Diverses formes de contre-propagande (1)

La propagande à laquelle nous avons été exposés depuis notre enfance s’étant dangereusement intensifiée depuis trois ans et ne semblant pas devoir s’arrêter de sitôt, nous sommes beaucoup à faire régulièrement de la contre-propagande, en nous adressant à un public assez étendu ou seulement à notre entourage. Mais il arrive assez rarement que nous discutions de ce que nous faisons en nous opposant à la propagande. La contre-propagande peut prendre différentes formes, lesquelles ont leurs avantages et leurs inconvénients, s’adressent à un public différent, et peuvent être utilisées plus efficacement dans certains contextes que d’autres.

 

Contre-propagande franche et directe

J’entends par là le fait d’exposer aux personnes endoctrinées des informations et des arguments incompatibles avec la propagande dominante. Il s’agit d’essayer de leur montrer qu’on peut voir les choses autrement, que ce qu’on présente comme des vérités établies est à tout le moins discutable, que souvent elles ne résistent pas à un examen critique, que d’autres positions sont plus vraisemblables, et que cette propagande a de nombreux effets nuisibles.

Cette propagande peut avoir une certaine efficacité avec des personnes réfléchies qui, même si elles ne sont pas en rupture avec la propagande, sont prêtes à examiner la situation de manière réfléchie. On l’aura deviné, ces personnes sont assez peu nombreuses, et ce ne sont généralement pas les plus dogmatiques et les plus fanatiques. C’est pourquoi il est possible de discuter avec elles, de les faire douter et parfois de les faire changer d’idée. Il peut en résulter une certaine augmentation du nombre de personnes qui ne sont pas sous l’emprise de la propagande. Si ces personnes en viennent à constituer une minorité non négligeable et s’expriment elles aussi ouvertement, les propagandistes peuvent difficilement faire croire que les histoires qu’ils nous racontent font l’unanimité, et les endoctrinés se modèrent ou se font plus discrets, par crainte de rencontrer de l’opposition et de ne pas pouvoir débiter simplement la propagande dont ils sont imprégnés.

Toutefois, ce point est assez difficile à atteindre à l’échelle d’une société ou d’un milieu social donné, surtout quand on a seulement recours à la contre-propagande franche directe. Les personnes profondément endoctrinées – qui sont plus nombreuses que les personnes plus réfléchies – tendent à être sourdes aux informations et aux positions divergentes, et à être immunisées aux arguments et aux analyses qui n’appuient pas la propagande dominante, car ceux-ci sont immédiatement considérés comme faux, trompeurs et même nuisibles. Pour ces raisons, pas question de les envisager sérieusement, pensent-ils. À moins d’avoir beaucoup de crédit et une personnalité assez forte pour en imposer à ces personnes, les contre-propagandistes qui disent franchement et directement ce qu’ils pensent de la propagande dominante seront perçus comme des imbéciles, des méchants, des complotistes, des fous ou des endoctrinés par les endoctrinés, comme le déclarent péremptoirement les autorités qui ont généralement beaucoup plus de crédit aux yeux des endoctrinés.

Les contre-propagandistes qui choisissent l’approche franche et directe ont pour principal public ceux qui ont déjà ouvert les yeux pour une raison ou pour une autre, qui sentent qu’ils ont été endoctrinés, et qui désirent extirper cet endoctrinement. Cette forme de contre-propagande a alors pour fonction de renforcer ces sentiments, de mieux faire comprendre la mécanique et les effets de la propagande dominante, et de réduire les chances de rechute à cause des pressions des autorités et du grand troupeau des endoctrinés.

Qu’il s’agisse de personnes qui commencent à se déniaiser, de personnes chancelantes ou de personnes plus profondément endoctrinées, la contre-propagande franche et directe est généralement plus efficace quand les interlocuteurs des contre-propagandistes sont pris à part et isolés du grand troupeau des endoctrinés. Les personnes qui ont déjà fait un bout de chemin ou qui hésitent auront alors moins peur d’être ridiculisées, blâmées ou condamnées par ce troupeau parce qu’ils acceptent d’envisager des idées défiant l’orthodoxie et de discuter avec l’orthodoxie. Quant aux personnes endoctrinées, on leur enlève beaucoup de leur assurance quand on leur retire l’appui de ce troupeau.

Pour les personnes dont les yeux se dessillent ou sont chancelantes dans leur foi, on peut accroître l’efficacité de la propagande franche et directe en les exposant à un groupe de personnes qui se sont extirpées beaucoup plus de la propagande dominante et en provoquant ainsi un mouvement d’entraînement. Pour les personnes profondément endoctrinées, il est plus difficile de les mettre dans cette situation. Si on y parvient, elles se diront souvent qu’elles sont tombées sur une bande de fous et chercheront à partir. Dans le meilleur des cas, leur assurance en prendra un coup quand elles seront avec ce groupe, mais elle leur reviendra quand elles retourneront au sein du grand troupeau des endoctrinés.

L’un des principaux inconvénients de cette forme de contre-propagande, c’est qu’elle est immédiatement repérée par la censure. Elle ne réussit pas à faire son chemin dans les médias de masse qui s’adressent aux masses endoctrinées, et elle est souvent repérée par les algorithmes des réseaux sociaux et des plateformes de diffusion en ligne les plus connus.

 

Contre-propagande trompeuse

Constatant à quel point les masses endoctrinées sont diminuées par la surexposition à la propagande dominante et combien sont puissants les moyens utilisés par les propagandistes, certains contre-propagandistes en concluent qu’il ne faut pas s’illusionner et perdre son temps à essayer de raisonner avec ces masses. Il faut alors combattre la propagande par une autre forme de propagande qui, bien que s’appuyant sur des idées et des sentiments simplistes et des raisons plus ou moins trompeuses, contribuera à faire adopter au troupeau des endoctrinés des opinions et des comportements jugés moins nuisibles.

Les contre-propagandistes qui optent pour cette approche pourront plus facilement s’adresser à un grand public, puisqu’ils ont recours à une manière de penser, de sentir et de parler auxquels ce public a été habitué à cause de son exposition continue à la propagande, même s’ils peuvent aller dans une direction opposée.

Si ces contre-propagandistes usent de finesse, il leur est possible de subvertir des sentiments et des idées répandues par la propagande dominante, afin de les canaliser dans une autre direction. Cela peut permettre aux contre-propagandistes d’échapper dans une certaine mesure à la censure, et de compliquer le travail de leurs adversaires propagandistes, qui ne voient pas toujours où ils veulent en venir, et qui peuvent même être attaqués au nom de ces idées et de ces sentiments, dont les contre-propagandistes pourraient se prétendre les véritables représentants s’ils sont plus éloquents et ont plus de suite dans les idées qu’eux.

Ces contre-propagandistes peuvent aussi s’appuyer sur des sentiments et des idées simplistes et largement partagés qui sont incompatibles avec la propagande dominante. Dans ce cas, ils n’échappent pas à la censure et peuvent être accusés de faire de la propagande par les représentants de la propagande dominante qui, eux, ne feraient pas de propagande, bien sûr. Cependant, si les idées et les sentiments sur lesquels ils s’appuient sont puissants dans une société ou dans un milieu social donné, les contre-propagandistes peuvent avoir une influence considérable, malgré les attaques de leurs adversaires, et parfois à cause de ces attaques, qui leur font de la publicité et qui leur permettent d’attirer la sympathie de ceux qui les considèrent comme des victimes de la tyrannie.

Malgré son efficacité, les inconvénients de cette forme de contre-propagande sont importants. En s’appuyant sur des idées et des sentiments simplistes et en les cultivant même, elle n’aide pas les masses endoctrinées à mieux comprendre ce qui se joue et à devenir plus lucides et plus autonomes intellectuellement. Une opposition frontale et soutenue à la propagande dominante peut même accroître l’étroitesse d’esprit et le dogmatisme. Ces masses continuent de pouvoir être facilement manipulées et d’être le jouet des propagandes concurrentes, ce qui est incompatible avec les idéaux de la démocratie et le bon fonctionnement des institutions démocratiques.

Enfin, les contre-propagandiste peuvent, tout comme leurs adversaires propagandistes, être ou devenir les dupes de leur propre propagande (qui peut leur monter à la tête), alors qu’ils se croient bien malins et capables de guider les masses ignorantes et abruties.


Ces deux formes de contre-propagande, qui s’opposent diamétralement, n’épuisent pas toutes les possibilités de la contre-propagande. C’est pourquoi j’en présenterai d’autres formes dans un autre billet, lesquelles pourront peut-être de surmonter certaines des difficultés présentées ici, mais peut-être en ayant aussi d’autres inconvénients.

À suivre.