Le passeport vaccinal à l’Assemblée nationale

La dernière trouvaille des agités du bocal qui nous gouvernent vient d’être adoptée : il faudra bientôt montrer un passeport vaccinal pour entrer à l’Assemblée nationale. Ce qui montre que, contrairement au proverbe, l’oisiveté n’est pas la mère de tous les vices. Si nos gouvernants, les bureaucrates et les « experts » savaient rester oisifs, nous ne croulerions pas sous les mesures sanitaires. Mais l’agitation est le fin mot de notre époque et de la crise actuelle. Et plus nos gouvernants s’agitent, plus ils incitent le patronat et le reste de la population à s’agiter aussi vainement. Car ce qu’il faut, c’est s’agiter, coûte que coûte. Qu’importe que ce soit inefficace, inutile, nuisible et absurde ! L’importance, c’est de faire quelque chose, et surtout de montrer que l’on fait quelque chose.

Voyons ce que dit à ce sujet l’organe de presse semi-officiel de nos autorités politiques et sanitaires :

« Le passeport vaccinal sera désormais exigé à l’Assemblée nationale. La décision a été prise jeudi par le Bureau de l’Assemblée nationale, le conseil d’administration du parlement sur lequel siègent des élus de tous les partis. Majoritaires, la Coalition avenir Québec et le Parti libéral ont appuyé la mesure, alors que le Parti québécois et Québec solidaire étaient contre. La mesure s’appliquera aux élus, aux employés et aux visiteurs.

« Je ne comprends pas que les parlementaires ne veulent pas donner l’exemple aux Québécois, je pense que c’est beaucoup plus une décision politique qu’une décision de santé publique […] Il y a assez de gens au Québec, qui se sont forcés depuis un an et demi, là, je ne vois pas pourquoi les parlementaires ne feraient pas l’effort de donner l’exemple aux Québécois », a déclaré le ministre Dubé au sujet de l’opposition de deux partis, quelques heures avant le vote du Bureau.

Le Dr Arruda a affirmé ne pas avoir été consulté au sujet de l’imposition du passeport vaccinal et a dit « laisser la décision à ceux qui gèrent l’Assemblée nationale. Il soutient cependant « ne pas avoir d’indice » sur la base épidémiologique qu’une telle mesure serait nécessaire. La totalité des 125 députés est doublement vaccinée. Le Parti québécois s’inquiète de l’imposition du passeport vaccinal dans « la maison de la démocratie » et Québec solidaire craint que cela envoie un message aux entreprises privées de l’imposer à leurs employés. »

(« Le port du masque pourrait être révisé après la vaccination des enfants », La Presse, 30 septembre 2021.)

Cette première extension du passeport vaccinal ne découle pas d’un décret ou d’un arrêté signé par le ministre de la Santé et des Services sociaux. Heureusement le gouvernement ne contrôle pas, pour l’instant, à ce point ou aussi directement ce qu’il est permis et interdit de faire au Parlement. Mais quand on est à la tête d’un parti majoritaire, et quand on contrôle le bureau chargé d’administrer le Parlement parce qu’y siègent principalement des députés qui appartiennent au parti politique que l’on contrôle, cela revient presque au même.

Le ministre Dubé dit que le Parlement devrait donner l’exemple à la population. Pourtant est-ce la fonction des députés de servir d’exemple de moralité à la population ? N’est-ce pas plutôt de délibérer et de légiférer intelligemment, ce qui est très différent ? C’est donc confondre la moralisation avec la politique que d’adopter une telle règle au Parlement, dont le directeur national de la Santé publique dit qu’elle n’est pas nécessaire ou justifiable d’un point de vue « sanitaire ».

En fait, on peut se demander quel exemple on donne à la population. D’après ce qu’on nous dit, tous les élus seraient vaccinés. N’est-ce pas l’exemple qu’il faudrait donner, du point de vue des autorités politiques et sanitaires ? Pourquoi en demander davantage ? Pourquoi exiger des députés qu’ils approuvent l’implantation du passeport vaccinal à l’Assemblée nationale ? Serait-ce vraiment pour inciter les Québécois à aller se faire vacciner, ou serait-ce plutôt pour les inciter à approuver l’utilisation du passeport vaccinal et son application progressive ou rapide à de nouveaux lieux et à de nouvelles activités ?

On peut aussi se demander – comme le fait très justement Québec solidaire – si c’est aux Québécois en général qu’on veut donner l’exemple, ou si c’est plutôt au milieu des affaires, dont les journalistes ne cessent de nous dire qu’il est favorable à l’utilisation du passeport vaccinal et à son extension à toutes les sphères de l’activité économique. La décision prise par l’espèce de conseil d’administration du Parlement pourrait être facilement reprise ou imitée par des conseils d’administration d’entreprises privées et y être transposée. Ce serait d’autant plus facile que le gouvernement provincial et fédéral ont déjà incité les entreprises privées à prendre ce genre de décisions, quand ils ne vont pas jusqu’à leur promettre l’adoption de lois pour rendre légales et légitimes ces décisions, et leur offrir un soutien juridique en cas de poursuites. Sans compter que le Bureau de l’Assemblée nationale, en prenant cette décision, ne vise pas seulement les députés, dont on dit qu’ils sont tous adéquatement vaccinés, mais aussi toutes les personnes qui travaillent à l’Assemblée nationale, par exemple à la bibliothèque, en plus de tous les visiteurs, des touristes jusqu’aux experts que consultent les commissions parlementaires, lesquels ne sont probablement pas tous vaccinés.

Cependant on aurait tort de croire que l’imposition du passeport vaccinal pose seulement problème en tant que précédent et incitatif aux conseils d’administration d’entreprises privées à en faire autant. Le fait de mettre le passeport vaccinal comme condition d’entrée au Parlement montre qu’on a mis la vaccination au-delà de ce qui peut être discuté dans ledit Parlement par les députés, sauf si ce sont des députés adéquatement vaccinés qui, finalement, se mettent à la critiquer. On dira peut-être, comme semble le penser la journaliste de La Presse, que l’utilisation du passeport vaccinal ne changera rien pour l’essentiel, tous les députés étant adéquatement vaccinés. Ce qui revient à faire mine de ne pas savoir que les postes de députés ne sont pas à vie, et que d’autres députés, parfois non vaccinés, pourraient être élus aux prochaines élections générales ou à l’occasion d’élections partielles. Comme si on n’était pas censé vivre dans une démocratie. Qu’arriverait-il alors ? Les députés non adéquatement vaccinés, à plus forte raison s’ils militaient ouvertement contre la campagne vaccinale gouvernementale qui ne fait peut-être que de commencer, se verraient interdire l’accès à l’Assemblée nationale et seraient empêchés d’assumer adéquatement leurs responsabilités de représentants des électeurs ? Peut-être seraient-ils même empêchés de participer aux séances de l’Assemblée par vidéoconférence (un peu comme on veut empêcher les médecins non vaccinés de faire des consultations par vidéoconférence, ce qui montre bien que de telles mesures n’ont pas pour raison d’être la protection de la santé de la population, si bien qu’on en vient à se demander si l’exclusion ou la purge des hérétiques et des mécréants, pour s’assurer le contrôle presque complet de certaines institutions, n’est la fin visée) ? Advenant que ces députés soient autorisés à remplir leurs fonctions par vidéoconférence, alors que tous députés vaccinés siégeraient normalement au Parlement, cela ne reviendrait-il pas à faire des députés non vaccinés des députés de deuxième et de troisième ordre ? De fait cela ne dissuaderaient-ils pas plusieurs électeurs, qui craindraient d’être moins bien représentés, de voter pour eux ?

Rappelons aussi que pour avoir un passeport vaccinal en règle, il ne suffit pas seulement d’être vacciné : il faut être adéquatement vacciné. Car on peut être vacciné sans être adéquatement vacciné. Pour l’instant, être adéquatement vacciné, ça veut dire avoir reçu deux doses de vaccin, sauf si on a contracté le virus, cas dans lequel une seule dose est jugée nécessaire. Mais cette définition est sujette à changement. La fonction de l’adverbe « adéquatement » est justement de permettre cette redéfinition. En matière de vaccination, est considéré adéquat ce que les autorités politiques et sanitaires décident de considérer contre tel, selon les tendances internationales, selon la compréhension qu’on croit avoir de l’évolution de la « pandémie » et de la propagation des nouveaux variants, selon les pressions médiatiques, selon les réclamations des partis d’opposition qui rivalisent de zèle sanitaire avec elles, ou selon leur bon plaisir. L’exigence d’une troisième dose est donc envisageable cet hiver, comme la possibilité d’une quatrième dose est possible à plus long terme. Les députés présentement en fonction et qui sont présentement considérés comme adéquatement vaccinés se verraient contraints de se faire administrer ces autres doses de vaccin pour ne pas se voir interdire l’accès à l’Assemblée nationale. Ceux qui en viendraient enfin à la conclusion que c’est dépasser les bornes et qui refuseraient d’obtempérer se retrouveraient dans la même situation que des députés qui seraient élus sans être adéquatement vaccinés. Tout comme eux, il leur serait difficile de faire entendre leur voix dans une Assemblée dont ils ne pourraient pas faire partie en personne, sauf peut-être s’ils étaient nombreux et parvenaient à renverser cette nouvelle règle.

À mon sens, l’usage du passeport vaccinal au Parlement et pour ceux qui sont censés représenter les citoyens, revient à subordonner la politique à une religion prétendument sanitaire. L’adhésion à cette religion et le respect de ses préceptes deviennent des conditions difficilement contournables de l’exercice des fonctions de député. C’est comme si on imposait aux députés une profession de foi, à la différence près qu’on peut mentir en faisant un acte de foi, alors que l’on doit véritablement se faire vacciner pour avoir un passeport vaccinal. Et c’est sans compter tous les petits gestes (faire valider leurs passeports, porter un masque, se désinfecter les mains, garder leurs distances sociales, etc.) que les députés doivent et devront continuer à faire dans le cadre de la religion maintenant fermement installée à l’Assemblée nationale et qui consolident cet assujettissement religieux. Dans un tel contexte, on en vient à se demander dans quelle mesure les députés peuvent remplir librement leurs fonctions politiques, alors qu’ils sont déjà de longue date assujettis à la discipline de parti, alors que le pouvoir exécutif empiète sur le pouvoir législatif en temps normal, alors que cet empiétement s’est aggravé en raison des pouvoirs exceptionnels que le gouvernement s’est accordé à lui-même sous prétexte d’urgence sanitaire. En quelque sorte, le passeport vaccinal vient remplacer le crucifix de l'Assemblée nationale qu’on a retiré en 2019, un peu avant la venue du virus.

Toutefois il n’est pas exclure que certains membres du gouvernement aient réussi à obtenir de fausses preuves de vaccination, et qu’ils n’adhèrent pas véritablement à la religion sanitaire. Mais en rien cela ne nous serait profitable. Cela montrerait seulement que la religion sanitaire, c’est pour nous et pas pour eux. Comme les papes, les cardinaux et les évêques qui se permettaient toutes sortes d’écarts vis-à-vis de la religion dont ils étaient les représentants les plus puissants, mais qui infligeaient de graves châtiments aux gens du peuple et même aux rois pour les mêmes écarts ou des écarts moindres, ou même pour la critique de leurs écarts.

Pour conclure, revenons sur la manière dont l’usage du passeport vaccinal a été imposé au Parlement et « les petits que ça pourrait faire ». Jusqu’à maintenant le recours à ce dispositif de contrôle a été encadré par un décret du gouvernement, qui fixe les circonstances dans lesquelles il doit être utilisé. Avec cette règle adoptée par le Bureau de l’Assemblée nationale et des règles semblables qui pourraient être adoptées par des conseils d’administration, le passeport vaccinal commence à se dégager des décrets gouvernementaux rendus possibles par la déclaration et la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Il se peut donc qu’on donne officiellement carte blanche à ces conseils d’administration grâce à de nouveaux décrets, en cherchant à prolonger aussi longtemps que possible l’état d’urgence sanitaire. Mais il se peut aussi qu’on cherche à rendre le passeport vaccinal indépendant de l’état d’urgence sanitaire (dont on se dit qu’il devra tôt ou tard prendre fin) et à le pérenniser par une « loi pandémie », afin de permettre aux conseils d’administration de l’imposer de manière durable (si on leur donne ce droit, ce n’est probablement pas pour leur retirer le lendemain) à leurs employés et à ceux qui ont besoin des services offerts par les entreprises ou les organismes qu’ils gèrent. Autrement ces règles deviendraient inapplicables avec la fin de l’état d’urgence sanitaire, le maintien du passeport vaccinal par le gouvernement devant prendre fin avec lui. À moins, bien entendu, qu’il soit maintenu quand même, sans état d’urgence et sans loi, c’est-à-dire de manière ouvertement extra-judiciaire, pour ne pas enlever aux conseils d’administration les pouvoirs qu’on leur a donnés et ne pas rendre caduques les règles qu’ils ont imposées.