La chasse aux sorcières

Il n’est pas exagéré de dire que nous semblons être au début d’un nouvel âge des ténèbres. Les sorcières d’antan, qu’on condamnait sans l’ombre d’une preuve sérieuse, sont en train d’être remplacées par les personnes non vaccinées. On ne dresse pas de bûchers, mais le tour d’esprit est le même, et on a recours à des moyens jugés plus civilisés pour obtenir la conversion ou la rétractation des non-conformistes. Il fallait s’y attendre avec la vaccination de la très grande majorité de la population et l’efficacité plus que douteuse des vaccins.

L’enseignement « en présentiel » ayant recommencé depuis quelques semaines, les écoles sont sous haute surveillance et les élèves sont soumis à des tests rapides. La situation ressemble à celle de l’année dernière, à la différence près qu’on peut maintenant accuser les enseignants non vaccinés d’être à l’origine des éclosions, à plus forte raison si des témoignages d’enfants et de parents sont mis en circulation par les médias traditionnels et deviennent « viraux ».

Le 22 septembre, les grands médias (TVA et La Presse, par exemple) – toujours friands de ce genre de nouvelles – annonçaient que la fermeture de l’école primaire Saint-Émile de Montréal a dû fermer ses portes en raison d’une éclosion. À la suite de révélations faites à TVA nouvelles – à visage découvert ou sous le couvert de l’anonymat par crainte des « représailles » – par des enfants et des parents, une enseignante d’arts plastiques s’est vu rapidement soupçonner puis accuser publiquement (sans qu’on la nomme, il est vrai, mais tous ses collègues, tous les parents d’élèves et tout son entourage doivent la reconnaître) d’être responsable de l’éclosion.

Voici ce qu’écrit Fanny Lévesque dans La Presse :

« Plusieurs enfants ont rapporté mercredi qu’une enseignante de l’école Saint-Émile n’aurait pas respecté les consignes sanitaires en classe. Selon des témoignages rapportés par TVA Nouvelles, l’enseignante aurait retiré son masque alors qu’elle se trouvait à moins de deux mètres des élèves. Elle se serait par ailleurs déplacée d’un pupitre à l’autre sans porter le masque.

Des parents auraient aussi rapporté que l’enseignante était contre la vaccination. »

(« École fermée à cause d’une éclosion – Une enseignante s’expose à des « conséquences », dit Roberge », La Presse, 23 septembre 2021.)

Il n’en faut pas plus pour avoir le ministre de l’Éducation lui-même sur le dos :

« “Ce que j’ai entendu à l’effet que ce serait une enseignante qui aurait posé des gestes dangereux, je trouve ça très inquiétant”, a réagi jeudi le ministre Roberge. Il a confirmé avoir communiqué directement avec le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) “pour s’assurer que cette enseignante-là soit rencontrée” par l’employeur. On nous a garanti que cette enseignante serait rencontrée et si ça s’avère, il y aura des conséquences”, a-t-il ajouté sans vouloir les préciser.

Je vais laisser à l’employeur déterminer les conséquences, c’est eux qui doivent gérer leurs ressources humaines et s’assurer que les consignes de la Santé publique soient suivies. Ce n’est pas optionnel de suivre les consignes sanitaires”, a expliqué le ministre de l’Éducation. »

Il ne s’agit pas de vérifier si les gestes dont on accuse l’enseignante ont vraiment provoqué l’éclosion, comme on le suppose, mais de savoir si ces gestes – en eux-mêmes répréhensibles au plus haut point aux yeux des bigots sanitaires – ont été commis et, le cas échéant, de la punir sévèrement. La pression exercée par les parents d’élèves sur les autorités scolaires et l’intervention du ministre lui-même – qui s’ingère dans les affaires du CSSDM – incitera probablement ces autorités à rendre un verdict de culpabilité et à opter pour des sanctions plus sévères. Notons que le ministre, après avoir parlé des conséquences qu’il y aurait si ces actes allégués s’avèrent avoir été commis par l’enseignante, laisse tomber la conditionnelle quand il dit qu’il va « laisser l’employeur déterminer les conséquences ». Ce qui donne l’impression que le verdict de culpabilité a déjà été rendu par le ministre, les autorités scolaires devant seulement, après un procès sommaire ou sa comparution (virtuelle ?) devant un comité de discipline, le signifier à l’enseignante et décider du châtiment. Libre à vous de juger s’il en est bien ainsi ou si les autorités scolaires sont libres de juger de la situation et d’innocenter l’enseignante sans s’exposer au mécontentement du ministre, aux récriminations des journalistes et aux plaintes des parents d’élèves et des autres membres du personnel enseignant ou autre.

Comme si ça ne suffisait pas, la députée libérale Marwah Rizqy s’est indignée, en pleine séance parlementaire, de ces « graves allégations » et semble trouver qu’on n’en fait toujours pas assez :

« “Une enseignante qui refuserait de se faire vacciner aurait volontairement enlevé son masque, aurait incité aussi les élèves à enlever leur masque, aurait même pratiqué des exercices de méditation, de grands respires, alors qu’on sait très bien que la COVID-19 se transmet par aérosol. Des enfants de la maternelle ont été infectés. […] Il me semble qu’on devait faire une chose: protéger nos petits”, a-t-elle déploré.

Elle a demandé au ministre de l’Éducation si une enquête avait été déclenchée et si l’enseignante en question avait été suspendue avec ou sans solde. “C’est une situation qui m’a choqué, c’est inacceptable>”, a réaffirmé M. Roberge, assurant que des vérifications sont en cours. »

Rien de moins : on parle déjà de suspension. Et pourtant on reconnaît, dans le paragraphe suivant, que « la source de l’éclosion n’est pas connue ». À quoi j’ajoute : « Peut-on la connaître avec quelque certitude ? »

TVA Nouvelles va un peu plus loin, croyant ainsi fournir des faits accablants pour l’enseignante, même si on y fait usage du conditionnel :

« L’enquête ne dévoile pas pour l’instant (mais ça ne saurait tarder, semble se dire non sans raison l’auteur) qui est responsable de cette éclosion, mais le comportement d’une enseignante anti-vaccin est remis en question par les élèves et les parents.

Cette enseignante d’arts plastiques aurait côtoyé plus de 75 % des personnes contaminées.

Selon nos informations, cette enseignante faisait la promotion de ne pas porter le masque en classe. Elle fait également partie des personnes contaminées par le virus.

Au total, au moins 39 personnes ont contracté la COVID-19. Elle aurait également reçu un résultat positif. […]

Au moins, huit des 11 classes auraient des élèves qui ont contracté la COVID-19. »

(« Une enseignante pourrait être responsable d’une éclosion dans une école », TVA Nouvelles, 22 septembre 2021. C’est moi qui souligne.)

Peut s’en faut qu’on s’imagine, superstitieusement, que l’éclosion s’est produite parce cette enseignante (dont on dit deux fois plutôt qu’une, dans deux paragraphes qui se suivent, qu’elle a été infectée) est « anti-vaccin », parce que son comportement est « inadéquat ».

Nonobstant la fiabilité des tests de dépistage utilisés et la fréquence des faux positifs, je pose ces questions en réponse à ces accusations gratuites et au jugement sommaire auquel elles semblent mener :

  1. Des éclosions comparables se produisant dans les autres écoles où on ne trouve pas un enseignant « antivax » à accuser, pourquoi présumer que cette enseignante est à l’origine de la propagation du virus, et pas les autres enseignants ou les élèves qui ont reçu un résultat positif à un test de dépistage ?

  2. Les tests et le traçage des contacts par les enquêteurs du ministère de la Santé et des Services sociaux ne permettant pas de savoir qui aurait transmis le virus à qui, n’est-il pas arbitraire de présumer – en se fondant sur la croyance en l’efficacité des soi-disant vaccins et des masques pour empêcher la propagation du virus – que l’enseignante est vraisemblablement à l’origine de l’éclosion, et pas un autre enseignant ou un élève ?

  3. Pourquoi cette éclosion aurait-elle une seule origine ? Plusieurs enseignants et plusieurs élèves ne pourraient-ils pas être à l’origine de l’éclosion ?

  4. Pourquoi exclure que plusieurs des enseignants et des élèves porteurs du virus ne l’ont pas contracté à l’extérieur de l’école, ce qui reviendrait à présumer que les personnes en question restent barricadées chez elles quand elles ne sont pas à l’école, et qu’elles ne peuvent pas avoir été infectées à la maison, par leurs conjoints, leurs enfants ou leurs parents ?

  5. L’enseignante accusée est-elle la seule à avoir été en contact avec 75 % des personnes qui ont reçu un résultat positif à un test de dépistage ? A-t-on fait ce calcul juste pour elle, en excluant les élèves qui se côtoient en classe et dans la cour de récréation, ou les enseignants qui entrent en contact avec différentes classes, c’est-à-dire les autres enseignants d’arts plastiques, et aussi les enseignants d’éducation physique et d’anglais, sans compter les suppléants ?

  6. Cette information (le fameux 75 %) provient-il d’une source fiable, car j’aurais crû la Santé publique plus réticente à diffuser de telles informations, surtout avant la conclusion de la soi-disant « enquête » sur les origines de l’éclosion ?

  7. Une éclosion est-elle en elle-même quelque chose d’assez grave pour qu’on envisage d’infliger de graves sanctions disciplinaires au coupable présumé quand les personnes infectées ne sont pas malades sérieusement, et ont seulement reçu un résultat de test positif et ont tout au plus des symptômes légers ou modérés ?

  8. Etc.

Voilà des questions que les journalistes ne se posent même pas. Pas plus que la maman du petit Lucas (l’un des accusateurs de l’enseignante), qui déclare ceci à TVA Nouvelles : « Je me demande pourquoi les professeurs ont le droit de venir enseigner sans être vaccinés. Selon moi, c’est la moindre des choses. » Il me semble que ce serait la moindre des choses de penser un peu, pour une fois. Mais, de toute évidence, c’est trop demander à la maman du petit Lucas.

Il est à craindre que cette chasse aux sorcières s’étende, cet automne et cet hiver, non seulement aux autres écoles primaires ou secondaires, mais aussi aux cégeps et aux universités, aux hôpitaux (c’est déjà commencé), aux organismes publics ou parapublics, aux restaurants, aux bars, aux gyms, et peut-être à tous les commerces, à toutes les entreprises et à tous les milieux de travail. Tout ça pour contraindre les personnes non vaccinées à se faire administrer les injections expérimentales aux effets secondaires avérés et aux bénéfices douteux ou fort limités, et peut-être pour étendre l’obligation vaccinale bien au-delà du secteur de la santé.

C’est pourquoi il importe de mettre en évidence le caractère arbitraire de telles accusations, colportées à qui mieux mieux par les journalistes et les autorités politiques et sanitaires. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt des personnes non vaccinées. C’est aussi dans l’intérêt des personnes vaccinées. Sinon c’est le principe de la présomption d’innocence – qui implique que le fardeau de la preuve revient à l’accusateur et qu’on ne saurait être reconnu coupable s’il y a un doute raisonnable – qui est miné. Pas de justice sans ce principe. Une fois qu’il aura été battu en brèche avec le consentement de beaucoup, plus de sûreté pour nous tous, que nous soyons vaccinés ou non. Les accusations arbitraires et les jugements sommaires pourront s’abattre librement sur nous, nous serons présumés coupables jusqu’à preuve contraire, et dans beaucoup de cas l’idée même d’un doute raisonnable sera exclue d’avance. Ce qui montre que la crise dite sanitaire a aussi des enjeux politiques, et qu’elle est peut-être plus politique que sanitaire.