Déclarations douteuses du ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec

Dans un « tweet » rapporté et traité par La Presse (95 % ayant contracté le virus n’étaient pas pleinement vaccinés, 7 juillet 2021) comme une étude scientifique d’une grande rigueur, le ministre de la Santé et des Services sociaux prépare le terrain pour sa grande annonce d’aujourd’hui sur l’usage qu’on fera ou qu’on pourrait faire des preuves vaccinales numériques que les personnes vaccinées peuvent télécharger sous la forme d’un code QR. On sait déjà qu’on envisage d’interdire certains services essentiels aux personnes non adéquatement vaccinées si (ou quand) les cas positifs recommenceront à augmenter l’automne ou l’hiver prochain, sous prétexte de protéger les personnes non vaccinées malgré elles, ainsi que les personnes vaccinées plus vulnérables qui pourraient quand même être malades et mourir si le virus circulait, sous prétexte de ménager notre système de santé et d’éviter un reconfinement généralisé, et peut-être aussi pour inciter très fortement ces réticents et ces récalcitrants à se faire vacciner, ou pour les punir s’ils persistent dans leur refus d’obtempérer.

Voilà donc le fameux « tweet ». De la grande science, vous dis-je !

Je n’insiste pas ici sur le fait que ces hospitalisations pourraient en fait être causées pour des blessures ou d’autres maladies, pour des personnes qui ont reçu un résultat positif à un test de dépistage sans avoir de symptômes ou sans avoir des symptômes assez graves pour être à l’origine de ces hospitalisations, car on peut s’attendre à tout de personnes qui – notez l’accord au pluriel du participe passé « dus » – disent que des cas positifs sont dus à la COVID-19, c’est-à-dire même quand les personnes concernées n’ont pas de symptômes et ne sont donc pas malades, alors que le « D » de COVID-19 veut précisément dire « disease ».

Notons que le petit tableau du ministre contient seulement 6 pourcentages. Il ne nous dit pas combien de nouveaux cas positifs ont été détectés et de nouvelles hospitalisations seraient dues à la COVID-19 pendant la semaine du 27 juin et 3 juillet. Pourtant la valeur des statistiques qu’il nous fournit dépend grandement de ce nombre. Par exemple, si le nombre d’hospitalisations dues à cause de la COVID-19 étaient de 30 durant cette période, cela n’aurait assurément pas la même fiabilité que s’il y en avait eu 300 ou 3000. Et on ne sait même pas exactement de quoi il s’agit quand on parle ici d’hospitalisations. S’agit-il des nouvelles hospitalisations qui auraient eu lieu durant cette période, ou s’agit-il de la somme des hospitalisations en cours durant cette période, même si plusieurs d’entre elles ont commencé avant le 27 juin ? Puisqu’il s’agit vraisemblablement de nouveaux cas positifs dans ce tableau, il est plausible qu’il s’agisse de nouvelles hospitalisations. Mais pas moyen de s’en assurer. L’important semble de donner des « chiffres ». Le fait de savoir ce qu’ils signifient exactement est très secondaire.

Ensuite il y a le problème de la période étudiée. Une semaine, c’est très court pour établir l’efficacité des vaccins pour diminuer le risque de contamination et le risque d’hospitalisation. Personne n’aurait idée de faire un essai clinique aussi court. Ce n’est pas sérieux, car la répartition en fonction du statut vaccinal pourrait varier de manière significative d’une semaine à l’autre, surtout quand le nombre de nouveaux cas positifs et de nouvelles hospitalisations est très faible, comme c’est actuellement le cas. L’INSPQ dispose certainement de données qui portent sur plus qu’une semaine. Alors pourquoi n’avoir ici compilé que les données de cette semaine, pas celles du mois de juin, ou celles des trois derniers mois, par exemple – ce qui aurait été beaucoup plus convaincant ? Serait-ce que ces données se prêtent moins bien à la démonstration de l’efficacité vaccinale ?

Pour tirer ces questions au clair, il nous faudrait que le ministre nous donne accès aux données brutes à partir desquelles son petit tableau été confectionné. Encore une fois, on sera déçu. Pour toute réponse, on sait que ces données ont été fournies par l’INSPQ. Mais pas références précises, mais de lien… De toute évidence, ce que le ministre attend de nous, c’est un acte de foi. Il en serait ainsi parce qu’il dit qu’il en est ainsi et que sa source, c’est l’INSPQ, autorité scientifique parmi les autorités scientifiques, il n’y a pas doute à y avoir. Voilà la conception très dogmatique de la science du ministre.

 

Remarques à partir des données disponibles sur le site de l’INSPQ

Tâchons néanmoins de trouver sur le site de l’INSPQ des données qui pourraient nous aider à évaluer la vraisemblance des affirmations du ministre, relayées comme d’habitude par les journalistes, sans le moindre esprit critique.

Faisons une croix sur l’idée de trouver sur le site de l’INSPQ des données sur la relation entre le statut vaccinal, les cas positifs et les hospitalisations. Ce ne sont pas des données publiques, ou bien elles sont bien cachées. Néanmoins on peut trouver facilement le nombre de nouveaux cas positifs et de nouvelles hospitalisations pour la période visée en consultant la page « Données COVID-19 au Québec », soit 508 cas confirmés (graphique 4.2) et 21 hospitalisations (graphique 3.2). Intégrons-les au petit tableau publié par le ministre.

 

Sur les cas dits positifs

Faisons comme si cela pouvait faire sens de faire sens de tirer des conclusions générales à partir de ces données limitées. Pour remettre les choses en perspective et juger de l’efficacité d’ensemble des vaccins, il nous faudrait savoir le nombre de personnes non vaccinées, partiellement vaccinées et complètement vaccinées qui ont passé des tests de dépistage. Ce sont encore une fois des données qui ne sont pas disponibles.

Même si nous ne pouvons pas présumer que la proportion de personnes ayant passé un test de dépistage pour chaque catégorie vaccinale corresponde à la proportion de la population québécoise de 12 et plus que représente chaque catégorie, cela peut quand même faire douter de la validité des conclusions que tire le ministre de ces données. D’après les données sur la vaccination de l’INSPQ (graphique 2.1), 81,4 % de ces personnes avaient reçu une dose de vaccin et 32,0 % avaient reçu deux doses durant la semaine du 27 juin. J’ignore les personnes adéquatement vaccinées parce qu’elles ont reçu un résultat positif à un test de dépistage et qui n’ont besoin que d’une dose pour être adéquatement vaccinées, le ministre n’en parlant pas.

Combinons ces données avec nombre de tests admissibles réalisés du 27 juin au 3 juillet (Données Covid-19 au Québec, graphique 4.2), à savoir 11 987, pour estimer le taux de positivité en fonction du statut vaccinal.

Ce n’est donc pas la grande affaire, puisqu’on obtient une diminution du risque absolu de contamination de 1,30 % avec une dose de vaccin, et de 1,52 % avec deux doses de vaccin ; d’autant plus qu’environ seulement 5 % des personnes non vaccinées auraient été hospitalisées à cause de la COVID-19 pendant la même période (voir le tableau 1 ci-dessus).

On dira que ces différences seront significatives quand le virus recommencera à circuler et à être dangereux à l’automne et à l’hiver. Peut-être. Mais je pense à partir des données utilisées par le ministre. Nous ne pouvons justement pas présumer que la situation actuelle est représentative de ce qui se passera dans quelques mois, surtout en se basant sur une période d’une semaine. Et cela vaut pour les personnes non vaccinées, partiellement vaccinées et complètement vaccinées.

Ceci dit, jouons le jeu et continuons à penser à partir des données utilisées par le ministre, en complexifiant l’analyse à partir d’informations disponibles sur le site de l’INSPQ.

Il existe une sorte de fiche qui expose la politique de dépistage des contacts asymptomatiques en fonction du statut vaccinal.

Il est donc possible, pour les personnes qui ont reçu deux doses (ou complètement protégées), de ne pas devoir passer un test de dépistage quand le risque de contamination est faible, modéré ou élevé, sauf quand il y a des symptômes, tous les contacts étant traités comme étant à faible risque. Quant aux personnes considérées comme partiellement protégées, un contact à risque modéré peut être traité comme un contact à risque faible et éviter d’être dépistée si un masque de qualité est porté. Les personnes considérées comme non protégées doivent pour leur part passer un test de dépistage pour les contacts à risque élevé et modéré. Pas moyen d’en réchapper. Ce qui veut dire qu’on présume ce qu’il faut montrer, c’est-à-dire que les vaccins sont très efficaces pour protéger contre la contamination. Ce qui implique que les personnes partiellement ou complètement vaccinées sont vraisemblablement moins sujettes à passer des tests de dépistage et à avoir un résultat positif.

Faute de données à ce sujet, nous ne pouvons pas savoir dans quelle mesure les personnes partiellement ou complètement vaccinées passent moins souvent des tests de dépistage que les personnes vaccinées.

À titre d’exemple, pour savoir quels impacts cela pourrait avoir sur les données présentées dans le tableau 2, faisons l’hypothèse que, toutes proportions gardées, les personnes complètement vaccinées passent deux fois moins de tests que les personnes partiellement vaccinées, lesquelles passent deux fois moins de tests que les personnes non vaccinées. Rétablissons en conséquence les proportions des tests de dépistage réalisés selon le statut vaccinal.

Refaisons le tableau 2 en entier à partir des nouvelles proportions de la colonne de droite du tableau 3, c’est-à-dire en estimant à partir d’elles le nombre de tests admissibles selon le statut vaccinal.

Pour la période à l’étude, on constate donc que la réduction du risque absolu (colonne de droite) est insignifiante. Je vous laisse imaginer quel serait le résultat si on calculait le taux d’incidence pour l’ensemble des Québécois qui appartiennent aux trois groupes comparés, c’est-à-dire en divisant les cas positifs par les millions de personnes qui appartiennent à chaque groupe. Mais cela ne ferait guère sens pour une période aussi courte qu’une semaine. Vous pouvez toutefois vous amuser à faire le calcul, juste pour constater qu’il est absurde, pour le ministre et l’INSPQ, de prendre une période aussi courte.


Le temps passe, je dois aller au travail et le ministre fera son point de presse dans quelques heures. C’est pourquoi je publie immédiatement ces remarques – sous une forme peut-être un peu brute – sur le « tweet » de notre bon ministre, en vous priant de tenir compte d’elles, pour vous demander à quel point ledit ministre est crédible quand il fera ses annonces sur la preuve vaccinale à 13 h aujourd’hui.

Je prévois faire bientôt des analyses sur les hospitalisations, et peut-être aussi des remarques complémentaires sur les cas positifs.