Plan de réouverture de la Saskatchewan

Notre premier ministre a déclaré qu’il veut s’inspirer du plan de déconfinement de la Saskatchewan pour présenter aux Québécois un plan semblable d’ici quelques semaines, afin de nous donner des points de repère et de nous rendre prévisible ce que les prochains mois nous réservent. Voici des intentions très louables. Mais il nous a déjà fait de semblables promesses l’automne dernier : il en est sorti le système d’alertes de couleur qu’on a appliqué de manière régulière, dont on a changé les mesures sanitaires propres à chaque palier, et auquel on a ajouté une nouvelle mesure d’importance, le couvre-feu, et un nouveau palier, le rouge foncé. Espérons qu’il en sortira autre chose que ce fatras de règles qui, au lieu d’encadrer les décisions du gouvernement, lui permet de n’en faire qu’à sa tête, selon la lubie du moment. Espérons qu’on ne nous présentera pas un plan de déconfinement qui est le reflet renversé du plan de reconfinement qu’on nous a présenté en septembre 2020.

Voyons ce que dit le fameux plan de déconfinement saskatchewanais, sans présumer que le gouvernement québécois nous présentera nécessairement un plan semblable, malgré l’habitude bien documentée des différents gouvernements de s’imiter les uns les autres depuis le début de la « crise sanitaire ». Rappelons que notre gouvernement entend souvent en faire plus que les gouvernements des autres provinces canadiennes, sans doute parce que le Québec est une société distincte qui doit se démarquer de ces rivales anglophones. Le couvre-feu qu’on nous impose depuis janvier, et qui pourrait durer encore des semaines ou des mois, est un bel exemple du zèle sanitaire de notre gouvernement.

C’est le 4 mai 2021 que le gouvernement de la Saskatchewan a publié sur son site un communiqué de presse intitulé : « Re-Opening Roadmap: A Gradual, Measured Approach to Easing Public Health Measures ». Notons que des expressions comme « graduel » et « mesuré » sont tout à fait compatibles avec l’esprit qui a donné naissance au système de paliers d’alerte de couleur, qui était censé nous permettre d’éviter le reconfinement grâce à des mesures graduelles et ciblées, avec les résultats qu’on connaît. Enfin il s’agit de diminuer progressivement (easing) les mesures de la sanitaire dans ce plan de déconfinement, et rien ne suggère dans son titre qu’on pourrait en arriver progressivement à une abolition de toutes les mesures sanitaires, pour un retour intégral et définitif à la normale.

Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, déclare ceci au début de ce communiqué de presse (c’est moi qui traduis, aucune version française de ce document n’étant disponible) :

« Le chemin qui mène à la fin de la pandémie passe par la vaccination. Aujourd’hui nous fournissons à la population de la Saskatchewan un plan d’action qui montre comment nous en arriverons là, ainsi que des marqueurs importants qui jalonnerons notre route. Ce n’est pas seulement un plan de réouverture. C’est aussi un plan pour encourager la population à se faire vacciner et à continuer de suivre toutes les mesures sanitaires. Ce sont les deux choses que nous devons faire pour franchir les trois étapes de la réouverture, afin d’avoir un bel été saskatchewanais et de revenir à la normale. »

Il est donc clair que ce qui permettra de progresser dans les étapes de réouverture de la province, ce n’est pas tant une amélioration de la situation épidémiologique, que des objectifs de vaccination à atteindre. S’il est vrai que le gouvernement saskatchewanais s’attend à ce que cette amélioration résulte de l’avancement de la campagne de vaccination, elle ne fait pas partie des conditions qui permettent de passer à une nouvelle étape du plan de réouverture.

Tout au plus la situation épidémiologique sera prise en compte si elle n’est pas assez bonne pour aller de l’avant :

« Les taux provinciaux d’hospitalisations continueront d’être suivis de près pendant la réouverture. Si cela est nécessaire en raison des pressions subies par le système de santé, une étape de la réouverture pourra être interrompue le temps de réagir à la transmission de la COVID à l’échelle régionale et provinciale. »

Il est remarquable qu’on ne précise pas à partir de quel point les hospitalisations doivent être considérées assez problématiques pour retarder le plan de réouverture. Cela est laissé à la discrétion des autorités politiques et sanitaires, si jamais la situation se présente.

Voyons maintenant en quoi consistent les assouplissements des mesures sanitaires pour chacune des trois étapes du plan de réouverture.

 

Étape 1

« L’étape 1 consiste en un assouplissement prudent des mesures sanitaires à travers la province, incluant le fait d’arrimer Regina et les communautés environnantes aux mesures sanitaires qui s’appliquent au reste de la province. Les changements aux mesures sanitaires incluront :

  • l’ouverture des restaurants et des bars avec un maximum de six personnes par table, avec deux mètres de distance ou des barrières physiques entre les tables, avec les pistes de dance et les buffets qui restent fermés, alors que la loterie vidéo peut rouvrir ;

  • occupation maximale des lieux de culte de 30 % ou 150 personnes (le plus bas des deux) avec le maintien de la distanciation sociale entre les maisonnées ;

  • reprise des activités d’entraînement physique intenses, comme l’aérobie ou le « spin » avec le maintien de trois mètres de distance entre les participants ;

  • les restrictions présentement en vigueur sont maintenues pour la vente au détail, les services de soins personnels, les salles de réception, les casinos, les salles de bingo, les théâtres, les galeries d’art, les bibliothèques et les centres de loisirs ;

  • les protocoles présentement en vigueur sont maintenus dans les institutions d’enseignement primaire, secondaire et post-secondaire, de même que dans les centres de garde ;

  • limite de 10 personnes pour les rassemblements privés intérieurs et extérieurs, incluant les rassemblements dans des domiciles privés ;

  • limite de 30 personnes pour les rassemblements publics intérieurs ;

  • limite de 150 personnes pour les rassemblements publics extérieurs ;

  • maintien du port du masque obligatoire dans toute la province. »

 

À part quelques différences à propos de la limite de personnes pour les rassemblements, l’étape 1 s’apparente à un mélange des paliers jaune et orange en vigueur au Québec. Si le gouvernement québécois décidait d’appliquer ici un plan de déconfinement dont la première étape consisterait à peu près en ceci, les régions du Québec qui sont déjà à ces paliers ou qui pourraient l’être d’ici quelques semaines ne gagneraient presque rien à l’atteinte des objectifs de vaccination et au début du plan de déconfinement qui en résulterait. Du moins il en serait ainsi si le gouvernement s’en tenait rigoureusement aux critères qui font passer d’un palier d’alerte à l’autre. Quant aux régions qui seraient toujours aux paliers rouge et rouge foncé, il est douteux que le gouvernement déciderait d’y assouplir de cette manière les mesures sanitaires même si les objectifs de vaccination étaient atteints, surtout s’il continuait à prendre comme principal indicateur de la situation épidémiologique le nombre de cas de contamination dépistés.

Si les choses se passaient effectivement ainsi, nous serions en droit de nous demander à quoi servirait cette première étape du plan de déconfinement qui aurait pour effet des assouplissements qui devraient résulter du passage aux paliers orange et jaune pour plusieurs des régions du Québec, et qui devrait être reportés pour les régions qui seraient toujours aux paliers rouge et rouge foncé. Le plan de déconfinement, en ce qu’il comporterait des objectifs de vaccination à atteindre pour passer à chaque étape, n’imposerait-il pas des conditions supplémentaires au déconfinement, au lieu de simplement le permettre ou l’accélérer ? Ne serait-il pas alors surtout un incitatif à la vaccination, ou même une duperie, en ce qu’il s’appuierait sur la promesse d’assouplissements qui devraient probablement être accordés d’après une application rigoureuse du système de paliers d’alerte de couleur ?

 

Étape 2

« À l’étape 2, les mesures sanitaires seront assouplies de la manière suivante :

  • abolition de la capacité maximale dans les commerces de détails et pour les services de soins personnels, avec obligation de maintenir un taux d’occupation qui permet la distanciation physique ;

  • abolition de la capacité maximale à un même table dans les restaurants et les bars, avec l’obligation de garder deux mètres de distance ou de poser des barrières physiques entre les tables, alors que les pistes de danse et les buffets restent fermés ;

  • limite de 150 personnes dans les salles de réception, les salles de bingo, les théâtres, les galeries d’art, les bibliothèques et les centres de loisirs, avec obligation de maintenir un taux d’occupation qui permet la distanciation physique, et de respecter les directives qui s’appliquent aux restaurants quand de la nourriture est servie ;

  • même chose que l’étape 1 pour les « gyms » et les centres de conditionnement physique, ainsi que pour les institutions d’enseignement primaire, secondaire et post-secondaire et les centres de garde ;

  • levée de toutes les mesures restantes qui concernent les activités sportives, pour les enfants et les adultes ;

  • limite de 15 personnes pour les rassemblements privés intérieurs, incluant les rassemblements dans des domiciles privés ;

  • limite de 150 personnes pour les rassemblements publics intérieurs et extérieurs et les rassemblements privés extérieurs ;

  • maintien du port du masque obligatoire dans toute la province. »

Si je me souviens bien, cela correspond à peu près à ce que nous avons connu l’été dernier et au palier d’alerte vert (tel qu’on nous l’a présenté l’automne dernier), avec peut-être plus de souplesse pour les rassemblements privés et la pratique des sports. Il serait donc possible pour plusieurs régions du Québec d’obtenir ces assouplissements cet été par la simple application du système de paliers d’alerte de couleur, sauf si le fait de faire quelques milliers de tests de dépistage par jour maintenait à un niveau trop élevé les nouveaux cas de contamination dépistés quotidiennement. Par conséquent, les remarques faites à propos de l’étape 1 s’appliquent aussi dans une grande partie à l’étape 2.

 

Étape 3

« À l’étape 3, la plupart des mesures restantes seront levées. Une ligne de conduite sera préparée à propos de la taille des rassemblements et le port du masque à l’intérieur en se basant sur le déroulement des deux premières étapes. Les mesures sanitaires portant sur la taille des rassemblements et le port du masque à l’intérieur seront maintenues jusqu’à ce que cette ligne de conduite soit finalisée. »

Ainsi il est envisageable de mettre fin ou d’assouplir l’obligation de porter le masque à l’intérieur et les restrictions portant sur la taille des rassemblements, ce qui serait un gain significatif, comparativement à ce qui est possible dans le cadre du système d’alertes de couleur. D’un autre côté, le gouvernement saskatchewanais ne s’engage à rien. Notre gouvernement serait tout à fait capable d’adopter une posture semblable. On nous dira peut-être bientôt – comme on l’a dit aux Saskatchewanais – qu’on évaluera la situation pour décider ce qu’il sera pertinent de faire quand on sera rendu à cette étape. Et en attendant : « Faites-vous vacciner ! »

Ce qui nous mène à la poursuite de la campagne de vaccination, qui en Saskatchewan n’est pas massive comme ici, mais agressive. Voilà qui est rassurant…

 

Poursuite de la campagne de vaccination agressive

« Même après l’atteinte des objectifs de vaccination, le programme agressif de vaccination de la province se poursuivra à toute allure jusqu’à ce que tous les résidents de la Saskatchewan aient l’occasion d’être complètement vaccinés.

« Même quand nous aurons atteint ces cibles, nous devons continuer à vacciner le plus de personnes possible, et tout le monde doit avoir sa deuxième dose pour être totalement protégé », a déclaré Moe (l’homologue saskatchewanais de Legault).

« Nous devons atteindre le plus haut taux de vaccination possible pour nous protéger nous-mêmes et protégez ceux qui, dans notre province, ne peuvent pas recevoir le vaccin », a déclaré Shahab (l’homologue saskatchewanais d’Arruda). C’est seulement une question de semaines avant que la deuxième dose de nos vaccins à deux doses soit disponible, laquelle procurera une protection complète aux résidents de la Saskatchewan. »

 

Omissions

Pour conclure, voici ce dont il n’a pas été question dans ce communiqué de presse, ce qui est parfois aussi important que ce dont on parle :

  • On ne parle pas de faire une distinction entre les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées dans la levée des mesures. Faut-il en comprendre qu’on n’a pas l’intention de pénaliser les personnes non vaccinées par choix, pour autant que les objectifs de vaccination soient atteints ? Ou bien est-il sous-entendu que la levée des mesures sanitaires s’appliquera bien entendu seulement aux personnes vaccinées et peut-être aux personnes non vaccinées parce que ne pouvant pas recevoir le vaccin ?

  • On ne parle pas non plus de passeport vaccinal. Mais peut-on s’y fier, compte tenu qu’on prétend vouloir continuer avec zèle une campagne de vaccination qu’on qualifie d’agressive ?

  • Il n’est jamais question de la fin du dépistage massif, du traçage des contacts et de l’obligation de s’isoler à domicile si l’on reçoit un résultat positif à un test de dépistage ou si l’on a été en contact avec une personne qui a reçu un résultat positif. Pourtant peut-on se considérer moindrement libre si l’on peut toujours être séquestré pour deux semaines, du jour au lendemain ?

  • Que se passera-t-il si le virus – peut-être sous la forme d’un nouveau variant qu’on dira encore plus contagieux – recommence à circuler l’automne prochain, et si les vaccins n’ont que peu d’effet sur la transmission ? Imposera-t-on à nouveau les mesures sanitaires levées pendant l’été, exactement comme cela s’est produit l’automne et l’hiver derniers ? Voudra-t-on injecter une troisième dose de vaccin à la population pour accroître encore son immunité ? Voudra-t-on lui injecter un autre vaccin spécialement conçu contre le nouveau variant du moment ? Imposera-t-on de nouveaux objectifs de vaccination à la population pour la levée de ces mesures ? Entra-t-on alors dans un cycle saisonnier de mesures sanitaires, de vaccination massive ou agressive et de levée des mesures sanitaires ?

  • Enfin il n’est pas question, dans ce plan d’urgence, de la fin de l’état d’urgence sanitaire et des pouvoirs exceptionnels que le gouvernement s’est accordés à lui-même. Pourtant il ne saurait y avoir de véritable sortie de la « crise sanitaire » et de véritable retour à la normale sans l’annulation de cet état d’urgence et de ces pouvoirs exceptionnels.

Voilà des questions sur lesquelles le gouvernement de la Saskatchewan ne se prononce pas dans son plan de déconfinement et d’incitation à la vaccination. Il est plausible que le plan de déconfinement et d’incitation à la vaccination du gouvernement québécois contiendra les mêmes zones d’ombre. Ce qui, le cas échéant, pourrait difficilement s’expliquer par un simple oubli.

Gardons ça en tête quand on nous présentera ce fameux plan. Et s’il en est comme j’ai dit, ne nous laissons pas duper par notre gouvernement.