Le commerce des indulgences climatiques

Au fur et à mesure qu’apparaissent et se multiplient les mesures d’austérité censées permettre de lutter contre les changements climatiques – réduire ses déplacements, diminuer sa consommation d’énergies fossiles, chauffer moins durant l’hiver et se passer de climatisation durant l’été, prendre sa douche avec de l’eau froide, laver moins souvent ses vêtements, manger beaucoup moins de viande ou la remplacer par de la viande produite en laboratoire, etc. –, les taxes et les programmes de compensation qui permettront de racheter en partie ou en totalité ses fautes continueront de se multiplier. Contrairement aux pauvres et à la classe moyenne qui est en train de disparaître, les riches et les grandes entreprises pourront bénéficier d’indulgences en payant les taxes sur le carbone et en finançant des programmes censés contribuer à la reforestation, à l’efficacité énergétique, à l’électrification des transports, au végétarisme ou au véganisme et à la modernisation de l’industrie agro-alimentaire. C’est ce qui arrive déjà quand les élites politiques et économiques occidentales se déplacent à des milliers de kilomètres dans des jets privés pour participer à des congrès sur la lutte contre les changements climatiques et sur la réduction des gaz à effet de serre, la participation à ces événements et leur financement et le bon exemple qu’elles donnent parfois au peuple en faisant les derniers 500 mètres en vélo étant une compensation plus que suffisante pour les émissions de gaz à effet de serre qui résultent de ces événements et de ces déplacements. C’est ce qui arrive quand les oligarques, qui ont un train de vie indécent qui fait qu’ils émettent dix, cent ou mille fois plus de gaz à effet de serre que les personnes moins bien nanties, investissent d’importantes sommes d’argent pour promouvoir la transition énergétique et pour mettre en marché les produits et les procédés nécessaires à cette transition, qui sont censées sauver la planète et l’humanité de la crise climatique. Tout ce beau monde cesse alors d’être des pécheurs climatiques, ses fautes cessent alors d’en être, et il peut moraliser le peuple qui n’a pas les moyens d’acheter ces indulgences ou qui auront de moins en moins les moyens de commettre des péchés climatiques, qui sont en train de devenir une sorte de luxe.

Je n’invente rien – des activistes climatiques l’ont fait bien avant moi – en comparant le comportement de nos élites et des tartufes de la lutte contre les changements climatiques au commerce des indulgences auquel participaient les princes et les autres nobles, et parfois aussi les riches marchands et les banquiers. Pour racheter leurs péchés, il leur était possible de faire d’importantes donations à l’Église, notamment grâce aux richesses obtenues par l’exploitation de leurs serfs et par leurs pillages, ou par le contrôle du commerce et par l’usure. Les nobles pouvaient aussi financer la construction d’églises, de cathédrales et de monastères, céder des terres aux ordres religieux et leur accorder des privilèges. Ou encore les élites de cette époque pouvaient assumer les frais des croisades, en fournissant des soldats et des navires et en y participant eux-mêmes. Le clergé catholique et le Vatican faisaient alors d’excellentes affaires, qui les enrichissaient et qui leur permettaient d’accroître leur pouvoir et leur influence. En échange, les riches donateurs obtenaient la rémission de certaines de leurs péchés, évitaient les foudres de l’Église pendant leur existence terrestre, et pensaient ainsi échapper au courroux de Dieu et obtenir le salut de leur âme. Cela n’excluait pas, dans certains cas, un retour sur leur investissement, par exemple dans le contexte des croisades, qui étaient en fait des opérations de pillage de grande envergure sanctifiées par l’Église, grâce auxquelles il était possible de s’approprier les richesses des villes conquises, de devenir le seigneur des populations vaincues et de contrôler le commerce avec l’Orient.

Revenons à la situation actuelle ou à venir. Les élites actuelles, comme celles du passé, utiliseront les richesses obtenues en nous exploitant et en nous arnaquant (comme travailleurs, comme consommateurs et comme contribuables) pour se soustraire aux mesures d’austérité qu’elles nous préparent et pour continuer à vivre dans un luxe indécent, tout en moralisant le peuple qui n’en ferait jamais assez pour lutter contre les changements climatiques. Les taxes sur les émissions de gaz à effet de serre qu’ils paient et les programmes d’indulgences climatiques auxquels ils participeront de plus en plus ne permettront pas seulement d’enrichir leurs copains du clergé climatique qui crient à la fin du monde, mais ils permettront aussi la mise en place de mesures d’austérité et d’une dîme qui visent le peuple, la disparation progressive mais peut-être rapide des petites et des moyennes entreprises incapables de payer ces taxes et d’obtenir des indulgences, ainsi qu’un retour sur l’investissement des riches et des grandes corporations sous la forme d’un contrôle plus grand de l’économie, d’une plus grande dépendance du peuple et d’importants profits réalisés grâce à la mise en place des systèmes de surveillance de l’application des mesures d’austérité, à la construction des réseaux énergétiques verts et à l’électrification des transports, qu’il s’agisse des transports collectifs ou des milliards de véhicules privés à essence à remplacer par des véhicules électriques.

Bref, non seulement les oligarques et les grandes corporations utilisent les richesses obtenues en nous exploitant ou en nous arnaquant pour obtenir ou conserver des droits dont nous risquons de plus en plus d’être privés, mais ils obtiennent ces indulgences – qu’ils s’accordent en fait à eux-mêmes – en participant à l’imposition de nouvelles politiques d’austérité qui s’appliqueront seulement à nous et grâce auxquelles ils nous contrôleront encore plus et s’enrichiront encore plus à nos dépens.

Une fois que nous avons compris ce qui se prépare, il est important de ne pas tomber dans le même piège que les protestants quand, scandalisés par le commerce des indulgences fait par l’Église catholique corrompue, ils ont décidé de rompre avec elle et de réformer le christianisme, sans rompre avec la morale austère du péché, et en la poussant parfois plus loin que les bigots catholiques, question de les surpasser en pureté, en incorporant encore plus cette morale à leur personne et à leur existence, à défaut d’avoir des prêtres pour leur accorder des indulgences. Car c’est ce que semble vouloir faire les dévots de la lutte contre les changements climatiques qui dénoncent ce nouveau commerce des indulgences. Ce qu’il faut maintenant, ce n’est pas de généraliser et d’incorporer l’austérité climatique en éliminant les échappatoires et les stratagèmes grâce auxquelles les riches et les puissants pourraient s’y soustraire et même profiter d’elle, mais plutôt d’éliminer l’austérité et les péchés climatiques, tout comme ce qu’il aurait fallu à la Renaissance, ce n’était pas réformer et de purifier le christianisme, mais d’en finir une bonne fois pour toutes avec lui. Si les choses s’étaient passées différemment il y a quelques siècles, nous ne devrions peut-être pas lutter aujourd’hui contre des survivances chrétiennes mises au goût du jour, sous la forme d’une lutte contre les changements climatiques.