Une honte et un danger pour notre démocratie

C’est avec un mélange de moquerie et d’irritation que j’ai lu ce matin cette déclaration commune de la directrice générale du Musée canadien pour les droits de la personne et de la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne en faveur des mesures sanitaires et de la vaccination, obligatoire s’il le faut.

« Les droits individuels sont assortis d’une responsabilité collective », La Presse, 10 décembre 2021.

Comme si nous qui contestons les mesures sanitaires ne savions que nous avons aussi des responsabilités à prendre. Et justement, nous voulons pouvoir prendre nos responsabilités en décidant, individuellement et collectivement, ce que nous devons faire en raison de l’arrivée du fameux virus et des variants qui continuent de se succéder les uns aux autres. Mais le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial profitent de l’urgence sanitaire pour nous priver de certains de nos droits individuels, pour imposer des conditions à l’exercice des autres, et pour exiger de nous une série d’actes d’obéissance, qui n’ont rien à voir avec la prise de responsabilités. Les gouvernements décident ce qui est bon pour nous et nous devons faire ce qu’il nous demande. De ça, les défenseurs et les critiques des mesures sanitaires ne débattent pas. Il s’agit de savoir si nos gouvernements ont le droit d’exiger de nous cette obéissance et si nous devons obéir, ou si nos gouvernements n’en ont pas le droit et si nous pouvons et devons désobéir. Même dans le cas où les partisans des mesures sanitaires auraient raison, il ne saurait être question de responsabilités. Les gouvernements paternalistes ont décidé pour nous, individuellement et collectivement, ce que nous devrions faire pour protéger notre santé et celle de nos concitoyens. On ne nous a pas demandé directement notre avis sur les mesures dites sanitaires, nos représentants n’ont pas délibéré sur la très grande majorité d’entre elles, il n’y a pas eu de débat public à leur sujet. Ce sont donc nos gouvernements et les experts de services qui sont responsables de notre santé et pas nous. Comme les parents sont responsables de la santé des enfants qui sont à leur charge. Penserait-on à dire que les enfants assument leurs responsabilités quand ils font ce que leurs parents ont décidé pour protéger leur santé ? Non : on dira qu’ils obéissent à leurs parents, justement parce qu’ils ne sont pas des adultes autonomes et responsables. Alors pourquoi parlerait-on de responsabilité pour nous quand on nous traite de manière semblable ? Dans quelle mesure ce traitement infantilisant, qui nous fait régresser individuellement et collectivement dans l’enfance, est-il compatible avec les droits et les devoirs des citoyens et avec la démocratie ?

La table étant mise, je commente cette déclaration commune dans le détail.


Sous une photographie montrant les obligations auxquelles doivent se soumettre les personnes qui entrent dans un pavillon de Polytechnique, il est écrit ceci :

« L’obligation du port du masque dans les endroits publics n’est pas une restriction des droits et libertés individuels, écrivent les auteures. »

Précisons d’abord que toute obligation est par définition une restriction de ce que les individus ont le droit de faire ou de ne pas faire, ou sont libres de faire ou de ne pas faire. Même si certains droits et certaines libertés ne nous sont pas reconnus explicitement, nous avons le droit et nous sommes libres de ne pas faire tout ce qu’on ne nous oblige pas de faire, et nous avons le droit et nous sommes libres de faire tout ce qu’on ne nous interdit pas de faire. Autrement nous pataugerions dans l’arbitraire et l’absurdité.

Cette affirmation peut seulement faire sens si on veut dire que l’obligation de porter le masque dans les lieux publics ne restreint pas des droits et des libertés qui nous sont explicitement reconnus dans la Charte canadienne des droits et libertés, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est vrai qu’on ne nous reconnaît pas explicitement le droit et la liberté de ne pas porter un masque. Les rédacteurs de ces documents avaient bien d’autre chose en tête quand ils les ont écrits.

Cependant on nous reconnaît, dans l’article 6b de la Charte canadienne des droits et libertés, le droit de nous déplacer dans tout le pays. Même si ce qu’on avait en tête lors de la rédaction était sans doute les déplacements d’un quartier à l’autre, d’une ville à l’autre et d’une province à l’autre, ce n’est pas aller contre l’esprit du texte de dire que l’on nous reconnaît aussi le droit de circuler librement dans les lieux publics du quartier, de la ville et de la province où l’on réside, puisque cette interdiction serait encore plus restrictive que l’interdiction d’aller dans un autre quartier, une autre ville ou une autre province. Quant à la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle nous reconnaît, à l’article 13.1, le droit de circuler librement à l’intérieur d’un État.

Il y a donc bel et bien une restriction de ce droit et de cette liberté de déplacement si on nous empêche d’entrer dans les lieux publics si nous ne portons pas un masque.

Ceci dit, je n’accorde pas une valeur absolue aux droits et aux libertés qui sont déclarés dans ces documents, et je comprends très bien qu’ils sont sujets à des restrictions. Par exemple, on ne peut pas laisser un meurtrier circuler librement. Tout ce que je veux montrer ici, c’est qu’il y a bien restriction ou limitation des droits et des libertés des personnes qui refusent de porter un masque, ou même de toutes celles qui acceptent de se plier à cette condition pour avoir le droit d’entrer dans les lieux publics. Je m’étonne d’autant plus de cette affirmation que l’argumentaire de la déclaration, comme on verra, consiste à montrer que la situation actuelle justifierait la restriction ou la limitation de certains de nos droits et de certaines de nos libertés. Il faudrait se décider : on ne peut pas affirmer à la fois que l’obligation de porter un masque (ou les autres mesures dites sanitaires) ne constitue pas une restriction ou une limitation de nos droits et de nos libertés, et que cette restriction ou cette limitation est légitime d’après ces documents. Il faudrait se décider et ne pas dire une chose et son contraire !

Cette incohérence s’explique peut-être par le fait que c’est ici la rédaction de La Presse qui parle et qui exprime ce qu’elle croit avoir compris de la déclaration des auteures. Il ne faut pas trop en demander à ces plumitifs. J’ose néanmoins croire que les deux juristes à l’origine de la présente déclaration disposent des aptitudes intellectuelles requises pour comprendre cette incohérence flagrante (si ce n’est pas le cas, nous sommes vraiment mal barrés). Pourquoi ne demandent-elles pas à la rédaction de La Presse, qui sans doute voulait bien faire dans son zèle sanitaire, une rectification ? Cette incohérence ne procure-t-elle pas à l’adversaire – moi-même, en l’occurrence – une faille dont il peut assurément tirer profit ?

Je me refuse toutefois à appuyer tout mon argumentaire sur cette absurdité, même si elle permet certainement de mettre en évidence les capacités intellectuelles fort limitées des employés de La Presse. Je veux être fair play avec ces deux avocates des mesures sanitaires – et aussi défenderesses des droits et des libertés de la personne – et ne pas leur attribuer à tort une bourde journalistique.


L’article lui-même commence ainsi :

« On vous demande de porter un masque et de vous faire vacciner. Si vous ne le faites pas, vous ne pouvez pas participer à des rassemblements sociaux, prendre un avion ou manger dans un restaurant. Vous pourriez perdre votre emploi.

Est-ce de la discrimination ? Une violation des droits de la personne ?

Certaines personnes répondent oui à ces questions et appuient leur argumentaire en choisissant seulement quelques articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Elles ont tort. »

D’un côté, les deux avocates appuient sur l’exclusion sociale qui résulte du fait de refuser de porter un masque et de ne pas se faire administrer un vaccin ; de l’autre, elles affirment catégoriquement qu’il ne s’agit pas de discrimination et de violation des droits de la personne. Ce qui peut se résumer ainsi : vous avez tout intérêt à faire ce qu’on vous demande ; et si vous persistez à ne pas obtempérer, les restrictions qu’on apportera à vos droits et à vos libertés ne sauraient être considérées comme de la discrimination et comme une violation des droits de la personne. En d’autres termes, on peut restreindre vos droits et vos libertés sans porter vraiment atteinte aux droits et aux libertés de la personne. Après tout vous êtes quelqu’un et vous n’êtes pas personne. Et la personne n’est, par définition, personne. Si une telle comparaison n’était pas une insulte pour Ulysse (que j’aime beaucoup, sa mètis étant pour moi une forme de vertu supérieure et un idéal moral), je dirais qu’il s’agit ici d’une adaptation de la ruse à laquelle il a eu recours quand il a aveuglé le cyclope Polyphème en lui crevant son œil unique après lui avoir fait boire du vin à profusion. Mais trêve de plaisanterie. Donc, au texte !

« En tant qu’avocates et dirigeantes de deux importantes organisations canadiennes vouées aux droits de la personne, nous considérons que ces affirmations sont non seulement fausses, mais également dangereuses. Elles mettent à risque notre santé et prolongent la pandémie en favorisant les contraventions aux consignes sanitaires et en ignorant la science. Elles mettent en danger les droits de la personne et elles détournent l’attention publique des enjeux réels. »

Voilà un bel appel à l’autorité. C’est parce qu’elles sont avocates et qu’elles occupent des positions élevées dans la hiérarchie bureaucratique qu’il faudrait prendre en considération ce qu’elles disent. J’ai fréquenté des juristes à plusieurs reprises dans le cadre de mes recherches (je fais de l’observation participante) et je suis loin d’être impressionné, dans la plupart des cas. Et je ne suis pas assez naïf pour croire que, simplement parce que ces deux femmes occupent des positions bien en vue quant à la défense des droits de la personne, qu’elles se soucient le moins du monde de nos droits et de nos libertés. Ainsi il nous faut faire preuve de méfiance quant à ce qu’elles affirment, et le recours à l’autorité, au lieu d’atténuer notre méfiance, devraient l’amplifier. D’un autre côté, il ne faut pas non plus écarter du revers de la main ce qu’elles pourraient dire sous prétexte qu’elles ont recours à un appel à l’autorité. Ce qui importe, ce sont leurs arguments, si du moins il y a des arguments. Quand on affirme catégoriquement que des affirmations sont fausses, quand on en rajoute en disant qu’elles sont même dangereuses, cela nous amène généralement dans un tout autre registre que celui de l’argumentation, du raisonnement et de l’analyse.

Il est bizarre que ces deux avocates, après avoir invoqué leur statut d’avocates et leur position hiérarchique, se rabattent immédiatement sur la Science. L’affirmation selon laquelle les contraventions aux consignes sanitaires prolongeraient la pandémie n’est assurément pas une affirmation d’ordre juridique. Ces avocates ne sont pas, de par leur formation juridique et leur position hiérarchique, plus aptes que vous ou moi à juger de l’efficacité des mesures dites sanitaires. Le fait d’associer cette réglementation bureaucratique à la science est déjà un signe qu’elle n’y entende vraisemblablement rien. Je ne prétends pas à une quelconque compétence en science (et encore moins en médecine, en virologie ou en épidémiologie), mais je sais que, de manière générale, la science n’est pas monolithique, qu’il y existe des polémiques, que le doute y joue en rôle important, que les scientifiques sont des êtres humains comme nous, et qu’ils peuvent craindre les représailles en exprimant une opinion scientifique réprouvée, se tromper, être corrompus ou délirer. L’affirmation selon laquelle les opposants aux mesures sanitaires – parmi lesquels il y a pourtant des scientifiques de réputation internationale – ignorent simplement la science nous en apprend moins sur ces opposants que sur les avocates elles-mêmes, qui ont un rapport dogmatique à la science, laquelle n’est plus pour cette raison de la science.

Même en tant qu’avocates, ou surtout en tant qu’avocates, elles devraient comprendre qu’il faut entendre les deux partis avant de rendre un jugement, surtout s’il est aussi catégorique que le leur. C’est le principe même de la justice telle qu’elle est ou devrait être conçue dans nos sociétés démocratiques.

Dans la même ligne, j’en viens à me demander quel est le statut de la déclaration des deux avocates. En aucun cas une déclaration aussi peu étayée, qui n’est pas le résultat d’une procédure digne de ce nom, ne saurait être considérée comme un jugement, ni le Musée ni la Commission n’étant d’ailleurs habilités à rendre de tels jugements, ce qui est plutôt la responsabilité du Tribunal canadien des droits de la personne. On ne peut pas non plus dire qu’il s’agit d’un avis juridique formulé par ces organismes, ceux-ci étant généralement mieux argumentés et plus techniques, si j’en juge d’après ceux que j’ai lus. À mon sens, il ne s’agit de rien d’autre qu’une prise de position de deux avocates, qui dirigent en l’occurrence deux organismes de promotion et surveillance des droits de la personne. Malgré le poids que cela confère à leurs paroles, leur opinion sur le sujet n’est pas décisive, et n’est en fait qu’une opinion parmi toutes celles que les juristes canadiens pourraient exprimer publiquement. Elles peuvent donc dire que ceux qui ne sont pas d’accord avec elles ont tort, cela pourrait même être vrai ; mais cela n’implique pas la moindre conséquence juridique.

À la fin de l’extrait cité ci-dessus, les deux avocates affirment que les opinions adverses mettent même en danger les droits de la personne et détourne l’attention des véritables enjeux. Voyons comment cela est-il possible selon elles.

« Le 10 décembre est la Journée internationale des droits de la personne parce que c’est ce jour-là, en 1948, que la Déclaration a été adoptée. Elle est née du génocide et des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, un chapitre sombre de l’histoire. »

Merci de le rappeler. Mais je ne vois pas en quoi ceci concerne directement ce dont il est ici question, à savoir la compatibilité des restrictions des droits et des libertés des individus avec la Déclaration. Sauf si on laisse entendre qu’à moins d’en arriver à de telles atrocités, la Déclaration ne saurait être invoquée pour défendre les droits et les libertés qui pourraient être brimés sous prétexte d’urgence sanitaire. Ce qui ne serait guère rassurant, et aussi fort étrange de la part des deux dirigeantes de ces organismes, qui se verraient alors réduites à conserver le souvenir de ces atrocités et à assumer des fonctions de conservatrices de musée.

« La Déclaration repose sur le principe que nous avons en commun une humanité fondamentale, que chaque personne a des droits fondamentaux et que ces droits doivent être protégés pour le bien de la société. »

Même si je ne vois pas en quoi peut consister cette humanité fondamentale, même si ça me semble une expression creuse et donc un fondement peu solide, il est important de noter que la Déclaration nous reconnaît des droits fondamentaux qui doivent être protégés pour le bien de la société. Le bien de la société dépendrait donc, dans une certaine mesure, de ces droits fondamentaux de la personne, et n’aurait par conséquent pas une existence indépendante. C’est important de ne pas l’oublier si on ne veut pas voir nos droits et nos libertés sacrifiés sur l’autel d’abstractions comme la Société et l’Humanité, comme à d’autres époques on faisait de tels sacrifices sur l’autel de la Religion et de la Race.

« Cependant, les droits et libertés individuels peuvent se réaliser seulement si nous protégeons aussi le bien-être de la société dans son ensemble. »

Je reconnais les droits et les libertés individuels dépendent de l’existence de la société, et aussi d’une certaine forme de société, d’autres formes pouvant être fortement incompatibles avec ces droits et ces libertés. Toutefois je ne comprends pas ce que peut être le « bien-être de la société dans son ensemble ». Parle-t-on du bien-être de l’ensemble des individus qui constituent de la société ? Si oui, je dirais que cette affirmation mise en gras dans la déclaration n’apporte rien à la discussion, si ce n’est de dire de manière embrouillée que les droits et les libertés des individus dépendent du bien-être des individus qui constituent la société. Si par contre on parle vraiment d’un bien-être de la société qui serait distinct du bien-être des individus qui la constituent, je doute de l’existence d’une telle chose. Il ne fait pas davantage sens de parler du bien-être de la société ainsi comprise que du bien-être d’un établissement d’enseignement, d’une entreprise ou d’une institution politique, pour la simple raison que ces structures sociales ne sont pas dotées de sensibilité, si ce n’est celle des individus qui font partie d’elles et qui les constituent en partie. Peut-être veut-on parler de la vitalité de ces institutions et de la société, mais alors il faudrait employer les mots appropriés pour dire ce qu’on veut dire et pas autre chose. Dans cette hypothèse sur le sens de cette phrase, nous pourrions la reformuler ainsi : « Les droits et les libertés individuels peuvent se réaliser seulement si nous protégeons la vitalité de la société dans son ensemble. » Tout comme nous pourrions dire : « Les droits et les libertés individuels peuvent se réaliser seulement si nous protégeons la vitalité de nos institutions démocratiques. » Et que font les mesures sanitaires qui se prolongent, sinon menacer la vitalité de la société dans son ensemble ou, si on préfère, la vitalité des relations sociales ? Et que fait l’état d’urgence sanitaire dont on reporte la fin et qu’on renouvelle automatiquement, sinon dégrader la vitalité de nos institutions démocratiques en substituant aux manières de délibérer et de gouverner qui les caractérisent des modes de gouvernance autoritaires et bureaucratiques incompatibles avec elles ?

« Les personnes qui s’opposent aux restrictions liées à la COVID-19 ont leurs favoris parmi les 30 articles de la Déclaration. Par exemple, elles citent souvent l’article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »

Manifestement négligé, l’article 29 reconnaît qu’il y aura des moments comme celui que nous vivons maintenant où des limitations raisonnables aux libertés individuelles sont nécessaires pour le bien commun. La protection du public contre une pandémie mortelle est certainement importante pour la santé de l’ensemble des populations et pour notre humanité commune. »

Je signale au passage que le premier paragraphe du préambule déclare que la reconnaissance de nos droits égaux et inaliénable constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Comment ce caractère inaliénable des droits qu’on nous reconnaît dans la Déclaration serait-il compatible avec des limitations des libertés individuelles, même si c’est au nom du bien commun ? Soit nos droits et les libertés qui découlent d’eux sont inaliénables, et alors on ne saurait limiter nos droits et nos libertés même quand il en va du bien commun. Soit on peut limiter nos droits et nos libertés au nom du bien commun, et alors nos droits ne sont pas inaliénables.

Toutefois ce n’est ce sur quoi je veux insister, puisque je ne crois pas que des droits absolument inaliénables puissent exister. J’admets donc volontiers qu’il puisse exister des limites raisonnables aux libertés individuelles, notamment pour protéger les libertés des autres et les conditions d’existence de ces libertés. Seulement on peut douter – plusieurs scientifiques le font, même si ce n’est pas eux qu’on interviewe à la télévision ou dans les journaux – que la situation actuelle puisse être considérée comme une pandémie très mortelle (après presque deux ans, moins d’un millième de la population mondiale serait mort à cause du virus, d’après les statistiques officielles), et que les restrictions qu’on nous impose soient efficaces (voir par exemple cette synthèse de nombreuses études scientifiques). Dans ce cas, les mesures dites sanitaires ne seraient pas raisonnables, pas plus que les limitations qui découlent d’elles. Nos gouvernements, sous prétexte d’urgence sanitaire, n’ont pas de comptes à rendre personne, l’efficacité de ce qu’ils décident n’est pas examiné et discuté avec rigueur, et par conséquent ils ne se sentent même pas obligés de définir selon quels critères on pourra considérer que la situation est suffisamment sous contrôle pour qu’on mette fin à toutes ces mesures ou à certaines d’entre elles. Nous voilà donc dans l’arbitraire, ce qui n’est guère compatible avec la réalisation de nos droits et de nos libertés.

Lisons maintenant l’article 29 de la Déclaration, déjà évoqué par les deux avocates :

« Article 29.

1. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible.

2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.

3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies. »

Même s’il est bien question de limitations de nos droits et de nos libertés dans cet article, il n’y est pas question de moments exceptionnels où l’urgence sanitaire ou un autre danger imminent justifierait des limitations adaptées à la situation. Puis on peut faire une toute autre interprétation de cet article sans le dénaturer.

Comme il est stipulé dans le premier paragraphe de cet article, je reconnais volontiers que nous avons des devoirs envers la communauté qui rend possible « le libre et plein développement de notre liberté ». Et l’un de ces devoirs, me semble-t-il, est de lutter pour la fin de l’état d’urgence sanitaire, et aussi contre sa pérennisation sous la forme d’une « loi pandémie ». Les pouvoirs arbitraires et excessifs que le gouvernement provincial s’accorde à lui-même grâce à cet état d’exception (qui est devenu la nouvelle normalité), et les mesures autoritaires que décrète le gouvernement fédéral sous prétexte d’urgence sanitaire, sont incompatibles avec nos droits et nos libertés. Nous sommes à la merci de nos dirigeants, qui ne sont même pas imputables de ce qu’ils font et qui peuvent nous imposer ce que bon leur semble, aussi longtemps qu’ils le désirent, pourvu qu’on prononce la phrase magique : « C’est pour protéger la santé de la population ».

Passons au deuxième paragraphe. Les limitations qu’on nous impose, à supposer qu’on les considère établies par la loi parce qu’elles font l’objet d’un décret du gouvernement, peuvent difficilement être justifiées par la reconnaissance des droits et des libertés d’autrui qu’elles permettraient. C’est exactement le contraire. Plus nous acceptons que le gouvernement limite ou conditionne nos droits et nos libertés, plus il est disposé à imposer de nouvelles limitations et de nouvelles conditions à nos droits et à nos libertés et à ceux d’autrui. L’obéissance et la servitude qui en résultent sont évidemment incompatibles avec l’attitude morale attendue d’un citoyen dans une société démocratique, de même qu’avec l’ordre public qui devrait y régner et le bien-être des personnes qui y vivent.

Maintenant le troisième paragraphe. J’ose croire que ce n’est pas aller à l’encontre des buts et des principes des Nations Unies que de défendre nos droits et nos libertés contre les restrictions autoritaires, arbitraires et capricieuses de nos gouvernements, et du même coup de défendre notre société démocratique. C’est au contraire les droits et les libertés excessifs que les membres de nos gouvernements – qui sont aussi des individus même s’ils prétendent souvent parler au nom de la société –, et l’usage qu’ils en font, qui sont incompatibles avec la démocratie, et donc avec les buts et les principes des Nations Unies.

Mettons les points sur les i : les deux dirigeantes de ces importants organismes voués aux droits de la personne ne sont pas à la hauteur de leurs fonctions. Elles s’avèrent incapables d’assumer leurs responsabilités et de remplir leurs devoirs, à la fois en tant qu’individus et en tant que dirigeantes de ces organismes. Non seulement elles négligent et méprisent leur devoir envers la communauté à laquelle elles appartiennent en tant qu’individus et où elles occupent des positions impliquant de grandes responsabilités, mais elles s’efforcent de faire passer pour des limitations légitimes des droits et des libertés qu’elles sont censées défendre alors que ces restrictions sont en fait incompatibles avec les « justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ».

Si bien que nous pouvons appliquer à elles ce qu’elles ont écrit en parlant d’autres personnes :

« Tout le monde prétend soutenir les droits de la personne, mais on ne reconnaît pas toujours que les libertés individuelles s’accompagnent toujours de responsabilités individuelles envers les autres. »

Et elles poursuivent ainsi :

« Sans cette compréhension, les droits de la personne peuvent être dénaturés et attaqués. La haine, la violence, les menaces, le racisme et la peur en sont les conséquences. »

C’est précisément ce qui est en train de se produire, notamment parce que ces deux avocates ne sont pas à la hauteur de leurs fonctions et qu’elle se règle servilement sur la politique sanitaire de nos gouvernements pour interpréter les droits et les libertés de la personne, au lieu d’évaluer cette politique et ses effets en fonction des droits et des libertés qui nous sont reconnus dans la Déclaration et dans la Charte. Ce qui s’explique peut-être par l’apolitisme de ces organisations, au sens où elles ne se soucient pas des conditions concrètes d’existence de la démocratie. Évitant de prendre position sur ces questions et même de les examiner, cela limite considérablement les occasions où leurs dirigeantes pourraient prendre position contre une décision de nos gouvernements ou contre la manière dont ils gouvernent la population.

Il me suffit de voir à quel point mes collègues – que je recommence à voir en personne depuis la réouverture des bureaux – méprisent et détestent les non-vaccinés et ont peur d’en fréquenter un sans le savoir que moi aussi, je me mets à me méfier d’eux et même à avoir un peu peur des sales coups qu’ils pourraient me faire s’ils venaient à connaître mon statut vaccinal ou si je refusais de le leur faire connaître en disant que c’est un renseignement confidentiel. Le fait que les administrateurs reconnaissent ouvertement la pertinence de la crainte des vaccinés envers les non-vaccinés, mais disent que pour l’instant la décision n’a pas été prise d’exiger la vaccination, ne me dit rien qui vaille.

Le paragraphe suivant me paraît confus et difficile à comprendre même dans la perspective des deux avocates, ou du moins dans ce que j’en comprends :

« La population s’est polarisée dans ses opinions, ce qui fausse les perceptions et engendre l’intolérance. Les médias sociaux nous offrent de précieuses plateformes pour faire connaître nos opinions, mais la colère en ligne (et les inquiétants algorithmes numériques) a encouragé et popularisé les personnes qui utilisent l’ignorance, la désinformation et la complaisance pour servir leur dessein personnel ou obtenir plus d’attention, souvent en attisant encore plus de colère et de division. »

Parlent-elles encore des mesures sanitaires et de l’obligation vaccinale ? Ou s’agit-il plutôt ici d’une dénonciation générale des discours haineux, ou de ce qui passe pour tel, sur les médias sociaux ? C’est fort confus. Peut-être font-elles un amalgame entre les deux, comme certains journalistes et politiciens le font parfois, pour discréditer ceux qui ne partagent pas leurs opinions, les faire passer pour des intolérants et même des enragés, et les accuser d’ignorance, de bêtise et de propagande. Alors qu’en fait on peut adresser ces accusations à nos gouvernements, aux journalistes et aux soi-disant experts qui attisent la peur des non-vaccinés et même la haine envers eux. Ce qui donne un tout autre sens au dernier paragraphe de cette déclaration :

« Aujourd’hui, alors que nous célébrons le 73e anniversaire du document fondateur des droits de la personne qui nous est cher, engageons-nous à apprendre ce qu’il dit réellement et ce qu’il signifie vraiment. Pour protéger les droits de la personne, il faut d’abord les comprendre, sans quoi nous risquons de répéter l’histoire même que les auteurs et autrices de la Déclaration universelle des droits de l’homme voulaient empêcher de se reproduire. »