Sur un slogan de la gauche

« Taxons les ultrariches ! » C’est ce qu’on peut lire actuellement sur des affiches à propos de la crise du logement qui sévit au Québec. C’est ce qu’on peut aussi lire ou entendre quand il s’agit de lutter contre l’endettement et la pauvreté, de financer le système de santé ou d’éducation, de réduire ou d’abolir les droits de scolarité universitaires, de bonifier l’assurance-chômage et l’aide de dernier recours, de ne pas augmenter l’âge de la retraite, de protéger l’environnement, etc. Ce slogan circule sous une forme ou une autre depuis des décennies. Et pourtant rien ne s’améliore : les ultrariches ne se font pas davantage taxés ou trouvent le moyen de ne pas payer les taxes qu’ils devraient payer, les maisons, les condominiums et les appartements coûtent de plus en plus cher, nous sommes de plus en plus endettés et de plus en plus pauvres, les systèmes de santé et d’éducation se dégradent, les études supérieures sont de plus en plus dispendieuses et méritent de moins en moins leur nom, il est de plus en plus en difficile de subsister quand nous perdons notre emploi (sauf quand c’est à cause du méchant virus), on veut nous faire travailler jusqu’à ce que nous soyons de petits vieux tout juste bons pour croupir dans des CHSLD et pour gonfler les statistiques de décès liés à la COVID ou aux canicules prétendument causées par les changements climatiques, on continue de détruire l’environnement même et surtout quand on prétend le protéger, etc.

Cependant, qu’on n’aille pas s’imaginer que je fais partie de ces larbins qui pensent que les ultrariches méritent leurs richesses démesurées et indécentes, ou qu’il faut les bichonner pour qu’ils ne se sauvent pas à l’étranger. Car je sais parfaitement que s’ils sont aussi riches, c’est qu’ils ont hérité d’une grande fortune et qu’ils sont prêts à tout pour l’accroître. Car je sais aussi que, bien qu’ils continuent généralement de résider dans les soi-disant démocraties occidentales, il y a belle lurette que leur fortune a émigré à l’étranger, pour être investie dans l’exploitation des ressources naturelles et humaines locales et pour être mise à l’abri des taxes et des impôts dans des paradis fiscaux. Ainsi, si je critique ce slogan, c’est justement parce que c’est un slogan. Et comme tous les slogans, on continue de le répéter sans réfléchir même s’il ne produit pas d’effets, même s’il ne peut manifestement pas en produire, ou justement pour cette raison. Je ne vois pas pourquoi les choses changeraient maintenant, alors que les ultrariches sont non seulement plus riches que jamais, mais aussi plus puissants, et alors que nos gouvernements sont maintenant plus que jamais leur chose.

L’une des choses que les ultrariches, pris individuellement ou organisés en corporations, peuvent facilement faire grâce à leur fortune, c’est d’exercer des pressions sur les gouvernements ou même s’ingérer dans la politique et la bureaucratie pour avoir le moins de taxes à payer possible, pour disposer de moyens légaux ou illégaux d’échapper aux mesures fiscales qui portent sur leur fortune, pour les rendre difficiles ou impossibles à appliquer, pour échapper aux poursuites et aux condamnations criminelles, etc. Et même quand ils paient des taxes, ils peuvent facilement les récupérer et aussi s’approprier l’argent de nos taxes et de nos impôts quand les fonds publics sont dépensés dans de grands projets qui leur profitent, par exemple la vaccination de masse, l’assurance médicament, la transition énergétique verte, la transformation numérique, l’armement, etc. Il ne faut pas nous étonner que de telles choses se produisent. Elles sont même normales quand quelques oligarques sont plus riches que tout le peuple réuni et quand les grandes corporations et les grandes sociétés d’investissement détiennent et contrôlent des ressources supérieures à celles des États. Il en résulte que les ultrariches ne se sentent aucunement menacés par le slogan dont nous parlons et que certains d’entre eux peuvent même le reprendre ou en encourager la circulation, pour se faire aimer d’une certain frange du peuple ou pour l’occuper. Car dans le meilleur des cas, la lutte pour taxer les ultrariches est une incessante dépense d’énergie, de temps et d’argent et elle est toujours à refaire. Dans le pire des cas, c’est même une manière de donner la fausse impression qu’on lutte contre les inégalités socio-économiques croissantes, sans jamais s’attaquer à la racine du problème, et en y dépensant de l’énergie, du temps et de l’argent qui pourraient être dépensés plus utilement pour le peuple.

Le véritable problème, ce n’est pas la taxation des ultrariches, mais l’existence même des ultrariches. Ce qu’il faut, c’est trouver comment faire pour qu’ils cessent d’exister et qu’ils ne recommencent pas à exister. Des correctifs comme la taxation des ultrariches ne suffisent pas. En tant qu’ils impliquent l’existence des ultrariches, ils ne sauraient être des solutions, ils sont des signes du problème, et ils font même partie du problème. Il ne peut pas non plus simplement s’agir de tuer les ultrariches ou certains d’entre eux, en laissant en place ce qui permet aux ultrariches d’exister ou de devenir ce qu’ils sont. Certains ultrariches pourraient profiter de la liquidation de leurs rivaux par le peuple en colère pour renforcer leur position et nous asservir encore plus, un peu comme un tyran en suit un autre après un tyrannicide qui laisse les institutions politiques comme elles sont.

Il s’agit donc de trouver comment mettre fin à l’existence des ultrariches en tant qu’ultrariches, et pas de mettre simplement fin à l’existence biologique d’ultrariches donnés. Toute la difficulté réside dans le fait que les gouvernements sont la chose des ultrariches et peuvent difficilement être utilisés contre eux. Ce sont plutôt eux qui les utilisent contre nous. Mais nous ne pouvons pas non plus faire comme si nos actions d’opposition individuelles ou communautaires pouvaient suffire pour lutter efficacement contre l’existence des ultrariches, et par conséquent décider de nous détourner de l’action politique parce que nos gouvernements et nos institutions politiques sont au service des ultrariches. Ces gouvernements et ces institutions corrompus n’arrêteraient certainement pas de servir les intérêts des ultrariches et de desservir les nôtres parce que nous déciderions de nous désintéresser de la politique. Et même si ces gouvernements et si ces institutions politiques s’affaiblissaient ou se dissoudraient, les ultrariches pourraient constituer de nouveaux gouvernements, de nouvelles institutions politiques ou d’autres structures de pouvoir qu’ils contrôleraient encore plus et auxquels nous ne pourrions pas davantage nous opposer efficacement par des actions individuelles ou communautaires, tant le rapport de force serait à notre désavantage. Bref, nous sommes tellement impuissants individuellement et même en nous associant que, si nous ne reprenons pas le contrôle des gouvernements et des institutions politiques, si nous ne nous réapproprions pas le pouvoir politique, les ultrariches continueront d’exister et, du même coup, de contrôler notre existence et de nous asservir. Nous pouvons difficilement obtenir des résultats si nous rejetons l’action politique ou si nous continuons à faire de la politique comme maintenant, sans essayer de donner naissance à de nouvelles formes de gouvernement et à de nouvelles institutions politiques, ou sans essayer de les réformer radicalement.

Cela est très difficile, j’en conviens. Mais nous sommes confrontés à l’alternative suivante : ou bien opter pour un projet politique très difficile à réaliser, mais qui nous permettrait d’obtenir la disparition des ultrariches si nous le réalisions ; ou bien renoncer à un tel projet et nous résigner à l’existence des ultrariches et à notre asservissement.

Notre goût de l’aventure l’emportera-t-il sur le découragement provoqué par les difficultés qui apparaissent à l’horizon ? Ou capitulerons-nous sans lutte et sans conditions ?