Diktats sur le passeport vaccinal, décrets à venir et absence de loi

Ce que nous savons actuellement sur le passeport vaccinal se réduit à presque rien. Nous savons ce que nous en disent les autorités politiques et sanitaires dans leurs points de presse et sur le site gouvernemental consacré à la crise dite sanitaire. Autrement dit, nous savons seulement que le passeport vaccinal entrera en vigueur au début du mois de septembre et qu’il sera requis pour aller dans les bars, les restaurants et les gyms, et pour assister à des matchs sportifs et à des festivals, par exemple. Il est censé s’appliquer seulement, pour l’instant, à certains services non essentiels et exclure les commerces de détail. Mais cela pourrait changer l’automne et l’hiver prochains, en fonction du nombre de « cas » dépistés.

Ce qu’on trouve sur le site du gouvernement ne nous dit presque rien de plus :

 

« Passeport vaccinal

Le passeport vaccinal COVID-19 sera un document officiel et gratuit attestant qu’une personne est bien protégée contre la COVID-19.

Le passeport vaccinal pourrait notamment permettre de voyager à l’étranger et d’accéder à des activités non essentielles aux personnes adéquatement protégées en cas de recrudescence des cas. Les travaux se poursuivent, mais il est envisagé d’utiliser le passeport vaccinal pour les activités non essentielles suivantes :

  • les activités à risque élevé regroupant un nombre limité de personnes (gyms, sports d’équipe, bars, restaurants, etc.);
  • les activités à risque modéré ou faible, regroupant un plus grand nombre de personnes (arts et spectacles, festivals et grands événements, matchs sportifs, etc.).

Son utilisation spécifique sera déterminée en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique et de la couverture vaccinale au Québec.

Le passeport vaccinal ne sera pas exigé pour accéder aux services essentiels comme l’enseignement (primaire, secondaire, postsecondaire) ou par un employeur comme critère d’embauche.

La date visée pour sa mise en application est le 1er septembre 2021, lorsque certaines conditions seront réunies, entre autres :

  • la possibilité d’avoir accès à deux doses aura été offerte à toute la population québécoise âgée de 12 ans et plus;
  • la technologie sera fin prête pour permettre de reconnaître efficacement toutes les personnes adéquatement protégées, incluant celles avec un antécédent d’infection. »

(Site du gouvernement du Québec, « Passeport vaccinal COVID-19 », consulté le 14 août 2021. C’est moi qui souligne.)

 

Les passages soulignés laissent entendre que le passeport vaccinal pourrait être utilisé pour d’autres choses que ce qui est envisagé actuellement. Le critère selon lequel il serait nécessaire de l’utiliser et d’en élargir l’utilisation est très vague : une recrudescence de cas. Voilà un critère qui est le summum de l’exactitude juridique et de la rigueur scientifique ! Après quoi on nous dit que son utilisation spécifique sera déterminée en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique et de la couverture vaccinale au Québec. Ce qui est, en langue de bois, une manière de dire que les autorités politiques et sanitaires pourront, de manière assez arbitraire, changer les règles du jeu l’automne et l’hiver prochains, comme cela s’est produit l’année dernière à la suite de l’implantation du système de paliers d’alertes de couleur. Il faut donc relativiser l’affirmation selon laquelle le passeport vaccinal ne sera pas utilisé pour accéder aux services essentiels ou par un employeur comme critère d’embauche. Ce dernier passage, par sa précision qui détonne avec le flou d’ensemble, est fort suspect. On a l’impression que le gouvernement se ménage la possibilité de rendre la vaccination obligatoire pour des groupes de travailleurs ou ménage cette possibilité à l’employeur, pourvu que cette exigence ne soit pas exprimée explicitement au moment de l’embauche, mais seulement avec des travailleurs déjà embauchés. Il importe donc de demeurer sur nos gardes.

Rien dans cette brève description du passeport vaccinal ne permet de nous assurer qu’il est temporaire et de ce qu’on entend par temporaire (quelques semaines, quelques mois ou quelques années). Tout au plus sait-on que la manière dont il sera utilisé dépendra de l’évaluation gouvernementale de la situation épidémique, ce qui revient à dire que c’est tout abandonné à l’arbitraire du gouvernement, ce qui revient à dire que ce dispositif pourrait aussi bien être temporaire, être là pour rester ou devenir saisonnier ou cyclique, en fonction des variations des « cas » d’infection.

Rien non plus ne nous permet de savoir quelles sont les sanctions qui attendent les clients et les entrepreneurs qui pourraient décider de contourner l’utilisation du passeport vaccinal. Devons-nous attendre des amendes comme celles pour les rassemblements interdits, le non-respect du couvre-feu et le fait de ne pas porter un masque dans un lieu public intérieur ? Ou devons-nous craindre des sanctions beaucoup plus sévères, comme celles qui sont en vigueur en France, à savoir des amendes beaucoup plus élevées et des peines d’emprisonnement ? Comment évaluer si l’utilisation du passeport est proportionnée et compatible avec notre charte des droits et libertés si on nous maintient dans l’ignorance sur ce point ? Et pourtant le passeport vaccinal devrait commencer à être utilisé dans deux semaines…

Disons les choses franchement : nous sommes soumis aux diktats des autorités politiques et sanitaires, en vertu de l’état d’urgence sanitaire qu’elles ont elles-mêmes déclaré, qu’elles semblent vouloir prolonger encore bien longtemps, et auquel l’Assemblée nationale ne pourrait pas mettre fin même si elle le désirait, le parti gouvernemental détenant la majorité des sièges.

Le gouvernement n’a pas encore daigné promulguer un décret ou un arrêté à propos de l’implantation prochaine du passeport vaccinal. Du moins n’ai-je rien trouvé sur le site du gouvernement. Les décrets promulgués depuis juillet semblent seulement renouveler l’état d’urgence sanitaire et une recherche par mots-clés dans les arrêtés ne m’a rien permis de trouver. Nous pouvons nous attendre à ce qu’un décret soit publié à la fin du mois d’août, un peu avant l’entrée en vigueur du passeport vaccinal. En attendant, le gouvernement nous garde dans le flou, et tout ce que nous avons, c’est sa parole. Il en résulte que les décrets qu’il promulgue n’ont pas pour fonction de l’autoriser à prendre une série de mesures sanitaires et à faire des préparatifs en conséquence, mais servent à donner après coup un semblant de légitimité juridique à ce qu’il s’est autorisé lui-même à faire et à préparer, pour mieux nous l’imposer. Décrets qui n’ont d’ailleurs par la suite aucune force contraignante sur ce que le gouvernement peut faire et ne pas faire, puisqu’ils peuvent être amendés, abrogés ou remplacés à volonté par le gouvernement. Même si ces décrets ne sauraient constituer pour nous une garantie de ce qui peut être fait ou ne peut pas être fait par le gouvernement, c’est tout de même un peu mieux que d’être gouvernés en vertu seulement de ses déclarations publiques : au moins les choses sont fixées par écrit (pour un certain temps) et elles acquièrent un caractère officiel qui nous dispensent d’essayer de nous y retrouver dans les déclarations publiques des chefs, qui ne sont pas toujours claires, précises et cohérentes. Mais comme presque tous nos concitoyens ne s’intéressent pas à ces décrets et ignorent parfois qu’ils existent, comme nos chefs et nos journalistes en parlent de moins en moins, et comme les décrets et les arrêtés deviennent de plus en plus intelligibles à force de renvois et d’amendements, c’est presque déjà comme si la parole de ces chefs faisait loi.

Face au flou juridique et à l’arbitraire auquel nous sommes tous exposés quant au passeport vaccinal, certains d’entre nous pourraient vouloir seconder les demandes de certains députés de l’opposition quant à une loi qui encadrerait le passeport vaccinal. Mais les personnes qui font de telles réclamations sont manifestement en faveur du passeport vaccinal, et elles veulent seulement qu’on fournisse un cadre juridique plus solide à ce dispositif et qu’on fixe des limites à ce que peut faire et ne pas faire le gouvernement. Ce qui reviendrait à pérenniser le passeport vaccinal. Les décrets du ministre de la Santé et des Services sociaux seraient annulés aussitôt qu’un tribunal déclarerait que le gouvernement abuse de son pouvoir en prolongeant indéfiniment l’état d’urgence sanitaire, ou aussitôt qu’un gouvernement (celui-ci ou le suivant) déciderait ou devrait, sous les pressions populaires, mettre fin à l’état d’urgence sanitaire. Pour sa part, une loi sur le passeport vaccinal aurait une existence durable et autonome à l’égard de l’état d’urgence sanitaire, et par conséquent continuerait à être effective après la fin de l’état d’urgence sanitaire, et continuerait à l’être jusqu’à ce qu’on l’abroge.

Paradoxalement, en voulant inscrire dans la loi le fait que le passeport vaccinal doit être une mesure temporaire, on pourrait contribuer à lui donner une existence durable. Car l’Assemblée nationale pourrait difficilement s’entendre sur une date fixe. Il serait à craindre que, finalement, on introduise dans cette loi le flou qui existe dans les déclarations publiques du gouvernement et dans ses décrets, et qu’on pérennise ainsi le passeport vaccinal et l’arbitraire qui l’entoure.

Certes, on pourrait aussi chercher à délimiter par cette loi son champ d’application. Mais il est encore à craindre que nos représentants ne parviennent pas à en fixer les limites. Beaucoup diront que cela dépend de l’évolution de la situation épidémique. S’ils ne se contentaient pas de ce flou qui consoliderait le pouvoir arbitraire du gouvernement, ils opteraient probablement pour un système de paliers d’alerte qui servirait cette fois-ci seulement à confiner les personnes non vaccinées et qui donnerait une grande latitude au gouvernement dans son interprétation et dans son application, comme nous avons pu le constater à nos dépens quand il s’agit de confiner toute la population québécoise avec un tel système.

Enfin même si on parvenait, par un véritable tour de force, à inscrire dans la loi des limites assez précises quant à la durée et à l’extension du passeport vaccinal, il serait assez facile, pour un gouvernement majoritaire et avec une opposition timorée, de faire durer cette loi et d’étendre son application bien au-delà de ce qui y était inscrit initialement. Et en pareil cas, il est généralement plus facile d’aller de l’avant que de revenir en arrière.

Alors que ceux qui seraient disposés à demander cette loi et à s’accommoder du passeport vaccinal pourvu qu’on en délimite légalement la durée et l’extension fassent preuve de prudence politique et se demandent si les risques d’une telle voie ne surpassent pas largement les bénéfices escomptés, et si l’on ne risque pas d’aggraver ainsi les maux que l’on tente justement d’éviter. Les anglophones ont une expression imagée pour ce genre de situations : « Out of the frying pan, into the fire. » En français, on pourrait dire que ce serait là réclamer la corde avec laquelle on nous pendrait ou avec laquelle nous nous pendrions nous-mêmes.

Bref, si mes craintes sont fondées, il ne saurait suffire d’apporter quelques ajustements au passeport sanitaire et de l’encadrer pour le rendre acceptable. Il serait dangereux de nous laisser séduire par ces sirènes. À mon sens, il n’y a qu’une chose à faire : s’opposer au passeport vaccinal avec toute la fermeté, toute la constance et toute l’ingéniosité dont nous sommes capables, comme d’autres peuples s’efforcent déjà de le faire.