qui s’appliquent à elles dans les lieux publics, le gouvernement ne pourrait pas le savoir et pourrait toujours présumer qu’un certain nombre d’entre elles profitent indûment de ces allègements. Permettre cet allègement implique nécessairement l’entrée en vigueur d’un dispositif de contrôle et de surveillance. À moins de présumer que les autorités qui nous gouvernent de manière autoritaire depuis plus d’une année n’ont pas assez de suite dans les idées pour réfléchir à l’applicabilité de ce qu’elles décident, leur stratégie consiste vraisemblablement à adopter dans un premier temps des assouplissements qui seront bien accueillis par toutes les personnes qui auront reçu deux doses de vaccins, pour dans un deuxième temps décréter l’entrée en vigueur des moyens nécessaires à leur application, lesquels sembleront découler tout naturellement de la décision d’accorder ces assouplissements. Si on veut la fin, il faut aussi vouloir les moyens. Ainsi il est plausible que, peu de temps après l’entrée en vigueur des allègements réservés aux personnes complètement vaccinées, les autorités et les journalistes se mettent à déplorer le manque d’obéissance des personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées. Ou encore les autorités et les journalistes supposeront qu’il en sera ainsi avant l’entrée en vigueur de ces allègements. Dans les deux cas, ils disposeront la population complètement vaccinée à l’utilisation du passeport vaccinal dans les lieux publics où s’appliqueront ces allègements. Ces personnes y verront pour beaucoup une manière de défendre leurs privilèges et se diront que les personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées n’ont qu’à les imiter si elles veulent bénéficier des mêmes assouplissements. Pourquoi ces dernières devraient-elles avoir les mêmes droits qu’elles alors qu’elles n’ont pas fait leur part en se faisant vacciner ?

Je spécule sur la suite, en disant ouvertement que je peux me tromper et que je ne prétends pas ici faire des prédictions et jouer au prophète. Bien entendu, je ne sais pas ce qui se passera l’automne et l’hiver prochains, et ce que notre gouvernement décidera à ce moment. Mais l’exercice d’anticipation que je propose n’est pas futile pour autant. Les décisions que notre gouvernement prendra et les moyens dont il usera pour arriver à ses fins seront en partie déterminés par notre degré de méfiance et par la résistance qu’il pourrait rencontrer.

Une fois l’utilisation du passeport vaccinal en vigueur dans certains lieux publics pour rendre possibles les assouplissements réservés aux personnes complètement vaccinées, on ouvre la porte à d’autres applications dans toutes sortes de contextes. Cette extension pourrait arriver lentement ou rapidement, je ne saurais dire. Cela dépendra de la vitesse à laquelle la population s’habituera à cette nouvelle forme de contrôle et de surveillance, de la résistance de la minorité non vaccinée ou partiellement vaccinée, et de ce que pourra justifier le tableau dramatique de la situation épidémiologique qui sera peut-être fait par les autorités politiques et sanitaires et les journalistes, à l’automne 2021 et à l’hiver 2022. Il est alors plausible qu’on n’étende pas seulement l’utilisation de ce dispositif à de nouveaux lieux publics dans lesquels on veut accorder de nouveaux assouplissements aux personnes complètement vaccinées, mais qu’on exige une preuve de vaccination pour accéder à certains lieux et pour participer à certaines activités s’il y a une nouvelle « vague » l’automne ou l’hiver prochain, et aussi les années suivantes, surtout si les vaccins ne s’avèrent pas aussi efficaces qu’on l’affirme. Cela pourrait s’appliquer aux commerces non essentiels et à certains milieux de travail, par exemple.

Les personnes qui seront complètement vaccinées d’ici la fin de l’été ne se sentent peut-être pas concernées. Elles pourront continuer à vivre leur vie normalement malgré ces nouvelles « vagues », et les restrictions concerneront seulement les personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées qui ne veulent pas faire leur part pour arrêter la pandémie, se disent-elles. Pas forcément. Peut-être que des études, rigoureuses ou non, montreront que l’immunité procurée par les vaccins commence à diminuer dramatiquement après un an ou même six mois ou qu’elle est insuffisante contre de nouveaux variants, et qu’il faut donc se faire injecter une « booster dose » à l’hiver 2022 ou de nouvelles doses de nouveaux vaccins plus efficaces contre les nouveaux variants, pour conserver son passeport vaccinal. Car on n’est pas immunisé une fois pour toutes, surtout quand les profits des sociétés pharmaceutiques en dépendent. Bref, les personnes qui recevront leurs deux doses de vaccin d’ici la fin de l’été pourraient elles aussi se trouver piéger par la logique de vaccination récurrente instaurée par le passeport vaccinal. Même s’il s’avère que les effets secondaires des vaccins à court terme, à moyen terme et à long terme sont loin d’être négligeables et qu’ils contrebalancent (au moins) les bénéfices présumés, ces personnes se retrouveront dans l’impossibilité de conserver leurs privilèges si elles ne se soumettent pas aux nouvelles exigences vaccinales. Les contraintes dont elles croyaient qu’elles ne s’appliqueraient pas à elles, mais seulement aux personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées, pourraient bel et bien s’appliquer à elles aussi.

Revenons au plan de déconfinement lui-même. Un autre point qui reste dans l’ombre, c’est la fin du dépistage massif de la population, du traçage des contacts et de l’isolement à domicile, que l’on ait reçu un résultat positif ou que l’on ait été seulement en contact avec une personne qui a reçu un résultat positif. Cela se poursuivra-t-il après l’injection de deux doses de vaccin à 75 % de la population âgée de 12 ans et plus ? Si oui, les personnes complètement vaccinées seront-elles assujetties aux mêmes règles que les personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées, même s’il n’a pas encore été prouvé que les vaccins réduisent de manière significative la contagiosité du virus ? Quelles conditions devraient être réunies pour qu’on mette fin au dépistage massif et à l’isolement systématique des cas confirmés ou suspectés ? Car on ne saurait parler d’une sortie de crise sans cela.

Enfin l’aspect strictement politique de la crise actuelle est complètement absent du plan de déconfinement du Québec. C’est comme si l’état d’urgence sanitaire devait se poursuivre indéfiniment, pour faire partie de la nouvelle normalité dont on nous parle tant. Qu’est-ce qu’il faut pour que notre gouvernement décide enfin de se retirer les pouvoirs exceptionnels qu’il s’est accordés à lui-même ? Si nos autorités politiques et sanitaires ont vraiment confiance en l’efficacité des vaccins, qu’attendent-elles pour nous présenter les conditions qui doivent être réunies pour qu’elles mettent fin à l’état d’urgence ? Et que notre ministre de la Santé et des Services sociaux trouve mieux comme condition que l’aboutissement des négociations à propos des conventions collectives des employés de l’État, plus particulièrement celles des professionnels de la santé. Encore ici, on ne saurait parler de sortie de crise sans la fin de l’état d’urgence sanitaire, puisque cet état d’exception suppose justement l’existence d’une crise pour se perpétuer.