Conjectures sur la stratégie du gouvernement et du patronat

Ce n’est un secret pour personne que le gouvernement du Québec est prêt à avoir recours à toutes sortes de moyens pour contraindre les non-vaccinés à « remonter leur manche ». Il n’exclut pas la possibilité d’avoir recours à une forme directe ou indirecte d’obligation vaccinale, que ce soit pour toute la population ou certains groupes d’âge, ou encore pour les travailleurs de certains secteurs économiques ou de certaines entreprises, si l’évolution de la situation l’exige. Seulement c’est lui qui est juge de cette situation, c’est lui qui établit les critères à partir de laquelle on doit évaluer cette situation, c’est lui qui détient les données à son sujet, et c’est lui qui affecte en bien ou en mal l’évolution de la situation selon les décisions, bonnes ou mauvaises, efficaces ou inefficaces, qu’il prend et impose à la population du Québec. À cela il faut ajouter qu’il a des alliés puissants qui l’aident à préparer l’opinion publique à de telles dispositions, comme les journalistes, et à justifier et à implanter ces dispositions, comme certains médecins et experts et le patronat.

La stratégie du gouvernement et de ses alliés compte plusieurs facettes qui se déploient sur des terrains différents. La plus visible repose sur le fait que le réseau hospitalier serait menacé d’effondrement par la seule faute des non-vaccinés, qui non seulement occuperaient un nombre très élevé de lits hospitaliers même s’ils représentent une faible minorité de la population, mais qui seraient aussi plus difficiles à soigner même quand ils ne sont pas hospitalisés pour la COVID-19, mais avec la COVID-19, en raison de toutes sortes de précautions qu’il faudrait prendre pour ne pas propager le virus, et dont les séjours à l’hôpital seraient plus longs que ceux des vaccinés. Il en résulte qu’il faudrait contraindre ou obliger les non-vaccinés à se faire vacciner pour protéger le système de santé et pour les protéger contre eux-mêmes, selon les dires de notre très cher ministre de la Santé et des Services sociaux. Aux zélés qui vont jusqu’à demander qu’on cesse de soigner les non-vaccinés (quand ils sont malades de la COVID-19 ou même quand ils ont une autre maladie) pour ne pas pénaliser les vaccinés qui ont fait leur part et qu’on priverait de soins à cause des non-vaccinés, le gouvernement répond que nous ne sommes pas un pays où l’on pourrait faire une telle chose. Non, nous sommes plutôt un pays qui, sous prétexte de collectivisation des soins de santé, cherche à imposer à une minorité une intervention médicale dont elle ne veut pas, afin de pouvoir continuer à les soigner, elle et la majorité déjà vaccinée.

Mais l’attaque dont les non-vaccinés sont actuellement la cible a aussi pour terrain les milieux de travail. Après l’avoir déjà fait au printemps 2021, le Conseil du patronat du Québec prétend de nouveau que la vaccination obligatoire est nécessaire à la reprise des activités économiques, bien qu’il ne précise pas quelle forme cette obligation devrait prendre selon lui, par exemple une obligation imposée par le gouvernement à la population active ou à certains groupes de travailleurs, ou imposée par les employeurs à leurs employés avec l’appui du gouvernement. Même si les intentions de certains milieux d’affaires sont perceptibles, les ficelles que le gouvernement et eux tirent pour arriver à leurs fins le sont certainement moins. Ce sont ces manœuvres que j’essaierai de mettre en lumière grâce à ces conjectures.

Les indices suivants me serviront de point de départ :

  1. Certains secteurs économiques disent, depuis l’arrivée d’Omicron, qu’il est difficile de maintenir leurs opérations (le secteur de l’alimentation, par exemple) en raison de l’absentéisme des travailleurs malades ou infectés qui, parfois, aggraverait une pénurie d’employés déjà présente. Il pourrait en résulter des ruptures de services, de production et d’approvisionnement, ce qui pourrait non seulement affecter les consommateurs, mais aussi d’autres entreprises qui dépendent de ces services, de cette production et de cet approvisionnement pour mener leurs opérations.

  2. La période d’isolement pour les personnes « adéquatement » vaccinées a récemment été réduite de 10 jours et à 5 jours, ce qui a réjoui certains secteurs économiques et le Conseil du patronat du Québec, qui y a vu un pas vers l’étape suivante, qui est la vaccination obligatoire.

  3. En raison des limites d’analyse des laboratoires et d’une pénurie appréhendée, les tests PCR sont désormais seulement accessibles à des groupes de personnes considérés comme à haut risque de contracter le virus. Les personnes qui n’appartiennent pas à ces groupes doivent passer un test antigénique (ou test rapide), sans avoir à obtenir une confirmation d’un résultat positif par test PCR comme c’était avant le cas. Celles qui n’ont pas accès à un test antigénique doivent se considérer comme un cas positif et s’isoler en conséquence.

Voici ce qui pourrait à mon avis résulter de cette conjoncture.

Le patronat, les organisations chargées de représenter ses intérêts et des entreprises pourraient d’abord se plaindre publiquement du préjudice supplémentaire que leur feraient subir ceux de leurs employés non vaccinés qui, en cas d’infection, doivent s’isoler 5 jours de plus que les vaccinés, et qui compliquent le maintien de leurs opérations. Dans un contexte où le virus circule beaucoup et où les employeurs et les employés eux-mêmes auraient souvent recours à des tests antigéniques faciles à utiliser (plus besoin d’aller dans un centre de dépistage), il pourrait arriver assez régulièrement que des employés, vaccinés ou non, soient contraints de s’isoler à la maison et de ne plus travailler même s’ils n’ont pas de symptômes. En l’absence de tests antigéniques en quantité suffisante – soit que les gouvernements fédéral et provincial n’ont pas distribué à la population assez de tests, soit que les employeurs en manquent ou n’en ont pas suffisamment acheté –, les travailleurs qui ont des symptômes assimilables à la COVID-19 devraient agir comme s’ils avaient été testés positifs et seraient contraints de s’isoler et d’arrêter de travailler pendant un nombre de jours déterminé par leur statut vaccinal.

Les pressions exercées sur les chaînes de production et d’approvisionnement, ainsi que sur la capacité des entreprises à maintenir leurs services et à répondre à la demande, pourraient devenir importantes par endroits si beaucoup d’employés se retrouvaient isolés préventivement en même temps. L’absence plus longue des travailleurs non vaccinés (sauf quand les travailleurs vaccinés développent des symptômes et doivent alors s’isoler eux aussi 10 jours) pourrait alors être présentée comme cause d’aggravation d’une situation difficilement tenable pour certaines entreprises ou certains secteurs de l’économie. On pourrait fait appel à un procédé assez semblable à celui utilisé pour tenir les non-vaccinés responsables de la saturation des hôpitaux durant l’hiver : on dira que les non-vaccinés constituent une faible minorité des employés, mais qu’ils cumulent à eux seuls une proportion importante des jours d’absence pour cause de COVID-19. Autrement dit, leur statut vaccinal causerait un préjudice à leur employeur en ce qu’il empêcherait la bonne marche de ses opérations. En fait, les difficultés réelles ou appréhendées des entreprises seraient générées artificiellement par une règle bureaucratique qui, d’un côté, exige l’isolement systématique de tout employé qui a été testé positif même s’il n’a pas de symptômes ou qui a des symptômes sans avoir passé un test ; et qui, de l’autre, impose une période d’isolement deux fois plus longue aux employés non vaccinés même s’ils sont asymptomatiques et ne sont vraisemblablement pas plus contagieux que les employés vaccinés asymptomatiques. Il n’en demeure pas moins vrai que les employeurs – justement à cause des torts qu’ils subiraient à cause de leurs employés non vaccinés qui sont obligés de se conformer à cette réglementation – pourraient donner une apparence de légitimité à l’imposition de l’obligation vaccinale aux employés. Et si jamais le gouvernement décidait de ne plus imposer de période d’isolement aux travailleurs vaccinés qui ont été testés positifs sans avoir de symptômes, ou qui ont des symptômes sans avoir été dépistés positivement, ou s’il décidait tout simplement de ne plus dépister les vaccinés, l’obligation vaccinale semblerait encore plus légitime, car les travailleurs vaccinés seraient alors les seuls à devoir s’isoler en pareilles conditions et à causer des préjudices aux employeurs.

À partir de ce point, certains employeurs pourraient, avec la bénédiction du gouvernement, exiger la vaccination de leurs employés. Ou bien ce pourrait être le gouvernement qui rendrait la vaccination obligatoire pour les employés de certains secteurs économiques ou pour tous les employés, comme ça a déjà été fait en Italie.

Imaginons maintenant – soit bêtise profonde, soit calcul retors – que certains secteurs économiques ou certains employeurs, avec l’accord du gouvernement, acceptent d’accommoder les travailleurs qui ne se conformeraient pas à l’obligation vaccinale. Comble de gentillesse, ils permettraient à ces travailleurs de garder leur emploi ou d’être embauchés à condition de passer un test antigénique trois fois par semaine, un peu comme ça se fait déjà dans le secteur de la santé. Le tout sous prétexte de contrôler la propagation du virus et de protéger la santé des travailleurs non vaccinés et celle de leurs collègues vaccinés. Loin de diminuer les inconvénients pour les employeurs d’avoir des employés non vaccinés, une telle pratique les aggraverait artificiellement, par la fréquence plus grande des tests qui augmente les chances d’obtenir un résultat positif et de devoir s’isoler. Et c’est sans parler des faux positifs qui se produiraient même avec des tests de bonne qualité compte tenu du fait que les employés seraient soumis à environ 150 tests par an. Alors imaginez ce qui se passerait avec des tests de moins bonne qualité ou même franchement foireux, qui pourraient circuler sur le marché et trouver quand même preneur en raison de la forte demande. Bref, le « dépistage récurrent préventif », comme on l’appelle en langue bureaucratique, qu’on proposerait aux travailleurs non vaccinés pour garder leur emploi pourrait être plus tard utilisé par leurs employeurs pour justifier la vaccination obligatoire de tous les employés, en raison des préjudices subis à cause de lui en pertes de temps de travail et de capacités de production.


Si jamais nous en arrivons là, les employés – tous obligatoirement vaccinés sous prétexte d’éviter des préjudices aux employeurs – seront alors la chose de leurs employeurs et seront traités en conséquence. La non-vaccination étant signe d’indocilité envers le gouvernement et les employeurs, les employés seront triés sur le volet en fonction de leur statut vaccinal. Ceux qui persistent dans leur indocilité seront voués à la pauvreté ou à la misère, si ce n’est pas pire. Il ne restera que les employés vaccinés de plein gré et ceux qui ont capitulé et accepté d’être vaccinés pour éviter toutes sortes d’ennuis – ce qui est compréhensible, mais ce qui est aussi une défaite qui a de graves conséquences sur les capacités d’opposition des personnes concernées. La porte sera alors ouverte à d’autres mesures intrusives, abusives, vexatoires, dégradantes et asservissantes de la part du gouvernement et des employeurs, pour lesquelles on pourra invoquer le précédent de la vaccination obligatoire. Les rapports de force étant alors entièrement à leur avantage, pourquoi se gêneraient-ils pour nous traiter comme du bétail ?

Il est par conséquent impératif de trouver des moyens de contrecarrer cette stratégie, si faire se peut. Même si cela peut aider, il ne suffira pas de rendre explicite cette stratégie si nos ennemis ont effectivement pour projet de l’utiliser. Ce qui s’est passé depuis le début de la crise nous montre que ce n’est pas assez. Et même s’il commençait à y avoir d’énormes manifestations ici comme il y en a dans presque tous les pays d’Europe où on impose des restrictions sous prétexte d’urgence sanitaire, il faudrait trouver rapidement d’autres moyens d’action, notamment en opposant la ruse à la ruse, dans le but de retourner la stratégie de nos ennemis contre eux, à petite échelle ou à grande échelle.

Un dernier mot pour ceux de mes lecteurs qui doutent de l’existence d’une telle stratégie. Même s’ils avaient raison, certains des éléments que j’ai intégrés dans cette stratégie existent indépendamment d’elle, et pourraient donc renforcer un mouvement déjà fort, et produire des effets semblables à ceux que j’ai décrits, mais cette fois-ci sans être calculés, ou du moins sans l’être autant que je ne l’ai fait. Même si tout ceci n’était qu’une fiction, elle aurait au moins l’avantage de nous faire voir dans quelle direction nous nous dirigeons, par la seule force des choses.