Mesures sanitaires et dressage - partie 1 : omniprésence des mesures et répétition

Mettons entre parenthèses la question de savoir si nos autorités politiques et sanitaires, par les mesures qu’elles décrètent pour ralentir la propagation du Virus, s’efforcent simplement et sincèrement de sauver des vies et de protéger la santé de la population, ou si elles profitent de l’occasion pour nous rendre encore plus dociles que nous ne l’étions déjà ; de savoir si ces autorités défendent ou croient défendre vraiment nos intérêts, ou si elles servent en fait leurs propres intérêts ou ceux d’autres organisations ou groupes de personnes ; de savoir si le Virus est aussi dangereux, contagieux et difficile à vaincre qu’on le dit, ou s’il est comparable à une forte grippe saisonnière ; de savoir si le port du masque de procédure ou du cache-binette est efficace et inoffensif pour la santé, ou s’il est au contraire inefficace et même nuisible pour la santé ; de savoir si la distanciation sociale, le lavage répété des mains, le télétravail, l’enseignement par vidéoconférence, la fermeture des restaurants, des bars, des bibliothèques, des salles de spectacle et des complexes sportifs contribuent ou non à ralentir la propagation du Virus ; et enfin si cette deuxième vague est bien réelle, ou si elle est plutôt le produit des politiques de dépistage, des limites des tests PCR et du mauvais usage qu’on en fait, ainsi que de la manipulation des médias.

Ce qui m’intéresse ici, ce sont les effets nuisibles des mesures sanitaires pour notre liberté, indépendamment de leur efficacité pour ralentir la propagation du Virus, et des intentions et des objectifs véritables de ceux qui nous gouvernent et qui organisent même notre vie et notre société dans le détail depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. Car ces effets des mesures sanitaires demeurent à peu de chose près les mêmes, que ces mesures soient justifiées ou non, et que les intentions et les objectifs de nos dirigeants soient louables ou non. Il en va ainsi de toutes les actions et de toutes les décisions humaines, qui peuvent avoir des effets nuisibles même quand elles ont des effets bénéfiques sur d’autres points, et indépendamment des bonnes intentions et des nobles objectifs de ceux qui les accomplissent ou qui les prennent.

L’employé qui doit travailler huit heures par jour et cinq jours par semaine pendant des décennies, qui doit se conformer à des procédures tatillonnes pour accomplir les tâches les plus simples, qui doit se soumettre à des suivis quotidiens de ses tâches et à une surveillance continue, qui doit obéir à son supérieur sans discuter, qui doit rester courtois avec les clients qui lui manquent de respect ou qui l’insultent, qui doit adhérer au code d’éthique que lui impose l’entreprise pour laquelle il travaille, et qui se voit dans l’obligation de se conformer à un code vestimentaire ou à porter un uniforme aux couleurs de son employeur (il y a quelques siècles, on aurait dit une livrée), en vient à devenir un simple exécutant dépourvu d’autonomie et même un valet bien stylé. Peu importe s’il contribue par son travail à la prospérité de la société ou non, si les services et les marchandises qu’il offre aux clients leur sont vraiment utiles ou non, s’il est rémunéré équitablement par son employeur ou non, s’il bénéficie d’avantages sociaux ou non, et si son patron lui impose ou croit lui imposer ces contraintes pour le bien de l’entreprise et de la société ou veut simplement l’asservir.

Et il en va de même pour nous tous, qui sommes assujettis à une foule de mesures sanitaires qui limitent ou anéantissent plusieurs de nos libertés, et ce, peu importent leur efficacité ou leur inefficacité, leur légitimité ou leur illégitimité, et les motivations louables ou blâmables de ceux qui nous les imposent. Les causes ne consultent pas les intentions, les motivations et les objectifs des êtres humains avant de produire leurs effets.

 

Définition du dressage

Je précise maintenant ce que j’entends par dressage. On peut parler de dressage quand des contraintes sont intériorisées par nous ou par des spécimens de n’importe quelle espèce animale, et en viennent à produire des comportements qui se perpétuent par la force de l’habitude, l’adhésion à des règles et à une morale, ou la crainte du blâme ou du châtiment qui punit un écart vis-à-vis de ces règles ou de cette morale. Ainsi un âne n’est pas bien dressé s’il faut lui donner la bastonnade pour qu’il daigne avancer après qu’on l’a chargé de son fardeau. Ainsi un chien de garde n’est pas bien dressé s’il faut l’exciter pour qu’il attaque les intrus. Ainsi un employé ou un valet n’est pas bien dressé s’il faut constamment le menacer de renvoi pour qu’il obéisse aux ordres qu’on lui donne.

Remarquons qu’il ne s’agit pas là d’une définition qui a la prétention de rendre compte du dressage dans toute sa complexité. Cette définition a seulement pour but d’orienter nos analyses de la situation actuelle, grâce auxquelles elle se précisera, se complexifiera et s’enrichira.

 

La journée d’un employé de bureau

Nous prenons l’autobus. Alors on nous demande de porter un cache-binette, sinon on nous en interdit l’entrée, même s’il est presque vide. Après quoi on nous fait entendre à plusieurs reprises des enregistrements nous rappelant que, conformément aux indications de la Santé publique, il est obligatoire de porter notre cache-binette durant tout le trajet et qu’il ne faut pas prendre l’autobus si nous avons des symptômes ou pour aller passer un test de dépistage. Des affiches collées à l’intérieur et à l’extérieur de l’autobus nous rappellent elles aussi constamment les consignes de la Santé publique.

Nous voilà arrivés au travail. À l’entrée, des affiches nous rappellent qu’il est obligatoire de mettre notre cache-binette et de nous désinfecter les mains avant d’entrer, qu’il nous faut autant que possible ne pas nous approcher à moins de deux mètres de nos collègues ou des clients, qu’il faut tousser dans notre coude, que nous devons rester à la maison si nous avons des symptômes, et qu’il nous faut circuler en suivant les flèches qui sont sur le plancher et respecter la capacité maximale des ascenseurs. Masqué et à l’abri derrière un panneau de plexiglas, un agent de sécurité scrute ses écrans pour s’assurer que tous se conforment rigoureusement à ces règles. Si nous sommes chanceux, nous pouvons enlever notre cache-binette quand nous arrivons à notre bureau. Si nous sommes moins chanceux, nous devons le porter toute la journée.

Voici venu le temps de la pause de l’avant-midi. Soit nous restons à notre bureau, soit nous sortons à l’extérieur. Si nous optons pour la deuxième possibilité, nous devons – à la sortie comme au retour – nous plier à nouveau à toutes ces règles et nous exposer aux sollicitations des affiches placardées sur tous les murs, toutes les portes et toutes les vitres.

Notre travail est ennuyant et même assommant. Une réunion par vidéoconférence qui n’en finit plus de finir, et dont il n’est sorti presque rien ! Il nous faut un café. L’un de nos rares collègues qui est en présentiel a eu la même idée que nous. Nous attendons qu’il désinfecte les boutons de la machine à café avec une lingette, et nous nous écartons pour le laisser passer. Une fois notre tasse remplie, nous désinfectons nous aussi les boutons de la machine à café, pour ne pas infecter l’un de nos collègues.

Le temps passe lentement. Maintenant c’est l’heure du dîner. Nous nous rendons dans la salle à manger. Deux de nos collègues occupent déjà les deux seules chaises et les deux seules tables utilisables, espacées d’au moins quatre mètres. Les autres chaises et les autres tables ont été retirées. Sur le sol, des marques de ruban adhésif délimitent la zone à l’intérieur de laquelle nous pouvons circuler sans nous approcher à moins de deux mètres des deux mangeurs. Nous sortons notre repas du réfrigérateur – on nous a recommandé de le laisser dans notre boîte à lunch, avec de la glace, mais ce n’est pas encore obligatoire – et nous en désinfectons la poignée. Nous faisons chauffer notre repas dans le four à micro-ondes, après quoi nous en désinfectons la porte et les boutons. Avant de regagner notre bureau pour manger, nous désinfectons le bout du comptoir où nous avons déposé notre repas pour désinfecter le four à micro-ondes, après quoi nous désinfectons la bouteille de désinfectant, conformément aux consignes en vigueur dans l’entreprise pour laquelle nous travaillons, elles-mêmes élaborées conformément aux indications de la Santé publique et de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail.

Nous regagnons notre bureau, nous nous désinfectons les mains et nous commençons à manger. Pour ne pas avoir l’impression d’être seul et tromper l’ennui, nous regardons le point de presse du ministre de la Santé sur notre téléphone. Il dit que l’explosion des cas de contamination est sur le point de mener à la saturation et au débordement du système de santé dans les zones rouges, et il en conclut qu’il doit y avoir un relâchement de la population, laquelle il exhorte à ne pas baisser la garde et même à en faire plus, en signalant que 76 % des éclosions ont lieu dans les milieux de travail. Sinon, dit-il, il faudra durcir les mesures. Nous regardons ensuite ce qu’on écrit dans les journaux : même son de cloche.

Le reste de la journée se passe de la même manière que l’avant-midi ; le reste de la semaine, de la même manière que cette journée ; le reste du mois, de la même manière que cette semaine ; le reste de l’année, de la même manière que ce mois ; etc.

Et je vous épargne le détail de toutes les consignes que nous devons suivre quand nous allons au supermarché, chez la coiffeuse ou chez le barbier, chez le dentiste ou à la clinique médicale, et à l’école pour récupérer nos enfants, par exemple. Et je vous épargne aussi le détail de toutes les consignes auxquelles les enfants et adolescents doivent se conformer quand ils sont à l’école, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Vous connaissez tout ça aussi bien que moi, ou même mieux.

 

L’effet de dressage

Dans l’obligation de nous soumettre quotidiennement à toutes ces consignes, et constamment exposés aux pressions morales des autorités politiques, sanitaires et scolaires, ainsi qu’à celles des journalistes, des employeurs, des commerçants et de leurs employés, nous finissons par nous habituer à ces obligations, à ces interdictions et à ces recommandations. Elles en viennent à nous paraître normales et indiscutables. Peu à peu nous adoptons sans même y penser les comportements qu’on exige de nous et qui nous auraient paru excessifs, inimaginables et même fous il y a à peine un an.

Par automatisme, ou parce que nous avons intériorisé les raisons qu’on nous donne, et allons maintenant aux devants des ordres et des recommandations des autorités sanitaires, nous en faisons souvent plus que ce qu’on nous oblige à faire, que ce qu’on nous recommande de faire, et que ce qu’il peut être utile de faire.

À l’intérieur d’un édifice, nous suivons les lignes nous indiquant où nous devons circuler pour ne pas croiser quelqu’un qui viendrait en sens inverse, alors que les lieux sont presque déserts ; nous nous plaçons sur les cercles collés sur le plancher d’un ascenseur pour que les personnes qui l’utilisent en même temps gardent leurs distances sociales, alors que nous sommes pourtant seuls dans cet ascenseur ; nous mettons notre cache-binette pour circuler dans les couloirs et les escaliers de l’immeuble où nous habitons, alors que cela n’est pas requis et que nous ne croisons presque jamais quelqu’un, simplement parce que nous avons a pris l’habitude de le porter au travail pour circuler dans les couloirs et les escaliers, ou parce que nous croyons qu'on ne saurait jamais prendre trop de précautions ; nous en venons à ne plus enlever notre cache-binette quand nous sortons du supermarché, et à le garder dans la rue et même dans la voiture, où il n’y a personne d’autre ; etc.

Parfois nous exerçons des pressions morales sur notre entourage pour qu’il se conforme aux consignes de la Santé publique même dans des circonstances où elles ne font plus sens, et aussi aux consignes que nous nous sommes données à nous-mêmes, comme si elles étaient des consignes de la Santé publique.

Si de tels effets peuvent être observés chez nous, qui sommes des adultes et qui avons vécu des décennies sans avoir à nous conformer à ces consignes sanitaires, il se peut que les enfants et les adolescents – moins aptes à la réflexion et privés de cette expérience de longue durée d’une vie différente et plus libre – soient encore plus impressionnables et malléables que nous. À moins que ça ne soit contraire, car il se pourrait que les décennies que nous avons passées à obéir à nos employeurs et à être gouvernés par nos chefs politiques et notre bureaucratie, nous aient rendus plus vulnérables au dressage. Mais ce n’est pas là l’objet de ce billet. Nous nous attarderons bientôt à cette question dans un autre billet.

 

En guise de conclusion

Pour l’instant, concluons en remarquant que l’omniprésence, la répétition et la minutie des mesures sanitaires contribuent à former chez nous une attitude obéissante et même docile ou, autrement dit, à nous dresser. Cette attitude, diront certains d’entre nous, ne pose guère problème compte tenu de la situation actuelle. Car il nous faut obéir et faire bloc pour lutter efficacement contre la propagation du Virus. Et ça ne peut pas faire de mal d’en faire un peu plus, et d’en demander un peu plus aux autres, que ce qui est strictement exigé ou recommandé par la Santé publique.

Mettons. Mais alors le danger avec cette attitude, c’est qu’elle en vienne progressivement à s’étendre bien au-delà de l’obéissance aux mesures sanitaires, et qu’elle se combine avec d’autres tendances semblables auxquelles nous sommes exposées, dans nos rapports avec les autorités auxquelles nous sommes assujettis pour d’autres raisons et dans d’autres circonstances, par exemple les autorités politiques et bureaucratiques et nos employeurs. Ceux d’entre nous qui se mettent à obéir par automatisme en ce qui concerne les mesures sanitaires, et à intérioriser ces contraintes et ce qui semble les justifier, ne se mettront pas comme par magie à faire preuve d’autonomie quand il s’agira d’autre chose. Ou du moins, cela arrivera moins souvent et plus difficilement. Ce qui les privera d’une partie considérable de l’autonomie morale et intellectuelle nécessaire pour exercer de manière réfléchie leurs droits politiques et pour faire intelligemment les choix de vie qui les concernent exclusivement ou qui concernent leurs enfants. Car nous ne sommes pas des machines dont il suffit de tourner un bouton pour qu’elles deviennent à volonté obéissantes ou autonomes.

Rien ne sert d’invoquer la dangerosité du Virus et la gravité de la crise dans laquelle nous nous trouvons, l’efficacité des mesures adoptées pour ralentir la propagation et sauver des vies, et les bonnes intentions de nos autorités, qui ne veulent certainement pas nous dresser. Cela ne change rien au fait que ces mesures nous dressent et nous rendent encore plus inaptes à jouer notre rôle de citoyen et de parent, surtout si nous obéissons sans discuter et sans examiner les raisons qu’on nous donne, surtout si nous voulons faire notre part en exigeant la même obéissance de notre entourage, comme il arrive que les autorités et les journalistes l’exigent de nous. Le dressage qui résulte de ces mesures étant alors bien réel, il faudrait que nous nous demandions, collectivement, si les effets bénéfiques attendus des mesures prises pour lutter contre le Virus justifient ce dressage et compensent ses effets nuisibles, ou si au contraire il faut atténuer ou transformer ces mesures, et revoir la manière dont on nous les impose, jusque dans les moindres détails de notre vie quotidienne, et jusque dans les moindres recoins de notre esprit.

À suivre.