Obéissance et indifférence à la vérité

Nous nous trompons quand nous pensons que tous ceux de nos concitoyens qui consentent à ce qu’ordonnent nos gouvernements le font simplement parce qu’ils croient aveuglément ou dogmatiquement tout ce qu’on leur raconte. Il faut nous rendre à l’évidence : le fait de croire que quelque chose soit vrai ne joue pas le rôle principal pour beaucoup d’entre eux. Cette relative indifférence à la vérité n’a évidemment pas commencé avec la soi-disant pandémie, ni avec les changements climatiques, ni avec la guerre en Ukraine, ni même avec les armes de destruction massive en Irak ou les attentats de 11 septembre 2001. Elle existe de longue date puisqu’elle découle de la situation dans laquelle se trouvent souvent les travailleurs salariés et à laquelle l’éducation scolaire et familiale les a préparés, par des enseignements explicites et l’inculcation d’attitudes morales.

Une des choses que beaucoup d’entre nous se retrouvent à apprendre quand, comme on dit, ils intègrent le marché du travail, c’est de ne pas examiner attentivement si ce que nous disent les patrons est vrai, non seulement pour nous faire travailler, mais aussi pour nous faire travailler d’une certaine manière, nous faire adhérer aux valeurs de l’entreprise, et nous faire adopter certains comportements à l’égard de nos supérieurs, de nos collègues et des clients, entre autres choses. Pour ce faire, nos employeurs ont recours à plusieurs procédés, par exemple des promesses, des menaces, des formations, des mises en situation, des rencontres d’équipe de travail et des sermons. Il importe assez peu, du point de vue des employés que ce que disent les employeurs grâce à ces moyens paraisse vrai ou même vraisemblable. Que ça soit le cas ou non, les employeurs attendent de leurs employés qu’ils agissent comme s’ils croyaient que c’est vrai, les autres comportements étant alors perçus par eux comme des actes d’insubordination ou de désobéissance, ou même comme des attaques contre leur autorité. On dirait même qu’il existe des cas, plus rares, où les employeurs se plaisent à raconter n’importe quoi à leurs employés et à exiger d’eux qu’ils se comportent comme si cela faisait sens même si plusieurs d’entre eux savent ou sentent bien que ce n’est pas le cas, l’obéissance devenant alors un acte dégradant de soumission des employés aux employeurs.

Ce qui résulte souvent de cette situation dans laquelle nous sommes beaucoup à nous trouver, pendant quelques années ou quelques décennies, ou pendant l’essentiel de notre vie adulte, ce n’est pas du dogmatisme à strictement parler, si on veut dire par là une forte croyance qui exclut ou limite considérablement l’examen critique et la discussion, mais plutôt une forte indifférence à la vérité ou à la fausseté de ce que disent les personnes en position d’autorité, laquelle exclut souvent qu’on se pose la question – jugée non pertinente et non importante – de la justesse de qui est affirmé, recommandé, demandé ou exigé. « C’est comme ça puisque les autorités disent que c’est comme ça, et il faut bien agir en conséquence. Mieux vaut ne pas se poser de questions, puisque ça ne changera rien et qu’il faudra, d’une façon ou d’une autre, faire ce qu’on nous demande de faire. » Je dirais de cette attitude morale qu’elle est en deçà de la vérité et de la fausseté.

Ainsi, si nos concitoyens qui ont cette attitude (et qui se distinguent des croyants convaincus et fanatiques) se sont rangés du côté des autorités quand elles nous ont imposés des mesures soi-disant sanitaires, et s’ils continuent de nous ignorer ou de s’irriter quand nous soumettons à la critique ces mesures, ce n’est pas que nous heurtons un dogme sacré pour eux, c’est plutôt que nous les importunons quand nous leur demandons de transformer une attitude morale profondément enracinée en eux. Étant donné que nos gouvernements nous ont imposé ces mesures et qu’ils ont pris les moyens pour les faire respecter, il importait assez peu de savoir dans quelle mesure le confinement, la distanciation physique, le port du masque, le couvre-feu, la vaccination de masse et le passeport vaccinal ont vraiment contribué à ralentir ou à arrêter la propagation du virus et à empêcher le débordement du réseau hospitalier, puisqu’il fallait de toute façon obéir et nous conformer à elles comme si elles étaient aussi efficaces qu’on le dit. Alors, dans cette perspective, pourquoi se poser toutes ces questions si, finalement, ça revient au même, puisqu’il faut obéir ? Pour ces personnes, que les autorités aient eu raison sur toute la ligne, ou qu’elles aient peut-être dans une certaine mesure exagéré, qu’elles se soient peut-être trompées sur certains points et qu’elles nous aient peut-être caché des choses et parfois même menti ou manipulés pour mieux nous gouverner en temps de crise ou pour défendre des intérêts politiciens, cela ne changerait rien à la situation, puisqu’il ne serait pas possible de changer ce qui est arrivé après coup, pas plus qu’il n’aurait été possible de le faire si nous l’avions su avant, puisqu’il serait dans l’ordre des choses que le gouvernement gouverne et que nous obéissions. Par conséquent, il serait assez indifférent de savoir si tout ce qu’on nous a dit est vrai, si on s’est trompé sur certains points (après tout, l’erreur est humaine) et si on nous a manipulés. Tout comme il le serait si une autre pandémie venait à se produire, puisqu’il nous faudrait encore une fois obéir.

L’indifférence assez marquée à la vérité qui caractérise cette attitude servile implique forcément une grande insensibilité à l’erreur et au mensonge. C’est pourquoi il est si difficile de réveiller et de secouer ceux de nos concitoyens qui ont cette attitude. Pour affaiblir cette mentalité d’esclave, il ne suffit pas d’informer, d’argumenter et d’analyser, mais il faut aussi valoriser la vérité et faire détester l’erreur et le mensonge, ce qui est beaucoup plus difficile, surtout quand nous comprenons mal la mentalité des personnes à qui nous avons affaire et les causes de cette mentalité. Ne pas tenir suffisamment compte de la dimension morale du problème quand nous discutons avec ces personnes rendrait nos efforts aussi inefficaces que si nous tentions de faire changer d’idée des fidèles covidiens dogmatiques sans essayer d’affaiblir leur aversion pour le doute et l’examen critique et, ce faisant, d’affaiblir leur attitude dogmatique. Bref, pour les deux catégories de personnes, il ne s’agit pas simplement de les réinformer, mais de nous engager dans une entreprise très ardue de transformation morale, à laquelle s’oppose une forte inertie des sentiments et des valeurs des personnes, elle-même renforcée par les exigences des contextes sociaux dans lesquels ils s’inscrivent.

J’en viens donc à me dire que pour transformer progressivement les personnes, il faut aussi transformer la société ; et vice versa. Ce sont les deux facettes du même processus. Il n’est pas davantage raisonnable d’espérer que ceux qui sont traités comme des domestiques ou des esclaves, ou encore comme des croyants, n’aient pas souvent une mentalité de domestique ou d’esclave, ou une mentalité de croyant, que d’espérer que ceux qui ont une mentalité de domestique ou d’esclave, ou une mentalité de croyant, ne soient pas souvent traités comme des domestiques ou des esclaves, ou comme des croyants.