Audition de Me Martine Valois, professeure de droit, sur le projet de loi n° 28 visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire

Alors que le projet de loi n° 28 visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire au Québec est débattue à l’Assemblée nationale et que des experts sont consultés par une commission parlementaire, les médias nous informent assez peu et assez mal sur ces débats et sur ces consultations. C’est que les journalistes sont trop occupés à condamner les innombrables et innommables atrocités qu’auraient commises et que continueraient de commettre la horde sanguinaire de soldats russes en Ukraine ; à nous dire tous les jours combien il y a de nouveaux « cas » de COVID, de nouvelles hospitalisations et de nouveaux décès ; à relayer les nouvelles directives de la Santé publique demandant maintenant de la population québécoise de se passer l’écouvillon dans la bouche et dans le nez quand ils utilisent des tests rapides afin d’augmenter les chances d’obtenir un résultat positif et d’éviter les « faux négatifs ». Il est vrai que cela leur est très facile. Pas besoin de faire leurs propres recherches et de réfléchir. Il leur suffit de régurgiter ce que déclarent les autorités politiques et sanitaires et leurs collègues journalistes. C’est pourquoi il vaut mieux faire nos recherches nous-mêmes, au lieu de nous fier aux journalistes pour nous rapporter ce qui se passe au Parlement ou dans les commissions parlementaires.

Le 6 avril 2022, l’audition de Me Martine Valois, professeure de droit à l’Université de Montréal, a eu lieu devant la Commission de la santé et des services sociaux, peu après le dépôt d’un mémoire dont elle reprend les grandes lignes dans son intervention. La juriste se montre très critique à l’égard du projet de loi et aussi de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire par le gouvernement québécois. Selon elle, la COVID-19 ne constitue plus une menace contre laquelle il faut prendre des mesures immédiates pour protéger la santé de la population. Ensuite plusieurs des mesures que désire prolonger le gouvernement ne concernent pas la santé, mais la gestion des ressources humaines du réseau de la santé et le renouvellement des contrats publics conclus depuis mars 2020. Enfin, la promulgation de nombreux décrets et arrêtés ministériels rendue possible par les pouvoirs extraordinaires conférés au gouvernement par l’état d’urgence sanitaire sont contraires au fait que l’Assemblée nationale est la seule autorité ayant la légitimité démocratique pour intervenir et modifier les normes juridiques applicables à l’ensemble de la population. Elle va même jusqu’à dire, pendant son audition, que ces pouvoirs d’exception ont été utilisés pour soustraire à la discussion devant l’Assemblée nationale les mesures, et que ce projet de loi a en fait pour but de prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’à la fin de l’année 2022, c’est-à-dire après les élections provinciales prévues à l’automne (que la Coalition Avenir Québec croit avoir de bonnes chances de gagner) et la constitution du prochain gouvernement provincial.

La transcription de l’audition de Me Valois est disponible dans le journal des débats de la Commission pour la journée du 6 avril 2022, avec la transcription des auditions d’autres experts, dont le grand chef de la santé publique au Québec, le Dr Boileau.

Quant à l’article écrit par des juristes sur lequel Me Valois dit s’appuyer, il est disponible sur le site des Éditions Thémis.

 

Remarques sur les propos du ministre de la Santé et des Services sociaux

Le fait que le ministre Dubé dit chercher, grâce au projet de loi n° 28, à conserver l’agilité et la flexibilité qu’il croit nécessaire pour continuer à protéger la santé de la population québécoise, en procurant plus facilement aux « PDG qui sont sur le terrain » les ressources humaines nécessaires pour poursuivre le dépistage et la vaccination de masse, montre qu’il n’a pas vraiment l’intention de mettre fin à l’état d’urgence sanitaire. En insistant sur l’importance de la flexibilité et de l’agilité, il réclame le droit, pour lui et les hauts gestionnaires du la santé, de pouvoir déroger aux règles et aux lois habituellement en vigueur, selon la compréhension qu’ils ont de l’évolution de la situation et le résultat des sondages à l’approche des élections provinciales. Grâce à ce projet de loi, le ministre prétend conserver des pouvoirs exceptionnels rendus possibles par l’état d’urgence sanitaire. Le fait de parler d’une période de transition ne change rien à l’affaire. Pendant la période de transition, certains des pouvoirs exceptionnels du gouvernement qui découlent de l’état d’urgence sanitaire sont maintenus, ce qui revient à dire que l’état d’urgence sanitaire est prolongé pendant cette période, même si le gouvernement prétend y mettre fin.

Il est à craindre qu’en continuant le dépistage massif et l’injection de nouvelles doses de vaccin à la population, on détectera toujours de nouveaux « cas » et il y aura toujours de nouvelles « vagues », ce que les miraculeux vaccins ne réussiront jamais à arrêter, puisqu’il n’empêche pas l’infection et la propagation du virus, certaines études scientifiques ayant même pour conclusion que les personnes inoculées ont plus de chances d’être infectées, peut-être à cause des anticorps facilitants. Il pourrait en résulter une nouvelle déclaration de l’état d’urgence sanitaire l’automne ou l’hiver prochain, avec son lot de nouvelles mesures arbitraires et liberticides rendues possibles par les pouvoirs d’exception que le gouvernement se serait accordés à nouveau à lui-même. Car rien dans ce projet de loi ne stipule que le nouveau gouvernement ne peut pas refaire la même chose ou encore pire, après les élections, en déclarant encore une fois l’état d’urgence sanitaire.

Un autre point qui montre bien que le ministre Dubé n’a pas vraiment l’intention d’en finir avec l’état d’urgence sanitaire, c’est le maintien de l’obligation du port du masque dans les lieux publics. Voilà deux mois qu’on nous annonce que la fin de cette obligation et qu’on la reporte. Le ministre va encore plus loin en annexant au projet de loi un arrêté qui maintient dans toute son intégralité de cette obligation. Il est donc dans l’ordre du possible que cette obligation dure encore longtemps, à moins que le gouvernement décide d’y mettre fin ou de la suspendre dans le contexte des élections qui approchent, surtout s’il croit pouvoir la remettre facilement en vigueur l’automne prochain, avant ou après les élections.

 

Remarques sur les propos du député libéral de Nelligan

Étant donné que le parti libéral a pratiqué la surenchère sanitaire à plusieurs reprises depuis 2020, notamment en exigeant le port obligatoire du masque au printemps 2020 alors que le gouvernement n’allait pas assez vite à leur avis, et en défendant l’obligation vaccinale pour les professionnels de la santé et l’implantation du passeport vaccinal, on peut douter que Monsef Derraji s’éloigne assez de la ligne de parti pour s’opposer aux contraintes arbitraires qui nous ont été imposées avec le consentement de son parti, qui parfois en demandait même plus que ce que le gouvernement faisait.

Ce qui motive l’aversion du parti libéral pour ce projet de loi, ce n’est probablement pas les atteintes arbitraires à nos droits et à nos libertés qu’impliquent les mesures dites sanitaires, mais plutôt le fait que le gouvernement caquiste dispose de pouvoirs exceptionnels qui le dispensent de consulter les partis d’opposition. Dans la mesure où ces contraintes seraient imposées à la population seraient élaborées en collaboration avec les partis d’opposition, il est vraisemblable que ce député et les autres élus du parti libéral n’y verrait presque pas de problèmes. Cette critique de la prolongation déguisée de l’état d’urgence sanitaire s’explique probablement aussi par le fait qu’une partie de Québécois a montré cet hiver qu’elle en avait assez de l’état d’urgence sanitaire, et que les partis d’opposition essaient maintenant de s’accaparer les votes de ces électeurs.

Nous devons donc prendre avec un grain de sel les belles paroles contre l’état d’urgence sanitaire du représentant du parti libéral à la Commission sur la santé et les services sociaux. Nous devons d’autant plus nous méfier qu’il a une formation dans le domaine de la pharmaco-économie, qu’il a travaillé pour deux grandes sociétés pharmaceutiques (Shering-Pough et Eli Lilly) pendant une quinzaine d’années et qu’il fait maintenant un doctorat en santé publique à l’Université de Montréal.

 

Remarques sur l’intervention de Me Valois

Même si les critiques de Me Valois sur le projet de loi n° 28 et sur l’usage que le gouvernement du Québec a fait de l’état d’urgence sanitaire sont pertinentes, nous aurions tort de voir en elle une opposante aux mesures dites sanitaires. S’il est vrai qu’elle ne dit peut-être pas tout ce qu’elle pense quand elle comparaît comme experte en droit devant la Commission, rien ne nous permet de croire qu’elle doute de la réalité et de la gravité de la « pandémie », qu’elle considère que le gouvernement nous a privés injustement et inutilement de nos droits et de nos libertés, que le passeport vaccinal constitue une forme de ségrégation, et que les vaccins sont en fait des injections expérimentales dont l’efficacité et la sécurité sont fort douteuses. Nous devons en tenir compte dans notre évaluation des recommandations qu’elle fait à la Commission à propos de ce projet de loi.

Ce que Me Valois dit, ce n’est pas tant que les mesures exceptionnelles qui ont été adoptées sont abusives et qu’elles devraient prendre fin en même temps que la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, mais c’est plutôt que les mesures qu’il faut maintenir pour continuer à protéger la population ne devraient pas l’être grâce au prolongement d’un état d’exception. Elle recommande que ces mesures, si elles doivent vraiment être maintenues, le soient grâce aux dispositions prévues dans les lois qui existent déjà, ou grâce à l’amendement de ces lois par l’Assemblée nationale.

Il est vrai que si on donne suite à ces recommandations, il ne sera plus possible pour le gouvernement de n’en faire qu’à sa tête, et d’adopter ou de changer des mesures selon son bon plaisir, sans le moindre débat. Il faudra légiférer. Ce n’est pas négligeable.

Mais ses recommandations posent aussi problème, car elle dit au gouvernement que, sur certains points, il dispose déjà des moyens de pérenniser des mesures exceptionnelles imposées jusqu’à maintenant grâce à l’état d’urgence sanitaire. C’est le cas du maintien ou de la réactivation des mesures de prophylaxie, comme le port obligatoire du masque et le passeport vaccinal, grâce aux dispositions qui existent déjà dans la Loi sur la santé publique. Même pas besoin de l’état d’urgence sanitaire et du projet de loi, selon Me Valois. À ces yeux, ce sont seulement des mesures que le directeur national de la santé publique peut imposer à la population pour la protéger sans qu’il n’y ait urgence sanitaire. Voici ce qu’elle dit à ce sujet dans le mémoire qu’elle a présenté à la Commission :

« Quant aux mesures sur le port du couvre-visage, le passeport vaccinal et la prestation de services essentiels prescrites par les arrêtés ministériels 2022-027 et 2022-028, il n’est pas nécessaire de déclarer l’état d’urgence sanitaire ou de la prolonger pour les adopter. Ces mesures de prophylaxie peuvent être prises par un directeur de santé publique ou le ministre, comme le prévoient les articles 106, 116 et 117 de la LSP :

106. Lorsqu’un directeur de santé publique est d’avis, en cours d’enquête, qu’il existe effectivement une menace réelle à la santé de la population, il peut :

1° ordonner la fermeture d’un lieu ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes ou à certaines conditions et faire afficher un avis à cet effet ; [...]

ordonner la cessation d’une activité ou la prise de mesures de sécurité particulières si c’est cette activité qui est une source de menace pour la santé de la population ; [...]

ordonner toute autre mesure qu’il estime nécessaire pour empêcher que ne s’aggrave une menace à la santé de la population, en diminuer les effets ou l’éliminer. »

(Je ne cite pas les deux autres articles, qui permettent au ministre de coordonner les actions des directeurs de la santé publique, d’exercer les pouvoirs du directeur de la santé publique et de mobiliser les ressources de tout établissement de santé.)

Ce que dit ici Me Valois, c’est que le gouvernement du Québec n’a pas besoin de la déclaration et de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire pour nous obliger à porter un masque dans les lieux publics, les transports en commun et au travail ; pour exclure les personnes non « adéquatement vaccinées » de plusieurs lieux publics et activités sociales, culturelles et éducatives ; pour redéfinir ce que veut dire « adéquatement vacciné » et exiger l’injection de nouvelles doses pour conserver son passeport vaccinal ; et pour nous contraindre à nous faire inoculer à répétition ces injections expérimentales.

Si l’interprétation que Me Valois fait de ces articles de la Loi sur la santé publique est fondée, ou est considérée comme fondée par le gouvernement, nous nous tromperions lourdement en croyant que le gouvernement ne pourrait plus nous imposer toutes sortes de contraintes en mettant fin à l’état d’urgence sanitaire, en n’incluant pas ces contraintes dans le projet de loi n° 28, ou même en abandonnant ce projet de loi. Puisque ces obligations et ces interdictions ne découleraient pas de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire qui doit être renouvelé pour qu’elles restent en vigueur, ces mesures pourraient devenir permanentes si le directeur national de la santé publique ou le ministre en décide ainsi, ou devenir saisonnières, ou être suspendues et remises en vigueur selon la compréhension que ces personnes auraient de l’évolution de la situation épidémiologique et politique, c’est-à-dire selon leur bon plaisir. Sur ce point, le gouvernement disposerait alors de pouvoirs discrétionnaires « réguliers », et de toute la « flexibilité » et de l’« agilité » que le ministre Dubé réclame, indépendamment de la déclaration et de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. C’en serait fait de nos droits et de nos libertés, à moins que la Loi sur la santé publique ne soit amendée pour qu’on ne l’utilise pas de cette manière, ou à moins qu’on trouve un précédent qui empêche de l’utiliser de cette manière.