Sélection sociale des individus les plus bornés et les plus dociles (ou la domestication)

En croyant s’inspirer de la théorie de l’évolution, une certaine idéologie sociale et économique prétend que ceux qui ont du succès sur le marché du travail ou qui réussissent à faire leur chemin dans notre société (pour beaucoup, c’est tout un) sont supérieurs à ceux qui stagnent ou qui échouent sur le marché du travail et qui restent toute leur vie au bas de l’échelle sociale.

Pourtant personne ne penserait à dire, dans le contexte d’une dégradation importante d’un écosystème, que les vers de terre qui survivraient en se nourrissant des débris organiques seraient supérieurs aux animaux herbivores et carnivores qui périraient. Les lombrics sont seulement mieux adaptés à ce contexte en ce qu’il leur en faut moins pour survivre, par opposition aux animaux plus complexes, pour la survie desquels plus de conditions doivent être réunies.

Personne n’aurait non plus l’idée de dire que les chiens de compagnie, domestiqués depuis des générations, sont supérieurs à leurs cousins les loups parce qu’ils réussissent à vivre en harmonie avec leurs maîtres les humains, en passant le plus clair de leur temps à l’intérieur des maisons et des appartements de ces derniers, alors que les loups sont voués à ne pas pouvoir exister dans les habitations humaines, dans les villes et les villages, et aussi dans les campagnes environnantes, où ils ont été pratiquement exterminés. Les chiens de compagnie peuvent vivre dans la dépendance de leurs maîtres précisément parce qu’ils sont dociles et n’ont pas d’existence autonome, par opposition aux loups, dont le comportement et les instincts sont inadaptés à la vie en captivité.

On ne saurait donc conclure que les espèces animales ou humaines qui prolifèrent dans un environnement donné sont nécessairement supérieures à celles qui sont moins bien adaptées à cet environnement et qui peinent à y survivre. Voici la question qu’il faut se poser, quand on fait ce genre de raisonnements : à quels types d’êtres l’environnement naturel ou social dont il s’agit est-il favorable ? Si c’est à des espèces rampantes, atrophiées, dociles et qui ont des comportements infantiles même à l’âge adulte, comme cela se voit souvent chez les animaux domestiqués, nous pouvons en conclure que les êtres les mieux adaptés à cet environnement sont en général inférieurs à d’autres êtres qui n’y sont pas aussi bien adaptés, justement parce qu’ils leur sont supérieurs. Quand ces derniers ne s’adaptent pas, ils ont tôt fait de devenir en voie de disparation. Quand ils s’adaptent, ils réussissent à survivre et à se reproduire, mais en perdant peu à peu les traits qui les rendaient supérieurs aux êtres mieux adaptés.

La société dans laquelle nous vivons est notre environnement. Bien avant l’entrée en scène du Virus, le travail salarié exigeait déjà de beaucoup d’entre nous de la docilité et de l’étroitesse d’esprit et de cœur. Un bon employé, c’est quelqu’un qui va aux devants des désirs des patrons et des clients, qui s’identifient à son rôle d’employé et à sa fonction dans l’organisation pour laquelle il travaille, et qui organise sa vie en fonction de son travail. Contrairement à ce qu’on croit parfois, cela ne concerne pas seulement les personnes qui occupent des emplois minables ou considérés comme tels. On n’a pas idée de tous les efforts qu’un jeune professionnel arriviste doit faire pour se faire valoir aux yeux de ses supérieurs, se démarquer de ses compétiteurs et gravir les échelons. Malgré les meilleures conditions de travail dont il bénéficie, il est souvent beaucoup plus sollicité par son travail, lequel lui colle souvent à la peau et ne le quitte pas quand il revient à la maison. Et ce qui se passe dans les milieux académiques diffèrent de moins en moins de ce qui se passe ailleurs sur le marché du travail.

La situation est telle que, si nous nous regardons franchement, aucun d’entre nous n’est à l’abri de ces pressions sociales et économiques et entièrement exempt des attitudes peu reluisantes qu’elles favorisent et développent. Mais ce sont assurément les plus dociles, les plus rampants, les plus invertébrés, les plus étroits d’esprit, les plus arrivistes, voire les plus pourris, qui réussissent à se démarquer du lot. Ce que nous faisons avec parcimonie et réticence pour ne pas crever de faim et nous éviter une foule d’ennuis, ils le font sans y penser tant c’est devenu une seconde nature pour eux, ou en se persuadant qu’ils s’accomplissent et qu’ils servent l’intérêt public, ou en y prenant plaisir et en se croyant plus malins que tous les autres.

Avec l’arrivée du Virus, ainsi qu’avec toutes les contraintes qu’on dit nous imposer à cause de lui et les ravages économiques dont il serait l’unique responsable, la situation ne s’est certainement pas améliorée. La docilité a connu une extension et une radicalisation particulièrement rapide. Elle s’applique maintenant à une foule de petits gestes et à notre manière de vivre dans son ensemble. Non seulement on exige et interdit des actes qui étaient considérés comme insignifiants avant, mais on cherche par toutes sortes de moyens d’empêcher la discussion des mesures sanitaires, de la manière de gouverner des autorités politiques et sanitaires et du narratif officiel de la « pandémie ». Certes, on peut faire quelques critiques sans s’attirer trop d’ennuis, mais c’est à condition de ne pas dépasser certaines limites assez étroites. Ceux qui dépassent ces limites publiquement s’exposent à devenir la cible des attaques répétées et acharnées des journalistes, à être rappelés à l’ordre ou renvoyés par leur employeur, ou à être l’objet de sanctions disciplinaires si leur profession est régie par un ordre professionnel. Je pense en particulier aux professionnels de la santé et, de manière plus générale, à tous les employés de l’État. Mais cela peut aussi concerner les comptables, qui ont leurs tribunaux capables de rendre des jugements.

Compte tenu de la situation économique désastreuse qui découle des décisions des autorités pour mener à bien la croisade contre le Virus, les rapports de force sont certainement en faveur des employeurs et non des employés. Ce n’est pas une petite affaire de s’exposer à perdre son emploi présentement ou de ne plus pouvoir exercer sa profession. Et la situation s’aggravera vraisemblablement quand la bulle économique éclatera et quand il nous faudra subir les conséquences économiques qu’on s’est efforcé jusqu’à maintenant de minimiser, dans les deux sens du terme, mais qui nous attendent au tournant. Et les entreprises survivantes ne manqueront pas de nous faire sentir que ceux d’entre nous qui ont un emploi peuvent facilement être remplacés par des chômeurs qui ne demandent pas mieux que de décrocher un emploi et qui sont prêts à se contenter de conditions médiocres et à faire des pieds de mains pour satisfaire les patrons et les clients, même à ramper.

Les mesures sanitaires actuelles – dont certaines pourraient être maintenues encore longtemps, et dont d’autres pourraient être radicalisées et étendues avec le retour au travail des employés en télétravail, qu’on prévoit à l’été, à l’automne ou à l’hiver prochain – pourraient certainement contribuer à la dégradation de la situation. Il est possible que ces mesures soient utilisées par des employeurs paternalistes ou vicieux (bien que les motivations diffèrent, les effets sont à peu près les mêmes) pour faire sentir en permanence à leurs employés la nécessité d’être obéissant, et pour identifier les éléments moins dociles et même récalcitrants, sur lesquels ils pourront exercer toutes sortes de pressions en invoquant le respect des consignes de la Santé publique, ainsi que la sécurité des autres et la leur, afin de leur casser le caractère et de les faire rentrer dans les rangs, d’obtenir leur démission ou de trouver des prétextes pour justifier leur renvoi. Si ces éléments contestataires et récalcitrants ne sont pas matés, les organisations publiques ou privées pourront être purgées d’eux.

Il est certain que les individus les plus bornés et les plus dociles (qui ne pensent qu’à gagner leur vie en servant leurs employeurs, sans se poser de questions et en adhérant même du fond du cœur aux mesures qu’on leur impose), de même que les plus froussards (ils ont peur du Virus et de leurs patrons), s’adapteront assez facilement à cette nouvelle réalité, si ce n’est pas déjà fait. Certains iront même jusqu’à faire de la surenchère morale et à inventer de nouvelles consignes adaptées à leur milieu de travail, soit pour se faire bien voir par leurs supérieurs hiérarchiques, soit parce qu’ils sont persuadés de faire leur part pour protéger la santé de leurs collègues, la leur et celle de tous leurs concitoyens.

Quant à ceux pour qui la liberté n’est pas un vain mot et pour qui l’obéissance à des règles omniprésentes et pointilleuses est révoltante, ils auront de la difficulté à s’adapter à cette nouvelle réalité ou ils refuseront parfois de le faire, en en payant souvent le prix, s’ils ne sont pas assez rusés pour trouver une manière de se faufiler (ce ne sera pas facile, j’en conviens) ou s’ils ne daignent pas le faire. En pliant, leur désir de liberté et leurs aptitudes de résistance et d’opposition s’atrophieront progressivement. En ne pliant pas, ils pourraient se retrouver dans une situation précaire et même devenir des sortes de parias, au sens figuré et au sens propre.

Cette exclusion des éléments « impurs » pourrait culminer par l’entrée en vigueur d’un passeport « vaccinal ». Comme cette exclusion s’appliquerait à toute la société, et pas seulement à une organisation, il n’est pas exagéré de parler d’excommunication, du moins dans les formes les plus autoritaires que pourrait prendre ce dispositif. Dans le cas où toutes les personnes qui refusent d’être vaccinées ne pourraient pas entrer dans les commerces et occuper certains emplois (peut-être même tous), ne pourraient plus utiliser les transports en commun et voyager dans les autres provinces et les autres pays, ne pourraient plus avoir accès à des soins de santé et bénéficier du filet social, et ne pourraient pas fréquenter leurs concitoyens (sauf peut-être en respectant des conditions très strictes), je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dire qu’ils sont excommuniés au nom de l’idéologie sanitaire, qui passe pour une vérité incontestable et le principe qui doit organiser notre vie et la société dans laquelle nous vivons.

Quoi que puissent en dire les autorités politiques et sanitaires, les mesures sanitaires qui façonnent nos vies et la société ne sont pas seulement une affaire de santé publique. Elles sont aussi une affaire de politique. Je dirais même qu’il s’agit avant tout d’une affaire de politique. Nous sommes donc tous concernés en tant que citoyens, et pas seulement en tant qu’objets dociles de ces mesures. Car la démocratie ne saurait s’accommoder de la prolifération des travailleurs et des sujets bornés, dociles et domestiqués, autrement dit de larbins qui pourraient bien assez vite devenir le type humain le plus fréquent, si ce n’est pas déjà le cas.

Pour en revenir à ce que je disais au début de ce billet, au lieu de porter un jugement positif sur ces larbins sous prétexte qu’ils sont adaptés à la situation sociale et économique actuelle et à venir, il faudrait porter un jugement très négatif sur cette nouvelle réalité sociale qui continue de se mettre en place et qui favorise la prolifération des larbins. Voulons-nous vivre dans une société où il y aura presque seulement des larbins, et où nous courons nous-mêmes le risque de nous faire domestiquer, si nous ne nous faisons pas excommunier ?