Pourquoi faire confiance aux organismes gouvernementaux ?

Nous aurions tort de sous-estimer le rôle important que jouent les organismes gouvernementaux dans l’administration des affaires publiques, de manière générale, et plus particulièrement pendant la crise actuelle. Ces institutions, ainsi que les employés de l’État qui y travaillent (fonctionnaires et cadres), survivent aux législatures et aux gouvernements qui se succèdent. Autrement dit, ils assurent une sorte de permanence dans les affaires publiques, alors que les ministres, eux, vont et viennent au gré des élections et des remaniements ministériels. Les règles et les normes en vigueur dans ces institutions déterminent donc grandement ce qui est réalisé dans de nombreux domaines (l’éducation, la recherche, la santé, la culture, les télécommunications, la sécurité publique, les transports, les finances, l’économie, l’innovation technologique, l’agriculture, l’alimentation, la gestion des ressources forestières et minières, la famille, la retraite, etc.), de même que ce qui peut être dit ou non au grand public à propos des raisons qui motivent les décisions prises et de leurs impacts sur nos vies.

Nous pourrions nous demander si ces décisions servent l’intérêt public (celui de la société et celui des individus, qui ne sont pas des choses distinctes), afin d’évaluer la confiance que nous pouvons raisonnablement avoir en ces institutions. Pour ne pas faire des suppositions à tort et à travers, il faudrait que nous tous, qui pour la plupart ne sommes pas des fonctionnaires, ayons une connaissance assez précise de ce qui s’y passe. Mais en raison de l’opacité inhérente à nos bureaucraties, cela n’est évidemment pas le cas. Paradoxalement, nous pourrions dire que ce manque de transparence est leur caractéristique la plus visible pour nous. C’est donc à partir de cette caractéristique, et d’une situation où l’on a voulu punir une fonctionnaire pour avoir fait preuve de transparence à l’égard des citoyens, que nous nous demanderons dans quelle mesure ces institutions sont dignes de confiance, avant et après la venue du Virus. Comme ce sont des organismes censés exister pour servir l’intérêt public, et censés devoir faire preuve d’une grande transparence pour que les citoyens puissent savoir s’ils ne sont pas à la hauteur de leur mission, le fait de manquer de transparence change du tout au tout le rapport que nous avons avec elles.

Peut-être vous souvenez-vous de Louis Robert, l’agronome du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) qui, en 2019, a été congédié pour avoir divulgué à des journalistes des renseignements sur l’ingérence de lobbyistes dans la recherche publique sur les pesticides, le tout après avoir essayé de faire les choses dans les règles, à l’interne, en suivant la procédure de divulgation des actes répréhensibles en vigueur dans la fonction publique, ce qui lui a valu d’être lui-même dénoncé à ses supérieurs par la fonctionnaire chargée de recevoir sa divulgation. Même si Louis Robert a été réintégré dans ses fonctions six mois plus tard – à la suite de l’intervention du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, la médiatisation de l’affaire, les critiques de l’opposition et la publication d’un rapport accablant de la Protectrice du Citoyen –, on comprendra que pour chaque fonctionnaire qui a le courage de parler, il y en a beaucoup qui se taisent pour s’éviter des ennuis et des sanctions disciplinaires, et ne pas mettre en péril leur carrière.

En effet, le Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique muselle littéralement les fonctionnaires (chapitre II, art. 8) :

« Le fonctionnaire qui se propose de publier un texte ou de se prêter à une interview sur des questions portant sur des sujets reliés à l’exercice de ses fonctions ou sur les activités du ministère ou de l’organisme où il exerce ses fonctions doit préalablement obtenir l’autorisation du sous-ministre ou du dirigeant de l’organisme. »

Dans la pratique, l’autorisation des supérieurs semblent suffire, tel qu’indiqué dans la brochure sur l’éthique dans la fonction publique (partie 1, section 4, p. 10).

De telles autorisations des supérieurs ne doivent évidemment pas être accordées souvent quand il s’agit de divulguer au public une information que l’organisme a décidé de ne pas rendre publique, ou quand il s’agit d’exprimer une position divergente à celle adoptée par cet organisme, ou même de critiques quant à des activités répréhensibles ou scandaleuses qui y auraient lieu.

Toujours dans la même brochure (p. 10), on précise ceci :

« L’obligation de discrétion signifie que le fonctionnaire doit garder secrets les faits ou renseignements dont il prend connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et qui revêtent un caractère confidentiel. Cette obligation signifie également que le fonctionnaire adopte une attitude de retenue à l’égard de tous les faits ou renseignements qui, s’il les dévoilait, pourraient nuire à l’intérêt public, à l’autorité constituée, au bon fonctionnement de l’administration publique ou porter atteinte à la vie privée de citoyens. »

Je ne discute pas la fin de la dernière phrase, avec laquelle je suis entièrement d’accord : les fonctionnaires devraient être très soucieux de protéger la vie privée des citoyens, pas seulement en ce qui concerne la divulgation de renseignements confidentiels à l’extérieur des organismes gouvernementaux, mais aussi en ce qui concerne la collecte et la circulation de telles informations au sein de ces organismes, qui pourrait constituer une ingérence de l’État dans la vie privée des citoyens. On ne saurait trop insister sur ce point. Il faudrait même aller plus loin, et ne pas faire du problème une question d’éthique pour les fonctionnaires. Il faudrait légiférer pour réduire au minimum les informations que les organismes publics ont le droit de collecter à propos du citoyen, ce qui réduirait du même coup les risques d’atteinte à la vie privée qui pourraient résulter de la négligence, de l’incompétence, du manque de discrétion ou de la corruption de certains fonctionnaires.

Mais tout est beaucoup moins clair quand il s’agit d’un renseignement dont la divulgation serait nuisible à l’intérêt public, à l’autorité constituée et au bon fonctionnement de l’administration publique. En effet, il est vraisemblable qu’un fonctionnaire qui déciderait de divulguer des informations que les cadres de l’organisme dans lequel il travaille ont décidé de ne pas rendre publiques ou de dissimuler, le ferait précisément parce qu’il croirait ainsi servir l’intérêt public et contribuer au bon fonctionnement de l’administration publique, même s’il pouvait ainsi nuire à l’autorité constituée, qui est d’un autre avis à ce sujet. En donnant aux gestionnaires le droit de sévir en de semblables circonstances, selon leur compréhension de ce qu’est l’intérêt public et le bon fonctionnement de l’administration publique, on prive les citoyens des renseignements qui permettraient de juger en connaissance de cause de cette compréhension des gestionnaires de la fonction publique.

Le fonctionnaire qui déciderait de parler malgré tout, s’exposerait à des mesures disciplinaires comme « une réprimande, une suspension ou un congédiement selon la nature et la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer » (Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique, chapitre IV, art. 18).

Et des dispositions semblables doivent s’appliquer aux autres employés de l’État, qui ne sont pas des fonctionnaires à strictement parler, comme les enseignants et le personnel de la santé.

Ainsi beaucoup d’employés de l’État, par crainte des représailles, feront passer leur carrière avant l’intérêt public et ce qu’ils croient être le bon fonctionnement de l’administration publique. Ce qui est non seulement une forme de censure, mais aussi une corruption institutionnalisée des fonctionnaires, qu’on détourne du service de l’intérêt public, qui est subordonné à la compréhension fort discutable – et non discutée – que pourraient avoir leurs supérieurs des intérêts des autorités constituées et de l’administration publique. Voilà un moyen efficace d’assurer l’opacité des institutions publiques, et aussi de les rendre suspectes aux yeux de beaucoup de citoyens. Pourquoi entretiendrait-on cette opacité, si l’on n’avait rien à cacher aux citoyens ?

Dans un article « L’omerta du devoir de loyauté », publié par Patrick Lagacé dans la Presse en février 2020 – époque déjà lointaine où le Virus n’avait pas encore fait perdre la tête à presque tous les journalistes ! –, on peut constater à quel point il est risqué pour les employés de l’État de s’exprimer publiquement (et aussi en privé) sur ce qui se passe dans les ministères, les centres de recherche, les écoles, les hôpitaux et les CHSLD dans lesquels ils travaillent, surtout si cela est d’intérêt public. Les employés de l’État ont parfois obtenu le soutien de leur syndicat, des journalistes, de la population, des partis d’opposition et même la Protectrice du Citoyen, du moins si ce qu’ils avaient à dire était jugé assez important. Tous les autres ont dû – pour leur manque de discrétion et de « loyauté » envers leur employeur – essuyer une réprimande, une suspension ou même un congédiement, pour lesquels on invoquait parfois d’autres raisons, pour éviter de provoquer un tollé.

A-t-on des raisons de croire que la situation s’est améliorée depuis que l’état d’urgence sanitaire a été déclaré ? Bien au contraire, elle s’est probablement aggravée pour tout ce qui nous importe présentement : la gestion de la crise sanitaire.

Croyez-vous qu’un membre du personnel médical ou un fonctionnaire du ministère de la Santé et des Services sociaux qui saurait que la pression que le Virus exerce sur les hôpitaux n’est pas aussi grande que le disent les autorités politiques et sanitaires, et que la manière dont on fait le compte des cas de contamination, des hospitalisations et des décès dus au Virus est pour le moins dire farfelue, oserait s’exprimer à ce sujet publiquement ? Qu’en serait-il si un autre avait constaté l’influence des fabricants et des fournisseurs de tests PCR sur les politiques de dépistage, ou encore l’influence des fabricants et des fournisseurs de masques de procédure sur la décision de la Santé publique de rendre obligatoires le port du masque ou du cache-binette dans les lieux publics fermés ? Ou encore, un épidémiologiste, un virologue ou un médecin-infectiologue qui croirait pouvoir montrer que les mesures prises jusqu’ici pour ralentir la propagation du Virus ont non seulement été inutiles, mais ont même aggravé la situation ? Ou encore un microbiologiste qui aurait des raisons de croire que les « vaccins » qu’on commence à nous injecter impliquent des risques beaucoup trop grands pour les bénéfices qu’on peut raisonnablement en attendre, surtout pour tous ceux qui ne sont pas particulièrement vulnérables au Virus ? Ou encore pire : un autre microbiologiste qui aurait été témoin des pressions des lobbys « vaccinaux » pour qu’on écarte des remèdes pourtant efficaces et peu coûteux, pour qu’on fasse des « vaccins » la seule solution médicale à la crise actuelle, et pour qu’on scénarise la crise de sorte qu’elle aboutisse à la vaccination massive de la population ?

Tout ce beau monde se tairait évidemment, pour ne pas s’exposer aux sanctions de ses supérieurs (et, dans certains cas, de leur ordre professionnel), qui seraient d’autant plus expéditives qu’on tolère encore moins le désaccord et la critique pour tout ce qui concerne le Virus, que les syndicats pourraient décider de laisser tomber ces membres à la réputation nauséabonde, que les partis d’opposition et les journalistes ne se rallieraient vraisemblablement pas de leur côté et pourraient même réclamer des sanctions contre eux et les lyncher publiquement, alors que la Protectrice du Citoyen hésiterait probablement à se mêler d’une affaire aussi sulfureuse.

Alors comment faire confiance à ce que la Santé publique, à l’échelle régionale et à l’échelle provinciale, et aussi au fédéral (la fonction publique canadienne partage probablement cette culture de l’opacité), nous dit dans ses points de presse, dans ses communiqués et dans les documents publiés sur la grande contagion, s’il n’est pas possible aux opposants du secteur de la santé d’exprimer librement leur désaccord ? En pareil cas, l’absence de critiques n’est pas la preuve que la situation est telle que le dit aux citoyens québécois la Santé publique, car ce silence pourrait aussi bien s’expliquer par la crainte des représailles. Autrement dit, cela n’est pas concluant.

À bien y penser, faisons un pas de plus. Ce silence est suspect. Il est fort improbable que tous les employés du secteur de la santé soient d’accord avec les communications adressées au grand public par les organismes dont ils font partie, et avec leur gestion de la crise sanitaire. Cela ne veut pas dire que ce seraient nécessairement les employés qui auraient raison, et que les gestionnaires et les portes-paroles qui auraient tort. Il faudrait en juger à partir des renseignements et des arguments fournis par les deux partis. Le problème, c’est que les gestionnaires s’accommodent de ce manque de transparence et se soustraient ainsi au jugement des citoyens. De fil en aiguille, on en vient à se dire qu’il leur est utile, et qu’ils ont probablement des choses à cacher, notamment à propos de la gestion de la crise sanitaire. Ce que semble confirmer, par exemple, le fait que les avis que donne le directeur national de la Santé publique au premier ministre ne sont toujours pas rendus publics, malgré les demandes réitérées des partis de l’opposition.

Il serait très naïf de se fier aux communications de ces organismes simplement parce qu’ils prétendent s’occuper de notre santé et vouloir notre bien. Et cela pour ces raisons :

  • la population se soucie beaucoup plus de santé que d’autre chose, par exemple l’éducation supérieure et la culture, et il est donc dans l’intérêt de la Santé publique – et pas dans le nôtre – de contrôler ce qui est rendu public avec soin, pour éviter des situations potentiellement explosives ;

  • comme n’importe quel organisme gouvernemental, la Santé publique peut, au lieu de servir l’intérêt public, devenir un parasite qui vit pour son propre compte, et qui s’efforce d’obtenir plus de ressources, plus d’influence, plus de pouvoir au sein du gouvernement et sur la population, pour pouvoir se déployer davantage, ce qui lui permet évidemment de prolonger la crise sanitaire actuelle et d’aggraver le traumatisme qui en résultera pour la majorité de la population québécoise et canadienne.

Au lieu de donner sottement notre confiance à la Santé publique et aux autres organismes gouvernementaux, nous devons nous dire ceci : aussi longtemps qu’il ne sera pas requis de ces organismes de rendre publics beaucoup de documents qui sont maintenant d’usage strictement interne, que nous ne protégerons pas les employés de l’État qui décideraient de divulguer des renseignements ou des documents d’intérêt public, ou qui pourraient exprimer publiquement des critiques contre ces organismes – notamment en abrogeant ou amendant la section de la Loi sur la fonction publique citée plus haut –, rien ne nous permettra de savoir si ces organismes servent bien nos intérêts, ou s’ils servent plutôt leurs propres intérêts, ou encore les intérêts de personnes ou d’entités tierces, et ce, à nos dépens. Ils pourront alors nous garder impunément dans l’obscurité, et n’en faire qu’à leur tête. Il nous arrivera ce que nous méritons, faute d’avoir lutté avec obstination pour obtenir cette transformation pourtant si utile pour nous. Car il ne faut certainement pas s’attendre à ce que les fonctionnaires qui pourraient nous éclairer sur tant de choses cachées et d’intérêt public, sacrifieront leurs intérêts au nom de l’intérêt public, si nous manifestons si peu d’intérêt pour lui, et si nous ne prenons pas aussi la défense de leurs intérêts, ce qui serait d’intérêt public.

Dans l’attente de tels changements dans la fonction publique – ce n’est pas demain la veille qu’ils se produiront –, la seule chose raisonnable à faire pour les citoyens soucieux de l’intérêt public, c’est de se méfier des communications faites par les organismes gouvernementaux, de les passer au peigne fin et d’en faire ressortir l’obscurité, l’imprécision et les incohérences par des critiques exprimées publiquement, pour faire sentir à leurs concitoyens l’importance de la transparence. Si cette attitude antagoniste d’une partie des citoyens ne convient pas aux gestionnaires de la fonction publique, qu’ils entreprennent alors de réformer les organismes qu’ils gouvernent pour en chasser la culture de l’opacité qui y règne, au lieu de réclamer notre confiance comme quelque chose qui leur serait dû. Car la transparence est la condition de la confiance. Il n’y a que les sots – ils sont légion, hélas ! – qui font confiance seulement parce qu’on le leur demande. Ainsi, si ces gestionnaires ne font rien pour remédier à la situation, ils montrent qu’ils s’accommodent fort bien de cette sottise, et que c'est en fait elle qu’ils réclament, et non notre confiance.