L’habillement moral de la corruption

La corruption simplement cachée, c’est normalement ce qu’on entend par corruption. Ce sont les pots-de-vin, les jeux d’influence, les détournements de fonds, le népotisme, etc. Même quand on ne blâme pas soi-même ces formes de corruption, par cynisme, on juge nécessaire d’agir dans l’ombre, de faire les choses en cachette. C’est qu’on sait que beaucoup d’autres personnes sont d’un autre avis, que des personnages tout aussi crapuleux pourraient en profiter pour nuire à leurs rivaux si cela venait à s’éventer, et que, à moins d’avoir beaucoup de pouvoir, d’influence ou d’argent, on pourrait être poursuivi en justice et sévèrement puni.

À côté de cette corruption, il y en a une autre qu’on ne reconnaît généralement pas pour ce qu’elle est. Bien qu’on la pratique ouvertement, elle n’en demeure pas moins beaucoup moins visible que la corruption simplement cachée et elle est donc plus fréquente qu’elle. Étant cachée par sa nature même, parfois même pour les personnes qui la pratiquent ou qui en sont les instruments, elle peut agir au grand jour et s’immiscer même à des endroits où la corruption simplement cachée, malgré les plus grandes précautions, parvient difficilement à pénétrer. Cette forme de corruption consiste à détourner des institutions de leurs finalités au nom de finalités prétendument supérieures, et non au nom d’intérêts simplement égoïstes. C’est ce qui arrive quand des syndicats de la fonction publique se détournent partiellement de la défense des intérêts de leurs membres et des services publics pour militer contre les causes présumées des changements climatiques ; quand des associations étudiantes négligent de défendre les disciplines universitaires que leurs membres apprennent pour lutter contre le racisme systémique et la transphobie et pour imposer le respect du droit de choisir son identité de genre, notamment par l’emploi des pronoms qu’on a choisis ; quand les administrations universitaires font de la santé ou plutôt de l’aseptisation la priorité absolue et imposent, de leur propre initiative ou pour se conformer à la volonté des chefs politiques et bureaucratiques, des mesures prétendument sanitaires qui réduisent l’accès à l’enseignement universitaire et qui dégradent les conditions d’apprentissage des étudiants et d’enseignement des professeurs ; et quand les autorités politiques et bureaucratiques suspendent les droits et les libertés des citoyens sans lesquels la démocratie ne saurait exister et perturbent le fonctionnement des institutions politiques pour gouverner par décrets, sous prétexte d’urgence sanitaire.

La corruption qu’on peut pratiquer ouvertement est plus sournoise que la corruption qui a lieu dans l’ombre. Ceux qui la pratiquent ne s’en aperçoivent souvent même pas, et croient alors être moralement supérieurs aux autres. Plus ils en font et se croient moraux, plus ils sont alors corrompus et corrompent les institutions dont ils font partie et où ils occupent parfois des positions d’influence ou de pouvoir. C’est ainsi que la conception bornée et naïve de la corruption contribue grandement à cacher la corruption et à accroître son efficacité. Et le gratin de la classe politique et bureaucratique, les grandes corporations ainsi que les oligarques ne manquent pas de tirer profit, économiquement et autrement, de la corruption de nos institutions qui peut avoir lieu au grand jour en raison de son habillement moral. C’est pourquoi, en se donnant des airs de bienfaiteurs, ils financent souvent cette forme très insidieuse de corruption qui leur permet d’arriver plus sûrement à leurs fins et de rentabiliser leurs investissements, par les gains d’argent, d’influence et de pouvoir qui en résultent pour eux, et par l’appauvrissement, la dégradation et l’asservissement qui en résultent pour nous. La corruption au sens habituel du terme peut donc s’articuler facilement avec la corruption sous couvert moral qui, en plus d’être cachée en raison de sa nature, contribue à dissimuler cette forme de corruption mieux connue et plus facile à identifier ou à repérer.

Nous aurions intérêt, en tant que membres des institutions dont nous faisons partie, de nous en tenir aux finalités de ces institutions. C’est déjà bien assez. Nous devrions en avoir plein les bras, en soi et encore plus à cause de la corruption, quelle que soit sa forme. Quant aux prétendues grandes causes qui servent d’habillement moral à la corruption, elles sont souvent pour les incapables et les ratés – hélas très nombreux ! – qui ne sont pas à la hauteur de ces finalités, même sous leurs formes les plus modestes. C’est pour cette raison qu’ils essaient de se faire valoir par d’autres moyens, à savoir ces grandes causes qui seraient supérieures à ces finalités et dont la défense devrait les rendre supérieurs à ceux qui se mettent au service de ces finalités, alors qu’en fait ils sont inférieurs à eux, les grandes causes en question ne demandant pas d’aptitudes particulières et n’exigeant pas d’eux qu’ils se perfectionnent. Elles impliquent seulement qu’ils s’identifient à cette cause, qu’ils se laissent amoindrir par elles, qu’ils soient malgré tout contents de leurs petites personnes, et qu’ils montrent à une maman idéale ou imaginaire à quel point ils sont de bonnes personnes. Voilà un grave manque de maturité dont ne se rendent pas seulement coupables les jeunes, et qui contribuent à faire des immatures les pantins de ceux qui s’efforcent de devenir de plus en plus nos maîtres.

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