La tyrannie de l’identité totalisante

Le droit de ne pas se faire imposer par la société dans laquelle on vit une identité sexuelle en fonction de son corps est de plus en plus reconnu par les sociétés et les gouvernements occidentaux. Il est possible, pour les personnes qui ne s’identifient pas à leur sexe biologique, de changer de nom et de genre sur leurs papiers d’identité et d’obtenir de l’aide financière pour transformer leur corps et le rendre conforme en partie ou en totalité à l’identité sexuelle ou de genre de leur choix. Elles peuvent réclamer l’utilisation de pronoms qui correspondent au(x) genre(s) au(x)quel(s) elles s’identifient ou à leur absence de genre. Elles peuvent porter plainte en cas de non-respect de leur identité de genre, c’est-à-dire quand les autres s’acharnent à leur imposer une identité de genre qu’elles ne reconnaissent pas. Elles peuvent participer à des compétitions sportives destinées à des femmes biologiques, utiliser les toilettes publiques pour les femmes ou être admises dans des centres d’aide pour les femmes si elles s’identifient comme des femmes, et ce, même si elles sont nées avec tous les attributs biologiques masculins, même si elles continuent d’en avoir certains ou de les avoir tous, et même si les femmes biologiques ne les considèrent pas comme des femmes, ou du moins pas comme des femmes au même sens qu’elles.

En toute logique, ces sociétés et ces gouvernements devraient aussi encourager les individus à ne pas se laisser enfermer dans d’autres sortes d’identités auxquelles ils ne s’identifient pas et qu’on s’efforce de leur imposer. Mais c’est l’inverse qui se produit. Il suffit de voir tous les efforts qu’on a faits au cours des dernières décennies et qu’on continue de faire pour préciser notre identité en y rattachant toutes sortes de renseignements sur notre compte, et pour multiplier les occasions de vérifier notre identité et de consulter et de combiner ces renseignements. Il est donc beaucoup plus facile, présentement, de changer d’identité de genre ou de refuser une identité de genre que de nous dégager de l’identité qu’on nous impose en collectant toutes sortes de renseignements sur nous, dès notre enfance.

Nous voulons louer un appartement. Nous sommes obligés de nous identifier, pas seulement pour que les propriétaires sachent à qui ils louent tel logement, mais pour qu’on fasse une enquête de crédit sur notre compte, pour qu’on s’informe de nous auprès des propriétaires des logements que nous avons précédemment occupés, et pour qu’on consente à nous faire signer un bail de location. On nous demande par la même occasion quel emploi nous occupons et parfois même quel est notre salaire. On jugerait fort suspecte une proposition de payer le loyer pour une année sans nous identifier (ou en nous identifiant, mais en refusant de nous soumettre à une enquête de crédit), ce qui montre qu’il ne s’agit pas simplement de nous identifier pour s’assurer que nous nous acquittions de nos obligations de locataires. Il est important, pour les propriétaires des logements, de détenir toutes sortes d’informations sur leurs locataires et de savoir ou de s’imaginer savoir quelle sorte de personnes ils sont.

Nous posons maintenant notre candidature pour un emploi. On ne nous demande pas seulement de montrer que nous avons les compétences et les connaissances exigées et que nous avons les diplômes et l’expérience de travail qui le prouvent. On nous demande les coordonnées de nos employeurs précédents, pas tant pour vérifier si nous avons effectivement occupé les postes qui apparaissent dans notre curriculum vitae, que pour savoir quel genre d’employés ou de personnes nous sommes, si nous avons été aimés de nos collègues et de nos supérieurs, quels sont nos défauts et nos qualités, de quelle manière nous nous comportons, etc. C’est ainsi que les recruteurs essaient de se faire une idée du profil professionnel et personnel des candidats, en supposant généralement que ce qu’on dit de nous est vrai ou justifié, sans se demander si un ancien employeur qui dirait du mal de nous ne pourrait pas aussi avoir ses torts et même chercher à se venger à la suite d’un conflit où il aurait sa part de responsabilité et où il pourrait même être l’unique fautif. Et si cela ne suffit pas, ils feront des recherches sur internet pour savoir si nous avons des opinions déplorables ou si nous sommes des personnes respectables.

Nous voulons maintenant nous rendre dans un autre pays occidental pour y séjourner plusieurs mois ou quelques années dans le cadre de nos études. Avant de nous accorder un visa, on vérifiera si nous avons déjà commis des délits ou des crimes, on nous fera passer un examen médical complet pour s’assurer que nous ne sommes pas atteints d’une grave maladie, on s’informera des vaccins que nous avons reçus, et on analysera parfois nos transactions financières et ce que nous disons sur les réseaux sociaux, au cas où nous serions des terroristes, des agents étrangers ou des fauteurs de troubles. À l’arrivée, on recueillera certaines de nos données biométriques, par exemple nos empreintes digitales, afin de pouvoir nous identifier plus facilement si nous commettons un crime ou si nous faisons de l’espionnage.

Nous utilisons quotidiennement un ordinateur. Par l’intermédiaire de notre connexion Internet, des comptes que nous créons en ligne, des réseaux sociaux, des moteurs de recherche, des navigateurs Internet, des systèmes d’exploitation, des logiciels et des composantes électroniques de nos ordinateurs, on collecte toutes sortes de données sur les sites que nous consultons, sur les vidéos que nous regardons, sur les documents qui sont enregistrés sur notre ordinateur ou en ligne, sur les personnes avec lesquelles nous communiquons par messagerie électronique ou par vidéoconférence et sur ce que nous leur disons, afin de permettre aux organisations gouvernementales et non gouvernementales d’étudier nos comportements et de déterminer si nous avons un profil de mauvais sujet et si nous devons être surveillés plus étroitement. Le fait d’essayer de se soustraire, grâce à un VPN ou au réseau Tor, à cette surveillance de masse qui sert à constituer ce que Snowden nomme notre « permanent record » et ce qui doit nous suivre toute notre vie constitue lui aussi une partie de notre identité et contribue à nous rendre suspects.

À l’occasion du récent épisode de délire pandémique, ceux d’entre nous qui ont critiqué les mesures soi-disant sanitaires et qui s’y sont opposés ont été identifiés, en tant que groupes et en tant qu’individus, comme des complotistes, comme des dangers publics, comme des fous, comme des fanatiques, comme des extrémistes, comme des criminels, etc. Les passeports vaccinaux et les preuves de vaccination, ou plutôt leur absence, étaient des moyens d’identifier et d’exclure ces « méchants » de certains lieux publics, de certaines professions, de certaines activités, de certains moyens de transport, de certains États, de certaines provinces et de certaines villes. Ce qui est revenu à les réduire à cette identité forgée par les autorités politiques et sanitaires, par l’establishment scientifique et médical, par l’industrie pharmaceutique, par les médias de masse, par les firmes de relations publiques et par les biens-pensants qui sont légion, et à les priver des droits et des libertés qui leur étaient normalement accordés en tant que citoyens, résidents ou êtres humains.

Enfin, il y a l’identité numérique que les gouvernementaux occidentaux prévoient implanter bientôt, et à laquelle pourraient tout ou tard être rattachés notre histoire de locataire, de crédit et d’employé, notre statut vaccinal et notre dossier médical, nos données biométriques, notre activité en ligne, nos transactions financières, nos déplacements dans les transports publics et dans des véhicules privés, notre participation à des événements bien vus ou mal vus, nos habitudes alimentaires et énergétiques, nos émissions de carbone directes et indirectes, et bien d’autres choses que nous avons de la difficulté à concevoir présentement. Les personnes qui géreraient ou qui consulteraient ces dossiers, ou encore les intelligences artificielles qui analyseraient tous ces renseignements, pourraient nous identifier comme de bons citoyens ou de mauvais sujets, avec plusieurs degrés entre les deux, en fonction desquels des avantages ou des privilèges seraient accordés ou refusés sans appel, à moins que nous nous réformions en changeant de comportements, comme des enfants qui seraient punis par leurs parents ou la maîtresse d’école et qui finiraient par devenir « sages ».

En résumé, autant nos gouvernements, les grandes corporations qui leur sont liées et les biens-pensants semblent se montrer flexibles et ouverts quant à l’identité sexuelle ou plutôt à l’identité de genre, autant ils semblent bien décidés à nous lier à une identité qui est le résultat du classement rudimentaire de tout ce que nous faisons et disons, et qui devrait nous coller à la peau, nous être attachée au pied comme un boulet ou nous suivre ou nous précéder comme notre ombre, pendant toute notre vie. Le fait de critiquer cette identité et d’essayer de nous soustraire à sa constitution faisant partie de cette identité qu’on veut nous imposer, il suffit à nous faire identifier comme des suspects. Pourquoi refuserions-nous de nous identifier si nous n’avons rien à cacher ?

À l’inverse, pourquoi insiste-t-on pour constituer ces identités englobantes, totalisantes, voire totalitaires, pas seulement pour les personnes criminelles mises sous observation, mais pour chacun d’entre nous ? Cela ne montre-t-il pas qu’on a bien l’intention d’en faire quelque chose ? Autrement, pourquoi ferait-on tous ces efforts concertés pour aller dans cette direction ? N’est-ce pas étrange qu’on ne discute jamais des raisons de cette tendance, comme si tout ça était naturel ? Aurait-on quelque chose à nous cacher ? N’est-il pas évident que l’identification généralisée pourrait avoir pour effet, et peut-être même pour but, d’entraver ou d’empêcher la formation d’une opposition ou d’une résistance organisée aux contraintes arbitraires qu’on s’efforce de plus en plus de nous imposer ?

De toute évidence, il ne suffit pas, pour vivre dans une démocratie, d’autoriser ou de valoriser le changement d’identité de genre, et de faire preuve de flexibilité et d’ouverture en la matière. Il faudrait aussi pouvoir garder l’anonymat pour toutes les choses pour lesquelles on nous demande ou demandera de fournir des preuves de notre identité, pour lesquelles on consulte ou consultera notre profil ou notre parcours, et grâce auxquelles on complète ou complétera cette identité, dont nous ne pourrons pas davantage nous défaire que de notre ombre. J’en viens même à me dire que nos élites politiques, bureaucratiques et économiques font volontiers preuve de souplesse en matière d’identité de genre justement pour obtenir une réputation d’ouverture et de tolérance qui leur servira de couverture morale afin de resserrer l’étau à propos de l’identité totalisante qu’ils imposent aux manants, y compris ceux qui militent pour le droit de changer d’identité de genre ou qui en usent. C’est comme les employeurs qui, en accordant des ajustements concertés et des accommodements dits raisonnables pour des motifs religieux ou au nom de convictions dites profondes, appliquent un vernis moral à la servitude du travail salarié et étendent la surveillance et le contrôle auxquels sont soumis les employés, et pas seulement les résultats de leur travail.