La corruption des politiciens, des institutions publiques et de la politique par l’idéologie sanitaire

Ce billet s’inscrit dans ma tentative (commencée dans ce billet et ce billet) d’enrichir et de complexifier la conception commune de la corruption, dans laquelle on confond les moyens généralement utilisés, par exemple les pots-de-vin, avec les fins visées ou les résultats obtenus, à savoir le fait de détourner nos institutions et les personnes qui y occupent des fonctions de leurs fins et des rôles qu’elles sont censées y jouer, et même de transformer en mal et de manière durable ces institutions et ces personnes, quand le mal ne se trouve pas initialement en elles, en raison d’un défaut de conception des institutions et d’une inaptitude morale et intellectuelle des personnes à assumer les responsabilités qu’on leur confie. Cette perversion et cette dégradation, c’est précisément ça, la corruption. Ainsi les institutions et les personnes peuvent-elles être corrompues ou se corrompre même quand personne ne donne des pots-de-vin. Ainsi pouvons-nous constater que la corruption en politique existe sans avoir à prouver que tel ou tel gouvernement a été soudoyé pour servir les intérêts d’une puissance étrangère.

 

La corruption du ministre et du ministère de la Santé et des Services sociaux

Même si le personnage est fort antipathique à plusieurs d’entre nous, faisons un effort pour nous mettre à sa place. À la suite d’un remaniement ministériel, Christian Dubé a cessé d’être président du Conseil du trésor et a succédé à Danielle McCann à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux. Rien dans son parcours éducatif et professionnel ne l’a préparé à exercer ces fonctions. Il aurait aussi bien pu être nommé ministre des Transports, ministre de l’Éducation, ministre de la Culture et des Communications, ministre de la Justice ou ministre de la Sécurité publique. En temps normal, il lui aurait fallu du temps et des efforts considérables pour devenir ne serait-ce qu’un ministre de la Santé et des Services sociaux passable, dépendant grandement de la haute administration de son ministère pour comprendre le fonctionnement du réseau de la santé et des services sociaux et prendre des décisions passablement bonnes ou pas trop mauvaises. Mais Christian Dubé est devenu ministre de la Santé et des Services sociaux en juin 2020, 3 mois après la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, ce qui veut dire que les conditions d’apprentissage dont il a bénéficié à son entrée en fonction étaient loin d’être optimales pour comprendre l’ensemble de la mission de son ministère et les moyens dont il dispose pour l’accomplir. Encore pire, ce n’est même pas ce qu’on attendait de lui à ce moment et qu’on continue à attendre de lui, malgré quelques protestations des partis d’opposition et des journalistes. En fait, il n’est pas exagéré de dire qu’il n’est jamais devenu ministre de la Santé et des Services sociaux, et qu’il ne le deviendra vraisemblablement jamais ; il est devenu ministre de la Gestion de la COVID-19, ce qui veut dire ministre des Mesures sanitaires, du Dépistage, du Traçage des Contacts et, plus tard, de la Vaccination. Il pouvait difficilement en être autrement compte tenu de l’idéologie sanitaire qui s’était déjà imposée au moment de son entrée en fonction, et qui continue depuis à étendre son emprise sur le réseau de la santé et sur l’ensemble de notre société et de nos institutions. Ce à quoi contribue grandement le ministre Dubé lui-même.

La santé des Québécois ne se réduit assurément pas à la gestion de la COVID-19, même en la prenant sous toutes ses facettes. Mais le virus étant devenu l’ennemi public à combattre, c’est comme si le reste avait cessé d’avoir de l’importance ou du moins était relégué loin derrière la guerre au virus, pour devenir des enjeux de deuxième, de troisième ou de quatrième ordre : manque d’effectifs dans les hôpitaux, engorgement des hôpitaux, surmenage des travailleurs de la santé, report des examens et des chirurgies, etc. S’il est vrai que le ministre Dubé s’est parfois exprimé à ce sujet dans ses points de presse, ces problèmes n’ont été abordés que dans la perspective de la gestion de la COVID-19. S’il a manqué de personnel dans les hôpitaux, c’est parce que des travailleurs de la santé auraient attrapé le virus et été dans l’obligation de s’isoler. S’il y a engorgement dans les hôpitaux, c’est parce que la population et surtout les récalcitrants ne respecteraient pas suffisamment les mesures sanitaires. S’il y a report des examens et des chirurgies, c’est parce que les antivaccins tomberaient malades et encombreraient les hôpitaux. Bref, ce serait toujours la faute du virus, de la population et des récalcitrants. Ce qui est assurément commode, puisque que cela dispense le ministre et les gestionnaires de la santé de prendre leurs responsabilités vis-à-vis de la population.

Mais ce n’est pas seulement le ministre de la Santé et des Services sociaux qui a été corrompu en devenant le ministre de la Gestion de la COVID-19. C’est aussi tout son ministère qui l’a été. En effet, sa mission a été changée en profondeur depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire : on n’entend presque seulement parler de la COVID-19, qui est devenue la priorité du Ministère. Qu’on pense à toutes les ressources financières et à tous les employés de l’État qui ont été affectés à la promotion des mesures sanitaires, à l’approvisionnement du matériel de protection (masques, visières, lunettes protectrices, gel désinfectant), au dépistage, au traçage des contacts et à la campagne de vaccination massive de toute la population, et qui ont donc été détournés des autres activités du Ministère. Qu’on pense à la modification des rapports du Ministère avec la population, en ce qu’il tente moins de soigner les malades que de lui dicter comment elle doit vivre pour qu’il y ait le moins de malades possible, par exemple qui elle peut ou ne peut pas fréquenter, à quelles conditions elle peut le faire, dans quelles circonstances elle doit s’auto-séquestrer même si elle n’a pas de symptômes et n’est donc pas malade, et les injections qu’elle doit recevoir pour être une bonne personne qui fait sa part pour garder sous contrôle la propagation du virus et peut-être pour revenir à la normalité. Autrement dit, le ministère de la Santé et des Services sociaux, dans sa « gestion de la pandémie », se retrouve à s’occuper davantage de ce qui se passe dans les restaurants, dans les bars, dans les salles de spectacle, dans les gyms, dans les commerces, dans les milieux de travail, dans les écoles primaires et secondaires, dans les cégeps, dans les universités, dans les lieux de culte et dans les transports publics, depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, que de ce qui se passe dans le réseau de la santé, surtout quand ce n’est pas lié à virus. N’aurait-il pas intérêt à s’occuper de ses propres affaires, au lieu de se mêler des affaires de tout le monde, sous prétexte que ce qui se passe dans le réseau de la santé aurait pour cause principale ce que les gens font et ne font pas dans les autres milieux sociaux et même à domicile ? N’est-ce pas substituer à la médecine l’ingérence dans la vie sociale et privée de toute la population, avec la surveillance et le contrôle social que ça implique ? N’est-ce pas la mission même du ministère de la Santé et des Services sociaux qui est alors corrompue et même pervertie ? N’est-ce pas, par les effets directs et indirects des mesures sanitaires sur la situation économique et le mode de vie des Québécois, contribuer à la dégradation de leur santé physique et mentale ? N’est-ce pas faire, par cet interventionnisme exacerbé, l’exact contraire de ce qu’on prétend faire et de ce qu’on devrait faire ?

 

La corruption des autres ministres et ministères

Le ministre de la Santé et des Services sociaux n’est certainement pas le seul à avoir été corrompu par l’idéologie sanitaire ambiante, et à avoir été détourné de ses fonctions par elle. Le ministre de l’Éducation s’est vu, avec ses conseillers, dans l’obligation de résoudre des problèmes « sanitaires » qui n’ont rien à voir avec l’éducation des enfants et des adolescents, et même de subordonner cette éducation à la « gestion de la pandémie » dans les écoles. Je pense à ces fastidieuses interventions sur la pratique de la distanciation entre les élèves et le personnel enseignant, sur le port du masque, sur la formation de groupes-bulles, sur l’accès à des tests de dépistage rapides, sur l’information des parents et du grand public à propos des cas confirmés dans chaque école, sur les enquêtes à mener sur le comportement des enseignants récalcitrants qui auraient causé des éclosions, etc. Les enseignants et les gestionnaires des écoles devant gérer toutes ces mesures sanitaires et veiller à ce qu’elles soient rigoureusement respectées pour qu’il n’y ait pas d’éclosions dans leur salle de classe ou dans leur école, c’est autant d’énergie et de temps qui sont perdus, c’est autant de tâches connexes qui les détournent de leur enseignement et de l’administration de leur institution, c’est autant de règles qui créent un contexte peu propice à l’éducation et un milieu de travail étouffant et même toxique. Si bien que la mission éducative dudit ministère et des enseignants est subordonnée aux impératifs de l’idéologie sanitaire et peut même leur être grandement sacrifiée, comme cela s’est produit quand la décision a été prise de fermer les écoles et d’envoyer les enfants et les adolescents à la maison, en tentant de compenser cette « rupture de service » par le télé-enseignement et le rôle accru des parents dans l’apprentissage de leurs enfants.

Et nous pourrions aussi parler des ministres et des ministères de la Sécurité publique, de la Justice, des Finances, de l’Économie, de Travail, du Tourisme et des Aînés, qui se sont tous retrouvés enrégimentés par l’idéologie sanitaire, laquelle a exigé d’eux une certaine réorientation de leur mission, quand ce n’est pas simplement le sacrifice à peine déguisé de cette dernière, par exemple en matière d’économie et de tourisme.

 

La corruption de la politique

Nous pouvons nous demander si la politique elle-même n’a pas été corrompue par l’idéologie sanitaire. Car faire de la politique, depuis 19 mois, c’est essentiellement « gérer la pandémie ». Outre le fait que les politiques en matière de santé, d’éducation, d’économie, de travail, de tourisme et de justice, par exemple, ont été redirigées et même corrompues par l’idéologie sanitaire, presque toujours au détriment de la population québécoise, c’est la pratique même de la politique et le mode de fonctionnement des institutions politiques qui ont été modifiés pour le pire par l’idéologie sanitaire.

Le gouvernement, pour autant qu’il fournisse un semblant de justification sanitaire, peut gouverner arbitrairement en promulguant des décrets, sans délibération publique digne de ce nom, sans reddition de comptes, sans fournir l’accès aux données sur lesquels il prétend s’appuyer, parfois sans daigner fournir l’ombre d’une justification plus ou moins crédible, comme dans le cas du couvre-feu qu’on nous a imposé pendant plusieurs mois.

L’Assemblée nationale, qui avant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire jouait déjà un rôle secondaire ou illusoire, n’a même pas à entériner ce que le gouvernement décrète sous prétexte d’urgence sanitaire.

Les partis d’opposition, eux aussi embrigadés par l’idéologie sanitaire, au lieu de modérer le zèle sanitaire du gouvernement, cherchent généralement à rivaliser avec lui, en l’incitant souvent à user des pouvoirs exceptionnels dont il dispose pour étendre le champ d’application des mesures dites sanitaires et à faire preuve de plus de prudence quant à l’assouplissement de ces mesures.

Les citoyens, eux aussi enrégimentés, se sont habitués facilement à cette subordination de la politique à l’idéologie sanitaire indiscutable qui la surplombe et à l’autoritarisme qui en découle. Beaucoup exigent même du gouvernement qu’il prenne des mesures plus fermes vis-à-vis de leurs concitoyens qui remettent en question l’idéologie sanitaire et qui résistent à la propagation et à pérennisation des mesures sanitaires, au lieu d’y voir l’occasion d’un débat public où l’on pourrait essayer de distinguer le vrai du faux, le juste de l’injuste, l’utile de l’inutile ou du néfaste.

La démocratie ne consiste pas au fait d’élire ceux qui nous gouvernent de manière autoritaire (il s’agirait plutôt d’une monarchie ou d’une aristocratie élective provisoire). Elle exige une certaine délibération politique de la part des élus, l’existence de véritables débats publics et l’autodétermination politique du peuple, directement et par l’intermédiaire de ses représentants. Puisque l’idéologie politique s’est subordonnée la politique, cette délibération, ces débats et cette autodétermination sont pratiquement impossibles. Tout au plus portent-ils sur des points de détail, l’idéologie sanitaire ayant déjà donné ses fins et sa forme à la pratique de la politique. Ce sont donc nos institutions démocratiques, déjà chancelantes, qui ont été corrompues par l’idéologie sanitaire. De plus en plus, elles n’existent que formellement, pour donner l’illusion aux naïfs, aux bien-pensants et aux larbins de toutes sortes qu’ils vivent dans une société démocratique.