Consentement à la surveillance de masse

La facilité avec laquelle beaucoup de nos concitoyens ont accepté la surveillance que nos gouvernements nous ont imposée depuis mars 2020, à laquelle ces derniers n’ont pas mis complètement fin cet été malgré un certain relâchement, et qu’ils pourraient reprendre, étendre et intensifier dès l’automne ou l’hiver prochain, montre que le terreau fertile qu’elle a trouvé en eux a été cultivé de longue date. Même nous, qui résistons, ne sommes pas à l’abri de l’accoutumance à la surveillance, puisque notre seuil de tolérance peut s’élever à notre insu, malgré une irritation certaine ou une certaine irritation provoquée par cette surveillance.

Pour expliquer ce phénomène, nous pourrions simplement dresser une liste de toutes les nouvelles formes de surveillance qui sont apparues au cours des dernières années ou décennies et auxquelles, bon gré, mal gré, nous nous sommes habitués. Mais nous n’aurions alors seulement une série d’impressions dispersées, sans fil entre elles. C’est pourquoi il me semble utile d’insister d’abord sur un aspect de notre éducation qui, par ses retombées à l’âge adulte, a rendu possible cette acceptation progressive de la surveillance de masse et la renonciation à la liberté qu’elle implique.

Quand nous étions tout petits, notre maman et notre papa, nos tantes et nos oncles, et notre grand-maman et notre grand-papa, nous ont habitués à une surveillance constante. C’est encore plus marqué pour ceux d’entre nous qui ont, disons, moins de trente-cinq ou de quarante ans, et qui proviennent de milieux socio-économiques relativement aisés, les classes sociales inférieures tendant à faire preuve d’un certain laisser-aller louable (malgré d’autres inconvénients), que leur reprochent la classe moyenne et la classe supérieure, davantage pour affirmer leur supériorité sociale, que par souci de la santé des enfants provenant de milieux plus défavorisés.

Il ne fallait surtout pas que nous tombions dans l’escalier, que nous soyons mordus par un chien, que nous soyons enlevés par un étranger, que nous nous noyions dans notre bain, que nous nous électrocutions en mordant un fil électrique ou que nous nous étouffions en mangeant, par exemple. Quand nous sommes devenus plus grands, on nous a accordé le droit de faire plus de choses, mais souvent sous l’œil inquisiteur d’un ou de plusieurs adultes. Pas question de nous baigner sans supervision parentale ou sans la présence d’un sauveteur. Pas question de jouer au hockey sans être surveillés par des adultes et des arbitres. Pas moyen de nous bagarrer avec d’autres enfants sans être séparés par des adultes. Pas moyen de nous promener en forêt ou de faire du vélo sans être accompagné de maman ou de papa. Même une fois devenus adolescents, nos parents ne nous laissaient pas en paix : ils s’enquerraient de la mauvaise influence de nos amis ou de nos fréquentations, ils cherchaient à savoir si nous fumions des cigarettes et buvions quelques bières avec des amis, ils prenaient une série de précautions pour que nous ne couchions pas avec notre « blonde » ou notre « chum », ils voulaient que nous ne rentrions pas trop tard à la maison, même la fin de semaine ou pendant les vacances estivales, quand nous n’allions pas à l’école. Ils ne voulaient pas que nous écoutions un musicien qui s’était suicidé, par crainte que nous l’imitions. Quand nous sommes devenus de jeunes adultes et avons terminé nos études secondaires, nos parents ont parfois essayé de nous garder à la maison pendant nos études collégiales et même universitaires, pour nous garder sous tutelle. Ou encore ils nous ont placé en résidence d’étudiants, les surveillants devant remplacer les parents, en nous empêchant de fêter ou de recevoir des visiteurs dans nos chambres, surtout s’ils étaient de sexe opposé, le soir ou la nuit, et devant organiser pour nous des activités bien encadrées. Même ceux d’entre nous qui habitaient dans un appartement recevaient régulièrement les appels téléphoniques de maman ou de papa et devraient répondre à des questions souvent indiscrètes.

On aurait tort de croire que cette surveillance servait avant tout à nos parents et aux autres adultes pour nous attraper et nous punir quand nous faisions quelque chose d’interdit. Non, elle servait surtout à nous empêcher de faire ce qui était interdit et à nous contraindre à faire ce qui était obligatoire, recommandé ou simplement convenable, ce qui dispensait, dans la plupart des cas, de nous punir. Et si jamais nous échappions à la vigilance de nos surveillants pour commettre un acte répréhensible, la surveillance dont nous étions l’objet devenait plus grande, et ce, que nous ayons été punis ou non. En fait, la surveillance n’avait pas seulement pour fonction d’éviter les punitions en empêchant autant que possible les actes punissables, mais son accroissement, à la suite d’un tel acte, constituait une punition à part entière. Nous ne nous étions pas comporté correctement et on nous punissait en nous surveillant encore plus, en nous privant des occasions de commettre d’autres actes dignes d’être punis et en nous obligeant à agir correctement. Au lieu de nous corriger en nous donnant des coups, on nous corrigeait en nous surveillant encore plus. Ainsi le but de la surveillance parentale (ou de ce qui en tient lieu) semble être de maintenir et d’étendre cette surveillance, après nous avoir pris en défaut, ou à cause qu’on nous soupçonne à tort ou à raison de comportements inadéquats. À la rigueur, la nature précise des comportements déclarés adéquats importe assez peu, et ces derniers peuvent changer arbitrairement et être, dans une certaine mesure, interchangeables. C’est que leur fonction principale consiste, par leur seule existence, à justifier la surveillance qui devient une fin en elle-même, et pas un simple moyen d’obtenir les comportements déclarés adéquats. Les mamans qui ne peuvent pas et ne veulent pas arrêter de surveiller leurs enfants et de s’ingérer dans leur vie même quand ils sont devenus des adultes, sont emblématiques de ce phénomène. Pour les mamans de ce genre, rien n’est plus fâcheux que l’indépendance de leurs enfants et le rejet de leur surveillance par ces derniers, lesquels les privent de leur raison d’exister en tant que mamans. Ainsi faut-il prendre avec un grain de sel les plaintes réitérées de ces mamans à propos du soi-disant manque de maturité de leurs grands enfants ou même de leurs conjoints, qui leur servent à se faire valoir en tant que surveillantes.

Quand nous étions des enfants, des adolescents et même de jeunes adultes, la surveillance n’était pas quelque chose que nous subissions sans être pénétrés par elle. En plus de l’habitude d’être surveillés que la surveillance continuelle a produit en beaucoup d’entre nous, cette dernière a aussi cultivé en nous des comportements d’enfants sages. Nous avions besoin et, pour beaucoup, continuons d’avoir besoin de montrer que nous avons des comportements adéquats, et que nous sommes donc des personnes adéquates, à nos mamans, aux autres adultes qui nous tiennent lieu de mamans et à nous-mêmes. La surveillance des autres adultes, dont nous devenons les mamans, faisant partie des comportements adéquats surveillés par les autres adultes qui nous servent aussi de mamans, les inconvénients d’être surveillés sont compensés par la participation à la surveillance et par le contentement que nous procure la bonne image de nous-mêmes que nous donnons aux autres ainsi qu’à nous-mêmes. Nous en venons à désirer doublement la surveillance, en tant que nous la subissons et en tant que nous l’exerçons.

C’est pour ces raisons que, depuis quelques décennies, a eu lieu une expansion et une intensification de la surveillance parentale des adultes par les adultes. De plus en plus, les adultes deviennent de grands enfants qui s’entre-surveillent à tour de rôle ou simultanément, et qui sont prêts à se départir d’une part toujours plus importante de leur liberté en échange d’occasions supplémentaires de montrer qu’ils sont des enfants sages et des gardiens assidus et vigilants de la rectitude des comportements et aussi des sentiments, des idées et des opinions. Quant au gouvernement, aux employeurs et aux grandes corporations, ils sont dirigés par des patriarches et des matriarches qui conçoivent cette expansion et cette intensification de la surveillance, et qui en tirent profit pour exercer un contrôle toujours plus grand sur notre corps et de notre esprit, c’est-à-dire sur nous. C’est pourquoi ils doivent échapper à la surveillance de masse rendu possible par le consentement et même la collaboration des grands enfants qui s’entre-surveillent les uns les autres, de façon semblable aux prêtres qui, en raison de la sanction et de la sanctification divines, s’élevaient au-dessus de leurs ouailles et constituaient une classe à part.

Plus concrètement, nous avons accepté et même désiré l’apparition des dispositifs ou des mesures de surveillance suivantes, que les patriarches et les matriarches ont aussi justifiés grâce aux impératifs de sécurité et de santé, ou ont essayé dans certains cas de faire passer autant que possible inaperçues.

1. Nous avons consenti à l’apparition d’un grand nombre de caméras de sécurité dans les commerces, dans les lieux publics, dans les transports en communs, au travail, dans la rue et même dans les immeubles à logement. Chaque petit vol à l’étalage et chaque vol à main armée, chaque petite bousculade et chaque agression, chaque pause non autorisée au travail, chaque petit vol fait par un employé, chaque petit acte de vandalisme et chaque cambriolage dans un immeuble à logement ont donné aux patriarches et aux matriarches, aux grands enfants qui surveillent les autres grands enfants, des raisons pour faire installer toutes ces caméras, et continuent de leur en donner, puisque ces actes n’ont pas arrêté de se produire depuis l’installation des caméras de surveillance. Il n’en demeure pas moins vrai que nous sommes souvent sous l’œil des caméras, et que cela affecte nos manières d’agir et nous dispose à accepter d’autres dispositifs de surveillance. En acceptant l’omniprésence de ces caméras, ne montrons-nous pas que nous sommes contre la délinquance et la criminalité et contre la paresse au travail, et que nous sommes par conséquent de bonnes personnes ? À l’inverse, ceux d’entre nous qui s’opposent à l’installation de ces caméras sont suspects d’être des délinquants, des criminels ou de mauvais employés, ou à tout le moins des personnes qui s’entêtent à ne pas renoncer à une petite partie sans valeur ou même suspecte de leur vie privée pour obtenir plus d’ordre et plus de sécurité. Ces soupçons deviennent alors un prétexte supplémentaire pour poser des caméras supplémentaires et pour utiliser de nouvelles manières les enregistrements ainsi obtenus. En un certain sens, les caméras sont le substitut moderne de la confession jadis faite aux prêtres catholiques et devait servir à faire connaître les péchés (les actes et aussi les idées et les sentiments impurs) des grands enfants qu’étaient les fidèles.

2. Depuis quelques décennies, le contrôle que les médecins généralistes ou spécialistes et aussi les autres professionnels de la santé exercent sur nos habitudes de vie s’est accru. Les consultations de routine, ou pour un petit malaise ou une légère douleur, sont devenues plus fréquentes comparativement aux consultations qui sont motivées par un véritable problème de santé ou une maladie. Les médecins – qui sont rémunérés à l’acte – profitent de l’occasion pour nous soumettre à toutes sortes d’examens médicaux, pour nous prescrire des médicaments et pour nous référer à d’autres médecins spécialistes, en entretenant la crainte de maladies possibles ou imaginaires. Notre santé étant supposément sacrée, il nous faudrait consentir à cette prise en charge de notre personne par le système médical. S’y refuser – nous diront les médecins et tous les grands enfants fiers de soumettre leur corps à cette surveillance même quand ils sont en parfaite santé –, c’est ne pas prendre soin de nous, c’est prendre des risques inutiles, c’est courir à la catastrophe, c’est s’exposer à voir sa santé se dégrader dangereusement et à devenir un fardeau pour le système hospitalier déjà débordé. En fait, ce sont ces centaines de milliers de malades légers ou imaginaires, maintenus dans un état d’hypocondrie dont dépendent l’influence et la richesse des médecins, qui sont en grande partie responsables de cet engorgement du réseau hospitalier, car la surveillance médicale qu’exige le maintien de cette hypocondrie contribue sans doute considérablement au détournement de nombreuses ressources du système hospitalier qui pourraient être utilisés autrement, par exemple pour soigner mieux et plus rapidement les personnes qui sont vraiment malades. Mais les principaux intéressés, à savoir les médecins et les grands enfants hypocondriaques, voient la chose d’un autre œil, s’indignent que nous ne nous soumettions pas sans discussion à la surveillance médicale, et pour leur part étalent devant leur entourage tout ce qu’ils font pour soigner leurs soi-disant maladies et rester en santé, ce qui comprend aussi tous les conseils que les professions médicales adressent à la population en général à propos des saines habitudes de vie et de la bonne alimentation qu’il faudrait adopter pour être en santé. Que les non-fumeurs sont fiers de récriminer contre les fumeurs et de les obliger à pratique leur vice en marge de la société ! Que les abstinents et les buveurs modérés sont fiers de moraliser les buveurs réguliers et tous ceux qu’ils considèrent comme des alcooliques fonctionnels, sans parler des fumeurs de marijuana ! Que les habitués des gyms regardent de haut ceux qui trouvent mieux à faire après une journée de travail abrutissante que de faire du conditionnement physique en salle ! Certains employeurs soumettent même les mauvaises habitudes de vie (tabagisme, consommation d’alcool ou de drogue, sédentarité) de leurs employés à une certaine surveillance grâce à des sondages périodiques et à l’observation de certains signes, et mettent à leur disposition des programmes d’aide pour les faire sortir des affres des mauvaises habitudes de vie et ainsi devenir de bonnes personnes qui prendraient soin d’elles-mêmes et des travailleurs dont les forces pourraient être mises plus entièrement au service desdits employeurs, notamment grâce à une diminution de l’absentéisme et une meilleure assiduité. Ces employeurs ont ainsi l’impression de prendre soin de leurs employés en les aidant à prendre soin d’eux, et aussi d’accroître la prospérité économique et de réduire les dépenses évitables liées aux problèmes de santé causés par les mauvaises habitudes de vie. Et plusieurs employés voient là un signe de bienveillance de leurs employeurs, et non une ingérence dans leur vie privée et une prise de contrôle plus totale de leur personne, en dehors des heures et des lieux de travail.

3. Les dernières décennies sont aussi caractérisées par une plus grande surveillance des opinions exprimées publiquement ou en privé par des personnages publics et même des inconnus, en fonction d’une morale de plus en plus puritaine, laquelle culmine avec la propagation du « wokisme ». Ce qui est dit à la télévision, dans les journaux, sur internet et dans les écoles et dans les universités est soumis à une surveillance de plus en plus constante et minutieuse. Quand ce ne sont pas les administrations qui font cette surveillance, ce sont les spectateurs, les lecteurs, les parents des élèves, les étudiants ou des associations de tendance « woke ». Il suffit d’une plaisanterie, d’une remarque ou d’une critique pour se faire accuser de sexisme, de racisme, d’antisémitisme, d’islamophobie, d’extrême-droite, de suprématisme blanc, de fascisme, de nazisme, d’homophobie, de transphobie ou de tout ça en même temps. Qu’il en résulte ou non des punitions pour les accusés, ces accusations justifient, selon les accusateurs, une intensification de la surveillance des propos immoraux, alors que c’est précisément le dogmatisme du « wokisme » et de la surveillance qui résulte de lui qui sont à l’origine de ces soi-disant délits d’opinion qui n’existeraient pas sans eux, qui donnent l’impression d’une propagation de l’intolérance et du radicalisme violent, et qui parfois parviennent à la susciter et à la favoriser, sous la forme d’une opposition à la culture « woke » qui devient de plus en plus intolérante, totalitaire et agressive. Mais qu’importe à de nombreux adhérents de la culture « woke » et aux bien-pensants qui sympathisent avec eux ! En bons puritains, ils voient dans tout cela des raisons supplémentaires de surveiller ce que disent et font les autres, et des occasions de faire croire et de se faire croire qu’ils leur sont moralement supérieurs et de montrer ostensiblement qu’ils sont à la fine pointe de la morale « woke » du moment.

4. Avec l’accès à internet progressivement plus répandu depuis le milieu des années 1990 et l’utilisation de plus en plus généralisée d’ordinateurs pour faire toutes sortes de choses qui, avant, se faisaient en personne ou par d’autres moyens (avec un crayon et du papier ou par la poste), il est beaucoup plus facile pour les agences gouvernementales, les institutions financières et les grandes corporations comme Microsoft, Google, Apple, Facebook et Amazon de collecter toutes sortes de données sur nos transactions en ligne, sur nos habitudes de navigations, sur nos opinions morales et politiques et même, grâce aux microphones et aux caméras de nos ordinateurs et de nos téléphones, en plus de la géolocalisation, d’obtenir des informations sur les lieux et les personnes que nous fréquentons, à quoi il faut ajouter ce que Edward Snowden appellent nos « métadonnées », c’est-à-dire des données sur notre visage et sur notre voix qui sont obtenus grâce aux services « gratuits » de vidéoconférence offerts par les grandes corporations, et qui sont susceptibles d’être utilisées à des fins de reconnaissance faciale et de reconnaissance vocale. Beaucoup d’entre nous ne s’inquiètent pas de cette collecte massive d’informations à notre sujet : soit ils ne savent même pas que ça se fait, ça ne les intéresse pas de le savoir, et souvent ça leur semble un délire complotiste ; soit ils savent qu’une certaine collecte de données a lieu, généralement en sous-estimant son ampleur, et ils se disent que, de toute façon, ils n’ont rien à se reprocher et donc à cacher à ces agences gouvernementales, à ces agences financières et à ces grandes corporations qui servent de papas et de mamans aux grands enfants qu’ils sont, et qui jamais n’oseraient utiliser ces données pour leur nuire, les contrôler et les persécuter, eux qui ne sont ni des terroristes, ni des criminels, ni de mauvaises personnes ; soit ils se disent que c’est même nécessaire étant donné la montée du radicalisme et de l’extrémisme.

En gardant en tête le contexte social et moral dans lequel le virus a fait son arrivée, il n’est pas étonnant que beaucoup d’entre nous aient consenti à l’expansion et à l’intensification de la surveillance dont nous sommes l’objet, et les aient même désirées. C’est plutôt le contraire, s’il s’était produit, qui aurait été surprenant, étant donné qu’on nous travaille depuis plusieurs décennies pour nous faire accepter et désirer plus de surveillance. Que sont les mesures et les dispositifs de surveillance apparus depuis mars 2020 avec l’arrivée du virus, et aussi depuis février 2022 avec le début de l’intervention militaire russe en Ukraine, sinon des prolongements des mesures et des dispositifs qui existaient déjà ?

L’implantation des mesures soi-disant sanitaires dans les écoles et les universités, dans les milieux de travail, dans les commerces, dans les gares, dans les aéroports, dans les rues, dans les parcs et même dans les résidences privées, par exemple, ne consiste-t-elle pas en une expansion et une radicalisation de la surveillance de notre « santé » par les autorités sanitaires, en utilisant les moyens de surveillance mis en place avant pour d’autres raisons, par exemple les caméras de surveillance installées à l’intérieur et à l’extérieur, dans les lieux publics et les lieux privés ? Et ne pouvons-nous pas en dire autant du fait de traiter les personnes bien portantes comme des personnes vulnérables, et les personnes asymptomatiques comme des personnes malades, afin d’accroître la surveillance médicale à laquelle elles sont soumises, sous la forme de l’isolement préventif, du traçage des contacts et de l’injection fortement recommandée, voire obligatoire, des merveilleux sérums ? En plus des amendes et des sanctions infligées à certaines des personnes qui ont défié les mesures soi-disant sanitaires, la désobéissance partielle aux mesures soi-disant sanitaires omniprésentes, changeantes et pointilleuses et le refus des injections ont servi de prétexte pour radicaliser et étendre la surveillance, grâce à des hélicoptères qui survolent les villes, à l’implantation d’un « passeport vaccinal » et au contrôle des sources de financement des mouvements d’opposition aux mesures soi-distant sanitaires. Beaucoup de nos concitoyens n’ont pas seulement consenti à ces nouvelles mesures de surveillance, mais les ont même désirées, sous prétexte de protéger leur propre santé et celle des autres, et de contraindre à l’obéissance ceux qui sont indociles. Ces bien-pensants se font aussi une fierté de montrer ostensiblement qu’ils portent un masque quand cela est requis, recommandé et non recommandé, qu’ils ont un « passeport vaccinal » en règle, qu’ils vouent à tous les diables les opposants, et qu’ils surveillent leurs congénères pour qu’ils appliquent avec rigueur les consignes soi-disant sanitaires ou des règles de leur invention, et pour qu’ils en fassent plus que ce qui est demandé ou que ce qui semble raisonnable, même si c’est absurde, ou justement parce que c’est absurde. Certains vont même jusqu’à dénoncer leurs collègues de travail, leurs voisins, les membres de leur famille et ceux qu’ils considéraient comme leurs amis il y a peu de temps. Ces grands enfants montrent ainsi qu’ils sont de bonnes personnes aux papas et aux mamans réels ou imaginaires qui veilleraient sur leur santé. C’est pourquoi même le traçage de nos déplacements par le gouvernement canadien grâce à la géolocalisation de nos téléphones mobiles ne les choque pas le moins du monde. Bien au contraire !

Ces mêmes concitoyens s’accommodent aussi fort bien des dispositifs de surveillance et de censure des opinions et des informations qui sont diffusées dans les médias de grand chemin et à l’aide des plateformes en ligne et des réseaux sociaux. Car il faudrait protéger les grands enfants que nous sommes ou que nous serions des mauvaises influences, c’est-à-dire de la désinformation, du complotisme et de la propagande, qu’il soit question de la « pandémie », de la guerre en Ukraine ou des changements climatiques. Les journalistes, les « fact-checkers », les algorithmes, les comités de rédaction et les grandes corporations comme Google et Facebook sont les papas et les mamans qui devraient veiller à ce que l’âme des grands enfants demeure pure du poison de l’erreur et du mal. Les plateformes et les réseaux sociaux où cette surveillance et cette censure ne sont pas en vigueur constitueraient de graves dangers à leurs yeux. Certains d’entre eux participent même à cette surveillance en portant plainte contre ceux qui tiennent, en public ou en privé, des propos non orthodoxes, auprès des associations professionnelles ou des administrations qui les emploient. Par ce zèle mal venu, ils veulent montrer qu’ils sont de bonnes personnes aux autres et surtout aux papas et aux mamans qui surveillent les grands enfants qu’ils sont.

La vertu ostentatoire, par définition puérile, étant devenue ce qui détermine principalement la réaction de ces grands enfants aux formes de surveillance possibles, il est très vraisemblable qu’ils réagiront de la même manière quant aux nouveaux dispositifs et aux nouvelles mesures de surveillance que nos gouvernements sont en train de préparer. Cela pourrait s’appliquer à une version plus étendue du « passeport vaccinal » et, à terme, à une identité numérique à laquelle serait rattachée tout ce que nous faisons et avons dans le monde physique et en ligne, et qui donnerait à nos papas et à nos mamans un contrôle presque total des grands enfants que nous sommes déjà ou que nous deviendrions alors, par la force des choses. Loin de voir dans ceci une ingérence totalitaire dans tous les aspects de la société et de l’existence individuelle, les grands enfants verraient dans cette identité numérique devant être utilisée pour réaliser nos activités quotidiennes un merveilleux dispositif permettant de montrer en permanence aux papas et aux mamans qui les surveillent à quel point ils sont de bonnes personnes qui suivent toutes les consignes, qui adhèrent à l’orthodoxie et qui surveillent leurs congénères pour qu’ils en fassent autant et deviennent aussi des enfants sages qui font tout ce que leur demandent ces papas et ces mamans.

Les grands enfants sages sont donc tout fait disposés à l’imposition généralisée et préventive d’une discipline carcérale ne devant pas seulement servir à détecter et à punir les crimes, les délits, les infractions ou les inconvenances commis, mais aussi à nous priver de la possibilité et du désir de commettre ces écarts de conduite, et dont nous finirions immanquablement par nous rendre coupables en l’absence de cette surveillance ininterrompue, selon les papas et les mamans qui nous surveillent et les grands enfants sages qui collaborent avec eux. Autrement dit, on nous impose cette surveillance parentale en nous présumant coupables de ne pas respecter tous les interdits et toutes les obligations qu'on nous impose, et de mal nous conduire en l’absence de cette surveillance, ce qui fait de cette surveillance une punition préventive. Car cette surveillance serait ou est déjà un mal en elle-même, et pas seulement à cause de la punition qui pourrait en résulter, ni même à cause de la crainte de cette punition. Cette surveillance a un poids et une efficacité qui lui sont propres. Elle constitue une forme de dressage. Et pour cette raison elle ne convient pas à ceux qui sont censés être des citoyens et elle est incompatible avec la démocratie.

Mais nous pouvons nous demander si les nombreux grands enfants que nous avons le malheur d’avoir comme concitoyens sentent même le poids et les inconvénients de la surveillance. Ils se sont accoutumés à elle et elle leur semble toute naturelle et bénéfique. Ils la désirent même en ce qu’elle leur permet de pratiquer quotidiennement la vertu ostentatoire et de montrer aux papas et aux mamans et à leurs congénères qui les surveillent qu’ils sont de bonnes personnes ou des enfants sages. Cette surveillance leur permet donc d’être contents à peu de frais de leurs petites personnes. Ce qui est bien pire que de souffrir de cette surveillance. Dans ce dernier cas, il y a encore un peu d’espoir puisqu’existe le désir d’affaiblir cette surveillance ou de s’en débarrasser. Dans le premier cas, ce désir n’existe pas ou il est très faible. Alors c’est foutu.