Formes concurrentes de prévention (2)

Dans mon billet du 3 juillet 2022, j’ai présenté des formes de prévention dont l’objet est la santé et la sécurité, mais qui sont compatibles avec la liberté et les droits des individus, et grâce auxquelles on ne dresse pas ces derniers, de manière calculée ou sans s’en apercevoir. Dans ce billet, le dressage est plutôt ce qu’il s’agit de prévenir. On verra que les formes de prévention visant à empêcher le dressage entrent souvent en conflit avec les formes de prévention qui ont pour but, nous dit-on, de protéger les enfants et les adultes contre le virus, puisqu’elles peuvent avoir des effets moraux, sociaux et politiques désastreux, surtout dans des sociétés qui sont ou qui se prétendent démocratiques. Toutefois, on aurait tort de croire que ce conflit a commencé avec l’arrivée du virus. Si les mesures préventives contre le virus ont pu s’imposer si facilement malgré le fait qu’elles nous dressent, c’est que d’autres formes de dressage existaient déjà dans ces milieux sociaux, par exemple les écoles, où l’on serait pourtant censé éduquer les enfants, les adolescents et les adultes, et non les dresser.

 

Prévention du dressage dans les écoles primaires et secondaires avant l’arrivée du virus

Les écoles primaires et secondaires n’ont pas seulement pour fonction d’instruire les enfants et les adolescents, mais aussi de les transformer moralement et socialement. Le problème, c’est que la manière dont on effectue cette transformation fait très rarement l’objet d’un débat public et, à ma connaissance, n’est même pas discutée sérieusement par les enseignants et les spécialistes de la pédagogie, soit que cette transformation reste dans l’ombre et échappe par conséquent à l’examen critique, soit qu’elle s’impose dogmatiquement et ne saurait donc être discutée. Le risque de dressage étant considérable quand on ne prend pas activement et de manière réfléchie des mesures préventives pour le réduire, il est vraisemblable que les méthodes et les programmes d’enseignement et l’organisation de la vie dans les écoles primaires et secondaires contribuent davantage à dresser les enfants et les adolescentes qu’à les éduquer au sens fort du terme, c’est-à-dire les aider à développer leurs aptitudes intellectuelles et leur caractère afin qu’ils puissent devenir des adultes autonomes et des citoyens capables de participer activement à la délibération politique.

N’étant pas moi-même enseignant et n’ayant pas une connaissance de détail de ce qui se fait dans les différentes écoles du Québec, et encore moins dans les autres provinces canadiennes et dans les autres pays occidentaux, mes analyses porteront sur ce qui me semble, en tant qu’observateur extérieur, le plus répandu. Si je vois juste, cela aura l’avantage de pouvoir s’appliquer à l’enseignement dispensé dans de nombreuses écoles, au Québec et peut-être ailleurs. Ceux de mes lecteurs qui enseignent ou qui ont fréquenté les milieux d’enseignement pourront poursuivre ces analyses et les adapter aux particularismes régionaux ou nationaux.

Même si je comprends qu’il faut une certaine discipline scolaire pour que les enfants puissent apprendre quelque chose, je crois qu’il faut insister sur le danger de dressage des enfants et des adolescents. Car il y a discipline et discipline. Je suis assez âgé pour avoir pu observer des transformations de la discipline scolaire, d’autant plus que j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans un petit village très éloigné des grandes villes et où les nouvelles mœurs qui s’imposent dans les villes prennent du temps à arriver. Bien que les châtiments physiques n’aient plus été en vigueur dans les écoles que j’ai fréquentées il y a 35 ou 40 ans, l’attitude des enseignants, surtout les plus vieux, pouvait être très ferme à l’égard des élèves et même comporter une certaine agressivité, qui se manifestait parfois par des remarques tranchantes, des jurons, des crises de colère et des punitions expéditives. Les enseignants n’étaient pas toujours doux avec leurs élèves et n’essayaient pas d’être une deuxième maman ou un deuxième papa. Dans certains cas, les élèves pouvaient les craindre. D’un autre côté, cette attitude relativement dure des enseignants à l’égard des enfants développait chez eux une certaine force de caractère, car bien sûr ils ne se tenaient pas tranquilles simplement parce que les enseignements menaçaient de les punir en leur donnant des devoirs supplémentaires ou parce qu’ils se fâchaient. Un jeu très populaire chez les enfants consistait à jouer de petits tours à leurs enseignants, par exemple en mettant des punaises sur leur chaise ou en sabotant cette dernière, en cachant les cahiers de réponses des exercices dont plusieurs dépendaient et, chez les plus vieux, à leur faire la réplique et à leur poser des questions embarrassantes afin de mettre en évidence les limites assez étroites de leur savoir et même essayer de les tourner en bourrique. En réponse, les enseignants pouvaient affirmer leur autorité en ridiculisant les mauvais plaisants ou en leur jouant des mauvais tours pour leur apprendre à faire les malins, par exemple. Tout cela était de bonne guerre. Ni les enseignants ni les élèves ne songeaient sérieusement à s’en plaindre. Cela faisait même partie de l’agrément d’enseigner et d’aller à l’école. Un peu comme les bousculades et les bagarres avec des camarades qui, s’ils pouvaient résulter en des punitions plus ou moins sévères, ne suscitaient pas l’indignation des enseignants et de l’administration scolaire. Cela faisait simplement partie de la vie dans les écoles et de l’apprentissage qui y avait lieu.

Depuis quelques décennies, cette discipline un peu brutale par moments a été progressivement remplacée par une discipline plus douce et plus insidieuse, et qui n’apparaît donc pas sous son véritable jour. Alors que le caractère de l’ancienne discipline, malgré des défauts certains, portait surtout sur les actes ou les comportements et avait au moins la vertu de développer un certain esprit d’opposition directe ou indirecte, la nouvelle discipline s’enracine souvent dans les cœurs sans qu’on la remarque ou la reconnaisse pour ce qu’elle est. Les enseignants ne peuvent plus recadrer leurs élèves quand ils les empêchent de donner leurs cours sans courir le risque d’être l’objet d’une plainte des parents et d’une réprimande par l’administration scolaire. Cependant, on a assisté à une pathologisation des comportements des enfants turbulents et incapables de rester sagement assis pendant des heures : on les diagnostique de troubles de déficit de l’attention et d’hyperactivité (TDAH), et on les drogue pour les empêcher d’avoir même l’envie d’être agités. Il en faut bien peu pour être considéré et traité comme un TDAH, et devenir une sorte de zombi docile et assoupi, à la cervelle et au caractère ramollis, à cause de la médication.

À cela il faut ajouter la surveillance plus grande et plus constante à laquelle sont soumis les enfants et les adolescents, dans la cour de récréation. Il suffit de passer devant la cour d’une école, durant la récréation, pour voir derrière les grillages plusieurs enseignants ou surveillants épier ce que font et disent les enfants, afin d’éviter les bagarres, l’intimidation, les insultes et tout autre forme de désordre. Si bien que les enfants sentent toujours le poids du regard des adultes, et ne sont jamais laissés à eux-mêmes. Heureusement, les adolescents bénéficient d’un peu plus de liberté pendant l’heure du dîner, d’après ce que j’ai constaté dans une école secondaire près de laquelle je travaille, ce qui ne veut toutefois pas dire qu’on ne les soumet pas à une opération de dressage s’ils sont trop turbulents et indociles, s’ils tiennent des propos qu’on juge insultants pour les autres élèves et s’il leur arrive de se bagarrer. Dans les cas les plus graves, il ne s’agira pas seulement de punir ces élèves en leur donnant des avertissements, en les suspendant ou en les expulsant ; il faudra aussi les soumettre à une sorte de thérapie morale et psychologique, dans l’espoir qu’ils finissent par devenir gentils et obéissants.

Et il y a aussi les horaires de cours très rigides. Les élèves doivent étudier telle matière telle jour, de telle heure à telle heure, dans telle salle de classe, avec tel enseignant qui leur apprendra telles choses, conformément au programme éducatif en vigueur. Je comprends que de jeunes enfants ne sont pas en mesure d’organiser eux-mêmes leur éducation. C’est pourquoi il importe de ne pas les dresser en leur imposant un horaire de cours réglé au quart de tour, dont ils ne pourront pas se passer quand ils seront des adolescents et même des adultes, et où leurs désirs, leurs préférences, leurs aptitudes différentes et leur liberté n’ont presque pas de place. Il est d’autant plus important de prémunir les enfants contre les effets de cette forme de dressage que les enseignants soumis à ces horaires de cours en sont eux aussi prisonniers et par conséquent dressés.

Il serait préférable d’introduire un horaire de cours irrégulier, sujets à des changements imprévus, pour que les enfants ne prennent pas l’habitude d’une routine imposée de l’extérieur, et qui n’est pas sans rappeler la routine asservissante du travail que leurs futurs employeurs leur imposeront cinq jours par semaine, sept ou huit heures par jour, pendant quelques décennies, quand ils seront devenus des adultes qui doivent « gagner leur vie ». Au fur et à mesure que les enfants grandissent et qu’ils deviennent des adolescents, leur autonomie pourrait être cultivée en leur accordant des périodes libres au cours desquelles ils pourraient lire ce qu’ils ont envie de lire, discuter à bâtons rompus avec des camarades ou des professeurs disponibles, s’exercer aux travaux manuels dans des ateliers qui seraient mis à leur disposition, faire des expériences dans des laboratoires, visionner les grandes œuvres du cinéma ou écouter de la musique classique, jouer d’un instrument seul ou avec d’autres, pratiquer un sport, faire une promenade, etc. Pour les adolescents, la présence aux cours serait de moins en moins requise, et on cesserait de prendre les présences comme à l’armée ou comme dans un camp de travail. Les élèves pourraient, à partir de leurs livres ou de leurs manuels, étudier les mathématiques, la physique, la littérature, l’histoire et la géographie, seuls ou avec des camarades, s’ils s’en sentent capables, et demander des explications aux enseignants quand cela serait nécessaire. Dans ces circonstances, ce serait à eux d’évaluer leur compréhension de ce qui est à l’étude, et de faire ce qu’il faut pour comprendre et réussir les examens. Les enseignants ne seraient plus tenus de débiter machinalement la matière à l’étude, et pourraient concevoir leurs cours comme autre chose qu’une transmission de savoirs convenus que les élèves doivent régurgiter aux examens, comme des chiens savants. Au contraire, ceux-ci pourraient servir à stimuler chez les élèves le goût d’étudier par eux-mêmes, seuls ou avec d’autres élèves, et de prendre progressivement en main leur propre éducation.

Faute d’avoir pris des mesures pour prévenir le dressage des élèves par la nouvelle discipline scolaire, la morale de l’enfant sage qu’elle implique et l’uniformisation et le réglage au quart de tour des activités éducatives, ce ne sont pas des adultes autonomes et des citoyens qui sortiront de nos écoles, mais de grands enfants et des sujets dociles.

 

Prévention du dressage dans les écoles primaires et secondaires après l’arrivée du virus

Les formes de dressage qui existent depuis plusieurs décennies dans nos écoles ont préparé le terrain aux pratiques de dressage qui ont vu le jour depuis l’arrivée du virus, et qui ont été appliquées avec beaucoup de rigueur dans les écoles. Il me semble que c’est l’endroit où on a fait preuve du plus de zèle sanitaire après les hôpitaux, les CHSLD et les résidences de personnes âgées. Les enfants n’étant presque jamais affectés par le virus et les enseignants ne constituant pas un groupe particulièrement vulnérable, ce zèle s’explique donc par le fait que les nouvelles formes de dressage sont en fait un prolongement des formes de dressage qui existaient déjà dans les milieux scolaires. Elles relèvent du même désir tatillon de contrôle, du même goût marqué pour la procédure et de la même aversion pour la liberté.

La désinfection compulsive des mains, la pratique de la distanciation sociale, le port du masque à l’intérieur et parfois aussi à l’extérieur, le traçage des contacts, le dépistage, l’isolement préventif des élèves déclarés positifs à la COVID, le confinement de classes ou d’écoles complètes, le télé-enseignement pendant des semaines ou même des mois, et la nécessité d’être vacciné pour participer à certaines activités parascolaires, voilà tant de gestes accomplis régulièrement, je dirais même de rites, grâce auxquels on a dressé et endoctriné les enfants et les adolescents dans les écoles depuis l’arrivée du virus. Car en répétant ces rites, en obligeant les enfants de s’y conformer, en les surveillant pour s’assurer qu’ils le fassent, en prétendant que c’est pour protéger leurs parents, leurs grands-parents et toutes les personnes vulnérables, la discipline sanitaire n’a pas seulement pour objet les comportements des enfants, mais elle porte aussi sur les sentiments et les dogmes qu’impliquent ces comportements. C’est ainsi qu’on inculque aux enfants la nouvelle religion d’État selon laquelle nous serions tous menacés par un dangereux virus, selon laquelle la santé de chacun serait la priorité absolue et l’affaire de tous, selon laquelle les bien-portants devraient vivre comme des malades par solidarité avec les personnes vulnérables, selon laquelle il se serait produit une véritable hécatombe sans les confinements et les mesures sanitaires, selon laquelle c’est la faute des récalcitrants ou des nouveaux variants si le virus continue de se propager, selon laquelle la vaccination à répétition de toute la population serait la seule voie de salut, selon laquelle il faut ostraciser les personnes non vaccinées, sous prétexte de les protéger et protéger les autres, de les inciter à faire leur part et de les punir de ne pas la faire, etc.

Une telle religion a pour principales valeurs le conformisme, la crédulité, l’obéissance et la soumission, qui pourraient convenir à des esclaves en formation, mais certainement pas à des personnes appelées à devenir des adultes autonomes et des citoyens capables de participer activement et intelligemment aux délibérations politiques. Cela fait déjà deux années scolaires complètes qu’on inculque cette religion et ces valeurs aux enfants et aux adolescents. Si ça se poursuit l’année prochaine, l’année d’après et les années suivantes, ce sera toute une génération de fidèles dociles et intolérants qui sera produite par nos écoles. N’ayant pas goûté la plus grande liberté qui existait avant l’arrivée du virus, les autorités politiques et sanitaires pourraient compter sur leur crédulité, sur leur soumission et sur leur zèle pour conserver et étendre leurs pouvoirs exceptionnels, les mesures soi-disant sanitaires qui en découlent et la consolidation d’un régime autoritaire à tendance totalitaire, au sens où il s’ingère dans de nombreux aspects de la société et de la vie des individus, afin d’exercer sur eux une surveillance et un contrôle constants.

Pour prévenir ce dressage des enfants et des adolescents qui constitue une menace pour nos démocraties, les écoles primaires et secondaires devraient être des asiles où les élèves et les enseignants seraient protégées contre la nouvelle religion sanitaire qui prétend se subordonner la politique et qui peut être instrumentalisée par nos dirigeants pour nous soumettre plus facilement. Au nom du principe de laïcité de l’éducation publique, l’inculcation de la religion sanitaire devrait être formellement interdite dans nos écoles et devrait être considérée comme un grave délit. Pour ne pas laisser simplement un vide moral et politique à la suite de cette interdiction – laquelle ne doit pas être comprise comme l’expression d’une neutralité religieuse, morale et politique –, l’éducation publique devrait être caractérisée par un parti pris explicite en faveur de la culture de la liberté et de l’autonomie, et de la formation de citoyens capables de participer activement et intelligemment aux délibérations politiques.

C’est ce pour quoi devraient se battre les enseignants, les administrations scolaires et les parents s’ils avaient à cœur l’éducation des enfants et des adolescents qui leur sont confiés et nos démocraties. S’ils continuaient plutôt à exiger le maintien de la discipline sanitaire dans les écoles sous prétexte de se protéger eux-mêmes contre le nouveau variant du jour, ils montreraient qu’ils sont inaptes à s’occuper de l’éducation des enfants et des adolescents. Les enseignants et les administrateurs des écoles devraient changer de métier ou être déclarés inaptes à la pratique de leur profession, et laisser la place à d’autres qui, s’ils n’ont pas toujours un brevet d’enseignement, pourraient disposer des aptitudes intellectuelles requises et auraient vraiment à cœur l’éducation des enfants et des adolescents. Quant aux parents, c’est plus compliqué : s’ils continuaient à exercer des pressions sur les administrations scolaires pour que les mesures sanitaires soient maintenues indéfiniment dans les écoles, ils devraient aussi être considérés comme inaptes à avoir des enfants et à les éduquer. Mais ce qui est fait est fait : ils ont des enfants et on ne peut pas revenir en arrière. Notre société est ainsi faite qu’à part les coups et blessures et l’inceste, il est très difficile de retirer aux parents inaptes leurs enfants. Puis la Direction de la protection de la jeunesse dépendant directement des autorités politiques et sanitaires, nous ne pouvons pas raisonnablement espérer qu’elle retire à des parents la garde de leurs enfants pour éviter à ces derniers leur zèle sanitaire. Et quand bien même cela arrivait, il est à craindre que les enfants et les adolescents concernés ne s’en porteraient pas mieux. C’est comme si on retirait des enfants à des parents intégristes pour les confier à une organisation qui serait subordonnée à une Église dogmatique et fanatisée. Face à cette impasse, je ne peux que m’exclamer : pauvres enfants !

 

Prévention du dressage dans les collèges et les universités après l’arrivée du virus

Je ne veux pas m’attarder ici longuement sur les formes de dressage qui existaient dans les collèges et dans les universités avant l’arrivée du virus. Il suffit de dire que, les inscrits provenant d’écoles primaires et secondaires où ils ont été dressés, il n’était pas possible de rompre avec ce dressage dans les collèges et les universités. Les étudiants des collèges et des universités s’attendaient souvent à être encadrés tout au long de leur formation, et c’est généralement ce qu’on faisait : beaucoup d’heures de cours et de devoirs (je pense surtout au collège), des évaluations et des travaux à faire régulièrement pour qu’ils ne s’éloignent pas du droit chemin, très peu d’esprit d’initiative des étudiants pour prendre en charge leur propre formation, une grande passivité à l’égard des professeurs et de l’enseignement reçu, une forte tendance à régurgiter ce qui a été dit en classe pour montrer qu’ils savent ce qu’ils sont censés savoir, un arrivisme de plus en plus répandu et de plus en plus précoce requis pour réussir leur carrière académique, le refus des départements de laisser les étudiants de deuxième et de troisième cycles mener librement leurs recherches en exigeant d’eux qu’ils fassent de plus en plus de séminaires et qu’ils se soumettent à des examens rétrospectif et prospectif avant d’entreprendre la rédaction de leur thèse pour être bien certains qu’ils se conforment aux normes académiques qu’on peut difficilement discuter, etc.

Il aurait fallu prendre des mesures préventives contre ces pratiques académiques pour empêcher les étudiants de continuer leur propre dressage dans les collèges et les universités, conformément aux désirs cultivés dans les écoles primaires et secondaires avant l’arrivée du virus. Comme dans ces dernières écoles, les formes de dressage de type sanitaire sont le prolongement des formes de dressage antérieures à l’arrivée du virus. Et pour les étudiants qui viennent tout juste d’obtenir leur diplôme secondaire, elles sont le prolongement des formes de dressage de type sanitaire qu’ils ont connu à la fin de leur scolarité secondaire. Dans l’hypothèse où ce dressage continuerait encore pendant plusieurs années, le dressage qui aurait lieu dans les collèges et les universités s’enracinerait, pour une génération d’étudiants qui n’a connu rien d’autre que le dressage sanitaire dans les écoles primaires et secondaires, dans le terrain qui a été préparé par ce dressage antérieur et par la religion sanitaire et sécuritaire qu’on n’a eu de cesse de leur inculquer. C’est ainsi que les collèges et les universitaires sont déjà des lieux d’inculcation de la nouvelle religion d’État et pourraient le devenir encore plus si l’actuelle « pandémie » se poursuivait encore longtemps ou si les « pandémies » succédaient les unes les autres, presque sans interruption.

Les moyens grâce auxquels on inculque cette nouvelle religion sont semblables à ceux qui sont utilisés dans les écoles primaires et secondaires. Ce qui revient à dresser les grands enfants comme les petits enfants : la désinfection compulsive des mains, la pratique de la distanciation sociale, le port du masque à l’intérieur et parfois aussi à l’extérieur, le traçage des contacts, le dépistage, l’isolement préventif des étudiants déclarés positifs à la COVID, le télé-enseignement pendant des mois ou même des trimestres entiers, et la nécessité d’être vacciné pour participer à certaines activités parascolaires ou pour aller à la bibliothèque. Comme dans le cas des enfants et des adolescents, ce ne sont pas seulement des comportements obligatoires qu’on leur inculque, mais ce sont aussi les sentiments, les valeurs et les croyances qui sont les principes constituants de la nouvelle la religion d’État sanitaire, et dont nous avons dressé une liste non exhaustive dans la section de ce billet sur le dressage dans les écoles primaires et secondaires.

Le maintien et la pérennisation du dressage sanitaire auraient pour conséquence un surcroît d’endoctrinement pour les jeunes adultes scolarisés qui occuperont assez souvent les emplois les mieux rémunérés, qui occuperont des positions d’autorité dans les entreprises et les autres milieux de travail, qui constitueront la prochaine génération d’intellectuels, de scientifiques et de professionnels de la santé, et qui auront la responsabilité d’éduquer les générations futures, en tant qu’enseignants ou parents. Cet endoctrinement serait aggravé – en fait, il l’est déjà – par la tendance présente dans les milieux universitaires qui consiste à vouloir en faire plus, à vouloir ainsi donner l’exemple au reste de la société, et à essayer de se distinguer à peu de frais de la « racaille ignare » par une adhésion plus complète aux diktats des autorités politiques et sanitaires et par un zèle sanitaire accru. On serait donc très loin de l’éducation supérieure qui devrait être donnée dans les universités et qui implique nécessairement la culture de l’intelligence et de la liberté. Si bien qu’il faudrait alors cesser de parler d’éducation supérieure : ce sont il s’agirait, ce serait de l’endoctrinement postérieur qui suivrait l’endoctrinement antérieur fait dans les écoles primaires et secondaires. Ceux qu’on continuerait de considérer comme l’élite intellectuelle, et qui auraient non seulement un diplôme de baccalauréat, mais aussi des diplômes de maîtrise et de doctorat, deviendraient en fait les prêtres et les docteurs de la nouvelle religion d’État, de manière fort semblable aux prêtres et aux doctes scolastiques des siècles passés, qui étaient au service du christianisme. Il va sans dire qu’à part quelques exceptions, cette élite ne serait pas capable et n’aurait pas le désir de remplir la fonction critique qu’on attend d’elle dans une société démocratique, c’est-à-dire bien poser les problèmes sociaux et politiques auxquels nous sommes confrontés et proposer des solutions réalistes et applicables dans un débat public ouvert et libre. Bien au contraire, les membres de cette élite, à supposer qu’elle mérite encore ce nom, entraveraient ou saboteraient ces efforts.

Pour prévenir cette corruption de l’éducation supérieure et ce dressage des élites intellectuelles, il faudrait prendre des mesures pour que les universités, ainsi que les collèges qui préparent les étudiants universitaires, deviennent des asiles où la religion sanitaire ne pourrait pas exercer son emprise sur les corps et sur les esprits, de la même manière que les écoles primaires et secondaires. Comme pour elles, c’est au nom de la laïcité des institutions d’enseignement supérieur et de recherche que la religion sanitaire, nuisible pour la culture intellectuelle et la démocratie, devrait y être interdite, au sens où elle ne devrait pas pouvoir exiger des comportements des étudiants et des professeurs, et des rites quotidiens par lesquels ils montrent qu’ils ont la foi, par lesquels on formate leurs sentiments et grâce auxquels on fabrique des nabots ramollis. Néanmoins, cette religion ne devrait pas y être interdite au sens où elle ne devrait pas être discutée, et où il serait proscrit, pour les professeurs, les chercheurs et les étudiants qui sont des fidèles, de la défendre contre leurs congénères qui sont d’un autre avis. Ceux pour qui cette liberté religieuse serait intolérable, et qui voudraient imposer coûte que coûte leur foi aux autres sous prétexte de protéger leur propre santé et celle des autres (y compris celles des mécréants), devraient reconnaître que l’éducation supérieure, la recherche libre et les études universitaires et collégiales ne sont pas pour eux, et par conséquent ils devraient céder leur place à d’autres personnes qui ont une idée plus élevée de ce que devraient être les élites intellectuelles.

 

Dressage d’une génération et destruction de la démocratie

Quittons les écoles primaires et secondaires, les collèges et les universités. Demandons quels seraient les effets sociaux et politiques du dressage de toutes une génération, à tous les paliers de notre système éducatif, par la religion sanitaire, et ce, pendant des années. Nos cadets endoctrinés, qui n’ont presque rien connu d’autre que la vie sous le règne du virus, en viendraient à représenter une partie toujours plus importante de la population adulte, jusqu’à ce qu’ils deviennent majoritaires. Peu à peu, ce seraient eux qui occuperaient les positions de pouvoir ou d’autorité dans notre société. Puisqu’ils n’auraient que de vagues souvenirs de l’époque « pré-pandémique » et qu’ils n’auraient aucun attachement aux modes de vie que la liberté plus grande rendait possibles, les mesures soi-disant sanitaires seraient non seulement la « nouvelle normalité » pour eux, mais elles seraient la normalité tout court. Non contents d’accepter les formes de dressage que nous connaissons déjà, ils consentiraient à de nouvelles mesures plus strictes, plus dangereuses pour notre liberté et notre bonheur, et plus incompatibles avec la démocratie. Dans certains cas, ils réclameraient même ces mesures, participeraient activement à leur élaboration et à leur application et désireraient la censure et la persécution des dissidents, étant persuadés de sauver par ces moyens l’humanité d’une catastrophe, de rendre le monde meilleur, et de promouvoir la vérité et le bien. La porte serait ouverte à d’autres formes de dressage, sous toutes sortes de prétextes, dont certains s’imposent déjà de plus en plus aux esprits : la guerre contre d’autres micro-organismes, contre les changements climatiques, contre les armes à feu, contre la Russie et plus tard contre la Chine, contre l’homophobie et la transphobie, contre le racisme systémique contre les mâles blancs rétrogrades et privilégiés, etc.

Le résultat serait des sociétés où il serait à peine permis respirer, au sens propre et au sens figuré, où les modes de vie seraient uniformisés et aseptisés, où les conditions d’existence de la démocratie seraient anéanties, et où les serfs à l’esprit détraqué et aux sentiments corrompus constitueraient le plus grand nombre. Ceci, bien sûr, dans l’hypothèse que la maladie sociale qui perdure et qui mute n’en vienne pas à tuer son hôte avant d’atteindre ce stade avancé.

C’est pourquoi les lieux d’enseignement et de recherche sont une position stratégique que les autorités politiques et sanitaires veulent garder sous contrôle grâce à des mesures de dressage plus sévères qu’à bien d’autres endroits. Et c’est pourquoi nous – que nous soyons enseignants, professeurs, chercheurs, chargés de cours, étudiants, intellectuels indépendants ou citoyens – devons être prêts à nous battre pour déloger les autorités politiques et sanitaires de ces positions stratégiques, et pour mettre en place des mesures devant prévenir de futures offensives contre ces lieux, sous prétexte de prévenir des maux liés au virus ou à d’autre chose. Sinon les conditions de consolidation des régimes autoritaires à tendance totalitaire seront réunies.