Éléments d’une mentalité d’esclave (5)

Suite du billet du 6 septembre 2023

 

Aversion pour les pairs indociles ou révoltés et pour la liberté

Un autre élément de la mentalité d’esclave qui se renforce dans nos sociétés, c’est l’aversion que beaucoup de nos concitoyens ont pour leurs pairs indociles ou révoltés. Autant ils peuvent se montrer complaisants envers nos maîtres, autant il leur arrive d’être intolérants envers leurs concitoyens qui n’obéissent pas docilement à nos maîtres, et même les vouer à tous les diables.

C’est ce qui arrive quand des employés dociles se liguent entre eux et se rangent du côté des patrons pour empêcher les employés indociles de faire la grève ou de se révolter. C’est ce qui arrive quand des travailleurs soumis prennent parti pour le gouvernement et enragent contre les étudiants qui font la grève pour s’opposer à la hausse continue des droits de scolarité et à l’augmentation de l’endettement étudiant, alors que les étudiants sont pourtant de futurs travailleurs comme eux et travaillent souvent déjà. C’est ce qui arrive quand des travailleurs s’énervent et voudraient que des travailleurs considérés comme privilégiés (par exemple les fonctionnaires, les enseignants des écoles primaires et secondaires et les professeurs des cégeps et des universités) se contentent de ce qu’ils ont au lieu de faire a grève pour que leurs conditions de travail s’améliorent et pour qu’ils bénéficient des conditions nécessaires pour bien faire leur travail. C’est ce qui arrive quand des employés entièrement soumis aux patrons rappellent à l’ordre ou dénoncent leurs collègues qui ne suivent pas rigoureusement les consignes reçues et qui tentent de se soustraire à la surveillance et au contrôle abusifs de leurs supérieurs.

Ce que nos concitoyens dociles ne supportent pas, c’est que des gens comme eux ne soient pas aussi soumis qu’eux et ne s’accommodent pas de la servitude commune, alors qu’ils appartiennent comme eux à la populace et n’appartiennent pas à la classe des maîtres. C’est donc par conformisme et par jalousie qu’ils blâment, surveillent et dénoncent leurs pairs indociles ou révoltés, qu’ils les tiennent responsables de maux réels ou imaginaires, qu’ils essaient activement de leur nuire et qu’ils collaborent avec les maîtres pour les écraser, pour montrer à tous à quel point ils sont des valets obéissants, et peut-être aussi dans l’espoir d’obtenir une récompense. Leur désir de liberté s’est à ce point dégradé ou corrompu qu’ils préfèrent faire échouer les efforts faits par les autres pour accroître ou défendre leur liberté, que de s’associer à eux pour obtenir les mêmes gains. Certains vont même jusqu’à dénigrer ouvertement la liberté ou à essayer d’en imposer une conception aberrante, qui revient à faire d’elle une sorte de liberté conditionnelle à laquelle auraient seulement droit les personnes soumises.

Nous avons pu voir, après l’arrivée du méchant virus, des manifestations très marquées de cette attitude servile. Les personnes confinées de corps, et aussi de tête et de cœur, en sont venues à détester amèrement leurs pairs qui refusaient de rester encabanés comme elles, d’être muselés comme elles, de répéter en chœur les mantras de la Santé publique, d’être piquousés à répétition et d’être exclus de la société pour cette raison ; à se moquer d’eux parce qu’ils défendraient la « libÂrté » ; à chercher à leur imposer une conception de la liberté qui consisterait à faire seulement ce que nos maîtres nous autorisaient de faire, au moment et aux conditions qu’ils nous imposaient ; à applaudir quand le gouvernement prenait ou menaçait de prendre de nouvelles mesures contre ces récalcitrants ; à soutenir qu’il serait avantageux pour elles qu’ils meurent ou qu’on les déporte dans le Grand Nord ; à réclamer qu’on les empêche de quitter leurs domiciles, de travailler et d’avoir accès à des soins de santé ; à jubiler quand ces opposants faisaient l’objet de sanctions disciplinaires, étaient congédiés, recevaient des amendes et étaient arrêtés par la police, emprisonnés poursuivis en justice et condamnés ; etc.

C’est comme si des esclaves des siècles passés, ayant renoncé à la liberté et étant bien décidés à s’habituer à leurs chaînes, se mettaient à détester viscéralement les esclaves qui désobéissaient et résistaient aux maîtres ou qui envisageaient de s’évader ou de se révolter. C’est comme s’ils dénonçaient ces autres esclaves aux maîtres et leur prêtaient main forte pour les mater et s’assurer qu’ils continuent de partager leur esclavage, par simple jalousie, par satisfaction d’être des esclaves modèles, ou dans l’espoir d’être un peu mieux nourris et d’être moins souvent et durement battus par les maîtres, et d’obtenir d’eux quelques petites permissions supplémentaires, en guise de récompense.


Les personnes dont la mentalité est constituée des éléments décrits dans ce billet et dans les billets précédents, et peut-être de bien d’autres éléments encore, si elles ne sont pas déjà des esclaves, ont tout pour en devenir. Et puisque nous les avons comme concitoyens et que leurs maîtres désirent aussi nous asservir, l’existence ou le renforcement de cette mentalité contribue à nous asservir nous aussi, nous qui sommes des opposants. C’est pourquoi il nous faut trouver des moyens d’affaiblir ou de miner cette mentalité, chez les autres et aussi en nous, dans la mesure où certains de ses éléments, à un quelconque degré, constituent aussi notre mentalité et sont hautement contagieux.