Nouvelle gauche, changements climatiques et austérité

Il n’y a pas si longtemps, la gauche se prononçait systématiquement contre les politiques d’austérité. Dans les pays où elle avait une base électorale solide et de nombreux militants, des mouvements d’opposition et même de résistance ont pu prendre forme. Quels que soient les résultats obtenus, cela était fâcheux pour nos dirigeants politiques et les élites économiques dont ils servaient les intérêts.

Puis la protection de l’environnement et surtout la lutte contre les changements climatiques sont devenues une des priorités des partis politiques et des militants de gauche. Dans leur forme embryonnaire, cette priorité comportait déjà une forte composante morale qui exigeait des individus qu’ils consomment moins, qu’ils utilisent les transports en commun au lieu de leur voiture, qu’ils recyclent, qu’ils mettent leurs achats dans des sacs réutilisables, etc. Certains mouvements plus politisés exigeaient la prise de mesures contre les entreprises polluantes. Mais à force d’insister sur les catastrophes qui devraient résulter des émissions de gaz à effet de serre et des changements climatiques, on dirait que les militants et les politiciens de gauche et de centre-gauche se sont passés le mot pour attaquer presque toutes les sources d’énergie, pour désindustrialiser les pays occidentaux et, du même coup, pour appauvrir la vaste majorité de la population, alors que leurs prédécesseurs ont justement lutté pendant des décennies, voire environ deux siècles, pour améliorer les conditions de vie et le pouvoir d’achat de cette dernière. Qu’importent les conditions d’existence de quelques centaines de millions de personnes quand il s’agit du climat, qui est la priorité absolue ! En fait, plus ces personnes seraient nombreuses et seraient directement ou indirectement responsables de l’émission de grandes quantités de gaz à effet de serre, plus il faudrait attaquer sans merci leur pouvoir d’achat, d’après ces fanatiques du climat. Ainsi cette idéologie écologiste fait très mauvais ménage avec le combat que la gauche mène traditionnellement pour améliorer les conditions de vie des masses exploitées et asservies par les élites économiques et politiques.

Revenons quelques décennies en arrière, avant les années 1990, où cette idéologie écologiste et plus particulièrement climatique est parvenue à s’immiscer dans la gauche et à se substituer progressivement aux enjeux qui, jusque-là, étaient pour elle prioritaires et la caractérisaient. Les préoccupations écologistes intéressaient peu cette gauche, la lutte contre les inégalités sociales et économiques étant alors pour elle la priorité. À la rigueur, ces préoccupations pouvaient leur sembler une sorte de luxe moral de bourgeois hypocrites qui vivaient dans l’aisance ou même la richesse, et qui étaient déconnectés de la réalité des masses laborieuses, et ce, même si ces préoccupations étaient alors beaucoup plus raisonnables et compatibles avec les intérêts des travailleurs exploités que le délire climatique actuel. Il y a donc de quoi s’étonner quand nous regardons la manière dont s’est transformée la gauche sur ce point au cours des dernières décennies. J’ai même l’impression que les politiciens et les militants de l’ancienne gauche, qui sont souvent assez âgés, ne se retrouvent plus du tout dans cette nouvelle gauche et qu’ils ont de la peine à considérer leurs cadets comme des héritiers ou des successeurs.

La gauche, si nous la définissons par son combat contre les inégalités sociales et économiques et contre l’exploitation des masses laborieuses, a donc dégénéré sous l’influence de cette idéologie écologiste ou a même été corrompue par elle. Voilà que, de nos jours, elle est détournée du combat pour les masses laborieuses par son combat contre les changements climatiques. Je dirais même que son combat contre les changements climatiques devient aussi ou surtout un combat contre les masses laborieuses, les armes utilisées contre les changements climatiques étant certainement plus efficaces contre les masses laborieuses que contre ces changements. Nous nous retrouvons donc dans une situation où la gauche, censée défendre les intérêts des travailleurs contre les élites économiques, accepte et exige même d’eux toutes sortes de sacrifices au nom de la priorité absolue que serait le climat, dont le salut de la planète et de l’humanité dépendrait. Ces politiciens et ces militants visent plus spécialement des sources d’énergie qu’ils considèrent comme fatales à la planète (les énergies fossiles, mais aussi l’énergie nucléaire et, plus récemment et dans une moindre mesure, l’hydroélectricité) et les entreprises qui les produisent ou les utilisent. Ce qui ne les empêche pas aussi de cibler les individus – quelle valeur auraient quelques misérables individus quand il en irait du salut de la planète et de l’humanité ? – qui doivent faire leur part, par exemple en leur demandant d’utiliser moins souvent leur voiture ou de ne pas en avoir une (ce qu’on appelle « la mort de la culture du char » au Québec), de manger moins de viande et même de devenir végétariens, de prendre des douches très courtes ou sans eau chaude, d’arrêter de faire leur lessive et d’aérer leurs vêtements à la place, et de chauffer leur logement le moins possible l’hiver, sous prétexte de faire des économies d’énergie et d’argent, de sauver la planète et, en Europe, d’atténuer les pénuries causées par les sanctions économiques occidentales contre le secteur énergétique russe dont dépendent en grande partie plusieurs pays, tout en tenant tête aux prétendues visées impérialistes de la Russie et du grand méchant loup qui a pour nom Vladimir Poutine.

En fait, ces deux approches convergent puisque les mesures visant les industries qui produisent et utilisent les sources d’énergie dont on veut se débarrasser du jour au lendemain auront aussi ou surtout des effets très néfastes pour les individus, et pas seulement pour les riches propriétaires des grandes compagnies. Les dépenses énergétiques individuelles continueront d’augmenter et deviendront insoutenables, pour les individus, les petites et moyennes entreprises et une partie des grandes entreprises qui ne font pas partie du club sélect des entreprises vertes ; et peut-être seront-ils aussi exposés à des périodes de pénurie énergétique. Directement, les individus ne pourront plus assumer les coûts énergétiques de leurs résidences. Indirectement, les entreprises deviendront moins rentables en raison de l’augmentation des dépenses énergétiques et devront peut-être interrompre leurs activités en raison de pénuries d’énergie, ce qui aggravera la hausse du coût de la vie, en raison des dépenses supplémentaires des entreprises qui seront transférées aux consommateurs, ou de la rareté croissante et généralisée des marchandises et des services. Il s’ensuivra vraisemblablement la fermeture et la faillite de nombreuses entreprises, qui à leur tour résulteront en une rareté croissante de plusieurs produits et services et en des pertes d’emplois, si bien que beaucoup d’individus auront moins d’argent pour acheter des produits et des services de plus en plus rares et dispendieux. Même le secteur alimentaire n’est pas à l’abri, puisqu’il exige des quantités considérables d’énergie pour la production, la transformation et le transport de la nourriture.

Il est vrai que les gouvernements de gauche ou de centre-gauche (et peut-être aussi d’autres orientations politiques, par exemple de centre-droite) prétendent ne pas laisser la population mourir de faim et geler, et parfois proposent même de soutenir les entreprises en difficulté, par exemple en leur donnant de l’argent ou en imposant un plafond au coût de l’énergie. Outre le fait que cela aggraverait l’état déjà lamentable des finances publiques (parfois pour financer des entreprises qui n’en ont pas besoin, qui se tirent d’affaire, et qui font même d’importants profits, pour l’instant, du moins) et pourrait mener assez vite à l’adoption de politiques d’austérité, et que cela maintiendrait artificiellement la demande pour des produits énergétiques qui viendraient à manquer plus rapidement en Europe et à aggraver les difficultés d’approvisionnement énergétique dans certaines régions de l’Amérique du Nord, ces solutions apparentes mais inefficaces calmeraient aussi le mécontentement d’une partie de la population et des entrepreneurs, dispenseraient les gouvernements de revoir leurs politiques économiques, énergétiques et étrangères pour résoudre cette crise, et leur permettraient donc d’aller plus loin dans la même direction, peut-être jusqu’à ce qu’on atteigne le point de non-retour à partir duquel il ne serait plus possible de nier la gravité de la situation et d’empêcher un effondrement économique, sous une forme ou une autre.

D’un point de vue moral, l’idéologie climatique qui s’impose de plus en plus dans une partie importante de la classe politique et de la population rend acceptables et même désirables les privations et les politiques d’austérité. En cela, cette idéologie – nous pourrions aussi dire que c’est une sorte de religion – ressemble au christianisme, dont la doctrine morale valorise la pauvreté et la souffrance, la première protégeant supposément des jouissances corruptrices du monde matériel, et la seconde permettant, d’après les fables que racontent les prêtres, de racheter ses fautes, le tout pour gagner son ciel. Dans le cas de la religion climatique, il s’agit d’accepter et même de réclamer la « simplicité volontaire » et des privations pour nous libérer du consumérisme et pour sauver la planète et l’humanité de l’apocalypse climatique imminente ou du brasier infernal du réchauffement climatique. Quoi de plus moral que de se résigner à la pauvreté, à la misère, à la gueuserie généralisée et à la souffrance, et même à les réclamer, pour obtenir le salut de la planète et de l’humanité ! Quel noble sacrifice ! Et pendant ce temps, nos dirigeants politiques et les élites financières mondialistes – ceux mêmes qui exigent de nous ce mode de vie austère et misérable et cherchent à nous l’imposer par tous les moyens – continuent de vivre dans le faste le plus indécent.

Disons franchement ce qu’il en est : la nouvelle gauche a perdu la tête et a trahi les masses laborieuses, auxquelles nous appartenons presque tous, même si nous ne sommes pas des ouvriers. En raison du peu de cas qu’elle fait de nos intérêts, de notre bien-être et de notre bonheur, et de ses tentatives de réduire notre existence à une lutte pour la simple subsistance et la satisfaction de nos besoins les plus élémentaires ou les plus rudimentaires, c’est elle qui est la principale responsable de la montée en popularité de la droite conservatrice – avec tous les problèmes que cela pose et que je suis bien le dernier à nier ou à sous-estimer – qu’on peut observer dans plusieurs pays occidentaux, qui pourrait s’intensifier au cours des prochaines années, et dont elle se scandalise. Au lieu d’accuser ses concurrents d’être d’extrême-droite et de représenter un danger pour nos démocraties, les grandes et les petites figures de la nouvelle gauche auraient tout intérêt à se défaire de l’absolutisme climatique, à renouer avec les fondements de la gauche, et à ne plus se laisser instrumentaliser par les élites financières mondialistes qui s’efforcent de nous priver des gains, parfois péniblement obtenus, depuis l’industrialisation sauvage de l’économie qui a eu lieu au XIXe siècle – ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas se soucier de manière plus raisonnable des problèmes environnementaux, dont les plus importants ne sont vraisemblablement pas ce qu’on appelle vulgairement les « changements climatiques ».

La nouvelle gauche aurait aussi intérêt à ne pas consacrer autant d’énergie à la lutte contre le racisme systémique, l’islamophobie, le sexisme, l’homophobie et la transphobie, par exemple. Les élites financières mondialistes qui cherchent à accroître leur contrôle sur nous, à nous appauvrir et à nous réduire à la misère s’accommodent très bien de ces revendications, qui détournent les forces de la gauche ou des mouvements d’opposition vers des revendications qui n’impliquent aucunes concessions significatives de leur part, et qui leur permettent de continuer à travailler à notre asservissement sans être dérangées.

Si la nouvelle gauche ne tire aucune leçon de ce qui s’est passé depuis 2020 et voit dans ce que je viens de dire une certaine forme de complotisme, cela en dit plus long sur son compte que sur le mien, et montre à quel point elle est corrompue, dégénérée et irrécupérable, en ce qu’elle persiste à collaborer avec nos maîtres et nos ennemis, de manière voulue ou en étant pour eux des imbéciles utiles qui constituent un véritable fléau pour les individus et l’humanité, qui ne sont d’ailleurs pas des choses distinctes.