Essai sur la zombification morale, sociale et politique

Pour montrer le niveau de réflexion du Center for Disease Control (CDC) – qui est pourtant une référence internationale en matière de santé publique – et la petite propagande à laquelle il s’adonne sous prétexte de sensibiliser la population américaine à se préparer aux pandémies et aux autres catastrophes à venir, j’attire votre attention sur une courte bande dessinée publiée sur son site en 2011, laquelle a pour titre Preparedness 101 : Zombie Pandemic. En voici la page couverture :

De la même manière que dans les films américains et les jeux vidéos des deux ou trois dernières décennies, on tâche de donner dans cette fiction une explication doté d’une allure scientifique à l’existence des zombis en inventant un virus très contagieux, alors qu’avant c’était principalement l’œuvre de nécromanciens capables d’animer et de contrôler les morts, ou le résultat d’une simple malédiction, ou (pour ceux qui s’intéressent aux les légendes haïtiennes) l’affaire de sorciers qui, grâce à de puissantes drogues dont ils auraient le secret et à des mises en scène qui frappent l’imagination, seraient capables de simuler la mort de leurs victimes, de leur faire croire qu’ils sont des morts-vivants quand ils reprennent connaissance, et de faire d’eux des esclaves auxquels ils confient toutes sortes de corvées.

Une telle tentative de l’industrie du divertissement d’adapter les histoires de zombis aux croyances de notre époque n’a pas seulement pour effet de leur permettre de mieux s’intégrer dans notre monde où la science joue un rôle important, mais a aussi pour effet de contaminer les représentations que l’on peut se faire des pandémies avec ces histoires de zombis, et de modifier ce qu’il nous semble raisonnable de faire en cas de pandémie. Je sais bien que personne, à part peut-être quelques fous, ne croient que les zombis existent. Il n’en demeure pas moins vrai que ceux qui consomment ce genre de divertissements sont disposés à traiter les personnes qui seraient contaminées par un dangereux virus, ou qui n’auraient pas pris toutes les précautions recommandées ou imposées par les autorités sanitaires, comme des zombis qui risquent d’infecter les autres, qu’il faut isoler du reste de la population, et dont il faudrait à la rigueur se débarrasser ou réduire le nombre, en les « vaccinant » contre leur gré, en les confinant à la maison (Autriche), en les affamant s’il n’y a pas moyen de les faire changer d’idée autrement (Chomsky), ou en les enfermant dans des établissements de détention (par exemple en Australie) construits dans des contrées désertiques ou glaciales, pour ensuite voir dans le taux de mortalité plus élevé au sein de ces groupes une confirmation de la dangerosité du virus et l’efficacité des « vaccins », et non un effet des conditions de détention. Mais laissons à leurs fantasmes tous ces fous.

Il n’est pas innocent que le CDC ait eu recours à cette bande-dessinée pour sensibiliser la population. On dira que ce n’est pas sérieux, que c’est une plaisanterie dont il faut seulement rire, etc. Pour ma part, je trouve que cette bande-dessinée a au moins l’avantage, sous le couvert d’une fiction invraisemblable, de mettre en évidence l’usage que les autorités sanitaires sont capables de faire de la peur pour contrôler l’ensemble de la population en lui imposant toutes sortes de mesures soi-disant sanitaires. Plusieurs des mesures que nous avons appris à bien connaître, depuis 2020, y sont présentes, si bien que nous nous croirions pratiquement revenus au Moyen Âge, pendant une épidémie de peste bubonique, malgré le blabla scientifique qui remplace le blabla ecclésiastique :

  • éviter les contacts ;

  • rester à la maison ;

  • la mise en quarantaine de secteurs ou de villes pour contenir la propagation du virus et des zombis ;

  • se soumettre à des tests de dépistage pour avoir accès à certains lieux ;

  • fabriquer en vitesse un vaccin dont il faut attendre notre salut et procéder à la vaccination des populations à l’échelle internationale pour endiguer le fléau ;

  • faire appel à l’armée pour faire appliquer les mesures soi-disant sanitaires, pour protéger la population et pour s’occuper de l’approvisionnement en doses de vaccin.

Voici un extrait :

Chose curieuse, on ne fait aucune mention de l’industrie pharmaceutique dans cette bande-dessinée, malgré le rôle important qu’elle joue dans la recherche, dans l’approbation et dans la commercialisation des médicaments en général et des vaccins en particulier. Cette omission est aussi révélatrice que ce qui est dit et montré directement dans cette bande-dessinée.

Pour en finir avec cette fiction, on me permettra de douter du bien fondé d’une narration et d’une politique sanitaire qui conviennent, dans leurs grandes lignes, aussi bien à une pandémie imaginaire de zombis qu’à une pandémie de COVID-19, dont on peut se dire qu’elle est presque aussi imaginaire que la première. Pour cette raison, le Centre de contrôle des maladies (et ses équivalents dans d’autres pays) devrait envisager de changer de nom, pour s’appeler dorénavant le Centre de contrôle des populations grâce aux maladies.

Ceci dit, je me demande s’il est possible de faire quelque chose de plus intelligent et de plus favorable – même si c’est sous la forme d’une critique – à notre accomplissement en tant qu’êtres humains, à nos droits, à nos libertés et à nos institutions démocratiques à partir de ces histoires de zombis et de cette figure qui hante notre imaginaire. Il se pourrait que les zombis ne soient pas ceux qui ne se préparent pas adéquatement aux pandémies, qui se font infecter et qui infectent les autres, contrairement à ce que laisse entendre cette affiche du CDC.

En fait, ce sont peut-être le CDC, les autres autorités de santé publique, les gouvernements, les grands médias et les grandes compagnies qui contrôlent les principaux réseaux sociaux et les principales plateformes de diffusion en ligne, qui sont responsables de la constitution de hordes de zombis sous contrôle mental ou, si on préfère, d’une pandémie de zombis dont les « vagues » se succèdent et ne concernent pas seulement la COVID-19 ou n’importe quelle autre maladie infectieuse susceptible de provoquer bientôt une nouvelle pandémie, selon les bonzes de la santé publique, certains experts, les responsables des relations publiques et les journalistes. Car n’importe quelle prétendue urgence – que les autorités n’ont qu’à déclarer pour qu’on soit dans l’obligation de faire de faire comme si elle existait – peut faire l’affaire.


Introduction à la zombification dans une perspective morale, sociale et politique

Nous avons pris l’habitude de croire que nous vivons dans des démocraties parce que nous serions des citoyens, et de croire que nous sommes des citoyens parce que nous vivrions dans des démocraties. Pourtant rien n’est moins certain. Et ce qu’il s’est passé depuis 2020 – la « pandémie » qui ne serait pas encore finie et qu’on pourrait nous servir réchauffée l’automne ou l’hiver prochain, et l’extermination des gentils Ukrainiens par les méchants Russes au nom de laquelle on nous appauvrit et nous plonge dans une grave crise économique qui serait une merveilleuse occasion de rendre le secteur énergétique plus vert – le montre bien. À propos de tous ces problèmes qui nous concernent directement, nos gouvernements et les grands médias nous disent ce qu’il nous faut faire, ce qu’il nous faut dire, ce qu’il nous faut penser et ce qu’il nous faut sentir. Ce n’est pas ainsi qu’on devrait traiter des citoyens et ce n’est pas ainsi que les membres de nos gouvernements et les journalistes devraient agir dans des sociétés démocratiques. Pourtant, depuis l’apparition des démocraties occidentales, une partie de la classe dirigeante plus ou moins importante cherche à transformer les citoyens en sujets ou, encore mieux, en zombis, en les envoûtant grâce aux puissants moyens de communication qu’elle peut utiliser pour leur faire ingurgiter des psychotropes très puissants qui provoquent une sorte de délire permettant d’exercer sur une eux un fort contrôle mental, un peu de la même manière que les bokors haïtiens sont censés s’y être pris avec leurs victimes, mais à plus petite échelle, étant donné que les doses de poison dont disposaient ces sorciers vaudous étaient limitées et que la zombification pratiquée de cette manière n’était pas un mal contagieux. Et l’opération de zombification à laquelle nous assistons – dont nous sommes la cible comme le reste de nos concitoyens, et dont nous devons supporter les conséquences morales, sociales et politiques même si nous sommes plus résistants aux drogues qu’on veut nous faire prendre – a une telle intensité et une telle ampleur qu’il est possible de trouver quelque chose de comparable seulement en temps de guerre, sauf que cette fois-ci on ne se contente pas seulement ou surtout de nous mobiliser pour que nous participions à l’effort de guerre contre un ennemi étranger (le virus ou la Russie) et consentions à d’importants sacrifices pour obtenir la victoire, mais on veut principalement que nous adoptions des comportements et consentions à des décisions du gouvernement inefficaces quant aux buts officiellement visés et ayant des effets très nuisibles pour nous, en allant jusqu’à nous insensibiliser à ces effets – comme les zombis drogués qui continuent de faire les corvées ordonnées par les bokors, malgré la faim, la soif, la fatigue ou le désastre qui doit en résulter tôt ou tard pour eux, ou comme les zombis des films d’horreur qui, déjà morts, continuent de poursuivre leurs proies après s’être fait couper un bras ou deux, une jambe ou deux, ou même la tête.

Une telle insensibilité à ses propres intérêts est incompatible avec la condition de citoyen. Et nous pouvons en dire autant des autres caractéristiques des zombis, qui sont diamétralement opposés aux qualités attendues des citoyens. Faisons un pas de plus : une démocratie où on ne fait pas de cas des intérêts et des conditions d’existence des citoyens, et où ce qu’il reste des citoyens est dilué dans une foule de zombis abrutis ou décérébrés, sans volonté propre et en train de se décomposer, est une démocratie morte-vivante ou plutôt vivante-morte.

 

Envoûtement et propagation des vivants-morts

Commençons par le plus simple : le recours à la peur de la mort ou de la maladie pour zombifier les populations. S’il est incontestable que la peur peut, en certaines circonstances, être un sentiment qui permet d’éviter de mourir, de se blesser ou de tomber malade, elle peut devenir elle-même maladive et être utilisée pour infliger des blessures et provoquer artificiellement ou volontairement la mort, au sens propre ou au sens figuré. N’insistons pas sur la peur panique, qui par sa force sort de la gamme émotive assez limitée dont sont capables les zombis, et qui peut avoir pour effet qu’on court à sa perte en croyant éviter la mort. Ce qui nous intéresse ici, c’est la peur qui paralyse, c’est la peur qui neutralise les capacités d’action, c’est la peur qui hypnotise les êtres vivants et qui les rapproche des morts. Dans le cas des êtres humains, il peut s’agit de la peur pour soi ou pour les autres, ce qui la rend encore plus facile à utiliser par ceux qui cherchent à les manipuler et à se rendre maîtres d’eux, puisqu’il est alors possible de manier ceux qui n’ont pas peur pour eux en utilisant leur peur pour les autres, puisqu’elle permet aussi de manier plus facilement ceux qui ont peur pour eux, en leur procurant un déguisement altruiste grâce auquel ils peuvent dissimuler leur lâcheté et passer pour les premiers. Dans les deux cas, les vivants arrêtent de faire, progressivement ou rapidement, plusieurs des choses que les vivants font normalement à cause de la peur de la mort ou de la maladie que pourrait provoquer un virus très quelconque. Par exemple, ils arrêtent de se rencontrer, ils arrêtent de travailler et ils arrêtent même de sortir de chez eux. Leur domicile devient alors une sorte de tombeau fermé hermétiquement où, pris d’une sorte de torpeur qui se substitue bien assez vite à la peur, ils attendent que le mal passe pour pouvoir recommencer à vivre. Pour certains, c’est ainsi qu’on vivrait avec le virus, alors que c’est plutôt ainsi qu’on arrête de vivre à cause du virus. Car ce qu’ils font revient à faire le mort, individuellement et collectivement, jusqu’à ce que le virus parte et les laisse tranquilles. Si ces personnes continuent d’être vivantes au sens biologique du terme, elles mortes par leurs comportements.

C’est ainsi qu’apparaissent et se propagent les vivants-morts, qui se croient vivants mais qui agissent comme des morts, par opposition aux morts-vivants qu’on ranime sans les ramener à la vie et qui agissent en certains points comme s’ils étaient vivants. On comprendra que, pour les vivants-morts, il en résulte une grande perte de vitalité et un appauvrissement considérable de leur vie. Le contrôle des maîtres sur ces êtres mi-vivants mi-morts, dont la condition diffère assez peu de celle des esclaves, repose sur la ruse consistant à leur faire croire qu’ils restent en santé et en vie parce qu’ils font les morts, alors qu’en fait la maladie (en l’occurrence, mentale et sentimentale) et la mort augmentent leur emprise sur eux à cause de cette mort feinte qui devient réalité. Ce n’est donc pas exagéré de dire que ces personnes deviennent alors des sortes de zombis qui obéissent docilement et machinalement à leurs maîtres, lesquels leur dictent quand, à quelles conditions et pour quelles raisons elles peuvent quitter la maison, se déplacer, travailler et se rencontrer, à la manière des zombis des anciens films ou romans d’horreur, qui sont une imitation grotesque des vivants et qui sont sous le contrôle total des nécromanciens, par la seule volonté desquels ils sont sortis de leurs tombeaux et ne peuvent pas y retourner pour profiter du repos éternel.

 

Zombification de l’intelligence et obéissance aveugle

Pour qu’elles deviennent et restent des zombis, les personnes doivent être soumises à une surveillance constante par leurs maîtres et par leurs pairs qui sont en train de devenir des zombis ou qui en sont déjà. C’est de cette manière que la volonté des maîtres se substitue à leur volonté propre. Ou plutôt, c’est ainsi qu’ils s’approprient la volonté de leurs maîtres, et qu’elle devient leur volonté. La volonté des maîtres, si elle doit se réfléchir dans les actes, les paroles, les idées et les sentiments des zombis, ne doit en aucun cas être réfléchie par les zombis. C’est peut-être à quoi a servi la réglementation pointilleuse et changeante que nous avons connu pendant deux ans, et qu’on a assouplie progressivement depuis quelques mois. Il y a tellement de choses qu’il faudrait faire, ne pas faire ou faire de telle manière et pas de telle autre dans telle circonstance ou dans telle autre qu’il devient impossible de savoir quelles raisons motivent tous ces règlements et toutes ces sanctions, et de savoir quels effets on peut raisonnablement espérer de leur application assidue. Il devient même très difficile de poser ou de formuler toutes les questions qu’il faudrait pour avoir des idées claires et précises sur toutes ces recommandations, obligations, restrictions et interdictions, et tous les durcissements et les renforcements dont ils sont l’objet, qu’il s’agisse des mesures prises sous prétexte de lutter contre la propagation du virus ou de lutter contre l’invasion russe en Ukraine. Puis il faudrait savoir à qui poser ces questions ou où il faudrait chercher pour obtenir ou trouver des réponses satisfaisantes. Étant donné l’ampleur de la tâche et les ressources intellectuelles limitées dont ils disposent, les zombis en viennent à se dire que toutes ces mesures ont certainement été dûment réfléchies par d’autres (la classe dirigeante et des experts) et que les raisons qui les motivent existent quelque part, bien qu’ils ignorent ce que sont ces raisons et ce qui fait qu’on doit les considérer comme bonnes. Cette capitulation inconditionnelle de leur intelligence sonne le glas de ce qu’il reste de cette intelligence. À partir de ce point, tout n’est qu’automatismes subordonnés à la volonté des maîtres.

Plus souvent, les zombis en cours de zombification se contentent des résultats finaux visés en guise de raisons. L’enchaînement des causes et des effets est pour eux recouvert d’un brouillard leur permettant tout juste d’entrevoir confusément quelques formes. Tout ce qu’ils « savent », c’est que s’ils font ou acceptent ce que leurs maîtres exigent d’eux, ceux-ci devraient finir par obtenir les résultats désirés. Pas question pour eux de se demander comment on passe du point A au point B : il leur suffit de « savoir » qu’en partant du point A on devrait arriver tôt ou tard au point B. Ayant perdu progressivement l’habitude d’avoir des idées claires et précises sur quoi que ce soit et de comprendre quelque chose à quoi que ce soit, il n’en faut pas davantage pour satisfaire leurs exigences intellectuelles. Ce qui ne manque pas d’atrophier encore plus le cerveau des zombis, en raison de l’usage très restreint qu’ils en font. C’est ainsi qu’ils s’insensibilisent et s’immunisent même aux incohérences, à l’absurdité et à l’arbitraire des décisions prises par leurs maîtres, avec lesquelles ils doivent composer quotidiennement.

C’est à cause de cette opacité – que les zombis acceptent ou ne reconnaissent pas pour ce qu’elle est – que la volonté des maîtres se réfléchit en eux, mais ne peut pas être réfléchie par eux. Paradoxalement, elle s’enracine au plus profond de leur être même si elle demeure un corps étranger. Ou plutôt : elle s’enracine au plus profond de leur être parce qu’elle demeure un corps étranger. À l’inverse, la volonté des maîtres serait plus difficilement incorporée si les raisons qui la motivent vraiment et les effets qui doivent en résulter pouvaient apparaître clairement aux zombis. Mais alors ils ne seraient pas des zombis.

L’opération de dressage est beaucoup plus efficace quand nos maîtres procèdent de cette manière, que s’ils donnaient à ceux qu’ils dressent la possibilité de s’approprier les raisons véritables ou trompeuses de leurs décisions et de leurs ordres, car l’effort de compréhension que cela exigerait ouvrirait la porte à la discussion et à la critique, notamment quand les effets escomptés tardent à se produire ou quand d’autres effets se produisent. La zombification ne permet pas seulement d’obtenir la conformité des actes à la volonté des maîtres, mais d’obtenir l’obéissance passive et aveugle des automates mi-vivants mi-morts auxquels nous donnons le nom de zombis. C’est pourquoi ceux d’entre nous qui ne sont pas encore des zombis et qui ne désirent pas en devenir ont intérêt à comprendre que le processus de zombification n’est pas simplement subordonné à des objectifs qui lui seraient extérieurs, comme l’obéissance aveugle sur tel ou tel point, mais qu’il est aussi sa propre fin, l’obéissance aveugle sur tel ou tel point servant alors à rendre encore plus zombis ceux qu’on est en train de zombifier.

 

Uniformisation des sentiments et constitution des foules zombifiées

Nous aurions tort de croire que la zombification a seulement des effets mortifères sur l’intelligence : elle a le même type d’effets sur les sentiments. L’intelligence et les sentiments étant étroitement liés, la zombification de l’intelligence entraîne la zombification des sentiments, et vice versa. Ce sont là les deux facettes d’un même processus d’uniformisation, d’asservissement et de dégradation de l’être humain pris dans son intégralité.

Au fur et à mesure que les facultés intellectuelles des zombis se dégradent et que la réglementation de ce qu’ils font, disent et pensent s’intensifie et s’étend, ce sont aussi leurs sentiments qui se dégradent et qui sont réglementés. Il y a des sentiments qu’il faut avoir ; et pour montrer qu’on les a, il y a des choses qu’il faut faire ou dire. Il y a des sentiments qu’il ne faut pas avoir ; et pour montrer qu’on ne les a pas, il y a des choses qu’il ne faut pas faire ou dire. Il en résulte une grande uniformisation et une grande étroitesse des sentiments des zombis. Cette uniformisation porte aussi bien sur l’objet des sentiments que sur leur nature, leur force et leur hiérarchie. Selon où on en est rendu dans tel processus de zombification, il est requis parce que normal, et normal parce que requis, d’avoir tel sentiment à telle intensité et de lui accorder la place qui lui revient dans la hiérarchie momentanée. La zombification implique donc une forte désindividualisation des zombis en devenir. S’il existe bien des différences, c’est essentiellement une affaire de nuances de la même couleur : du rouge ou du vert (selon les époques) s’il s’agit d’employer des hordes de zombis vêtus d’uniformes comme chair à canon et de leur faire faire des massacres, ou du gris s’il s’agit de leur faire prendre leur place dans une grande bureaucratie, ou du bleu poudre s’il s’agit d’imposer à des sociétés entières une discipline hospitalière prenant en charge leur santé physique, mentale et même publique. En donnant une certaine marge de manœuvre, ces nuances donnent une illusion d’individualité et de liberté et rendent ainsi possible la zombification à l’insu des personnes concernées. Elles se retrouvent alors à appartenir de plus en plus à une foule qu’elles ne reconnaissent pas comme telle, alors qu’elle joue insidieusement un rôle très important dans leur zombification. Elles croient alors s’affirmer en tant que personnes libres et exister intensément en s’intégrant à cette foule et en devenant à quelques nuances près interchangeables, alors qu’elles en viennent à maudire de plus en plus l’individualité, la liberté et la vitalité, parfois en leur donnant d’autres noms, parfois en les attaquant sous leur véritable nom.

Les zombis étant trop ramollis pour trouver leur force en eux-mêmes, il la trouve justement dans la foule qui les prive de leur force individuelle ou qui empêche même celle-ci de se développer. Tellement mornes, délavés et délabrés individuellement en raison de la vitalité aspirée par la foule à laquelle ils appartiennent, on les croirait tout juste capables de vaquer aux petites occupations journalières et abrutissantes, si on ne savait pas que c’est aussi cette foule qui leur procure parfois la force collective de commettre les pires atrocités conformément à la volonté de leurs maîtres ou, plus souvent, qui autorise toutes les petites lâchetés ou saletés et les protège des représailles, tout simplement parce qu’ils vont dans le sens du courant et sont en résonance avec la foule qui les possède.

On l’aura compris, les foules de zombis sont plus ou moins intolérantes ou se montrent même haineuses vis-à-vis des non-zombis. On ne peut pas proprement parler de ressentiment puisque les zombis sont tellement bornés et caractérisés par une grande étroitesse de sentiment, que la force ou le poide de la foule rend légitime à leurs yeux, qu’il leur est impossible de concevoir qu’on puisse leur être moralement supérieur, en faisant bien entendu des exceptions pour leurs maîtres, qui appartiennent à une classe à part. Dans la perspective des zombis, il manquerait quelque chose aux non-zombis qu’eux, les zombis, auraient. Et si jamais il leur arrive de percevoir confusément des différences positives, c’est presque toujours pour les considérer comme des caprices sans importance, des lubies étranges et même ridicules, de l’immoralité inadmissible, des dangers insupportables ou du délire criminel.

Enfin, sans nier l’existence d’une certaine inertie dans le conformisme sentimental des foules de zombis, précisons que ce conformisme ne manifeste pas toute sa puissance quand on observe une forte fixité des sentiments, mais quand la normalité sentimentale change et quand les foules de zombis s’ajustent pour demeurer conformes, comme tous les poissons constituant un banc de poissons changent soudainement de direction et s’imitent les uns les autres simultanément, sans qu’on puisse voir où cela commence et comme cela se fait. Ce qui importe, du point de vue des zombis, ce n’est pas la conformité de la foule de zombis à la nouvelle normalité sentimentale, mais la conformité de tous les zombis à ce que la foule fait, dit, pense et sent, quoi que cela puisse être. À leurs yeux, c’est la foule qui est à l’origine de chaque nouvelle normalité sentimentale, en collaboration avec ses maîtres. Ainsi l’envoûtement dont les zombis sont l’objet ne vient pas simplement de l’extérieur, c’est-à-dire d’une sorte de fascination qu’exerceraient sur eux leurs maîtres. En fait, cet envoûtement trouve toute son efficacité quand les maîtres, dans leurs manipulations des zombis, emploient habilement l’effet de foule pour mieux les captiver et les contrôler.

 

Intérêts et analgésie des zombis

Selon les circonstances, la conformité des zombis à ce que la foule de zombis fait, dit, sent et pense peut servir ou desservir leurs intérêts.

Dans le premier cas, qui tend à se produire en temps normal (le processus de zombification ne s’arrête jamais vraiment, bien qu’il connaisse des périodes de relatif ralentissement ou de relative accalmie), les zombis qui réussissent à se démarquer des autres zombis qui appartiennent à la même foule qu’eux, en se conformant plus inconditionnellement et plus ostensiblement aux normes en vigueur, obtiennent divers avantages matériels, institutionnels et symboliques. S’il est vrai qu’ils ressortent du lot, on se tromperait en croyant qu’ils s’individualisent ainsi. En fait, ils deviennent des modèles de réussite et des exemples à suivre pour les autres zombis, en ce qu’en eux s’incarne plus parfaitement tel archétype de zombi ; et ils se retrouvent à occuper des positions privilégiées qu’ils utiliseront pour propager et pour imposer la zombification. Ainsi les zombis qui considèrent qu’ils appartiennent à une sorte d’élite (professeurs, chercheurs, médecins, gestionnaires dans le secteur privé ou public, journalistes pour un grand média, avocats, juges, etc.) ne sont pas à l’abri de la zombification, laquelle n’est pas simplement un mal du petit peuple dont ils cherchent à se distinguer, notamment en prenant plus activement part à la zombification des autres et d’eux-mêmes, puisqu’en zombifiant les autres ils se zombifient encore plus eux-mêmes. Ce qui fait d’eux des sortes de super-zombis, plus profondément zombis et plus zombicateurs que les zombis moyens, c’est-à-dire plus pourris qu’eux.

Il arrive aussi que les zombis, en se conformant plus inconditionnellement et plus ostensiblement aux normes en vigueur dans telle foule de zombis contribue à la prolifération de cette dernière aux dépens d’autres foules ou de non-zombis. Non seulement la force du nombre rejaillit sur chacun d’entre eux, mais elle peut aussi procurer à plusieurs d’entre eux des avantages qu’ils n’auraient pas obtenus autrement, puisqu’ils auraient alors été accordés à des zombis d’une autre foule ou, encore pire ou tout simplement inadmissible, à des non-zombis.

Dans le deuxième cas, qui tend à se produire durant les poussées zombificatrices particulièrement intenses (comme celles que nous connaissons depuis 2020), les zombis, en se conformant plus inconditionnellement et plus ostensiblement aux normes en vigueur dans telle grande foule de zombis, nuisent collectivement à leurs intérêts. S’il arrive que certains d’entre eux obtiennent quelques avantages temporaires ou réussissent à éviter ou à atténuer temporairement certains inconvénients, le désastre dans lequel ils se laissent aveuglément entraîner par leurs maîtres et leurs semblables ne peut que, à moyen ou à long terme, desservir leurs intérêts. Il peut en résulter, par exemple, un appauvrissement généralisé des zombis, une pénurie des choses dont ils ont besoin, un conflit armé dont ils pourraient faire les frais et dont ils auront à subir la dévastation, ou un effondrement de l’ordre social et politique auquel ils appartiennent.

Sauf pour les horreurs réelles, fictives ou mélangées mais toujours exagérées grâce auxquelles leurs maîtres les fascinent, les zombis souffrent généralement d’une anesthésie généralisée, même s’ils sont directement concernés. Outre le fait que ces horreurs amplifiées et martelées en boucle les hypnotisent et les rendent insensibles à ces maux présents ou à venir que leurs maîtres disent infiniment moindres, insignifiants en comparaison et donc faciles à supporter, les zombis ont pris l’habitude d’ignorer et d’endurer toutes sortes de maux et de se conformer ainsi aux normes de la foule dans l’espoir d’obtenir ainsi des récompenses personnelles ou collectives. Si bien qu’ils ne combattent pas ces maux quand il est possible et plus facile de les combattre, les laissent s’aggraver et sont incapables de se représenter les maux beaucoup plus graves qu’ils préparent. Ce qui leur permet aussi d’éviter d’avoir un sentiment d’inconfort et d’insécurité, en restant au sein de la foule de zombis et en se laissant emporter avec les autres par le courant, sans conclure de son accélération qu’il y a une chute plus loin ; ou, s’il devient impossible de ne pas pressentir cette chute, en s’enfonçant encore plus profondément dans les maux qui ne font que l’aggraver. Pour qu’il en soit autrement, il faut que la chute soit juste devant eux, ou même qu’elle les emporte, et alors il sera trop tard. En cela, les zombis font preuve d’une passivité comparable aux petits canetons de plastique qu’on déverse par milliers dans une rivière pour leur faire faire la course et parier sur eux.

 

Continuité de la zombification et usage des intermèdes

S’il existe des épisodes de zombification plus intenses, comme c’est le cas depuis le printemps 2020, le processus de zombification se poursuit en dehors de ces épisodes et, aux yeux de nos maîtres, doit idéalement ne jamais être interrompu. Ces sortes d’intermèdes (on parlera d’assouplissement ou de suspension des mesures, d’un retour à une certaine normalité ou simplement de normalité) ont plusieurs fonctions dans le processus de zombification et donc y jouent un rôle important.

D’abord, l’existence de la zombification sous des formes moins apparentes pendant les temps dits normaux permet d’accoutumer à ce processus les zombis à venir ou en formation et de les préparer à son intensification et à son extension. S’il n’y avait pas déjà du zombi en nous avant ces épisodes plus intenses, et si la zombification accélérée ne pouvait pas se greffer à un processus qui existe déjà, elle serait beaucoup plus difficile à réaliser. Le travail salarié, surtout dans les milieux de travail fortement réglementés et standardisés (par exemple dans les bureaucraties publiques ou privées), permet de banaliser la zombification. En échange d’un salaire minable, décent ou bon, nous consentons à nous faire imposer ces règlements et ces normes malgré leur incohérence, leur inutilité, leur inefficacité, leur absurdité et leur caractère arbitraire, souvent en niant ces caractéristiques, par aveuglement, stupidité ou servilité, pour toutes ces raisons qui peuvent naturellement se combiner et se renforcer. Pour beaucoup, cette zombification plus douce est même une condition de survie dans notre société. Par conséquent, nos maîtres peuvent utiliser cette zombification normale afin de préparer le terrain pour la zombification d’exception et l’utiliser pour implanter cette dernière. C’est ce qui est arrivé avec la réglementation sanitaire, qui est venu se greffer à la réglementation déjà existante dans plusieurs milieux de travail et se combiner avec elle, par exemple en ce qui concerne la normalisation des rapports sociaux, le port d’équipements de protection, les mesures d’hygiène et le bon usage des salles de repos ou à manger.

Ensuite, des variations légères ou modérées dans la zombification normale peuvent servir de ballons d’essai, afin de tâter le degré de docilité et d’aveuglement des foules de zombis et de voir si elles ont été adéquatement préparées à un prochain épisode de zombification plus intense.

Enfin, la zombification normale, quand elle suit un épisode de zombification d’exception, permet de pérenniser et de normaliser une partie des acquis de la zombification d’exception, ce qui pourrait arriver avec des mesures saisonnières comme le port du masque et l’usage du passeport vaccinal durant l’hiver, pour contrer la COVID-19 ou même les autres maladies respiratoires infectieuses. C’est ce qui permet à nos maîtres de progresser dans leur entreprise de zombification, tout en donnant l’impression que l’état d’exception prend fin et en laissant les zombis en devenir respirer un peu, avant de recommencer à les zombifier à fond, en invoquant l’urgence du moment, qu’elle soit sanitaire, humanitaire, militaire, sécuritaire, politique, économique, climatique ou morale. Nos maîtres ont l’embarras du choix.

 

Implications politiques de la zombification et décomposition de la démocratie

L’état de soumission et de servitude dans lequel se trouvent les zombis est diamétralement opposé à l’autonomie nécessaire pour être citoyen et prend part intelligemment au débat public et à la délibération politique. Et sans cette participation des citoyens, il n’y a pas de démocratie à proprement parler : il ne reste que son squelette, auquel sont encore accrochés quelques lambeaux de chair, que nos maîtres ont transformé en marionnette, et qui est sur le point de tomber en morceaux ou en poussière.

Comment ces foules de zombis bien dressés ou domestiqués, dont l’élan vital est presque anéanti, qui n’ont plus de volonté propre, qui sont soumis à un fort contrôle social et mental, qui ne sont pas libres d’organiser eux-mêmes leur propre existence durant les épisodes d’intensification de la zombification et même pendant les intermèdes qui les suivent et les précèdent, dont on dégrade les aptitudes intellectuelles, dont on fait des automates en les contraignant à suivre des consignes pointilleuses, opaques, changeantes, absurdes et arbitraires, dont on uniformise les actions, les paroles, les idées, les sentiments et le mode de vie, qui sont incapables de défendre intelligemment leurs intérêts, qui prennent en grippe ceux qui veulent agir comme des citoyens, et qui sont disposés à se laisser entraîner dans le prochain délire collectif orchestré par leurs maîtres, comment ces foules de zombis, dis-je, pourraient-elles être aptes à s’assurer de la bonne marche et de la vitalité des institutions démocratiques, à s’occuper des affaires publiques, à participer activement au débat public et aux délibérations politiques, à défendre les intérêts de la société démocratique et des citoyens contre leurs maîtres qui corrompent cette société et ces personnes, à exprimer en tant que corps politique leur volonté, à la faire respecter par ceux qui les gouvernent, et à ne pas seulement exprimer et légitimer la volonté que leurs maîtres leur imposent en les zombifiant ?

À partir de ce point, la situation, très critique, peut évoluer de deux manières, car notre société soi-disant démocratique ne peut pas continuer à vivoter indéfiniment, en restant entre la vie et la mort, ou en étant morte-vivante ou plutôt vivante-morte.

Ou bien cet ordre politique achève de se décomposer sans être remplacé immédiatement ou rapidement par un autre ordre politique, et alors c’est la guerre civile, le brigandage, la loi du plus fort, une sorte de retour à l’état de nature, où seront entraînés les zombis comme les non-zombis, l’adaptation étant sans doute plus difficile pour les premiers que les derniers.

Ou bien cet ordre politique est remplacé progressivement ou brusquement par un ordre politique beaucoup plus autoritaire, qui sera parfaitement adapté aux foules d’animaux bien dressés ou domestiqués que constituent les zombis, dans lequel l’illusion de la citoyenneté et de la démocratie ne seront pas nécessaires ou même utiles aux maîtres, où les zombis pourront être ouvertement traités comme les êtres inférieurs et les esclaves qu’ils sont effectivement, et où il n’y aura pas de place pour les non-zombis, à plus forte raison s’ils prétendent être des citoyens et agir comme des citoyens.

D’où l’importance d’affaiblir, d’extirper ou d’éradiquer le zombi qui existe dans chacun d’entre nous et dans ceux qui, plus sévèrement atteints, nous ne pouvons plus considérer comme des concitoyens, mais comme des zombis à part entière. Cette opération de dézombification n’est assurément pas facile. Et peut-être est-elle même vouée à l’échec, étant donné l’ampleur et le nombre des forces qui concourent contre elle. S’il en est ainsi, au moins aurons-nous la satisfaction de ne pas nous être comportés comme les zombis que nous ne sommes pas encore, ou comme les animaux sauvages qu’il nous faudra peut-être redevenir pour survivre et ne pas être dévorés par nos congénères.