Analyse de l’avis sur les passeports immunitaires du Comité d’éthique de santé publique

« Those who would give up essential liberty, to purchase a little temporary safety, deserve neither liberty nor safety and will lose both. »

Benjamin Franklin

 

Le Comité d’éthique de santé publique (CESP) a publié un avis sur les passeports immunitaires (1er avril 2021). Puisqu’il relève de l’Institut national de santé publique, dont la mission est de soutenir le ministre de la Santé et des Services sociaux, cela suffit déjà pour douter de l’indépendance de ce comité et de la valeur de cet avis. Sans aller jusqu’à prétendre que les rédacteurs de cet avis sont dans l’obligation d’être en parfait accord avec le ministre Dubé, il serait certainement très mal vu de prendre ouvertement et radicalement position contre l’avis favorable aux passeports immunitaires que ledit ministre a exprimé publiquement à l’occasion d’un point de presse. Ce ne serait certainement pas là soutenir le ministre et encore moins lui fournir les justifications éthiques dont il pourrait avoir besoin.

Il n’y a donc pas lieu de nous étonner que l’avis du CESP soit favorable à l’usage des passeports vaccinaux :

« Le CESP estime que, dans la balance, les bénéfices escomptés en termes de bienfaisance, de liberté et de solidarité sont légèrement plus importants que les inconvénients définis en termes d’équité, de respect de la vie privée et d’efficience dans les domaines du voyage et des activités de loisirs.

Conséquemment, pour le CESP, un PI basé sur un vaccin sûr et efficace et appliqué à certains secteurs d’activités précis serait justifiable en tant que mesure complémentaire et temporaire, permettant un retour plus rapide à la vie normale en attendant l’atteinte de l’immunité collective. »

En fait, on aurait pu s’attendre à un avis moins modéré (c’est tout de même beaucoup trop pour moi). Mais cela n’a en réalité guère d’importance, puisque le gouvernement, fort de cet avis favorable, sera maître de donner la forme, l’extension et la durée qu’il voudra à ce dispositif, avec le manque de transparence qu’on lui connaît et en usant de la stratégie éprouvée du goutte-à-goutte. À la rigueur, cet avis – relayé par les médias – pourrait même rassurer les personnes indécises, quelque peu méfiantes, ou qui n’ont pas déjà réfléchi à la question, et faire accepter plus facilement l’implantation du dispositif, dont on pourrait nous annoncer un peu plus tard que finalement il est là pour rester et qu’il s’étendra à d’autres aspects de notre vie. Ça ne serait pas la première fois que ça arrive.

Quoi qu’il en soit, ne nous en tenons pas seulement à la conclusion et analysons certaines des parties de cet avis afin d’éprouver la force des arguments utilisés et de vérifier s’il est aussi modéré qu’il en a l’air.

Je ne m’attarde pas longtemps à la mise en situation du problème, qui est essentiellement un survol des pays où l’on a décidé d’avoir recours à un passeport immunitaire, des différents dispositifs qui sont utilisés, de l’incertitude quant à l’immunité conférée par l’infection, de l’immunité plus fiable et plus sûre conférée par les « vaccins », et de l’incertitude quant à leur efficacité contre les nouveaux variants et la durée exacte de l’immunité. Cependant on ne signale pas que l’efficacité des « vaccins » contre le Virus original et les variants actuellement en circulation est déjà contestée par plusieurs experts. On suppose simplement qu’il en est ainsi, ou que cela fait consensus dans la communauté compte tenu des connaissances scientifiques présentement disponibles. Il va sans dire que cela oriente considérablement les analyses à venir. S’il est vrai qu’il n’appartient certainement pas à un comité d’éthique de trancher la question, il aurait été plus honnête et plus rigoureux de ne pas prendre pour argent comptant les communiqués de presse des sociétés pharmaceutiques et les articles des experts qui abondent dans leur sens et vantent les mérites de leurs produits, alors qu’il est notoire que l’influence des sociétés pharmaceutiques dans le milieu médical est très grande et que celui-ci souffre de corruption systémique. Ce que des éthiciens spécialisés dans le domaine de la santé publique doivent bien savoir. Ce dont ils auraient dû tenir compte en affirmant qu’on ne peut pas prendre une décision éclairée sans prendre en considération les critiques adressées aux protocoles d’autorisation d’urgence des « vaccins » et aux études censées prouver leur efficacité. Peut-être faut-il voir dans cette omission une manifestation de cette corruption systémique, à laquelle n’échapperaient pas les éthiciens de par leur position dans le système de santé.

Le comité d’éthique, prisonnier des limites étroites du problème qu’il se pose, reprend simplement la vulgate diffusée par les autorités et les médias selon laquelle il n’y aurait pas de traitement efficace contre le Virus, et qu’il ne saurait y en avoir. Pourtant il ne fait pas sens d’avoir recours à un passeport immunitaire s’il existe des traitements efficaces capables de réduire les décès et les hospitalisations de manière significative et si les vaccins ne sont pas la seule voie de salut. Outre le fait que les dés sont pipés pour le reste de la réflexion, ce refus de prendre en charge les personnes diagnostiquées de la COVID-19 et de les traiter tôt, et le fait de les renvoyer simplement à la maison et de ne les prendre en charge que quand elles arrivent à l’hôpital et sont parfois déjà très malades, constituent un problème éthique auquel les rédacteurs de ce rapport devraient être sensibles, et auquel il le serait s’il s’agissait de n’importe quelle autre maladie. De toute évidence leur code d’éthique professionnel les oblige à ne pas sortir du cadre qu’on impose à leur réflexion et à suivre une procédure simpliste qui réduit le risque de « dérapage ».

Jouons néanmoins le jeu et essayons d’entrer dans l’argumentaire qui suit cette mise en contexte.

 

Les valeurs

Commençons par la section « Enjeux éthiques de portée générale et définition des valeurs » (p. 5-7).

La bienfaisance est la première valeur à laquelle on fait appel dans cette réflexion. Mais est-ce bien une valeur ? Cela ne fait pas sens si on comprend par là une inclination à faire du bien aux autres. Que nous importe cette inclination ! Ce sont des bienfaits qu’il s’agit. Et on n’est guère plus avancé si on entend par bienfaisance le bien que l’on fait dans un intérêt social. Il y a différentes sortes de biens, dont certains sont compatibles, alors que d’autres ne le sont pas. C’est pourquoi ces biens désirables constituent des valeurs distinctes et ne sauraient être englobés sous un même terme.

Malgré ce choix de terme peu heureux, les auteurs se montrent plus concrets par la suite, comme s’il leur fallait seulement nommer la bienfaisance, qui serait une sorte de mot-clé qu’on doit placer obligatoirement dans ce genre de texte :

« La bienfaisance attendue du PI constitue sa principale justification : elle a trait aux gains sociaux et économiques qui pourraient découler d’une réouverture progressive de la vie sociale, du travail et des loisirs aux personnes immunisées. D’une part, le bien-être physique et psychologique qui pourrait être engendré par un retour à la vie normale est non négligeable à la suite des mois de privation provoqués par des consignes sanitaires strictes. D’autre part, l’attribution de passeports sur la base d’une preuve de vaccination pourrait constituer un incitatif à se faire vacciner, et ainsi permettre l’atteinte de l’immunité collective plus rapidement. Comme mentionné, le PI pourrait de plus contribuer à réduire les impacts socioéconomiques causés par certaines des mesures sanitaires mises en place pour contrer la pandémie, en favorisant notamment le retour à la stabilité d’emploi et à la sécurité financière de bon nombre de travailleurs et d’entreprises. Des secteurs très affectés par l’impact de la pandémie, tel que le tourisme, la culture et les loisirs pourraient reprendre plus facilement leurs activités auprès d’une partie de leur clientèle. Il est donc important de rappeler que même si le PI est une mesure individuelle, il pourrait s’en dégager des impacts positifs au niveau populationnel. Toutefois, la bienfaisance pourrait être modulée par les mesures sanitaires qui devront demeurer en place considérant les incertitudes, notamment concernant les variants. »

Voilà qui est intéressant : ce n’est pas tant les effets bénéfiques des « vaccins » pour la santé des personnes « vaccinées » qui sont mis de l’avant, que la fin ou l’atténuation des mesures sanitaires pour ces personnes et des effets négatifs de ces mesures pour ces personnes et la collectivité. Même quand on envisage le passeport sanitaire comme un incitatif à se faire « vacciner » qui permettrait d’atteindre plus rapidement l’immunité collective, c’est toujours pour mettre fin ou atténuer plus rapidement les mesures sanitaires qu’on nous impose. Bref, il ne faudrait pas avoir recours au passeport sanitaire – et donc se faire « vacciner » – parce qu’il en résulterait des effets bénéfiques pour notre santé, que pour retrouver dans une certaine mesure une vie normale (en continuant à respecter certaines mesures sanitaires) et essayer de sauver ce qui reste de notre économie. Jamais n’est examinée la question de savoir si ces mesures ont quelque justification scientifique (on le suppose simplement), malgré le fait qu’un épidémiologiste très réputé, John Ioannidis, a publié un article dans lequel il montre l’absence d’efficacité de la fermeture des commerces et du confinement à domicile des personnes saines. S’il ne s’agit pas de croire sur parole ce scientifique comme si une vérité révélée s’exprimait par sa bouche, il serait intéressant d’en faire autant pour les experts de deuxième, de troisième ou de quatrième ordre qui conseillent nos gouvernements provincial et fédéral, et aussi ceux des autres provinces et pays. Ainsi le comité d’éthique aurait fait preuve de bienfaisance envers la population en recommandant la réévaluation de ces mesures à la lumière de ces nouvelles données, au lieu de justifier au nom de la valeur de bienfaisance l’adoption d’un passeport immunitaire pour mettre fin à des mesures coercitives dont l’efficacité est douteuse et qu’il a justifiées éthiquement en invoquant la même valeur de bienfaisance dans un avis antérieur, juste après la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. De toute évidence, le comité n’a même pas eu l’idée de faire une telle recommandation ou ne peut pas la faire, malgré l’indépendance dont il se targue (p. 13). Serait-ce exagéré de dire qu’il abonde toujours dans le sens du gouvernement ?

Passons à la prochaine valeur invoquée, la liberté :

« De façon générale, le PI pourrait assurer une plus grande liberté de mouvement et d’action aux personnes qui le détiennent et les libérer de contraintes liées à certaines mesures visant à lutter contre la pandémie. Le PI pourrait par exemple permettre à ses détenteurs de retrouver l’exercice de loisirs antérieurement interdits, en attendant la fin de la pandémie. Évidemment, la production d’un code QR ou d’une preuve papier ne saurait être obligatoire ; son émission et son utilisation seraient conditionnelles au consentement libre et éclairé du détenteur, renvoyant ainsi à la valeur d’autonomie. Le respect de l’autonomie pourrait toutefois entrer en contradiction avec l’exigence de détenir le passeport pour avoir accès à des biens ou services jugés essentiels ou à un emploi. À ce propos, une réflexion sur les dimensions éthiques des PI doit considérer le type d’activité auquel ils donnent accès. D’une certaine manière, plus l’activité est essentielle, moins le passeport pourra théoriquement faire l’objet d’un consentement libre et éclairé. Par exemple, si une personne devait se procurer un PI pour retrouver ou obtenir un emploi, la pression indue de devoir l’obtenir pour assurer sa survie économique affecterait le caractère volontaire de son consentement. De fait, le consentement libre et éclairé à la vaccination serait lui aussi influencé par la nécessité d’y adhérer. Ainsi, bien que pouvant agir de manière à favoriser la vaccination, le PI pourrait aussi être à l’origine de dérives quant à l’autonomie dont disposent les personnes à cet égard. »

Ouvertement bafouée par nos autorités depuis un an, il y a de quoi s’étonner de voir la liberté ressurgir ici, comme dans de récents propos de notre premier ministre qualifiant la « vaccination » de passeport vers la liberté. Sans doute ne faut-il pas y voir une conversion tardive à la liberté. Effectivement, c’est donner un sens assez limité à la liberté. Notez qu’on ne parle ni de liberté, ni d’une grande liberté, mais seulement d’une plus grande liberté, qui n’est plus grande que parce que nous sommes pratiquement séquestrés actuellement. Cette plus grande liberté est celle du prisonnier auquel on accorde la liberté conditionnelle, qui doit se conformer à des obligations qui limitent sa liberté pour bénéficier d’une plus grande liberté que celle dont il bénéficiait en prison. Belle affaire que cette liberté ! Si je dois obtenir un passeport sanitaire pour accéder à une salle de concert ou pour obtenir un emploi, ma liberté est aussi brimée quand je dois me faire « vacciner » et obtenir un passeport immunitaire pour assister à un concert ou aller travailler, que quand je ne peux pas assister à ce concert ou travailler faute d’avoir été « vacciné » et d’avoir ce passeport, bien que la privation de liberté prenne une forme différente dans les deux cas. Il est clair que les rédacteurs de cet avis n’ont aucun sentiment de ce qu’est la liberté. À tout le moins comprennent-ils théoriquement que je peux difficilement faire un choix autonome quant à la « vaccination » et l’obtention de ce passeport si on l’exige pour quelque chose d’essentiel. Toujours à propos de l’autonomie dans le choix d’être « vacciné » ou non, il aurait été intéressant de signaler que le consentement libre et éclairé implique qu’on reconnaisse ouvertement que les « vaccins » sont expérimentaux, que les études cliniques ne peuvent pas en prévoir les effets secondaires à moyen ou à court terme, et qu’en se faisant « vacciner » on consent à participer à une expérience médicale à grande échelle, pour laquelle les sociétés pharmaceutiques ne peuvent pas être tenues responsables en cas de problème. Ce qu’on s’est bien gardé de faire.

Ensuite vient la non-malfaisance, sur laquelle on pourrait faire des remarques semblables à celles déjà faites sur la bienfaisance :

« Les retombées positives du PI reposent sur la confiance des parties prenantes dans la validité et la fiabilité du PI, établies par des normes de contrôle strictes. Le souci de non-malfaisance vient toutefois pondérer l’enthousiasme manifesté par certaines instances à l’endroit du PI. Les avantages conférés par un tel passeport posent le problème de l’attrait qu’il présentera forcément et des risques qu’il comporte en termes de propagation de la pandémie. Les détenteurs de passeport pourraient en effet être tentés d’abandonner certaines mesures barrières alors qu’elles seraient toujours requises par les autorités de santé publique. En ce sens, le PI ne pourrait être adopté sans une juste considération des limites et désavantages qu’il pose. »

Outre le fait qu’on puisse difficilement parler d’un retour à une vie normale alors que les mesures barrières doivent être maintenues (ce qui atténuerait le bien-être physique et psychologique résultant d’un tel retour), l’omission que l’on fait des effets secondaires de la « vaccination » à moyen et à long terme inconnus pour l’instant (comment les connaîtrait-on, compte tenu de la brièveté des études cliniques ?) est fort critiquable. Non seulement l’entrée en vigueur d’un passeport sanitaire pourrait être « malfaisant » pour la santé des personnes qui se font « vacciner » pour retrouver ce qu’il croit être leur liberté, mais le fait d’omettre de parler de ce risque, pour finalement se montrer plutôt favorable à l’adoption du passeport immunitaire, peut certainement être perçu comme une négligence coupable pour qui s’indigne qu’on utilise la population comme cobayes (surtout alors que le recours à des traitements précoces a été balayé du revers de la main), voire comme de la « malfaisance » de la part de ces éthiciens. Ne serait-ce pas une belle occasion de faire appel au principe de précaution, auquel ils ont eu recours abondamment dans leur avis sur le déconfinement, et dont les auteurs disent ceci (p. 7-8) :

« Le contexte d’incertitude scientifique entourant la pandémie ajoute à la difficulté de justifier les décisions prises par les autorités, lesquelles ne peuvent pas toujours s’appuyer sur des données probantes. Dans un tel contexte, le recours au principe de précaution se présente comme l’une des clés de l’examen éthique. Selon ce principe, lorsque des situations ou des actions comportent une probabilité significative de risques importants ou irréversibles pour la santé des gens, il y a lieu de déployer des mesures préventives, même si d’importantes zones d’incertitude scientifique subsistent quant à l’occurrence et la sévérité des risques en question. Autrement dit, l’incertitude scientifique ne doit pas empêcher l’action, ni la précipiter. Dans le cas présent, les incertitudes portent non seulement sur l’étendue de la menace posée par la COVID-19, mais aussi sur la capacité des mesures de santé publique de la contrer et l’étendue des conséquences négatives qu’elles entraîneront. »

Encore une fois, on peut se demander si la véritable fonction de ce comité n’est pas de répondre aux besoins en justifications éthiques de nos autorités, selon les circonstances.

Bien qu’il reste encore quelques valeurs (solidarité, respect de la vie privée, confidentialité et équité), j’en ai assez dit. On peut se faire une idée de la manière dont pensent les membres de ce comité.

 

Applications

Passons à la section « Enjeux spécifiques à trois domaines d’application » (p. 7-9), que je survolerai assez rapidement.

En ce qui concerne l’application du passeport immunitaire dans les milieux de travail, soyons reconnaissants aux membres du comité d’éthique d’avoir eu l’intelligence et la décence d’exclure l’obligation de se faire « vacciner » et d’avoir un tel passeport pour occuper un emploi, au nom de la valeur d’autonomie. Toutefois le comité se montre favorable à ce qu’on accorde des privilèges à certains travailleurs, par exemple un retour plus rapide au bureau (le télétravail ne convient pas à tous), ce qui accroîtrait leur liberté d’action et de mouvement, et ce qui aurait pour effet de renouer avec une certaine vie sociale et de revitaliser les quartiers désertés en raison des mesures sanitaires (bienfaisance). Ce qui me fait craindre que le gouvernement et les entrepreneurs profitent de cette ouverture pour favoriser les travailleurs « vaccinés » et défavoriser ou écarter les travailleurs non « vaccinés », en disant ouvertement leurs raisons ou en usant de toutes sortes de prétextes. Le seul fait que le statut immunitaire des employés puisse être connu des employeurs pose donc en lui-même problème et peut mener à de graves formes de discrimination, surtout quand les employeurs organisent eux-mêmes la « vaccination » de leurs employés, ce que le gouvernement encourage chez les grandes entreprises.

Quant aux voyages outre-frontière, l’utilisation du passeport immunitaire apparaît comme une évidence au comité d’éthique, pourvu que ce dispositif respecte les normes en matière de protection des renseignements personnels et confidentialité. On parle même d’usage à long terme, après la pandémie. Jamais il n’est question d’évaluer le risque réel que représenteraient actuellement ou dans le futur des voyageurs non « vaccinés », la situation épidémiologique n’étant certainement pas la même qu’il y a un an, à supposer qu’on ait bien évalué la situation à cette époque, compte tenu du sentiment d’urgence et de la peur. Il est donc questionnable de voir, comme le fait le comité, des gains notables en matière de bienfaisance et de liberté attribuables aux passeports immunitaires, aussi bien pour les voyageurs que pour les pays visités, puisqu’il n’est pas certain ou même probable que ces gains nécessitent la « vaccination » et l’usage du passeport immunitaire pour ne pas entraîner une dégradation de la situation épidémiologique. On prend simplement pour acquis qu’il en est ainsi. Enfin la question de l’équité est escamotée : on parle seulement de l’inégalité de l’accès aux « vaccins » selon la séquence de « vaccination » (les jeunes devront attendre) et selon les pays. Jamais il n’est question des inégalités introduites entre les personnes qui consentent à participer à l’expérimentation médicale en cours (souvent sans comprendre que c’en est une) et celles qui n’y consentent pas. N’est-ce pas priver ces derniers, sur la base de suppositions, des bienfaits et du gain de liberté qu’implique le droit de voyager à l’étranger ?

Finalement, le comité d’éthique voit des gains importants en matière de liberté et de bienfaisance qui découleraient de l’accès plus rapide aux activités de loisir pour les personnes qui bénéficieraient d’un passeport immunitaire, malgré des problèmes d’équité. Ce qui a été dit à ce sujet à propos des voyages à l’étranger peut aussi être dit des activités de loisirs. Après avoir invoqué la valeur de solidarité avec les milieux de la restauration, des arts et de la culture pour justifier l’usage du passeport immunitaire, le comité insiste sur les problèmes que poserait le contrôle des passeports immunitaires pour les activités de loisirs, compte tenu du grand nombre d’acteurs en présence et des efforts qu’il faudrait déployer pour l’implantation d’un tel système, qui serait utile seulement pendant quelques mois, jusqu’à ce que l’immunité collective soit atteinte. J’en conclus que si le gouvernement investissait temps et argent pour mettre en place un système de contrôle des passeports immunitaires dans les lieux de loisir, l’usage de tels passeports pourrait rester, que la fameuse immunité collective soit atteinte ou non grâce à la « vaccination ». Enfin, les membres du comité évitent d’aborder la question des travailleurs de ces secteurs de l’économie : si les clients doivent être « vaccinés » et avoir un passeport immunitaire pour participer aux activités de loisir, ne se pourrait-il pas qu’on exige la même chose des travailleurs, ce qui reviendrait à les obliger à se faire « vacciner » pour conserver et obtenir un emploi ? Cette omission montre les limites du mode de pensée du comité, qui sépare abstraitement les cas sans les envisager concrètement.

 

Remarques générales

Je m’éloigne maintenant du texte pour faire des remarques plus générales :

  1. Le comité n’exprime pas une position assez ferme et assez argumenté esur les choses à quoi le passeport immunitaire ne devrait sous aucun prétexte être requis, quelles que soient les circonstances. Il est vrai que des réserves sont exprimées quant à l’exigence du passeport immunitaire pour obtenir un emploi ou avoir accès à des services ou à des biens jugés essentiels. Mais cela est nettement insuffisant, et le danger d’un tel usage est sous-estimé par le comité d’éthique, qui postule que le passeport immunitaire est un dispositif temporaire probablement appelé à disparaître quand serait atteinte l’immunité collective.

  2. On ne fait pas preuve de la moindre prudence quant au risque de dérives autoritaires du gouvernement qui pourraient résulter de l’entrée en vigueur de ce dispositif de surveillance et de contrôle des personnes « vaccinées » et non « vaccinées ». Aucune garantie n’est exigée du gouvernement quant à la durée et à l’extension de ce dispositif. On suppose simplement que le gouvernement n’en abusera pas et qu’il agira dans l’intérêt de la population. Après une année d’état d’urgence sanitaire, de mesures coercitives, d’autoritarisme et de manque flagrant de transparence de la part du gouvernement, il est raisonnable d’en douter. D’autant plus que l’inefficacité possible des « vaccins » actuels contre de futurs variants pourrait nous faire entrer dans une nouvelle campagne de « vaccination » massive avec de nouveaux « vaccins » et servir de prétexte pour pérenniser les passeports immunitaires, l’atteinte de l’immunité collective étant reportée indéfiniment. Cependant ce sont des choses qu’on peut difficilement écrire quand l’on fait partie d’un comité d’éthique rattaché à un organisme public qui dépend du ministre de la Santé et des Services sociaux. On fait donc fi du principe de précaution, qu’on n’hésite pas à invoquer quand il s’agit de justifier les mesures sanitaires et la dangerosité du Virus et des variants.

  3. Même si on signale certaines incertitudes, notamment quant à l’efficacité des « vaccins » contre la transmission du Virus et contre les complications dues aux variants, la science est conçue de manière dogmatique en ce qu’on n’y encourage aucunement l’exploration de positions divergentes dans la communauté scientifique et l’exploration d’autres solutions que la solution « vaccinale », hors de laquelle il ne fait pas sens de parler de passeport immunitaire.

  4. Jamais il n’est question d’encourager un débat public à propos du passeport immunitaire, auquel les parlementaires et les citoyens participeraient avant une prise de décision. C’est l’affaire du gouvernement et de la bureaucratie de décider en cette matière, ce qui revient à cautionner l’autoritarisme que nous subissons depuis un an et à nier le droit des citoyens et de leurs représentants de participer à la délibération politique quant à un dispositif qui pourrait avoir des effets considérables sur notre vie et l’organisation de la société. On ne reconnaît pas la moindre autonomie politique aux citoyens, qui deviennent seulement l’objet de décisions qui leur sont étrangères.

  5. La réflexion politique est complètement évacuée de cet avis. On n’y discute pas, par exemple, de l’autonomie du Québec en matière de politique sanitaire et de la possible ingérence d’autorités internationales (comme l’OMS) et de sociétés privées (les grands groupes pharmaceutiques) dans nos affaires.

 

Conclusion

C’est donc de pareils avis d’experts que dépendent nos droits et libertés. C’est grâce à eux que le gouvernement peut s’arroger de nouveaux pouvoirs de contrôle et de surveillance pour réglementer notre existence, sous prétexte de nous redonner une partie de la liberté dont il nous prive effrontément depuis un an. Et nos experts ne pensent pas même pas à lui recommander de nous donner des garanties, en postulant simplement qu’il agit dans notre intérêt et qu’il sait mieux que nous ce qui est bon pour nous.

Dans nos institutions, la démocratie et l’autodétermination du peuple ne sont assurément pas des valeurs. Il est hors de question de nous laisser décider collectivement de ce qui est bon pour nous. Nos chefs politiques et nos bureaucrates le font à notre place, comme des parents à la place de leurs enfants. Non seulement c’est insultant, mais c’est incompatible avec l’autonomie qui est attendue des citoyens, pris individuellement et collectivement, et donc avec la démocratie au sens fort du terme, et pas simplement formelle. Mais nos institutions ont atteint un tel degré de corruption qu’on peut difficilement y trouver autre chose que des adversaires des libertés et des droits politiques des citoyens, ou encore des personnes qui y sont parfaitement indifférentes.