Contrôle des individus grâce à la discipline scolaire, sanitaire et laborieuse

Au nom de la charité chrétienne, l’Église catholique a joué pendant des siècles un rôle important dans la santé et l’éducation. Même quand les hôpitaux et les écoles n’étaient pas directement sous la direction des congrégations religieuses, une partie importante du personnel enseignant et même de l’administration appartenait au clergé. Au Québec, la laïcisation et l’étatisation des hôpitaux et des écoles a commencé très tard, il y a une cinquantaine d’années, et n’a jamais été complétée dans le domaine de l’éducation, puisque des écoles privées liées à une confession religieuse continuent d’exister. Même dans les écoles publiques, des religieux ont continué à assumer des fonctions d’enseignement et d’administration quelques décennies après le début de la Révolution tranquille, surtout dans les petites villes et les petits villages éloignés des centres urbains.

Dans le petit village de la Côte-Nord où j’ai passé mon enfance, l’école primaire publique à laquelle je suis allé a eu pour directrice une sœur jusqu’au début des années 1990. En guise de cours de musique, on nous y faisait chanter des cantiques religieux sous la direction musicale de la bonne sœur Gabrielle. En plus des cours d’enseignement religieux pratiquement obligatoires (il n’y avait pas de cours de « morale » parce que les parents n’y inscrivaient pas leurs enfants, ce qui a fait scandale quand une famille arrivée récemment de la ville l’a fait), il nous fallait réciter le Notre Père avant le début des classes, le curé du village venait nous confesser à l’école une fois par année, et des célébrations religieuses étaient organisées pendant l’Avent et le Carême. J’ai donc fait l’expérience de la manière dont les religieux ont utilisé leur contrôle de l’éducation pour inculquer des croyances religieuses et une certaine morale. Je me dis que ce dont j’ai fait l’expérience, c’est une version diluée de ce qui devait se faire plutôt, quand le catholicisme était plus influent au Québec et contrôlait très fortement l’éducation dispensée à la population francophone. Qui en douterait peut lire les scènes peintes et les critiques faites par Arthur Buies dans sa Lanterne. Non seulement cette mainmise sur l’éducation permettait au clergé catholique d’imposer des dogmes religieux et moraux et d’exclure systématiquement de l’enseignement les livres et les opinions politiques et morales incompatibles avec eux et donc considérés comme faux, immoraux et dangereux, mais elle lui permettait aussi d’exercer une forte emprise culturelle et intellectuelle sur l’ensemble de la population francophone, grâce aux effets de cette éducation et de l’endoctrinement des laïcs scolarisés, aux journaux de tendance catholique affirmée devant étouffer les voix dissidentes, et à la mise au ban de la société les quelques rares intellectuels qui critiquaient ouvertement le clergé, par exemple les fondateurs de l’Institut canadien de Montréal.

Ainsi, l’éducation dispensée par le clergé catholique, sous couvert de charité chrétienne, était tout à fait dans l’intérêt du clergé, qui maintenait ainsi son emprise sur les francophones plus pauvres en leur donnant une éducation élémentaire conforme à leur religion, et aussi sur les francophones plus riches et plus cultivés en faisant d’eux des prosélytes et des défenseurs de leur religion. Les autorités religieuses, en éduquant nos ancêtres, se souciaient davantage de leurs propres intérêts, à savoir leur pouvoir au sein de la société de l’époque, que de ceux du peuple qu’ils faisaient éduquer, à moins qu’on définisse les intérêts de ce peuple comme la soumission aux autorités religieuses. Bref, l’éducation donnée à nos ancêtres par les communautés religieuses était l’instrument de la politique de domination de l’Église catholique – politique dont pouvaient assurément tirer profit les élites politiques et économiques anglophones qui dirigeaient le Canada, étant donné que l’obéissance, l’humilité et le sacrifice des choses de ce monde pour obtenir son salut faisaient partie de la morale inculquée, ainsi que l’ignorance et l’obscurantisme dans laquelle était maintenue à dessein les francophones, d’où les liens parfois étroits entretenus par les élites politiques, économiques et religieuses.

C’est aussi au nom de la charité chrétienne que les congrégations religieuses ont joué un rôle important dans les hôpitaux ou les dispensaires que devaient fréquenter nos ancêtres quand ils étaient malades, à supposer qu’ils aient eu l’argent nécessaire ou qu’ils aient eu la possibilité de s’y rendre, les distances étant parfois grandes en campagne, et les moyens de déplacement plutôt rudimentaires. Même si cela est certainement moins bien documenté que ce qui se passait dans les écoles, les collèges et couvents, il serait naïf de croire que les religieux ne profitaient pas des souffrances et de la crainte de la mort pour sermonner les personnes malades qui n’avaient pas les moyens ou la possibilité de faire venir à leurs frais un médecin laïc chez eux. Il me semble entendre les gardes-malades et les prêtres qui rôdent autour exhorter les malades à voir dans leurs souffrances une épreuve ou un châtiment de Dieu, à se résigner à elles, à les concevoir comme une manière de se laver de leurs fautes et de gagner leur ciel, et à prier pour obtenir un certain soulagement ou la protection de leurs familles après leur mort ; et aussi les voir profiter de l’occasion pour tourmenter les malades qui avaient, à tort ou à raison, une réputation d’incroyance et pour obtenir une confession de leurs péchés et un retour au bercail édifiant. Ce qui faisait assurément partie de la politique de domination de l’Église catholique, sur les malades et sur ceux à qui on racontait ces histoires édifiantes – politique qui, rappelons-le, pouvait servir aux élites politiques et économiques par la soumission et la dégradation morale et intellectuelle qui en résultaient.

Ce n’est pas donc pour rien que les penseurs radicaux et anticléricaux se sont battus, dans les pays occidentaux et plus tardivement et mollement au Québec, contre cette emprise du clergé sur les corps et les esprits, et pour la séparation entre l’État et l’Église. Il serait toutefois naïf de croire qu’après la laïcisation et l’étatisation des écoles et des hôpitaux, les élites politiques et économiques ont simplement abandonné l’idée de nous traiter comme de simples employés et de vulgaires sujets, en contrôlant directement notre corps et notre esprit, ou en contrôlant notre corps grâce au contrôle de notre esprit et en contrôlant notre esprit grâce au contrôle de notre corps.


Examinons rapidement quelle était la situation, dans les domaines de l’éducation et de la santé, avant l’arrivée du méchant virus en 2020.

Ce qui frappe dans les institutions d’enseignement, depuis l’école primaire jusqu’à l’université, c’est la ressemblance de la discipline imposée aux élèves et aux étudiants avec la discipline imposée aux travailleurs. Alors que les programmes éducatifs changent régulièrement, les horaires auxquels sont soumis les élèves et les étudiants demeurent, avec une tendance à se resserrer, même dans les institutions d’enseignement supérieur. Les enfants ne doivent-ils, du lundi au vendredi, se rendre à l’école, pour n’en revenir qu’en fin de journée, après être restés assis sagement à leurs places, comme leurs parents au travail ? La cloche qui signale le début et la fin des cours, le début et à la fin des récréations, ne ressemble-t-elle pas au sifflet qui était utilisé dans les anciennes usines ? Les élèves ne sont-ils pas soumis à un horaire de travail rigide et prédéterminé, comme les adultes voient souvent leur travail organisé par leurs employeurs ? Cela n’est pas étonnant, parce que les enseignants sont de plus en plus traités comme des employés comme les autres, qui doivent se conformer à l’emploi du temps qui leur est imposé par leurs employeurs. La discipline de travail imposée grâce à un emploi du temps rigide persiste dans l’enseignement collégial et universitaire, avec des périodes de cours et des semestres bien délimités, auxquels les étudiants et les professeurs doivent se conformer, indépendamment du déroulement concret de leur apprentissage ou de leur l’enseignement, ou auxquels ce déroulement doit plutôt se conformer, parce que les administrations collégiales et universitaires ont décidé qu’il en était ainsi, conformément aux orientations données par le ministère de l’Enseignement supérieur et aux attentes des employeurs qui emploieront les produits du système éducatif.

La multiplication des évaluations récurrentes, à tous les paliers d’éducation, achève de bien dresser les élèves et les étudiants, qui pourront ensuite devenir des employés dociles. Car ces évaluations n’ont pas pour fonction de permettre progressivement aux élèves et aux étudiants d’évaluer eux-mêmes leur propre apprentissage, pour en venir enfin à acquérir l’autonomie nécessaire à la prise en charge de leur éducation. Bien au contraire, elles servent à rendre indéfiniment dépendants de ces évaluations extérieures et à les faire même désirer. C’est pourquoi les étudiants collégiaux et universitaires, loin de demander une diminution des évaluations qui devraient exister seulement à la toute fin de cours ou des programmes de formation, réclament plutôt une augmentation de la fréquence des évaluations, afin d’être constamment dirigés et supervisés dans leur apprentissage, et même dans leurs recherches, s’ils sont inscrits à un programme universitaire de deuxième ou de troisième cycle. Voilà qui les prépare à être surveillés et évalués dans les moindres de leurs petites tâches qu’ils feront au travail, et à rendre sans cesse des comptes à leurs supérieurs immédiats, au lieu d’être laissés à eux-mêmes la plupart du temps et être seulement évalués sur les résultats obtenus.

Il résulte de ces deux tendances très présentes dans l’éducation que nous avons reçue et continuons de recevoir, que nous sommes formatés pour être des travailleurs assidus, obéissants et dépendants quand nous intégrons pour de bon ce qu’on appelle le marché du travail, conformément aux attentes des élites économiques et politiques, qui peuvent alors nous diriger plus facilement que si nous étions plus libres, plus indépendants et plus insoumis.

Passons maintenant au domaine de la santé et de la médecine. La création d’un système public de santé et la plus grande accessibilité aux consultations médicales et aux traitements pharmaceutiques produisent pour effet que notre santé est prise en charge dès notre enfance, et pour toute notre vie, à moins d’être parmi ceux qui n’ont pas de médecin de famille (et qui parfois qui n’en veulent pas) ou qui ne vont dans les cliniques ou les hôpitaux qu’en cas d’extrême nécessité, comme c’est mon cas (je ne m’en porte pas plus mal, quand je me compare à ceux de mes collègues qui ont le même âge que moi). Quand nous étions enfants et adolescents, nos parents amenaient chez le médecin au moindre petit bobo, et obtenaient de lui la prescription de médicaments. On nous a aussi fait faire des consultations de routine chez le médecin, même quand nous n’étions pas malades. Celui-ci nous a parfois référé à des médecins spécialistes, pour passer des examens médicaux, afin de vérifier si telle petite anomalie qu’il a détectée n’était pas le signe d’une grave maladie ou d’un quelconque syndrome. Si nous n’avons pas eu de chance, on nous a demandé de passer d’autres examens médicaux, de nous rendre à des rendez-vous de suivi annuel et parfois même de prendre des médicaments, à titre préventif, pour que notre santé, qui était alors bonne, ne se détériore pas. Et la même chose se poursuit à l’âge adulte, et s’aggrave même au fur et à mesure que nous vieillissons, si nous laissons faire les médecins toujours prêts à accomplir des actes médicaux pour lesquels ils sont payés, et à appliquer des protocoles médicaux et à prescrire des médicaments, conformément aux directives en vigueur dans les hôpitaux, ce qui est souvent très rentable pour l’industrie pharmaceutique.

C’est ainsi qu’on cultive chez nous un souci minutieux ou mesquin de notre santé, et parfois même une peur maladive de la maladie. Du même coup, on nous impose une discipline sanitaire qui consiste à faire et à prendre ce que les médecins nous recommandent ou nous prescrivent, sans nous demander s’ils sont incompétents ou s’ils sont motivés par des intérêts qui sont incompatibles avec notre santé. Cela va sans dire, cette discipline sanitaire est fort compatible avec la discipline scolaire et la discipline laborieuse, en ce qu’elle nous habitue elle aussi à être constamment surveillés, à désirer être régulièrement supervisés en matière, et à nous abandonner aux figures d’autorité, car nous pourrions tomber gravement malades et peut-être mourir si nous refusions de faire ce que les médecins nous disent. Voilà qui nous maintient dans une sorte de dépendance, et nous rend peureux et dociles, pas seulement vis-à-vis de la maladie et des médecins, mais aussi de manière plus générale. Voilà qui nous dispose à être gouvernés facilement par les élites économiques et politiques qui sont à la tête de nos sociétés, et qui nous traitent comme des vassaux ou des sujets. Voilà qui fait diversion et détourne notre attention des problèmes économiques et politiques qui nous menacent de plus en plus, conformément aux intérêts de ces élites.


Avec l’arrivée du méchant virus en 2020, c’est toute la société qui a été transformée en une sorte de grand hôpital, où ce qui passe pour la médecine supposément basée sur la science a servi à nous imposer une discipline sanitaire qui s’applique à tout ce que nous faisons, et même à ce que nous disons. Les médecins et les autres professionnels de la santé se sont faits la courroie de transmission et les applicateurs de cette discipline sanitaire dans les milieux de travail que sont les cliniques et les hôpitaux, et ont appelé à son application rigoureuse dans le reste de la société, c’est-à-dire dans les lieux publics et dans les domiciles privés, et aussi dans les institutions d’enseignement et les milieux de travail, qui sont devenus des lieux forts d’inculcation de la discipline sanitaire, en s’appuyant sur la discipline scolaire et la discipline laborieuse qu’on y inculquait déjà et qui réglaient le comportement des élèves, des étudiants, des enseignants, des professeurs et des autres employés.

Dans les cliniques et les hôpitaux, dans les écoles primaires et secondaires, dans les cégeps et les universités, et aussi dans les autres milieux de travail, le souci premier des administrations, avec la collaboration des employés, a été de dresser toutes les personnes – adultes, adolescents et enfants – pour qu’elles appliquent rigoureusement les mesures soi-disant sanitaires, c’est-à-dire pour qu’elles pratiquent la distanciation sociale, pour qu’elles se désinfectent les mains, pour qu’elles portent un masque, pour qu’elles fassent des tests de dépistage, pour qu’elles s’isolent à la maison et pour qu’elles se fassent vacciner à répétition. Pendant plus de deux ans, et dans une certaine mesure encore aujourd’hui, être un bon médecin, une bonne infirmière, un bon élève, un bon enseignant, un bon étudiant, un bon professeur ou un bon employé, c’est faire tout ça, conformément aux consignes de la Santé publique et aux ordres des gouvernements servant les intérêts des élites économiques au détriment des nôtres, reprises en chœur par les grands médias contrôlés par ces élites. Et la gravité de la soi-disant pandémie, l’utilité des mesures soi-disant sanitaires, ainsi que l’innocuité et l’efficacité des soi-disant vaccins, sont inculquées comme des dogmes religieux qui ne tolèrent pas le doute dans notre système de santé, dans notre système éducatif et dans nos milieux de travail. Ceux qui osent remettre ouvertement en question ces dogmes s’exposent à des sanctions disciplinaires, même et surtout s’ils sont des médecins et des scientifiques tout à fait aptes à avoir un avis raisonnable sur les fondements prétendument médicaux des dogmes, ou des intellectuels tout à fait capables d’exprimer une position articulée sur les implications morales, sociales, politiques, juridiques et économiques des mesures soi-disant sanitaires. Un peu comme les personnes qui osaient exprimer des positions anti-cléricales ou athées risquaient, il n’y a pas si longtemps, d’être chassées des postes qu’ils occupaient et d’être tenues à l’écart de la bonne société, quand ce n’était pas de la société tout court. On a réussi à obtenir ces résultats en tirant profit des importantes tendances à l’obéissance, à la dépendance, à la soumission, à la passivité et à la lâcheté qu’ont produites en nous les formes de disciplines scolaires, laborieuses et sanitaires préexistantes, dont le fruit ultime est l’abandon aveugle et totale aux grandes et aux petites autorités.

J’en viens enfin à dire ce que je veux montrer dans ce billet :

  • d’abord, que la discipline sanitaire qu’on nous a imposée à partir de 2020, et qu’on pourrait à nouveau nous imposer dans toute son ampleur et toute son intensité, se combine avec la discipline scolaire et la discipline laborieuse, en est en quelque sorte le prolongement, et amplifie la dégradation morale et intellectuelle qui résultent d’elles ;

  • ensuite, qu’il est raisonnable de croire que les élites économiques et les autorités politiques, bureaucratiques, sanitaires, scientifiques, académiques et scolaires, ainsi que leurs nombreux valets, ne sont pas plus au service de nos intérêts, que ne l’était le clergé catholique quand il prétendait éduquer et soigner nos ancêtres, et les protéger de l’erreur et de l’immoralité, et qu’en fait tout ce beau monde abuse du pouvoir que lui confère le contrôle de l’éducation et de la médecine, lequel il a vraisemblablement acquis justement pour en abuser et nous dresser ;

  • enfin, que nous ne sommes pas à l’abri d’un retour en force de la discipline sanitaire (ou de l’imposition d’une nouvelle forme de discipline, par exemple écologique, climatique ou énergétique) aussi longtemps qu’elle continuera d’exister sous une forme atténuée, et aussi longtemps que continueront à exister la discipline scolaire et la discipline laborieuse imposées de manière autoritaire et aliénante aux élèves, aux étudiantes, aux enseignements, aux professeurs et aux autres employés.