Le profond sommeil des Canadiens sur la possibilité d’une guerre mondiale

Nous, les Canadiens, n’avons pas connu la guerre sur notre territoire depuis belle lurette. Nous-mêmes, nos parents, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, nos arrière-arrière-grands-parents, et ainsi de suite, ne savons pas ce que c’est que d’avoir la guerre chez nous, d’avoir nos villes assiégées, bombardées, prises et occupées par une armée étrangère. Nous ne savons pas ce que c’est que d’être enrôlés de gré ou de force pour protéger nos demeures, nos proches, nos concitoyens et notre pays d’une invasion. Nous ne savons ce que c’est que d’être capturés, blessés, mutilés et tués au combat. Nous ne savons pas ce que c’est que d’être contraints de travailler pour l’envahisseur ou de lui servir de chair à canon contre nos concitoyens ou contre les autres peuples qu’il envahit. Nous ne savons pas ce que c’est que d’être quotidiennement intimidés par les occupants, et parfois même battus, emprisonnés, torturés, jugés sommairement et exécutés. Nous ne savons pas ce que c’est, après la défaite de notre armée, de rejoindre la résistance, de participer à des actes de sabotage, d’organiser des attaques contre l’armée d’occupation, de procurer secrètement des renseignements aux armées alliées et de lutter clandestinement contre la propagande de l’occupant. Tout au plus savons-nous ce que c’est que d’envoyer à l’étranger quelques centaines ou milliers de soldats, dans le contexte d’une mission de  maintien de la paix ou d’une guerre de « libération », pour pleurnicher chaque fois qu’il y en a un qui est tué par l’ennemi, lequel devrait se laisser exterminer comme de la vermine, puisque nous serions du bon côté, et lui, du mauvais.

Nous, les Canadiens, ne savons pas davantage ce que c’est que de nous faire imposer des mesures de guerre par notre gouvernement, pour soutenir l’effort de guerre, pour renforcer la cohésion sociale contre l’ennemi, pour accroître son pouvoir sur nous, et pour faire taire ou écraser l’opposition. Nous ne savons pas ce que c’est que d’être accusés de trahison, et parfois jugés et condamnés en conséquence, pour avoir osé exprimer publiquement des positions pacifistes, avoir fait un appel à la négociation ou avoir dénoncé l’incompétence de nos chefs politiques et militaires et le peu de cas qu’ils font de la vie des soldats, des conditions de vie des civils et des principes de notre démocratie. Nous ne savons pas ce que c’est que l’inflation de guerre, les pénuries de nourriture, le rationnement et les privations. Nous ne savons pas ce que c’est que de ne plus être capables d’éclairer et de chauffer nos domiciles à cause de pannes d’électricité récurrentes ou durables, et de manquer d’eau potable. Nous ne savons ce que c’est que d’être soumis à un couvre-feu ou à un contrôle rigoureux de nos déplacements, et d’être considérés comme suspects d’activités illégales et non patriotiques quand nous nous faisons prendre à ne pas respecter ce couvre-feu ou ce contrôle, ce qui peut attirer de graves ennuis. Nous ne savons pas ce que c’est que d’être embrigadés et de devoir nous tuer au travail dans des usines de matériel militaire ou dans des exploitations agricoles contre un salaire de misère.

Nous, les Canadiens, nous plaisons à croire que la guerre, c’est quelque chose qui arrive ailleurs et à d’autres que nous, et qu’on voit seulement au téléjournal, dans les journaux, dans des reportages, ou encore dans des films, des séries télévisées ou des jeux vidéo, sous une forme généralement divertissante. Nous et notre pays serions à l’abri de la guerre. Tout au plus pourrions-nous nous retrouver impliqués dans des guerres d’invasion, que nous tentons de nous représenter comme des interventions humanitaires, le plus souvent contre des pays qui ne font pas le poids, le plus souvent contre des pays dont les armées ne peuvent pas rivaliser avec les forces combinées des armées occidentales, et qui ne disposent pas d’une flotte, d’une aviation et de missiles en quantité suffisante et assez avancés technologiquement pour menacer le territoire canadien et celui des autres pays occidentaux. Alors à quoi bon nous inquiéter de bombardements, d’une invasion militaire, et aussi des mesures de guerre que pourrait adopter le gouvernement canadien, pensons-nous. Dangereuse illusion que voilà !

Il s’agit maintenant de la Fédération de Russie, pas de l’ex-Yougoslavie, de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye ou de la Syrie. Et la Russie actuelle n’est plus celle des années 1990, juste après la dissolution de l’URSS. Depuis, elle a eu l’occasion de se développer économiquement et militairement, au point de pouvoir résister aux sanctions économiques occidentales et d’avoir une armée capable de tenir tête aux armées de l’OTAN, voire de les vaincre. Et c’est encore plus vrai étant donné son alliance avec la Chine, qui s’est aussi considérablement développée économiquement et militairement au cours des dernières décennies, et à laquelle le gouvernement américain cherche noise dans le Pacifique, notamment en cherchant à faire de Taïwan une sorte d’Ukraine asiatique.

Ce qui confirme que, pour beaucoup, nous ne parvenons pas à concevoir que la guerre est quelque chose qui pourrait avoir lieu chez nous, au Canada, ou qui pourrait affecter nos vies sans se dérouler sur notre territoire, c’est que les mesures de guerre qu’on nous a imposées sous prétexte sanitaire, ou sous prétexte de guerre contre le virus, n’ont généralement pas été reconnues pour ce qu’elles sont, qu’il s’agisse de l’incessante propagande, du contrôle de nos déplacements et de nos fréquentations (entre autres grâce au passeport vaccinal), du port obligatoire d’un accessoire vestimentaire constituant une sorte d’uniforme (le masque), du couvre-feu, de la dénonciation et de la persécution des opposants, et de l’imposition d’une discipline hospitalo-militaire à toute la société. Pour la plupart, les Canadiens ne peuvent même pas encore concevoir qu’une guerre contre le virus soit une manière détournée de nous faire la guerre, pas plus qu’une guerre directe ou indirecte contre la Russie puisse être une manière de nous faire la guerre. Pourtant, les guerres ont presque toujours lieu sur deux fronts, le front extérieur (contre l’ennemi extérieur ouvertement identifié) et le front intérieur (contre l’ennemi intérieur, ouvertement identifié ou non). Pourtant, la guerre de nos gouvernements contre l’ennemi intérieur peut être utilisée pour nous mobiliser contre l’ennemi extérieur, tout comme leur guerre contre l’ennemi extérieur peut être utilisée pour justifier, excuser ou déguiser des attaques contre l’ennemi intérieur.

La situation est d’autant plus inquiétante qu’au Canada et ailleurs en Occident, la guerre de plus en plus directe contre la Russie a permis la mobilisation d’une partie de la classe politique qui s’était mise à réclamer vivement la levée des mesures soi-disant sanitaires en 2022 (le Parti conservateur au Canada) et aussi d’une partie des citoyens qui se sont opposés aux mesures soi-disant sanitaires, à partir du début ou plus tard. À l’inverse, heureusement, des conformistes en matière sanitaire n’ont pas pu être mobilisés pour la guerre contre la Russie et critiquent le soutien financier et militaire accordé à l’Ukraine et les sanctions déraisonnables et inefficaces adoptées contre la Russie, qui empêchent les négociations de paix et contribuent à une escalade du conflit militaire. Si bien qu’il est légitime de nous demander si, en cas de conflit encore plus direct avec la Russie, un retour des mesures de guerre pseudo-sanitaires (à cause d’un nouveau variant, d’un nouveau virus ou d’autre chose) serait une bonne manière de contrôler l’opposition politique et citoyenne, au Canada et dans les autres pays occidentaux. Car l’opposition politique et citoyenne aux mesures sanitaires qu’on a pu mobiliser pour la guerre contre la Russie pourrait recommencer à s’opposer au gouvernement s’il réactivait les mesures de guerre soi-disant sanitaires pour accroître son contrôle sur la population en temps de guerre et, dans certains cas, pourrait faire des rapprochements entre les mesures de guerre à strictement parler et les mesures de guerre soi-disant sanitaires. D’un autre côté, malheureusement, ceux des opposants à la politique d’escalade militaire contre la Russie qui ne sont pas aussi des opposants aux mesures soi-disant sanitaires pourraient à nouveau être mobilisés par le gouvernement grâce au retour de ces mesures, à moins qu’ils se mettent eux aussi, dans certains cas, à faire des liens entre les mesures de guerre à strictement parler et les mesures de guerre soi-disant sanitaires, mais en sens contraire.

En ce qui concerne les sujets dociles du gouvernement canadien et des autres gouvernements occidentaux, qui sont certainement majoritaires au Canada, ils continuent à dormir d’un profond sommeil et à vaquer tranquillement à leurs occupations, en se plaignant parfois de l’inflation. Mais cela ne porte pas à conséquence. Une fois qu’ils ont pleurniché, qu’ils se sentent un peu mieux, et qu’ils ont montré, aux autres et à eux-mêmes, qu’ils ne sont pas complètement aveugles et ramollis, ils peuvent se rendormir. En fait, si de nombreux Canadiens, sous l’incitation du gouvernement et des médias de masse qui lui servent d’agences de communication, ont pu s’indigner de l’invasion « barbare » de l’armée russe en Ukraine il y a presque un an, ils y pensent et en discutent de moins en moins souvent. Cette guerre leur semble si loin et ne plus devoir dégénérer en une guerre capable d’affecter leur vie. Ils continuent alors de vaquer à leurs petites occupations et, quand ils s’intéressent à la guerre en Ukraine, c’est comme à quelque chose qu’ils voient sur leur écran de télévision ou sur leur ordinateur et qui ne peut pas les concerner directement, en tant qu’habitants du Canada. C’est ainsi qu’ils peuvent laisser les dirigeants canadiens suivre la politique d’escalade occidentale, sans se demander si le Canada peut tôt ou tard être entraîné dans une guerre mondiale, en compagnie des autres pays occidentaux. Étant donné notre faiblesse militaire et l’efficacité de l’armement russe, la destruction qui en résulterait pourrait être grande, voire totale.

Il est raisonnable de craindre des actes fous de la part de nos gouvernements à la suite de l’effondrement prochain des lignes de défense de l’armée ukrainienne dans le Donbass. Comme ils ne cessent de nous le répéter depuis presque un an, il faudrait coûte que coûte empêcher la victoire de la Russie, qui mettrait en grave danger nos démocraties ou nos valeurs démocratiques, auxquelles ils prétendent tenir quand il s’agit des autres pays. Des gouvernements occidentaux envisagent déjà d’envoyer des avions de chasse en Ukraine, par exemple pour attaquer la Crimée ou d’autres territoires de la Russie, en partant de bases militaires se situant dans des pays de l’OTAN (celles qui sont en Ukraine ont déjà été détruites ou pourraient l’être assez facilement) et peut-être avec des pilotes occidentaux à bord. Et après, qu’est-ce que ce sera ? L’envoi de troupes occidentales en Ukraine pour lutter directement et ouvertement contre l’armée russe ? Ou encore des frappes de missiles occidentaux à longue portée contre des bases militaires et des villes russes, en Crimée ou ailleurs ? Alors les risques de guerre mondiale seraient bien réels. Car l’armée russe en viendrait tôt ou tard par répliquer contre des pays européens, contre les États-Unis et peut-être contre le Canada, si son armée prenait une part active dans ces actions militaires et si ses dirigeants ne se dissociaient pas de cette folie.

Quand nous, les Canadiens, allons-nous nous réveiller ? Continuerons-nous encore longtemps à nous raconter des histoires, à nous imaginer que les choses ne vont pas si mal et qu’elles vont même bien, à nous faire croire que cette guerre ne nous concerne pas directement, et à penser que nous sommes bien à l’abri, de l’autre côté de l’océan Atlantique et de l’océan Arctique ? Faudra-t-il que notre gouvernement nous impose des mesures de guerre rigoureuses et que nous nous prenions quelques missiles sur la gueule pour que nous nous réveillions enfin ? Sommes-nous trop bêtes et trop endormis pour comprendre autrement en quoi consiste l’horrible réalité de la guerre ? Serons-nous alors encore là pour tirer profit de cette leçon péniblement apprise ?

Le principal danger pour nos pays dits démocratiques, ce n’est donc pas la Russie prise en elle-même. Ce sont plutôt nos dirigeants et ce qui leur permet de nous diriger et de nous entraîner dans une guerre dévastatrice sans avoir à tenir compte de nos intérêts, sans être tenus responsables devant nous de leurs décisions, et en pouvant difficilement être arrêtés par des moyens prévus dans nos institutions politiques. Ce sont aussi notre passivité politique et notre vulnérabilité à la propagande de guerre. C’est aussi la disparation ou la perversion du pacifisme, qui consiste maintenant à alimenter une guerre en Europe, à prétendre imposer la paix par les armes, et à refuser ou à saboter les négociations de paix avec la Russie. Nous voilà loin des manifestations contre l’invasion de l’Irak en 2003 et de l’opposition qu’elle a rencontrée dans la classe politique de certains pays occidentaux.