Retournement d’une inversion accusatoire

Nos adversaires ne se regardent jamais dans le miroir. C’est pourquoi ce dont ils nous accusent s’applique souvent plus à eux qu’à nous. Loin de nous en indigner, il nous faut en rire et utiliser ce travers systématiquement contre eux.

Il y a quelques jours, une de mes bourgeoises de collègues – un chien savant avec une moue de poisson, un ventre d’orang-outang en captivité et de petites pattes atrophiées de teckel boiteux –, en parlant des « complotistes québécois dont Alexis Cossette-Trudel serait le chef », a déclaré que la croyance selon laquelle le virus aurait été fabriqué dans le laboratoire de Wuhan, et qu’il en serait sorti par accident ou qu’il aurait été relâché volontairement, s’expliquerait par l’incapacité de ces derniers à accepter que la nature peut nous jouer de sales tours, et le désir de trouver des coupables pour les méfaits d’un virus qui est le résultat d’une évolution naturelle.

Puisque je sais que cette dévote a une capacité d’invention presque nulle et qu’elle régurgite seulement ce qu’elle entend, c’est donc une idée que les propagandistes font circuler pour discréditer la remise en question de la fable bien connue du pangolin et de la chauve-souris au marché de Wuhan. Il est donc utile de répliquer et de retourner cette idée toute faite et non digérée par nos adversaires. Il est même possible de reprendre cette idée, que certains de nos adversaires ou concitoyens assoupis n’ont pas encore entendu, afin de percer leurs défenses.

Même si nous avons des raisons de douter de ce conte sur les origines naturelles du virus, même si nous nous rappelons que les tenants de cette fable adressaient des reproches aux Chinois à cause de l’insalubrité des marchés publics où cohabitent des animaux vivants susceptibles de provoquer par zoonose l’apparition de virus dangereux pour l’être humain, faisons semblant d’adhérer aux dogmes sur les origines du virus et de partager leur explication sur les causes des hérésies à ce sujet. Autrement, nous passerions pour des « complotistes » et tout ce que nous dirions s’expliquerait à leurs yeux par notre prétendue obsession pour les complots. Flattons leur vanité en insistant sur la grande perspicacité de leur analyse. Cela disposera certains d’entre eux à envisager des applications auxquelles ils n’ont pas pensé.

Après avoir fortement appuyé sur le caractère judicieux de leurs remarques psychologiques, il nous est possible de passer à l’attaque en affirmant que la tendance à refuser ce qui est naturel et à chercher des coupables s’applique à d’autres aspects de la « pandémie ». N’est-il pas tout naturel que ce virus naturel, comme les autres coronavirus et comme les autres virus qui causent des infections respiratoires, soit à l’origine d’un regain épidémique tous les hivers ? Les rhumes saisonniers et les grippes saisonnières font partie de l’ordre naturel des choses, au même titre que la diminution de la température et les chutes de neige pendant l’hiver ? Pourquoi en serait-il autrement pour la COVID-19 ? Autrement dit, pourquoi chercher des responsables ou des coupables des « vagues » saisonnières en la personne des « anti-masques », des « complotistes » et des « non vaccinés » ? Ces accusations ne ressemblent-elles pas beaucoup à celles qui portent sur les origines humaines du nouveau coronavirus ? Alors pourquoi ma collègue à tronche de poisson et ses semblables les profèrent-ils contre les « complotistes » quand il s’agit des « vagues » épidémiques, en exigeant parfois l’adoption de graves mesures punitives contre eux, alors qu’ils reprochent justement à ces personnes de chercher des coupables et de ne pas accepter ce qui découle de la nature quand il s’agit des origines du virus ? Comment peut-il faire sens de proclamer le caractère naturel de l’apparition du virus et de refuser le caractère naturel des « vagues » épidémiques saisonnières ? Comment peut-il être blâmable de chercher des responsables ou des coupables dans le premier cas, et être tout à fait acceptable ou même louable de vouloir lyncher ses concitoyens dans le deuxième cas ? N’est-ce pas là manquer de cohérence ?

Ou encore, n’est-il pas naturel que les personnes très âgées, qui ont plus de 80 ans et qui ont déjà dépassé l’espérance de vie, en viennent à tomber gravement malades et à mourir, notamment à cause du virus ? N’est-ce pas refuser l’ordre de la nature que de se scandaliser de ces décès, et d’en tenir responsables les personnes plus jeunes et bien portantes, sous prétexte qu’elles continuent d’avoir des relations sociales alors que le méchant virus circule ; et aussi d’imposer à toute la population des comportements aussi peu naturels que la distanciation sociale, l’isolement préventif, le port du masque, la désinfection maladive des mains, le dépistage récurrent, l’administration obsessive-compulsive de « vaccin », et l’obligation de prouver son statut vaccinal pour accéder à des lieux publics, voyager à l’étranger, participer à des activités sociales et, dans certains cas, conserver son emploi ? Encore une fois, n’est-ce pas manquer de cohérence que de consentir à tout ça, et même de le réclamer, tout en récriminant contre les « complotistes » qui refuseraient d’accepter les origines naturelles du virus et qui chercheraient bêtement des coupables pour le « fléau sans précédent » qui se serait abattu sur nous ?

Si nos adversaires persistent à ne pas voir cette incohérence et même à la nier si nous la leur faisons remarquer, c’est que les accusations sont faites, dans le premier cas, par des personnes qu’ils détestent (les « complotistes ») contre des personnes dont ils sont persuadés qu’elles veulent leur bien et auxquelles ils obéissent (les autorités politiques et sanitaires) ; alors que, dans le deuxième cas, c’est l’inverse. L’explication psychologique de ces accusations à laquelle a eu recours ma collègue dévote n’est pas ce qui motive vraiment son rejet de l’hypothèse selon laquelle le virus aurait probablement été fabriqué dans un laboratoire. Ce qui motive ce rejet, c’est sa crédulité à propos de ce qu’affirment les autorités politiques sanitaires, la docilité qui en résulte, de même que son aversion pour les soi-disant « complotistes ». Cette explication vient dans un deuxième temps, vraisemblablement pour donner un vernis rationnel et moral aux sentiments de cette dévote et de ses semblables. Ce qui explique pourquoi ils seraient probablement fort réticents, pour le moins dire, à expliquer de la même manière les accusations dont les « complotistes », les « anti-masques » et les « antivax » ont souvent été la cible. Il n’en demeure pas moins vrai qu’en ayant recours à cette explication, ils nous procurent des armes que nous pouvons utiliser contre eux.

À partir de ce point, nous pouvons décider, selon les circonstances et les effets que nous désirons produire, d’enfoncer le clou ou de nous y prendre plus diplomatiquement. Dans le premier cas, il est peu probable que nous réussirons à susciter des doutes chez nos adversaires bornées qui subiront notre riposte ; mais ne sachant que répondre à ce retournement, ils pourraient perdre l’envie de recracher les clichés dont on leur bourre le crâne, surtout s’ils perdent la face devant d’autres personnes moins bornées, qu’ils ne peuvent pas raisonnablement accuser d’être des complotistes, et qui seront plus souvent en mesure de tirer les conséquences de ce retournement. Dans le deuxième cas, ce retournement pourrait, chez certaines des personnes qui ont recours à cette explication psychologique, les inciter à adopter des positions plus modérées ou nuancées à l’égard des « complotistes », des « anti-masques » et des « antivax » qui seraient un danger public responsable des ravages provoqués pourtant par un virus aux origines naturelles, ainsi que du décès de personnes qui ont pour la plupart atteint l’espérance de vie et qui sont déjà en très mauvaise santé.

Nous pourrions poursuivre notre offensive en effectuant des retournements semblables à propos des changements climatiques, pris en eux-mêmes ou dans leurs relations avec les risques accrus de zoonoses et de « pandémies ».

Les changements climatiques observables dans certaines régions de la planète ne pourraient-ils pas être des phénomènes naturels cycliques déjà observés dans le passé et sur lesquels les comportements des êtres humains n’ont que très peu d’influence ? Le fait d’affirmer systématiquement que le réchauffement ou le refroidissement d’une contrée, ou encore les inondations, les tornades, les sécheresses et les incendies de forêt qui y ont lieu, seraient causés pas des émissions de gaz de carbonique dont nous sommes responsables ne consiste-t-il pas à chercher des coupables alors qu’il s’agit de phénomènes naturels ?

Et que dire des déclarations fort hypothétiques de certains « scientifiques », selon lesquels les changements climatiques provoqués par les émissions de gaz carbonique de nos usines, de nos voitures et de nos centrales électriques entraîneraient la migration d’espèces animales et l’augmentation du passage des virus dont elles sont porteuses d’une espèce à une autre, jusqu’à ce que l’un d’entre eux se répande dans les populations humaines et cause une nouvelle « pandémie » ? N’est-ce pas nous accuser collectivement, et par anticipation, de phénomènes qui sont naturels ?

Bien sûr, nous ne devons pas espérer des effets miraculeux de ces retournements. Beaucoup de nos concitoyens sont tellement décérébrés – sans doute est-ce aussi là un phénomène naturel, pour lequel ce serait de la folie de chercher des responsables ou des coupables ! – qu’ils sont immunisés aux raisonnements et sont par conséquent indécrottables. Mais pour les autres, qui ne sont pas complètement dégénérés et qui sont capables de penser dans une certaine mesure, cela vaut la peine de pratiquer ces retournements.