Érosion de la propriété pour la populace et l’État

Le droit à la propriété est inscrit dans la Déclaration supposément universelle des droits de l’homme :

Article 17

1. Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété.

2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.

Déclaration universelle des droits de l’homme

Ce qui veut dire que nous pouvons tous, seuls ou en association avec d’autres personnes, être les propriétaires de choses dont on ne saurait nous priver. Le problème, c’est qu’on ne précise pas ce à quoi ce droit de propriété s’applique et en fonction de quels principes nous pouvons être propriétaires. Nous avons le droit d’être les propriétaires de quelque chose d’indéterminé, selon les lois, les règlements, les coutumes et la hiérarchie sociale, voilà tout. Ce qui revient à dire que notre droit à la propriété est en fait un droit général et abstrait qui ne s’applique à rien de particulier, et que ce prétendu droit universel peut être librement déterminé par ceux qui détiennent le pouvoir dans la société dans laquelle nous vivons et qui agissent de plus en plus comme s’ils étaient nos maîtres. À la rigueur, nous pourrions dans les faits être les propriétaires de rien du tout ou de quelques babioles seulement sans que cela ne contrevienne à cet article, aussi longtemps que la propriété en général ne nous est pas interdite formellement, puisque nous pourrions toujours, en principe, devenir les propriétaires de quelque chose si nous avions assez d’argent pour l’acheter et si nous nous conformions aux exigences écrites et non écrites en vigueur dans telle société à tel moment.

S’il est vrai que la propriété peut être collective au sens où nous pouvons être co-propriétaires d’une même chose (par exemple, une maison ou une petite entreprise) ou que nous pouvons en être les propriétaires en tant que peuple (par exemple, pour les ressources naturelles qui se trouvent sur le territoire de l’État dont nous sommes les citoyens), elle est aussi exclusive. Nous ne pouvons pas être les propriétaires de ce dont les riches sont les propriétaires, individuellement ou collectivement (sous le couvert de grandes compagnies), et les riches ne peuvent pas être propriétaires de ce dont nous sommes propriétaires, individuellement ou collectivement. Il est facile de savoir qui a le gros bout du bâton, et le droit à la propriété qui est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ne change rien à l’affaire : nous sommes de moins en moins souvent les propriétaires des logements ou des maisons où nous habitons, des entreprises où nous travaillons et des objets que nous utilisons. En effet, nous pouvons de moins en moins disposer librement de ce qu’en principe nous achetons en raison des conditions connues ou inconnues, et parfois changeantes, que les grandes compagnies qui nous les vendent nous imposent avant l’achat ou après l’achat. C’est comme si elles continuaient à être les propriétaires de ce que nous avons l’impression d’acheter, c’est comme si nous étions seulement des usagers. Et c’est ce qui se produit effectivement quand les grandes compagnies empêchent arbitrairement des usagers d’utiliser une version d’un logiciel pour laquelle ils ont payé une licence à vie, de regarder en streaming des films pour lesquels ils ont payé, de lire des livres numériques qu’ils ont achetés et d’utiliser des appareils qui ont été réparés dans des ateliers indépendants et non par le fabricant lui-même ou des réparateurs certifiés, qui exigent des coûts démesurément élevés ou qui refusent de faire les réparations pour proposer un remplacement du produit aux frais des usagers. Cela n’arrive pas seulement pour des téléphones cellulaires ou des ordinateurs, mais aussi pour des véhicules individuels ou collectifs, par exemple des trains achetés par une compagnie publique de chemins de fer en Pologne, comme on pourra le voir dans cette vidéo de Louis Rossman. Et au fur et à mesure que tout ce que nous utilisons devient un objet connecté qui demeure sous le contrôle du fabricant et est soumis à ses caprices, nous pouvons nous attendre à ce que ces pratiques se répandent et se radicalisent, et que la propriété de ce pour quoi nous déboursons de l’argent individuellement ou collectivement s’effrite de plus en plus.

Pour plus détails, voici le résumé d’une conférence donnée par les hackers polonais qui ont remis en marche ces trains.