Refus de la discussion et dogmatisme à propos du passeport vaccinal 

Le ministre de la Santé et des Services sociaux a déclaré récemment, dans une entrevue radiophonique (10:33), que le processus pour rendre disponible une preuve numérique de vaccination contre la COVID-19 devrait aboutir d’ici la fin du mois d’avril. Selon lui, il faudrait pouvoir disposer de cette preuve numérique avant d’entreprendre le débat éthique sur ce fameux passeport que d’autres pays ont déjà commencé à implanter. Et ce débat doit avoir lieu rapidement, toujours selon le ministre Dubé. En effet, il y a lieu de croire que ce débat ne durera pas longtemps (peut-être s’agira-t-il d’un débat d’experts entre des portes closes dont on nous annoncera les résultats sans nous avoir consulté), puisqu’on se sera déjà doté d’une partie des outils nécessaires à l’implantation de ce dispositif. C’est un peu comme si le gouvernement attendait la fin des travaux de la phase 1 d’un grand projet routier avant de discuter publiquement de sa pertinence. On se dirait alors que tout a déjà été décidé, et que ce débat n’a lieu que pour la forme ou que pour régler des points de détail.

Les journalistes, eux, prennent néanmoins les devants, dont Patrick Lagacé qui a publié un article favorable au passeport vaccinal dans La Presse (« Oui au passeport vaccinal », 24 avril 2021). Je verrais certainement une bonne chose dans cet effort des journalistes si les positions exprimées étaient divergentes, si les différences n’étaient pas surtout des nuances à partir de ce qu’on croit être la position gouvernementale, si les arguments (pour ou contre) ne consistaient pas en des appels à l’autorité et des pressions moralisatrices et si les enjeux politiques importants de ce dispositif n’étaient pas occultés. Malheureusement ce n’est pas le cas.

Après avoir fait un survol de l’avancement de la vaccination selon les différents groupes d’âge et évoqué les possibles dégâts de l’hésitation vaccinale chez les 50-59 ans, Patrick Lagacé pose le fondement de tout son argumentaire en faisant cette déclaration pour le moins dire catégorique :

« Car les experts sont formels : la société sera efficacement protégée quand une masse critique – oscillant entre 70 % et 80 % – de nos concitoyens sera vaccinée. La Santé publique fédérale a fixé vendredi la barre à 75 % (première dose) pour retrouver un semblant de liberté en juillet. »

De nombreuses questions pourraient être posées à propos de cet énoncé, dont voici un échantillon :

  • Qui sont ces experts ? S’agit-il de ceux de la Santé publique canadienne et Québécoises, des chercheurs de l’INSPQ et des autres chercheurs consultés par les autorités et interviewés par les journalistes, qui sont tous des défenseurs de la solution « vaccinale » ? Pourtant il y a d’autres experts tout aussi compétents, voire plus compétents, qui sont d’un autre avis, qui s’opposent depuis le début à la vaccination de toute la population comme moyen de sortir de la crise et que notre gouvernement et la presse québécoise ignorent systématiquement.

  • Fait-il sens d’affirmer que la société peut être efficacement protégée contre le Virus ? Elle ne peut certainement pas être infectée par le Virus, tomber malade et en mourir. Seuls les individus le peuvent. Alors que veut-on dire par là ?

  • Pourquoi la « barre » est-elle la même pour l’ensemble de la société et pour tous les groupes d’âge ? Cela ne ferait-il pas beaucoup plus sens de mettre la barre plus bas pour les groupes d’âge moins vulnérables ? Comment cette proportion générale peut-elle être fondée scientifiquement si elle ne tient pas compte des caractéristiques de chaque groupe d’âge, de la proportion de la population que représente chaque groupe d’âge et des particularités démographiques de chaque province canadienne ou de chaque région québécoise ?

  • En quoi consiste le semblant de liberté qu’on nous promet quand la masse critique sera atteinte ? Pourquoi ne pas préciser en quoi pourraient consister ces assouplissements des restrictions ? Se pourrait-il qu’il soit question seulement d’un semblant de liberté ?

  • Pourquoi cette obligation d’attendre en juillet si la situation épidémiologique (qui n’est actuellement pas aussi mauvaise qu’on aimerait nous le faire croire si on en juge d’après les décès et non d’après les cas de contamination) permet d’assouplir plus tôt les restrictions qui détruisent notre économie et qui nous empoisonnent la vie ?

  • Pourquoi la pandémie ne saurait prendre fin d’elle-même sans la vaccination de cette masse critique, comme cela s’est produit jusqu’à maintenant pour toutes les pandémies ? Pourquoi se fier encore aux prédictions catastrophistes qui annonçaient beaucoup plus de décès même en adoptant des mesures sanitaires restrictives ?

Tant de questions qui restent en suspens, qui ne sont pas posées ou qu’on considère à tort comme résolues… Patrick Lagagé n’en continue pas moins considérer la réticence vaccinale comme un grave mal qu’il faut combattre :

« La réticence vaccinale est un problème : en CHSLD, seulement 62 % des employés sont vaccinés. Cela favorise les infections de personnes vaccinées – même vaccinée, une personne âgée a un système immunitaire plus vulnérable – en CHSLD.

(Il faut les encourager, leur expliquer, bien sûr. Mais là-dessus, je trouve les syndicats de la santé bien discrets…) »

Pourtant le gouvernement, les experts autorisés et les journalistes ont prétendu que les vaccins procurent une excellente protection aux personnes âgées quand il s’agissait de les vacciner. Pourquoi atténuer cette protection justement quand on en est rendu à vacciner des personnes qui n’appartiennent pas aux groupes d’âge plus vulnérables ? Si cette protection a bien été surestimée ou exagérée, ne vaudrait-il pas mieux nous raviser et opter pour une autre solution, par exemple les traitements précoces qui contribuent à diminuer fortement les complications et les décès, et qu’on a écartés dogmatiquement l’an dernier, en faveur des vaccins ?

Je signale aussi que Patrick Lagacé va au-devant de nos autorités sanitaires quand il laisse entendre que la vaccination des employés des CHSLD pourrait réduire les risques d’infection des résidents. C’est écrit noir sur blanc sur le site de notre gouvernement que la question n’a pas encore été tranchée :

« Les études sont en cours pour savoir si les personnes vaccinées ne transmettent plus l’infection et si les mesures de protection habituelles (distanciation physique, port du masque et lavage des mains) peuvent être assouplies. » (Vaccination contre la COVID-19, en date du 25 avril 2021)

C’est probablement pour cette raison que l’Agence de santé publique du Canada déclare que ces mesures de protection devront être maintenues :

« Par mesures restrictives, on entend la fermeture de lieux tels que les lieux de travail et les entreprises, les installations de loisirs et autres lieux publics. Même lorsque ces mesures seront levées, le public devra continuer à garder ses distances et les niveaux actuels de dépistage et de recherche des contacts devront être maintenus. » (Le point sur la COVID-19 au Canada : épidémiologie et modélisation, p. 19)

(Il est étrange que cette propriété des vaccins n’ait pas été examinée pendant les études cliniques et qu’on s’avise seulement de le faire maintenant, compte tenu que c’est la grande contagiosité du Virus qui justifierait les mesures plus ou moins restrictives qui sont en vigueur depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Advenant le cas que des études montreraient de manière assez opportune que les vaccins diminuent considérablement la contagiosité des personnes, il faudrait préciser si cette observation s’applique seulement aux personnes symptomatiques ou aussi aux personnes asymptomatiques, dont la contagiosité est d’ailleurs remise en question par des études.)

Avant de continuer, rappelons à monsieur Lagacé que la fonction des syndicats n’est pas de faire la promotion de la vaccination auprès de leurs membres et d’obtenir leur adhésion aux politiques sanitaires, pas plus que ça ne devrait être la mission des journalistes de faire accepter à la population ces mêmes politiques et de faire du marketing pour des produits pharmaceutiques, soit dit en passant.

Le journaliste en vient alors à l’idée du passeport vaccinal, si la sensibilisation ne fonctionne pas et ne permet pas d’atteindre les objectifs vaccinaux. Notons aussi qu’il prononce contre la vaccination obligatoire (laquelle est autorisée par la Loi sur la Santé publique du Québec, chapitre XI, section III, article 123), pas tant parce qu’il est contre le principe de l’obligation, que parce que la coercition lui semblerait contre-productive et difficilement applicable :

« Non, la coercition serait contre-productive pour l’idée même de la vaccination. Et elle donnerait aux négationnistes la chance de se transformer en Jeanne d’Arc de YouTube dont la « résistance » deviendrait inévitablement virale (!). Posez-vous la question : ça prendrait combien de policiers pour maîtriser un conspirationniste afin qu’il se fasse vacciner ?

Voilà, juste poser cette question, ça torpille l’idée même de la vaccination obligatoire.

Mais il y a une solution de rechange : le passeport vaccinal. »

C’est un peu comme si l’Église, à l’époque où des livres étaient mis à l’index, en venait à la conclusion que cela fait de la publicité aux idées fausses, immorales et malsaines qu’ils véhiculent et envisageait pour cette raison d’autres moyens plus efficaces d’obtenir les mêmes résultats.

Monsieur Lagacé nous rappelle ensuite en quoi consiste le passeport vaccinal :

« Je résume le concept de passeport vaccinal : c’est un laissez-passer, un sésame, qui vous permet de participer à des activités précises dans la société.

Vous êtes vacciné ?

Vous pouvez aller au gym, dans les salles de spectacle, dans les restaurants, dans les salles de classe…

Si – et seulement si – les taux de vaccination ne nous permettent pas d’atteindre l’immunité collective qui protégera la société contre les ravages du virus, ce passeport deviendra sans doute inévitable. »

Même si l’on parle ici d’activités bien précises, l’usage des points de suspension laisse planer une menace : la liste de ces activités pourrait s’allonger indéfiniment.

À qui voudrait débattre publiquement du passeport vaccinal, Patrick Lagacé répond que cela n’a pas la moindre importance, pas la moindre pertinence, sauf en tant que jeu intellectuel coupé du réel, qu’il qualifie néanmoins de passionnant :

« Je sais, je sais : l’idée d’un passeport vaccinal fait l’objet de débats incluant toute une palette de considérations éthiques. Et ces débats sont absolument passionnants… en théorie

Dans le réel, si – et seulement si – les taux de vaccination sont trop bas pour atteindre l’immunité collective parce que le discours conspi-négationniste né bien avant la pandémie aura suffisamment endommagé le principe même de la vaccination anti-COVID-19, il faudra se demander quelle réponse opposer à cette menace à l’immunité collective.

Les gens ont le droit de ne pas vouloir être vaccinés.

Ils ont le droit d’être obscurantistes et égoïstes, aussi.

La société n’a pas à les accommoder, ceux-là, à l’infini. »

Ainsi monsieur Lagacé, même avant qu’on entre en matière, balaie du revers de la main la possibilité même d’un débat public sur la question du passeport vaccinal. Car il sait où commence et où se termine le réel, et ces considérations éthiques et aussi politiques n’en font pas partie. Monsieur le sait, monsieur a décidé qu’il en est ainsi. Et il sait aussi que, si les objectifs vaccinaux ne sont pas atteints, c’est nécessairement à cause du discours conspi-négationniste qui constitue une grave menace pour l’immunité collective. Pourquoi voudrait-il discuter s’il disqualifie d’avance les personnes qui pourraient ne pas être d’accord avec lui et s’il les qualifie d’obscurantistes et d’égoïstes, sans même se demander s’ils peuvent avoir de bonnes raisons de douter de l’efficacité et de l’innocuité des vaccins ? Est-ce si fou, par exemple, de se dire que les études cliniques, qui ont duré seulement quelques mois, ne permettent pas de connaître les effets à moyen et à long terme de ces vaccins, lesquels pourraient représenter un danger plus grand que la COVID-19 pour les personnes qui n’appartiennent pas aux groupes d’âge les plus vulnérables. Est-ce là de l’obscurantisme ? Est-là de l’égoïsme ? Si ceux qui doutent étaient vraiment des égoïstes, et si le passeport vaccinal devait effectivement être adopté seulement si les objectifs vaccinaux n’étaient pas atteints (pour ma part j’en doute : je crois notre gouvernement capable de l’adopter même si ces objectifs sont atteints, et d’autant plus facilement qu’ils sont atteints), les réticents ne devraient-ils pas faire la promotion de la vaccination pour que les objectifs vaccinaux soient atteints, pour que le passeport vaccinal ne soit pas adopté, pour qu’ils n’aient pas à se faire vacciner pour participer à certaines activités ? Est-il à exclure qu’ils ne craignent pas seulement pour leur propre peau, mais aussi pour celle de leurs concitoyens ? En quoi cette attitude serait-elle blâmable quand il s’agit des vaccins et louable quand il s’agit de la COVID-19 ? Et comment pourrait-on prendre connaissance des conséquences sociales et politiques du passeport vaccinal sans avoir engagé publiquement la discussion à ce sujet ? Comment savoir d’avance que ces considérations verseraient dans l’obscurantisme et dans l’égoïsme ? Comment savoir si leurs conclusions ne contre-balanceraient pas les bénéfices présumés des vaccins ? Tant de questions que monsieur Lagacé écartera aussi longtemps qu’il se croira le porte-parole de la société ou qu’il s’efforcera de passer pour ce porte-parole aux yeux du public, sans avoir donné l’occasion de s’exprimer aux différents groupes sociaux qui constituent la société… N’est-ce pas là une forme exacerbée d’égoïsme que de se proclamer détenteur de la volonté publique, que de prendre ses désirs pour ceux de la société ?

« Alors on ne peut pas forcer les gens à se faire vacciner, même qu’on ne devrait pas. Mais la société n’a pas non plus à récompenser l’égoïsme individuel si la réticence vaccinale en vient à menacer l’immunité collective, si la barre des 75 % n’est pas atteinte.

On pourrait alors très certainement essayer d’interdire aux plus réticents d’entre nous l’accès aux cinémas, aux salles de spectacle, aux bars, aux gyms, aux ligues sportives, aux cégeps, aux universités, de même qu’aux festivals et aux restaurants…

Les réticents pourraient ainsi très bien revendiquer leur droit à l’égoïsme… isolés dans leur divan de salon. »

Ici le désir de punir se manifeste ouvertement, d’abord en privant de récompenses ceux qui divergent, ensuite en les excluant de la société. Comme monsieur Lagacé utilise encore les points de suspension, on ne sait pas dans quelle mesure cette punition devrait être sévère. Mais comme il assume le rôle de justicier de la société, il est à craindre que ce châtiment soit radical : déjà il ne s’agit plus seulement de lieux ou d’activités de loisir, mais aussi d’accès à l’éducation. Qui sait s’il n’a pas aussi en tête d’interdire aux réticents l’accès aux commerces essentiels (les supermarchés), aux hôpitaux et à certains emplois ou même à tous les emplois (sauf le télétravail) et les rassemblements intérieurs et extérieurs ? Cette attitude dogmatique et même fanatique, si elle est répandue chez les partisans de la vaccination massive et du passeport vaccinal, constitue en elle-même un argument moral et politique contre cette solution et ce dispositif. En effet elle est incompatible avec l’examen réfléchi et la discussion argumentée des avantages et des inconvénients des différentes mesures et politiques sanitaires, sans compter qu’elle peut s’étendre à d’autres domaines.

Mais assez à propos de cet article de journal, qui est d’une grande indigence intellectuelle. J’ajoute seulement que je me donne pour projet de mettre en évidence les présupposés du passeport vaccinal (lesquels sont remis en question par des scientifiques et sont incompatibles avec des études), de même que ses inconvénients moraux et politiques, ce qui pourrait contribuer à un débat public sur la question.