Éléments d’une mentalité d’esclave (3)

Suite du billet du 4 septembre 2023

 

Le désir de protection et de protecteurs

On cultive de plus en plus chez nous le désir d’être protégés et d’avoir des protecteurs, même quand nous sommes des adultes et encore plus quand nous sommes des adultes. S’il est compréhensible que les enfants, en raison de la faiblesse de leur corps et de leur esprit et de leur manque d’expérience, désirent être protégés par leurs parents ou d’autres adultes, il l’est beaucoup moins que des adultes, manquant d’assurance ou même apeurés, désirent être protégés par d’autres adultes sauf s’ils sont en fait de grands enfants qui sont adultes seulement de corps. Car le développement de nos capacités physiques, intellectuelles et morales devraient avoir pour effet que nous ne nous sentons pas exposés à des dangers imaginaires et que, dans la majorité des cas, nous sommes capables de nous protéger des dangers réels, individuellement ou en nous associant à d’autres adultes.

Pensons à la situation dans laquelle nous nous trouvions quand nous étions des enfants ou dans laquelle se trouvent les enfants que nous avons ou côtoyons, et ce, sans idéaliser l’enfance. L’enfance est caractérisée par un état marqué de dépendance. Non seulement les enfants dépendent des adultes pour se nourrir, se loger et se vêtir, mais ils dépendent aussi d’eux pour être protégés ou, en cas de dangers imaginaires, pour être rassurés. Il est bien connu que les jeunes enfants, qui ont assez souvent des craintes déraisonnables et injustifiées, n’ont pas connaissance des dangers réels, sauf quand le mal est en train de leur arriver. Une part non négligeable de l’éducation actuelle consiste à sensibiliser les enfants aux dangers qui les entourent, à leur faire craindre et à leur faire prendre les précautions pour les leur faire éviter, qu’il s’agisse du danger de se noyer, d’être mordu par un chien ou d’être heurté par une voiture. Aussi longtemps que les enfants ont besoin des adultes pour évaluer ces dangers et pour juger des risques et des précautions qu’il est raisonnable de prendre, ils dépendent des adultes, qui sont leurs protecteurs. Le fait que les parents et les autres adultes veuillent ou disent vouloir le bien des enfants ne changent rien à cette situation de dépendance.

Nous pourrions même parler d’un état de servitude si l’éducation donnée aux enfants n’avait pour but de les rendre progressivement autonomes sur ce point, mais avait plutôt pour but ou comme effet de maintenir les enfants autant et aussi longtemps que possible dans la peur des dangers et de les garder sous l’aile protectrice de leurs parents et des autres adultes chargés de veiller sur eux.

Le problème, c’est que beaucoup d’adultes sont eux-mêmes démesurément craintifs vis-à-vis de dangers réels ou imaginaires, sont incapables d’évaluer correctement ces dangers et de juger des précautions à prendre ou à ne pas prendre pour leurs enfants et pour eux-mêmes, désirent alors être protégés par d’autres adultes, acceptent parfois même de se mettre sous leur tutelle, et n’ont pas connaissance des dangers réels bien pires mais moins apparents qui découlent de ce manque d’autonomie, de cette dépendance et de ce désir de protection et de protecteurs. C’est ce qui fait d’eux de grands enfants à qui on confie la responsabilité d’éduquer les petits enfants, afin qu’ils deviennent non pas des adultes autonomes, mais de grands enfants comme eux. Le pire, c’est que ces grands enfants ne désirent généralement pas se soustraire à la tutelle de leurs protecteurs, qu’ils désirent pour elle-même et aussi à cause du rôle de protecteurs qu’elle leur permet de jouer à outrance vis-à-vis des petits enfants et aussi vis-à-vis des autres grands enfants, et qu’ils préfèrent à leur propre autonomie et à celle des autres. Cela affecte même ceux qui ne partagent pas cette mentalité d’esclave, puisqu’à moins de faire partie des maîtres, leur liberté dépend grandement de la liberté de leurs concitoyens, qui est très limitée quand ils se plaisent à vivre dans la dépendance, quand ils s’imposent comme des protecteurs des autres adultes (qu’ils soient de grands enfants ou non) et qui exigent que ceux-ci deviennent en retour leurs protecteurs.

Avant l’arrivée du méchant virus, ces grands enfants non seulement acceptaient mais désiraient que, pour les protéger, le gouvernement impose l’obligation de porter une ceinture électrique en voiture, de porter un casque sur les chantiers de construction et d’être surveillés par des sauveteurs dans les piscines et les plages publiques, ainsi que l’interdiction de fumer dans les lieux publics, de traverser la rue ailleurs qu’à un passage piétonnier, d’acheter de l’alcool après 23 heures et de fréquenter un bar après 3 heures.

Il n’est pas étonnant que ces grands enfants aient cherché la protection des autorités politiques, bureaucratiques et sanitaires pour les sauver du méchant virus, et qu’ils aient suivi au doigt et à l’œil toutes les consignes qu’elles leur ont données, qu’ils aient collaboré pour les imposer aux autres adultes et aux enfants, sans chercher à évaluer eux-mêmes les risques et l’efficacité des mesures de protection imposées.

Et ils semblent bien vouloir accepter ou même désirer les mesures d’austérité déjà prises ou qui seront prises par nos gouvernements sous prétexte de les protéger contre les changements climatiques, de sauver planète et d’assurer un avenir à leurs enfants et à leurs petits-enfants, du moins jusqu’à ce qu’ils se sentent sérieusement attaqués dans leur confort et dans leur survie.

Bien entendu, ces grands enfants désirent aussi la protection de nos gouvernements, des médias de masse et des organisations supranationales noyautées par les grandes corporations et les oligarques, contre la désinformation, la mésinformation, la malinformation, les discours haineux, l’extrémisme et le complotisme, en étant incapables d’évaluer correctement les dangers qui résultent du pouvoir démesuré et arbitraire qu’on accorde à ces organisations du seul fait de les laisser décider selon leur bien plaisir ce qui est vrai, réel et moral. Ce qui revient à reconnaître que, pas davantage que les petits enfants, ils ne sont aptes à juger eux-mêmes de ce qu’ils entendent et voient, et qu’ils ont besoin tout comme eux d’être protégés contre les contenus dangereux par des autorités parentales.

Enfin, ils acceptent et désirent même les dispositifs de surveillance et de contrôle de masse que les gouvernements, les employeurs, les corporations informatiques et les institutions financières sont en train de déployer, sous prétexte de les protéger contre les crimes, le terrorisme, l’usurpation d’identité et les attaques informatiques, sans réaliser qu’on les traite de plus en plus comme des suspects, des criminels ou même des prisonniers, tant ils font confiance à leurs protecteurs et désirent être protégés par eux.

Bref, nos soi-disant protecteurs peuvent nous priver de nos droits et de nos libertés et compromettre l’existence de nos institutions démocratiques, et ces grands enfants qui désirent être protégés et avoir des protecteurs les aimeront précisément pour cette raison, et ce, à proportion des droits et des libertés qui seront sacrifiés sous ce prétexte et de la servitude croissante qui en résulte, puisque ces protecteurs auraient alors eu le courage de prendre les moyens qu’il faut pour les protéger et de faire de leur protection la priorité absolue.

C’est comme si des esclaves des siècles passées s’étaient mis à désirer que leurs maîtres les chargent encore plus de chaînes, restreignent encore plus leurs déplacements, les enferment encore plus souvent dans leurs baraquements et contrôlent encore plus ce qu’ils voient, entendent et peuvent donc comprendre, sous prétexte de les protéger contre les blessures, les maladies et les intempéries, et de les mettre à l’abri de propos dangereux qui pourraient empêcher leurs maîtres de les protéger autant qu’ils le voudraient et mettre en danger leur sécurité, leur santé et leur vie et celles de leur progéniture.

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