Réticence des commerces non essentiels à l’extension du passeport vaccinal

Par les temps qui courent, il faut attirer l’attention sur les bonnes nouvelles, quand il y en a. Dans un article de La Presse (Les commerçants nagent dans le brouillard, 6 janvier 2022) , nous pouvons constater que les associations canadienne et québécoises qui représentent les commerces de détail sont loin d’être enthousiasmées par l’idée d’étendre le passeport vaccinal aux commerces non essentiels.

« Ce n’est jamais complètement clair, ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas, souligne M. Rochette (le président du Conseil canadien du commerce de détail). Évidemment, le ministre lui-même l’a mentionné, les épiceries et les pharmacies [sont des commerces essentiels], mais c’est toujours délicat quand on rentre dans cet univers. Il y a des commerces qui vendent à la fois de l’essentiel et ce qu’on appelle du non-essentiel – où tracer la ligne ? On ne parle pas de fermeture, on parle de la gestion d’un passeport pour certains produits et non pour d’autres. »

« Si l’objectif, c’est de serrer la vis aux non-vaccinés, il y a peut-être d’autres scénarios que de demander à des employés dans les commerces de gérer les cas problématiques, ajoute-t-il. On souhaite que le gouvernement envisage d’autres façons de mettre le doigt là où il faut. Si son but, c’est de forcer la vaccination, qu’il aille dans cette direction. »

Même si le CCCD ne prend pas position contre les pressions exercées sur les non-vaccinés (il serait étonnant qu’il le fasse), on voit qu’il n’est pas favorable à l’idée que le gouvernement utilise les commerces pour appliquer ses décisions et faire pression sur les non-vaccinés. C’est pourquoi son président renvoie la balle au gouvernement, en laissant entendre que ce ne devrait pas être la responsabilité des employés de ces commerces de faire ce travail de surveillance et de contrôle de leurs clients.

La position du Conseil québécois du commerce est semblable :

Du côté du Conseil québécois du commerce de détail, le directeur général, Jean-Guy Côté, demande sans détour à Québec de revenir sur sa décision. « Nous demandons au gouvernement de ne pas considérer la mise en place du passeport vaccinal obligatoire chez les commerces non essentiels, a-t-il déclaré dans un communiqué. L’obligation du passeport vaccinal est difficilement applicable, voire impossible à mettre en place pour certains commerces. Cette mesure peut impacter négativement les activités quotidiennes des détaillants et engendra une baisse de trafic. Déjà touché [sic] par des enjeux de main-d’œuvre, avec plus de 25 000 postes à pourvoir dans le secteur au Québec, ajouter ce fardeau sur les détaillants québécois serait trop lourd. »

Et des propriétaires de salons de coiffure disent se sentir pris en otages par un gouvernement qui veut convaincre les non-vaccinés de se faire vacciner.

Ceci dit, il ne faut pas s’attendre à ce que ces commerces, pour la plupart, s’opposent ouvertement à la décision du gouvernement d’étendre le passeport vaccinal s’il va de l’avant. Mais il se pourrait que plusieurs ne soient pas en mesure de mettre en application cette nouvelle mesure et qu’il soit possible pour les clients non vaccinés de se faufiler. Quelques commerces pourraient même omettre de demander leur passeport vaccinal à certains de leurs clients, surtout les habitués, parce qu’ils ne sont pas chaud à l’idée de faire le sale travail du gouvernement et de perdre certains de leurs clients réguliers.

Il importe de nous demander pourquoi le gouvernement cherche à imposer une sorte d’obligation vaccinale indirecte par l’intermédiaire du passeport vaccinal et des entreprises privées. Est-ce parce qu’il se décharge sur elles pour résoudre les problèmes d’application d’une telle mesure ? Est-ce parce que le fait d'imposer directement la vaccination obligatoire à toute la population serait plus facile à attaquer devant les tribunaux et comporterait des difficultés d’application dont il devrait lui-même s’occuper ? Est-ce une tentative de rediriger une partie de la colère des non-vaccinés vers les commerçants ? Ou bien cette extension du passeport vaccinal aux commerces non essentiels est-elle une phase transitoire devant préparer le terrain pour l’obligation vaccinale en bonne et due forme ? Ou encore lui procure-t-elle une plus grande flexibilité s’il s’agit d’exiger périodiquement l’injection de nouvelles doses de vaccin, alors que ce qu’on entend par le fait d’être adéquatement vacciné serait plus difficile à changer dans le cadre de l’obligation vaccinale directe ?

Quoi qu’il en soit, il y aura sans doute moyen de tirer profit de ce manque d’enthousiasme de plusieurs commerçants. À certains endroits, il suffira peut-être d’entrer comme si de rien n’était pour qu’on ne se donne pas la peine de nous demander notre passeport vaccinal et une preuve d’identité. Sauf s’ils sont dénoncés par d’autres clients zélés, les commerçants ne devraient pas trop s’inquiéter d’être pris en défaut. Plus l’utilisation du passeport vaccinal est étendue, plus il devient difficile pour les policiers de vérifier si les commerçants appliquent rigoureusement ou non cette mesure. Et il est assurément plus discret de laisser entrer un client qui n’a pas présenté un passeport vaccinal qu’un client sans masque. Bien entendu, les clients devraient alors utiliser de l’argent comptant pour faire leurs transactions. Ce n’est peut-être pas pour ralentir la propagation du virus qu’on nous dit de faire nos achats de préférence avec notre carte de crédit ou notre carte de débit.

Enfin, des commerçants qui n’auraient pas peur de s’exposer pourraient essayer d’attaquer le gouvernement devant les tribunaux, en évitant scrupuleusement la question de l’efficacité et de la sécurité des vaccins, et aussi le droit du gouvernement d’imposer l’utilisation du passeport vaccinal dans telle ou telle sorte de commerces, et en s’en tenant seulement au fait que le gouvernement ne devrait pas exiger des commerçants et de leurs employés qu’ils soient responsables d’appliquer des mesures dont l’application devrait plutôt être la responsabilité des policiers, surtout compte tenu de leur importance primordiale dans le contexte de l’actuelle pandémie. Ce serait dans l’intérêt du public, et le passeport vaccinal serait alors pris beaucoup plus au sérieux par les non-vaccinés, pourrait-on dire. Ce qui reviendrait à remettre la balle dans le camp du gouvernement, qui n’a pas pour l’instant les moyens d’appliquer ses propres décrets sans transformer les employés des commerces en agents de la santé publique. Même si je suis certain qu’il travaille à l’élaboration de moyens pour automatiser la vérification du statut vaccinal dans les commerces et ailleurs - comme le masque, le passeport est là pour rester, dira-t-il -, le temps que nous pourrions ainsi gagner n’est pas à négliger.