Le scientisme, une menace pour la démocratie, la science et la médecine

Il ne s’agit pas de faire un procès à la science et aux scientifiques qui pratiquent leur discipline avec rigueur, prudence et probité, sans tomber dans le dogmatisme et sans avoir des visées expansionnistes. Ce dont il s’agit ici, c’est de faire la critique du scientisme, qui certes préexistait à la présente « crise sanitaire », mais qui a fait des pas de géant depuis son début. Beaucoup de ceux qui, avant, ne s’intéressaient pas le moins du monde à la science, ou qui étaient méfiants à son égard, ne jurent maintenant que par la science, ou plutôt par l’idée qu’ils s’en font, sans avoir fait d’études dans le domaine, sans avoir lu un seul article scientifique, sans avoir fait d’épistémologie, et sans même avoir une idée vague de ce que pourrait être une démarche scientifique rigoureuse. Ainsi suffit-il de leur dire que telle ou telle chose sur le virus, la « pandémie » ou les mesures a fait l’objet d’une étude et a été prouvée scientifiquement, et d’y joindre quelques données éloquentes et quelques graphiques hauts en couleur, pour qu’ils y voient une vérité indiscutable.

Ce billet a pour objet les effets nuisibles du scientisme sur la démocratie et sur la pratique de la science et de la médecine dans la crise que traverse notre société. On aurait tort de se représenter la situation actuelle comme une bataille entre les défenseurs de la démocratie (ou de l’obscurantisme) et les défenseurs de la science (ou du scientisme). Même si les défenseurs du scientisme mènent une lutte acharnée contre la démocratie et se proclament simplement défenseurs de la science, il n’en demeure pas moins vrai qu’ils bataillent aussi contre la science et la médecine et ceux qui la pratiquent, en invoquant sans cesse la science. C’est pourquoi on peut observer des alliances entre des défenseurs de la démocratie (citoyens et intellectuels) et des scientifiques et des médecins, principalement en Europe. Nous gagnerions à ce que ces alliances deviennent beaucoup plus fréquentes, dans le contexte de la présente crise politique, scientifique et intellectuelle, et aussi de manière permanente. Autrement, la science est instrumentalisée par les élites politiques et économiques et est transformée en scientisme, au détriment des institutions démocratiques et de la libre pratique de la science et de la médecine.

 

Caractéristiques du scientisme

Personne ou presque ne se dit scientiste. Le scientisme est un de ces termes qui exprime la désapprobation d’une attitude qu’on observe ou qu’on croit observer chez d’autres personnes. On pourrait faire la même remarque pour le complotisme. Personne ou presque ne se qualifie lui-même de complotiste. C’est un terme que d’autres personnes utilisent pour décrire et blâmer le fait d’imaginer des complots où il n’y en a pas (pour elles, il ne saurait y en avoir), mais aussi pour disqualifier la pensée critique qui prend pour objet des choses bien réelles, comme la manipulation de masse de l’opinion, les calculs cyniques des élites politiques et économiques et la corruption qui gangrène notre société et nos institutions. Pour ne pas commettre la même erreur que tous ceux qui crient à tort et à travers au complotisme, il importe de ne pas prendre une défense réfléchie et parfois passionnée d’une conception forte et exclusive de la science pour du scientisme. Dans certains cas, une telle conception de la science peut être un remède puissant à opposer au scientisme, en ce qu’elle est incompatible avec les prétentions hégémoniques et non fondées scientifiquement du scientisme.

Dans l’état actuel de mes observations et de mes réflexions, voici les principales caractéristiques du scientisme dans la situation actuelle. À noter qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. D’autres caractéristiques existent sans doute, et on pourrait les repérer en poursuivant la réflexion que j’entame ici.

  1. Le scientisme considère la connaissance scientifique comme la forme de connaissance par excellence de la « crise sanitaire » actuelle, la seule qui permettrait d’avoir une idée juste d’elle. Les autres formes de connaissance non strictement scientifiques doivent donc s’appuyer sur des études scientifiques et même être subordonnées à la connaissance scientifique. Ou encore elles sont écartées du revers de la main, comme inexistantes, fausses, simplistes, biaisées, invérifiables, etc.

  2. Le scientisme pose que la prise de décision politique et la « gestion de la crise sanitaire », qui dépassent largement l’objet des études scientifiques, doivent s’appuyer seulement sur des connaissances scientifiques reconnues. Soit les décisions politiques sont prises par les dirigeants politiques et bureaucratiques en fonction des recommandations des comités d’experts scientifiques (ou de ce qu’ils croient en comprendre), soit les décisions sont prises derrière des portes closes par ces comités et les dirigeants bureaucratiques et politiques ne font qu’entériner ces décisions. Il s’ensuit que ce qui ne constitue pas un objet de connaissance scientifique – comme tous les aspects moraux, sociaux, politiques et économiques – est secondaire dans la « gestion de la crise » et n’est pas pris en compte dans la prise de décision, ou du moins l’est très peu. Le scientisme ne fait pas seulement que dicter et imposer les vérités soi-disant scientifiques, mais il détermine aussi ce qui est important et pertinent et ce qui ne l’est pas pour la prise de décision.

  3. Le scientisme a des partisans qui ne sont pas des scientifiques, comme le christianisme a des fidèles qui n’appartiennent pas au clergé. Ce peut être des citoyens, des employés, des employeurs, des journalistes, des enseignants ou des professeurs, des intellectuels, des professionnels de la santé, des administrateurs de la fonction publique et des dirigeants politiques, qui veillent à la diffusion et à l’application des connaissances scientifiques reconnues dans toute la société, ainsi qu’à la protection de l’orthodoxie scientifique sur la « pandémie ».

  4. Le scientisme implique une conception dogmatique de la science. Même quand les défenseurs du scientisme reconnaissent que les connaissances scientifiques sur le virus et les moyens de lutter contre lui changent, il n’en demeure pas moins vrai, à leurs yeux, qu’il faut se conformer à ce qui ferait consensus à tel moment dans la communauté scientifique. Pour ces dogmatiques, point de science sans un tel consensus. À l’exception des autorités scientifiques reconnues qui peuvent faire évoluer les connaissances scientifiques qui feraient consensus dans la communauté scientifique, les scientifiques et les médecins doivent régler leurs paroles et leur pratique de la science ou de la médecine sur les connaissances scientifiques reconnues qui feraient consensus dans les milieux scientifiques et médicaux. Quant aux profanes qui oseraient douter de ce consensus en usant de leur propre jugement ou en s’appuyant sur des autorités scientifiques et médicales non reconnues et même hérétiques, ce seraient des ignorants qui n’entendent rien à la science, qui s’autoproclament experts en virologie ou en santé publique, qui se laissent tromper par de dangereux charlatans, et qui préfèrent les ténèbres de l’obscurantisme à la divine lumière de la Science.

 

Une menace pour la démocratie

Le scientisme n’est pas compatible avec la démocratie. Comment pourrait-il l’être quand les dirigeants politiques élus s’en remettent docilement à ce qui parvient à passer pour un consensus scientifique pour prendre les décisions importantes quant à la « crise sanitaire », lesquelles ont évidemment des effets sur l’ensemble de notre société et les moindres détails de notre vie ? Comment pourrait-il l’être quand les journalistes eux-mêmes, au lieu d’informer le public des positions scientifiques divergentes, diffusent comme des vérités scientifiques indiscutables les mesures sanitaires que le gouvernement nous impose, informent le public de la publication des principales études qui appuient ces dogmes (souvent sans les avoir lues ou sans les comprendre), et ignorent ou dénigrent les scientifiques et les médecins qui ne sont pas du même avis ? Comment pourrait-il l’être quand les citoyens, eux aussi scientistes, adhèrent à l’orthodoxie scientifique imposée par le gouvernement et les médias, renoncent à l’exercice de leurs droits politiques et à leurs libertés individuelles, et acceptent de remettre leur destin individuel et collectif entre les mains des dirigeants politiques et bureaucratiques qui gouvernent selon ce qui passe pour consensuel dans la communauté scientifique ?

Voilà ce qui arrive alors :

  1. Le gouvernement peut déclarer l’état d’urgence sanitaire et le faire durer plus d’un an (on n’en voit pas encore la fin) en s’appuyant sur des études soi-disant scientifiques dont il devient de plus en plus difficile de remettre en question la validité en raison de ce que la population a enduré en leur nom. Il gouverne alors par décrets et par arrêtés pour tout ce qui concerne directement ou indirectement la « gestion de la crise sanitaire ».

  2. Même si les auteurs des études scientifiques qui s’imposent comme des dogmes n’ont aucune compétence particulière en ce qui concerne la politique, le droit, les relations sociales, la culture, l’éducation et l’économie, ce sont tous les aspects de notre société qui sont subordonnés aux dogmes soi-disant scientifiques et bouleversés par les mesures sanitaires qui découleraient nécessairement d’eux. Qu’importent toutes ces choses aux spécialistes scientistes de la Santé publique, de la virologie, de l’épidémiologie et de l’infectiologie. Leur science ne porte pas sur elles, et il ne saurait y avoir de vraie science d’elles, comme il y aurait une science du virus et de la « pandémie ». Ce sont donc là des choses de second ordre pour ces scientistes de profession. Qu’importent aussi toutes ces choses aux dirigeants politiques et bureaucratiques, qu’ils soient sincèrement scientistes dans leur « gestion de la crise sanitaire » ou qu’ils instrumentalisent le scientisme ambiant pour exercer plus facilement les pouvoirs exceptionnels dont ils disposent en raison de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire.

  3. Les membres de l’Assemblée nationale, même quand ils appartiennent à des partis d’opposition, acceptent l’ingérence du scientisme en politique et consentent à son instrumentalisation politique à laquelle ils participent aussi bien que le gouvernement, en vue des élections à venir et de la couverture journalistique de leurs interventions. Les critiques qu’ils adressent au gouvernement reviennent généralement à dire qu’il n’en fait pas assez pour tenir compte des vérités scientifiques établies et pour appliquer dans toute leur rigueur les mesures sanitaires que la science exigerait. Ils rivalisent donc avec lui et entre eux pour savoir qui se conformera le plus aux impératifs scientistes en matière de santé publique. Il aurait fallu confiner plus rapidement et déconfiner moins rapidement ; s’approvisionner plus tôt en masques et en rendre le port obligatoire dans les lieux publics plus tôt ; il n’aurait pas fallu ouvrir les bars, les restaurants et les gyms ; la levée des barrages entre les régions aurait été prématurée ; la campagne de vaccination aurait dû être mieux organisée ; etc.

  4. Les journalistes vont encore plus loin et rivalisent de zèle sanitaire et d’orthodoxie scientiste avec le gouvernement et entre eux. Ils réclament qu’on inflige des amendes aux récalcitrants ; qu’on accorde des pouvoirs supplémentaires aux policiers pour qu’ils puissent entrer plus facilement dans les domiciles privés et y faire respecter les mesures sanitaires ; qu’on exclue de certains lieux et de certaines activités ceux d’entre nous qui refuseront de se faire vacciner ; qu’on prenne des mesures pour censurer ceux qui diffusent des théories « complotistes » ; etc. Le tout sur un ton péremptoire qui exclut toute discussion, car ils croient savoir ce qu’est la vérité scientifique et s’imaginent que c’est leur mission ou leur boulot de la diffuser et de l’imposer aux esprits, comme l’exigent d’ailleurs d’eux leurs employeurs, en échange de leur salaire.

  5. La population (on ne saurait plus parler de citoyens au sens fort du terme) en est réduite à l’obéissance et à la passivité, dont le gouvernement, les journalistes et elle-même font des vertus. Pas question pour elle de s’informer ailleurs qu’aux sources officielles gouvernementales et aux sources médiatiques approuvées, qui diffuseraient toutes les informations dont elle a besoin pour bien comprendre la situation. Pour le reste, qu’elle se fie aux experts reconnus et au gouvernement. Tout au plus lui demande-t-on de rappeler à l’ordre ceux de leur entourage qui n’adhèrent pas aux dogmes scientistes et aux mesures sanitaires qui découlent d’eux et, si nécessaire, de les dénoncer aux forces de l’ordre.

Compte tenu de tous ces facteurs, la démocratie n’existe plus que de nom dans notre société. Le pouvoir politique est exercé de manière autocratique, en s’appuyant sur des dogmes scientistes prétendument indiscutables. Les médias entravent, empêchent et sabotent même le débat public ; ils inculquent à la population les dogmes scientistes et le respect des mesures sanitaires. Les citoyens sont devenus de simples sujets qui ne participent plus aux délibérations politiques ou, pour mieux dire, des fidèles du scientisme ambiant, ou simplement ses jouets.

Les blessures infligées à notre démocratie par l’état d’urgence sanitaire et le scientisme sur lequel il est fondé sont considérables. Si cet état d’exception se prolonge encore plusieurs mois ou quelques années, et si le scientisme accroît son emprise sur notre société, nos institutions et notre esprit, il est à craindre que ces blessures deviennent incurables.

 

Une menace pour la science

Comme toutes les recherches qui ont pour objectif la connaissance de la vérité, les recherches scientifiques exigent une grande liberté. Les pistes de recherche incompatibles avec ce qui passe, à tort ou à raison, pour le consensus scientifique ne doivent pas être exclues d’emblée, et doivent pouvoir être explorées. Ces recherches doivent pouvoir être discutées ouvertement et librement, mises à l’épreuve et confrontées aux recherches concurrentes. C’est ainsi que la science peut progresser et rectifier ses erreurs. La non-conformité à un prétendu consensus scientifique, si elle suffisait pour disqualifier des recherches scientifiques, sonnerait le glas de la recherche scientifique et, du même coup, de la science.

Il n’y a pas d’immaculée conception scientifique. Les scientifiques ne sont pas de purs esprits qui, en appliquant la méthode scientifique, s’élèvent au-dessus du monde pour l’étudier en adoptant un point de vue purement objectif. La science ne se fait pas dans une tour d’ivoire. La concurrence est féroce dans les milieux scientifiques, qu’on travaille dans des centres de recherche publics ou universitaires, ou qu’on travaille pour des laboratoires privés. Les compétences scientifiques, la rigueur intellectuelle et l’intégrité ne sont certainement pas les seules qualités qui déterminent la réussite des chercheurs ; peut-être ne sont-elles pas même les principales qualités qui importent. Dans des domaines où la recherche dépend du financement obtenu, beaucoup en sont réduits à vendre leurs projets de recherche aux bailleurs de fonds publics ou privés ou à participer à des recherches pilotées par des laboratoires privés, notamment en pharmaceutique. Pour qui dispose de compétences scientifiques médiocres ou moyennes, une attitude conformiste et carriériste est un atout considérable pour réussir à faire sa place. Et la recherche scientifique en prend assurément un coup. Il est dans l’intérêt des chercheurs ainsi financés de faire des recherches et d’obtenir des résultats qui sont compatibles avec les intérêts de ceux qui financent leurs recherches ou qui les emploient.

La situation se dégrade encore plus quand on connaît une dérive scientiste, comme c’est le cas actuellement. Comme je l’ai dit plus haut, le scientisme peut compter de nombreux adeptes et fidèles qui ne sont pas des scientifiques. Il est alors encore plus difficile de rectifier une erreur, une conclusion ou des études falsifiées, et de faire reconnaître des découvertes qui heurtent les dogmes scientistes largement diffusés en dehors des milieux scientifiques, et même dans l’ensemble de la société, par l’action concertée des autorités politiques et bureaucratiques et des journalistes. Les dirigeants politiques et bureaucratiques ont tiré profit du dogmatisme scientiste et l’ont alimenté pour s’accorder à eux-mêmes des pouvoirs exceptionnels les rendant capables d’imposer des politiques très contraignantes à l’ensemble de la population et de la priver d’une partie importante de ses droits et de ses libertés ; et pour légitimer des mesures sanitaires aux effets très nuisibles pour la santé physique et psychologique, pour l’économie, pour l’éducation et pour la culture. On a infligé trois confinements à toute la population, le port du masque obligatoire dans les lieux publics et maintenant on la vaccine massivement, y compris les personnes en bonne santé et peu à risque de développer des formes graves de la maladie. Les enjeux sont donc beaucoup plus grands que quand il s’agit des effets secondaires du traitement d’une maladie plus ou moins rare. Assurément les dirigeants politiques et bureaucratiques, après s’être engagés sur cette voie rendue possible par cette montée du scientisme, ne sauraient certainement prendre en considération des recherches qui remettent en question la pertinence et l’utilité de ces mesures. Ils perdraient toute crédibilité et ils donneraient des armes aux regroupements de citoyens et de juristes qui les poursuivent devant les tribunaux. Les scientifiques assez courageux pour aller à contre-courant sont alors systématiquement ignorés par les autorités. Quand cela n’est pas possible, ils s’exposent à toutes sortes de pressions, à des rappels à l’ordre, à des sanctions disciplinaires et à des campagnes médiatiques de dénigrement, car les journalistes – eux aussi des agents du scientisme, dont ils ont contribué à diffuser les dogmes et à les faire accepter à la population – ont tout intérêt à ce qu’on n’attaque pas les dogmes scientistes grâce auxquels on asservit la population depuis plus d’un an. C’est toute une vision de la « pandémie » qui en viendrait peut-être à s’écrouler si on laissait faire ces scientifiques dissidents et si on discutait librement et ouvertement les résultats de leurs recherches.

C’est ainsi que le scientisme peut avoir pour effet que des autorités politiques et bureaucratiques, des experts autorisés de deuxième ordre (ou pire encore) et des journalistes dictent ce qu’est la vérité selon la Science, et déclarent que des scientifiques beaucoup plus compétents qu’eux sont des incompétents ou des charlatans qui diffusent des idées criminelles. L’ingérence scientiste dans la politique et dans l’organisation de la vie des individus se retourne contre la science. Elle devient un instrument d’oppression et de répression, au nom duquel les scientifiques eux-mêmes peuvent être opprimés et réprimés. Et plus les dogmes scientistes sont scandaleux par leur fausseté et leurs effets nuisibles, plus la répression contre la pratique libre de la science sera forte et systématique, avec l’accord de la majorité de la population qui souffre des mesures sanitaires imposées au nom du scientisme ambiant, et pour laquelle il serait difficilement supportable de réaliser qu’elle a souffert en vain.

Heureusement, il y a des scientifiques qui tiennent à leur liberté de recherche, tout comme il existe des citoyens qui tiennent aux institutions démocratiques, à leurs droits politiques et à leurs libertés, même s’ils sont minoritaires dans les deux cas.

La meilleure défense contre le dogmatisme scientiste et ses atteintes à la liberté scientifique, c’est la défense des institutions démocratiques, ainsi que des délibérations politiques et du débat public libres que ces institutions exigent pour exister véritablement. Les citoyens et les rares intellectuels et députés pour lesquels la démocratie n’est pas un vain mot ne sauraient tolérer l’ingérence politique du scientisme et une conception dogmatique de la science, qui empêchent toute discussion et prétendent guider de manière autocratique la prise de décision politique. C’est là l’antithèse même de la démocratie. Voilà presque quinze mois que nous en faisons quotidiennement l’expérience.

À l’inverse, la meilleure défense de la démocratie contre l’ingérence politique du scientisme, c’est la défense d’une conception non dogmatique de la science dans les milieux scientifiques. Je veux dire non dogmatique dans deux sens : d’abord, au sens où l’on ne prétend pas imposer comme des vérités indiscutables les résultats de certaines recherches et où la pluralité des positions scientifiques est non seulement tolérée, mais jugée indispensable à la pratique non dogmatique de la science ; ensuite, au sens que les connaissances véritablement scientifiques ne sont pas la seule chose ou même la principale chose à prendre en considération dans la prise de décision politique, notamment en ce qui concerne la « gestion d’une crise sanitaire ». Le dogmatisme scientiste pourrait alors plus difficilement se subordonner le pouvoir politique ou être instrumentalisé par lui, au détriment des institutions démocratiques et des droits et libertés des citoyens.

Ce sont donc là deux aspects complémentaires d’un même combat.

 

Une menace pour la médecine

La médecine n’est pas une science. Ce qui ne signifie pas qu’elle n’a rien à voir avec la science. C’est un art ou une pratique qui vise à guérir les maladies et à améliorer la santé, lequel s’appuie sur des recherches scientifiques. Ainsi il serait abusif de considérer les médecins généralistes, les médecins urgentistes ou les médecins intensivistes que nous consultons ou qui nous soignent comme des chercheurs et des scientifiques. S’il arrive que certains médecins (surtout des spécialistes) fassent de la recherche scientifique (en oncologie ou en cardiologie, par exemple), c’est parce qu’ils sont rattachés à des instituts hospitaliers où l’on fait aussi de la recherche.

Il est entendu que les médecins ne sont pas de simples exécutants qui appliquent simplement les découvertes scientifiques en matière de traitements médicaux. Ils ont à tenir compte de l’état de santé et des antécédents médicaux de chaque personne, ainsi que de leurs observations et de leur expérience, pour choisir le traitement le plus approprié parmi ceux autorisés, c’est-à-dire celui dont le rapport bénéfices-risques est le plus avantageux pour chaque personne, le tout en informant le malade et en obtenant son consentement éclairé, du moins quand son état de santé le permet. À mon sens, on ne peut pas parler de libre pratique de la médecine quand cette liberté fait défaut.

Le dogmatique scientiste, qui profite de la « crise sanitaire » actuelle pour se subordonner des sphères de la société qui n’entretiennent pas de liens étroits avec la science, n’épargne certainement pas la médecine, où l’on trouve de surcroît des praticiens qui adhèrent au scientisme qui légitime leur profession et leurs actes médicaux aux yeux du public et à leurs propres yeux. En fait, le dogmatisme scientiste, c’est la mort de la médecine comme pratique libre et réfléchie de l’art de soigner.

La médecine perd grandement en autonomie quand les autorités politiques, bureaucratiques et sanitaires décrètent d’emblée – conformément à ce qui ferait consensus dans la communauté scientifique et à ce qu’auraient montré indubitablement des recherches qui feraient autorité – l’inexistence ou l’impossibilité d’un remède efficace et sécuritaire contre la COVID-19, surtout s’il est peu coûteux et accessible librement. Les médecins doivent alors se conformer à ce prétendu consensus scientifique imposé par des dirigeants et aussi par des journalistes qui n’ont jamais pratiqué la médecine. Non seulement les médecins doivent éviter de soigner les malades à l’aide d’un traitement préventif que d’autres recherches scientifiques disent peu risqué et efficace pour empêcher les complications, mais ils doivent aussi éviter de faire des déclarations publiques favorables à ce traitement. C’est le Collège des Médecins qui exige d’eux qu’ils ne disent rien publiquement qui va à l’encontre du sacro-saint consensus imposé à la pratique de la médecine par le scientisme dogmatique ambiant, lequel s’ingère dans la pratique de la médecine en imposant aux praticiens l’obligation de ne pas prendre en charge de cette manière les personnes à risque diagnostiquées de la COVID-19, qui finissent parfois par avoir de graves complications qu’il est difficile de soigner. À la suite de ce déni de soins, nos autorités politiques et sanitaires déplorent l’augmentation des hospitalisations et les fortes pressions qui seraient exercées sur notre système de santé (au point de devoir faire du délestage pour ne pas s’effondrer, dit-on), lequel est d’ailleurs régulièrement saturé par la grippe saisonnière, soit dit en passant.

Les médecins qui prennent au sérieux leur profession n’ont assurément rien à gagner à la montée en puissance du dogmatisme scientiste. C’est en son nom qu’on les empêche de soigner de manière préventive les personnes à risque diagnostiquées de la COVID-19 et que – délestage oblige – on les empêche aussi de traiter ou d’opérer les personnes atteintes d’autres maladies. Et c’est aussi au nom de ce dogmatisme scientiste qu’on leur impose un silence qui permet aux autorités politiques et sanitaires d’imposer à la population québécoise une discipline hospitalière digne d’un lazaret et d’exercer le pouvoir politique d’une manière si autocratique que nous avons l’impression de vivre dans un immense pénitencier.

Si les médecins n’avaient pas dû régler leur pratique en fonction des dogmes scientistes et avaient pu soigner librement les personnes à risque au lieu d’attendre qu’elles aient de graves complications, certainement nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. La population aurait fini par comprendre que la gravité de la « pandémie » a été fortement exagérée et qu’elle ne justifie aucunement des entorses au fonctionnement des institutions démocratiques et des atteintes aux droits et aux libertés des citoyens. C’est pourquoi la liberté médicale constitue une protection contre les dérives scientistes en politique. D’où la nécessité, pour les défenseurs de la démocratie, de lutter contre l’ingérence scientiste en médecine et d’assurer aux médecins une plus grande liberté dans l’exercice de leur profession, afin d’éviter que l’actuelle « crise sanitaire » ne se perpétue d’hiver en hiver, ou qu’une nouvelle « crise sanitaire » ne se produise d’ici quelques années.

 

À quand une alliance ?

Une alliance s’impose donc entre les citoyens et les intellectuels du Québec qui ont la démocratie à cœur, les scientifiques pour qui la liberté de recherche n’est pas un vain mot, et les médecins qui prennent au sérieux leur profession. Il est dans notre intérêt commun d’unir nos forces pour secouer le joug du scientisme.

Sinon, nous devrons nous accommoder tant bien que mal de la société que sont en train de façonner pour nous les adeptes du scientisme, et à laquelle nous aurons consenti par notre silence et notre inaction.