Retour critique sur mes activités de blogueur

Je poursuis la réflexion commencée dans mon billet du 2 janvier 2024, sur le piège de la lutte continue contre l’incessante propagande. J’adopterai un point de vue plus individuel que dans ce billet pour donner une portée plus large à ma réflexion. Même si je suis la principale personne concernée par ce billet, j’espère qu’il pourra s’appliquer dans une certaine mesure à plusieurs de mes lecteurs. À tout le moins, ce qui suit leur permettra de comprendre la raison d’être des nouveaux principes que je me donnerai bientôt pour la rédaction et la publication des billets à venir.


Pour écrire tous les billets publiés sur ce blog, et aussi pour m’informer à plusieurs sources, prendre directement connaissance de documents officiels et alimenter mes réflexions, il m’a fallu garder un mode de vie de confiné, même après la fin des confinements, en 2022. En plus de passer environ 35 heures par semaine à travailler sur un ordinateur, voilà plus de trois ans que je passe l’essentiel de mes temps libres, y compris mes vacances, à rédiger ces billets, et à faire des recherches, à regarder des vidéos, à lire des textes et à réfléchir pour les écrire. Paradoxalement, ou peut-être absurdement, je m’auto-confine pour pouvoir lutter contre l’idéologie du confinement sous toutes ses formes. Le mode de vie sédentaire, monotone et pauvre socialement que j’ai conservé, malgré la fin de l’état d’urgence sanitaire, a assurément des effets nuisibles sur ma santé, sur mon état d’esprit et sur mes sentiments. J’ai l’impression d’avoir vieilli de dix ans en quatre ans. Je suis de plus en plus souvent fatigué. Je dois boire beaucoup de café pour être en mesure d’ignorer la fatigue pendant un certain temps, ce qui n’arrange rien, puisque je retrouve à passer une partie de la nuit à lire et à écrire et à faire souvent de l’insomnie quand j’essaie enfin de dormir. Mon désir dominant et presque obsessif, depuis tout ce temps, c’est d’écrire pour m’opposer avec acharnement à cette idéologie qui me répugne, à un tel point que je n’ai pas encore recommencé à faire certaines des choses que j’aimais faire avant les confinements, à voir certaines des personnes que j’aimais voir avant, et que je suis peut-être sur le point d’en perdre le désir pour de bon. L’essentiel des contacts que j’ai avec d’autres personnes – à part mes collègues, qui ne comptent évidemment pas – se fait par l’intermédiaire d’un ordinateur, est indirect et consiste à regarder les vidéos qu’ils ont enregistrées et à lire les textes qu’ils ont écrits, pour la plupart liés directement ou indirectement à mon idée fixe. Si les propagandistes n’ont pas réussi à faire de moi un obsédé des virus, de la menace russe ou chinoise et des changements climatiques, ils ont assurément réussi à faire de moi un obsédé de la lutte contre leur sale propagande, et à me faire adopter et conserver un mode de vie de confiné, à peu de chose près. Il en résulte que mon existence s’appauvrit et que je me dégrade sur plusieurs points. J’exagère à peine en disant que je vis comme un ermite et que je suis en train de retourner à l’état sauvage.

Est-ce que je ne me retrouve pas dans une situation analogue à ceux de nos concitoyens qui acceptent de sacrifier une partie de leur liberté et de suspendre certains principes démocratiques sous prétexte de défendre la liberté et la démocratie, ou qui acceptent d’adopter un mode de vie malsain et de se faire injecter des produits pharmaceutiques expérimentaux sous prétexte de protéger leur santé ?


Je serais bien bête si je pensais que plus j’écris, plus l’efficacité de la propagande diminue et plus l’idéologie du confinement est neutralisée, et ce, proportionnellement au nombre de pages, de billets ou d’angles d’attaque. Ce n’est pas de la physique mécanique que je fais. Il ne s’agit pas d’un objet que je dépose sur le plateau d’une balance pour soulever un objet qui se trouve sur l’autre plateau. Il ne s’agit non plus d’une force que j’exerce pour annuler une autre force. Il n’y a rien d’étonnant à cela, puisqu’il m’est impossible de contrer directement cette propagande et cette idéologie, qui n’ont pas de force en elles-mêmes, mais plutôt dans la mesure où elles investissent mes concitoyens et exercent sur eux leur emprise. Je peux seulement les contrer dans la mesure où il y a des personnes, plus ou moins nombreuses, qui lisent un nombre plus ou moins nombreux de mes billets, et qui prennent le temps de bien les lire. Si je recommençais à écrire quatre ou cinq billets par semaine (comme je l’ai fait en 2021 et en 2022) au lieu de deux ou trois (comme en 2023 et maintenant, en 2024), il n’en résulterait pas forcément une augmentation du nombre de lecteurs ou du nombre de billets lus. Quinze ou vingt pages par semaine, c’est peut-être trop pour les lecteurs de ce blog, pas absolument, mais puisqu’il faut tenir compte du fait qu’ils ont autre chose à faire que de me lire, que les dissidents qui publient des textes et des vidéos sur des sujets semblables ou différents se comptent par milliers ou dizaines de milliers, voire davantage, et que j’occupe une place très secondaire sur la scène de la dissidence, même au Québec. Ces lecteurs disposent certainement d’un temps limité pour lire mes billets, si bien que si ce que j’écris demande trop de temps à lire pour eux, ils ne lisent pas tous mes billets, ou ils les survolent en vitesse. Il en résulte que, même si j’écrivais seulement un billet par semaine, je n’aurais pas forcément moins de lecteurs et mes billets ne seraient pas forcément moins lus. Peut-être seraient-ils même mieux lus, et aussi mieux écrits, puisque j’en écrirais moins et que je passerais plus de temps à les écrire. Peut-être aussi que si j’avais écrit moins de billets, ceux que j’ai écrits il y a un an, deux ans ou trois ans seraient-ils plus souvent lus aujourd’hui, alors que maintenant ils se perdent dans les quelques centaines de billets que j’ai déjà écrits, et sont ensevelis sous les nouveaux billets que je continue de publier. C’est un enjeu pour moi, car je ne prétends pas seulement réagir aux actualités ou aux sales coups qu’on fait, à nous ou à d’autres. J’essaie de m’intéresser aux événements qui se produisent en tant qu’ils s’inscrivent dans des types de situations qui dépassent le contexte assez limité des actualités, ce qui me semble continuer à être pertinent hors de ce contexte, quand les actualités et les commentaires qu’on en fait sont périmés. J’essaie d’expliquer quelles sont les causes et les effets multiples de ces situations, les processus dans lequel elles s’inscrivent, et aussi les relations parfois complexes qu’elles entretiennent avec nos idées, nos sentiments, nos valeurs et nos manières de vivre. Mais dans l’état actuel des choses, je peux me compter chanceux si j’ai un seul lecteur qui a lu ou qui lira les centaines de billets et les milliers de pages que j’ai écrits depuis 2020. En continuant à publier indéfiniment dix ou douze billets par mois, j’aggraverais la situation. Même mes lecteurs les plus patients finiraient par être submergés par ce flot de mots et, à moins qu’ils lisent ce blog depuis le tout début, ils abandonneraient l’idée de tout lire ou ne l’auraient même pas. Il est donc possible que les visiteurs qui apparaissent dans les statistiques de consultation de mon blog soient en fait souvent des robots qui indexent mes textes pour des engins de recherche ou ChatGPT et ses émules.

Ce que je dis ne s’applique pas seulement à moi, mais concerne aussi d’autres opposants, y compris ceux qui ont beaucoup plus de lecteurs ou d’auditeurs que moi et qui publient des vidéos et des textes plusieurs fois par semaine ou tous les jours. La production des dissidents de tous les pays, de toutes les langues et de toutes les tendances est telle qu’il devient, pour une personne, humainement impossible de prendre connaissance du centième ou du millième de ce qui s’enregistre ou s’écrit dans les langues qu’elle comprend. Ce que publient ces dissidents prolifiques fait écran à ce que d’autres dissidents publient, et même à ce qu’ils publient eux-mêmes, un trop grand nombre de textes ou de vidéos pouvant très bien rendre les lecteurs ou les auditeurs de tout lire et de tout visionner.

S’il y avait une véritable diversité des points de vue et des manières de poser les problèmes et de les transformer, il faudrait nous attrister de ne pas être capable d’en faire le tour. Mais souvent ce n’est pas ce qui arrive. Il peut y avoir beaucoup des redites dans ce qu’écrit ou enregistre un même dissident ou un même groupe de dissidents, si bien qu’on ne perd pas à tout lire ou à visionner. On dirait qu’au lieu d’essayer de voir les choses de plusieurs manières et de mettre à l’essai ces points de vue pour les perfectionner, les combiner ou les écarter, les dissidents se contentent alors de consolider leur point de vue initial en y intégrant tout ce qui s’y prête, et en tordant ou en ignorant le reste. Et il y a aussi beaucoup de reprises et de répétitions (dont de mêmes erreurs) chez les représentants d’une même tendance, et parfois de tendances différentes. Quant aux oppositions entre ces tendances, elles sont assez souvent convenues et statiques, par exemple sur la question de savoir si la montée des BRICS entrave la venue du nouvel ordre mondial ou y contribue, et si l’opposition entre les BRICS et les gouvernements occidentaux est fondamentale, ou s’ils s’entendent sur l’essentiel, malgré des désaccords et des luttes bien réels, comme ceux qui pourraient opposer des royaumes très hiérarchisés ou des religions monothéistes superstitieuses et autoritaires.

Les choses peuvent difficilement se passer autrement en raison du rythme rapide de production et de publication que les dissidents – surtout ceux qui en tirent une partie considérable de leurs revenus – s’imposent pour attirer les lecteurs et les auditeurs et se démarquer de la concurrence. Paradoxalement, c’est là se mettre dans une position où ils risquent d’acquérir des habitudes de pensée et d’expression écrite ou orale dans une certaine mesure semblables à celles des journalistes, qu’ils écorchent pourtant régulièrement. Car les journalistes ne sont pas de piètres penseurs seulement parce que leurs employeurs et leurs bailleurs de fonds contrôlent ce qu’ils peuvent écrire et dire, mais aussi à cause du rythme qu’on leur impose et qu’ils s’imposent à eux-mêmes et à leurs confrères, au sein du milieu journalistique. S’il est vrai que les dissidents sont de manière générale plus intègres que les journalistes et qu’ils ne sont pas comme eux des carriéristes et des lèche-culs, s’il est vrai aussi qu’ils prennent parfois plus de temps pour développer leurs idées ou leurs analyses des événements, c’est trop peu pour qu’ils échappent à certains des effets de la pensée journalistique. Qui qu’on soit, plus on produit du « contenu » et consomme une grande quantité de « contenu » produit par d’autres dissidents, plus on doit penser rapidement ou moins on pense, pour s’en remettre souvent à des automatismes intellectuels plus ou moins bien rodés, et pour creuser des ornières dont il s’avère difficile de sortir. Même ceux qui sont conscients de ce risque et qui s’efforcent d’éviter la sclérose, les idées reçues et les clichés en multipliant et en transformant les points de vue ne sont pas à l’abri de ces maux. En ce qui concerne les autres opposants, qui ignorent ces maux et qui sont contents d’eux-mêmes seulement parce qu’ils ne font pas partie du grand troupeau qui croit à la dernière « pandémie » et à celles qu’on nous prépare, et aussi aux changements climatiques, c’est encore pire pour eux, de même que pour leur lectorat ou leur audience qu’ils habituent à ces maux et à des lectures ou à des enregistrements redondants, qu’ils peuvent lire ou regarder sans presque faire d’efforts, puisqu’ils correspondent si bien à leurs attentes et aux idées et sentiments qu’ils ont déjà et qui sont cultivés par ces textes ou ces vidéos.

J’aurais peur, en continuant de publier des billets au même rythme sur ce blog, de me mettre moi aussi à radoter ou à m’enfoncer des ornières, et peut-être à y entraîner avec moi certains de mes lecteurs, à supposer que ça ne soit pas déjà arrivé. Mais je dois aussi me garder, en réaction à ce risque, de tomber dans des travers académiques, comme pourraient m’y disposer la douzaine d’années d’études universitaires que j’ai faites et les quelques années que j’ai passées à fréquenter le milieu universitaire en tant que professionnel de recherche. Le jargon et les formulations inutilement compliquées servent souvent à en imposer à ceux qui n’ont pas fait d’études universitaires ou qui ont étudié une autre discipline, alors qu’en réalité on a des idées relativement simples et convenues, du moins dans le milieu universitaire, ce qui permet de multiplier facilement les publications et les conférences, à la manière des journalistes. Ce que je propose de faire, c’est plutôt de chercher d’autres manières de transformer mes idées et mes manières de penser, ainsi que celles de mes lecteurs. Pour y parvenir, il faut donc que je réfléchisse à mes propres idées, à mes manières de penser, et aussi à mes manières de sentir et de vivre, ce que je n’ai pas fait suffisamment depuis quelques années et ce que je pourrai difficilement faire si je continue à écrire à ce rythme, tout en peinant pour « gagner ma vie », comme on dit.


On dira peut-être que c’est un luxe que je ne devrais pas me permettre, étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’est quelque chose que, justement, je ne me suis presque pas permis depuis trois ou quatre ans, et on ne vit qu’une fois. Et ce n’est pas parce que je me concentrerai un peu plus sur moi, pour savoir où j’en suis, ne pas me fossiliser et décider comment je veux vivre et être dans le contexte actuel et dans ce qui nous attend peut-être, que la situation se mettra à aller plus mal. Penser ça, ce serait accorder beaucoup trop d’importance à ma petite personne.

Puis la crise actuelle, bien que très grave, n’est certainement pas la première que nous traversons en tant que civilisation. Si nous avons cette impression, c’est que nous n’avons pas connu la guerre depuis presque trois générations. Les intellectuels et les non-intellectuels qui faisaient partie des opposants n’ont pas simplement arrêté de penser et de vivre pour leur propre compte à l’aube de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième guerre mondiale, et même pendant ces guerres. Et s’ils l’avaient fait et s’étaient complètement mobilisés contre les idéologies autoritaires, ces guerres se seraient sans doute produites quand même et n’auraient probablement pas été moins dévastatrices. Un des enjeux, alors et maintenant, de la lutte contre ces idéologies qui visent notre dégradation individuelle et collective, c’est justement l’existence de notre individualité, la possibilité de faire des choix de vie en fonction de nos désirs, et la réalisation des potentialités humaines les plus élevées, qu’il s’agisse de la culture ou du perfectionnement de soi. Ces idéologies peuvent donc non seulement nous vaincre en nous embrigadant sous leur drapeau, mais aussi plus indirectement, en réduisant en grande partie notre existence et nos activités à une mobilisation contre elles, qui implique une forme d’auto-discipline qui n’est guère flexible et compatible avec une foule de possibilités de vie et de types humains, et avec le développement de l’individualité. Voilà qui uniformiserait et appauvrirait grandement notre existence et ce que nous sommes, et qui reviendrait à abandonner ce pour quoi nous nous battons ou devrions nous battre et à être vaincus quelle que soit l’efficacité de notre lutte contre ces idéologies dégradantes. Autrement dit, cette manière trop rigide et totalisante de lutter contre ces idéologies constituerait en elle-même une défaite.

S’il n’est certainement pas question d’arrêter de combattre ces idéologies, il ne faut pas non plus perdre de vue les raisons pour lesquelles nous les combattons et ce que nous désirons. Dans un autre billet, je vous dirai plus concrètement ce que j’envisage, en ce qui concerne ce blog, et peut-être aussi d’autres projets, mais sans exposer au grand jour mon existence, laquelle ne vous regarde pas davantage qu’elle ne regarde les autorités et leurs valets qui fourrent leur sale nez partout. Et j’espère bien que, contrairement à eux, vous vous en contrefichez.