L’insensibilité aux mensonges et aux impostures

Au cours des dernières années, nous avons eu la malchance de constater à quel point il était possible de nous raconter des histoires sans que beaucoup de nos concitoyens ne le remarquent et ne s’irritent d’être manipulés et d’être pris pour des imbéciles. Notre premier réflexe pour expliquer cette situation, c’est de penser qu’ils sont mal informés ou qu’ils réfléchissent mal. Nous complétons cette explication par le respect démesuré de nos concitoyens pour les autorités, qui consiste à croire que celles-ci nous disent la vérité et qu’elles veulent notre bien. Toutes ces raisons supposent que nos concitoyens valorisent la vérité et ne supporteraient pas d’être menés en bateau si jamais ils venaient à y voir clair. C’est pourquoi ceux qui cherchent à nous contrôler et à nous assujettir répandent des informations fausses, ont recours à des arguments fallacieux, élaborent des mises en scène convaincantes et font appel à des experts pour donner de la crédibilité aux mensonges et aux impostures. Autrement, pourquoi se donnerait-on toute cette peine ?

Les politiciens, les bureaucrates, les experts, les militaires, les agences de renseignement et les journalistes ne continuent-ils pas de nous cacher des choses et de nous tromper effrontément sur la pandémie, sur les vaccins anticovid, sur l’insurrection du 6 janvier, sur les changements climatiques, sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine, sur les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine et sur le conflit israélo-palestinien ? Et avant, ne nous ont-ils pas menti sur l’ingérence russe dans les élections présidentielles américaines de 2016, sur les migrants, sur les attentats qui ont eu lieu en France et en Belgique en 2015 et en 2016, sur le coup d’État du Maïdan, sur la guerre civile syrienne, sur la grippe H1N1, sur les deux invasions de l’Irak, sur l’invasion de l’Afghanistan et sur les attentats du 11 septembre 2001 ? Et n’ont-ils pas fait la même chose à propos de la révolution vénézuélienne, de la guerre de l’ex-Yougoslavie, de la guerre du Vietnam, de l’assassinat de Kennedy et de la Seconde Guerre mondiale, entre autres ? Ah ! si seulement les gens pouvaient s’informer et penser mieux. Si seulement toutes ces autorités n’étaient pas grassement rémunérées pour les tromper et les manipuler ! Si seulement ils pouvaient savoir et comprendre ce qui se passe vraiment ! Alors ils ne toléreraient pas d’être traités de cette manière.

On ne nous manipule pas seulement à propos des grands événements sanitaires, écologiques, militaires et politiques. On nous manipule aussi à propos de ce qui constitue notre vie : notre santé, notre éducation, notre travail, notre retraite, nos divertissements, nos achats, nos loisirs, nos relations sociales, nos opinions, nos sentiments et nos valeurs. La publicité, les relations publiques et la moralisation ont pour objet presque tout ce que nous faisons et ce que nous sommes. Nous qui voyons un peu plus clair, nous nous disons souvent que si ces spécialistes du mensonge et de l’imposture ne s’acharnaient pas sur nos concitoyens, ils verraient leur existence sous un autre jour et ils n’accepteraient pas d’être trompés sur ce qui les concerne personnellement.

Pourtant, on peut difficilement mentir constamment à nos concitoyens sur ce qu’ils vivent sans qu’ils finissent par s’apercevoir que la réalité n’est pas comme on le leur a dit. Il est déjà arrivé souvent à nos concitoyens de constater que les produits, les services et les divertissements pour lesquels ils paient sont en réalité bien inférieurs à ce que leur en avaient dit les publicités. Beaucoup ont été déçus de l’éducation primaire et secondaire qu’on leur a dispensée, voire aussi de l’éducation supérieure, même si les établissements d’enseignement, le ministère de l’Éducation les enseignants et les professeurs vantent généralement les cours qu’ils donnent et les programmes de formation dans lesquels ils s’inscrivent. Les carrières et les emplois sont rarement à la hauteur de ce que prétendent les orienteurs, les facultés universitaires, les écoles professionnelles, les employeurs et l’idéologie selon laquelle le travail serait un moyen de nous accomplir, de développer nos capacités et de donner un sens à notre vie. Quant à la retraite, ce n’est souvent pas le moment de faire enfin ce que nous aimons comme on nous le promet, puisque certains meurent avant d’y avoir droit ou peu après, alors que le mauvais état de santé des autres limite considérablement ce qu’ils sont capables de faire, que des décennies de travail en ont si bien dressés d’autres qu’ils sont incapables de profiter de tout ce temps libre, et que ceux qui auraient encore la santé et le désir nécessaires sont assez souvent trop pauvres pour vivre décemment, pour voyager, pour suivre des cours ou pour apprendre à jouer d’un instrument de musique. Ensuite, il y a les médecins qui passent pour de petits génies qui veilleraient sur notre santé, mais qui ne prennent pas le temps d’écouter attentivement les malades quand ils leur décrivent leurs symptômes, qui leur font alors des diagnostics qui s’avèrent erronés ou farfelus, et qui leur prescrivent des traitements qui s’avèrent inefficaces, quand ils ne sont pas nuisibles en plus. Enfin, il y a les déceptions qui résultent de la vie de couple ou de la vie de famille, qu’on nous présente pourtant comme des choses merveilleuses, sans lesquelles il nous manquerait quelque chose d’essentiel. Comment expliquer que nos concitoyens supportent patiemment tous ces mensonges et toutes ces impostures même après avoir fait plusieurs de ces expériences, à un moment ou un autre de leur vie ? Pourquoi, au lieu d’être francs vis-à-vis des autres et d’eux-mêmes, se retrouvent-ils à jouer la comédie et à participer à la grande imposture ?

Ce constat s’applique aussi dans une certaine mesure aux grands événements dont nous avons parlé et à propos desquels nos concitoyens finissent parfois par avoir de bonnes raisons de penser qu’on leur a passé un sapin. Et pourtant ! Les armes de destruction massive qui auraient justifié l’invasion de l’Irak en 2003 n’ont toujours pas été trouvées. La guerre contre le terrorisme lancée en 2001 n’a toujours pas mis fin au terrorisme, mais l’a plutôt aggravé. Les hécatombes annoncées à cause de la COVID ne sont pas arrivées. Les mesures sanitaires tant vantées n’ont pas empêché nos gouvernements de nous confiner à quelques reprises. Les merveilleux vaccins, qui devaient arrêter les infections et la propagation du virus, n’ont pas empêché les personnes doublement, triplement ou quadruplement vaccinées d’attraper la COVID ou une autre maladie respiratoire qui ressemble à la COVID et qu’on a prise pour elle. La glace de l’Arctique devrait être toute fondue depuis longtemps selon les lanceurs d’alerte climatique. L’Ukraine qui devait vaincre la Russie est sur le point de perdre la guerre. Vladimir Poutine, dont on a dit qu’il était atteint de quelques maladies graves, semble se porter à merveille. Les sanctions économiques prises contre la Russie n’ont pas provoqué son effondrement économique, mais ont plutôt affaibli considérablement l’économie des pays occidentaux et ont appauvri la population de ces pays. Comment expliquer, malgré toutes ces preuves sensibles et tous ces indices, que nos concitoyens n’y voient pas plus clair et ne se fâchent pas plus dans ces cas que dans les cas où ils ne disposent pas de ces preuves et de ces indices ? Comment expliquer qu’ils supportent aussi bien les impostures qui détruisent des pays, qui tuent des millions de personnes et qui en appauvrissent et en asservissent des milliards, aussi bien qu’ils supportent les mensonges qui constituent leur petite existence et, dans une certains, la nôtre aussi ?

L’un des effets de la fausseté à laquelle nous sommes constamment exposés et à laquelle nous prenons souvent part, c’est l’insensibilité aux mensonges incessants et à l’imposture généralisée. Après avoir été gavés de balivernes pendant des décennies, beaucoup de nos concitoyens se sont habitués à être trompés. Pour eux, il fait partie de la vie que les politiciens ne tiennent pas leurs promesses et que les journalistes nous racontent des histoires qui s’avèrent fausses, déformées ou exagérées. Il n’y a pas là de quoi s’énerver. C’est pour cette raison qu’ayant été déjà trompés plusieurs fois par eux, ils continuent quand même à parler et à agir comme si ce que les politiciens et les journalistes disent cette fois-ci était vrai. Que ce que ces personnes leur racontent soit vrai ou faux, ou que ce qui passe pour vrai à un moment soit douteux ou reconnu comme faux plus tard, ça change bien peu de chose pour eux. Alors pourquoi se donneraient-ils la peine de discerner les mensonges de la vérité et l’imposture de l’honnêteté ?

Nous-mêmes, qui sommes plus ou moins éveillés, nous ne sommes pas aussi fâchés et nous ne sommes pas aussi révoltés que nous pourrions et devrions l’être. L’omniprésence des mensonges et de l’imposture nous insensibilise aussi, mais à un moindre degré. Puis l’insensibilité plus grande de nos concitoyens se communique à nous par sympathie. Pour éviter la torpeur qui nous menace, nous devons nous aiguillonner nous-mêmes et les uns les autres.

Les puissants moyens de manipulation qu’on utilise contre nous n’ont plus pour principale fonction d’altérer notre perception et notre compréhension de la réalité, y compris la perception et la compréhension de nous-mêmes. Ils servent avant tout à cultiver notre insensibilité aux mensonges et à l’imposture. Et c’est précisément en raison de cette insensibilité croissante que nous sommes de moins en moins disposés à faire des efforts pour distinguer le vrai du faux, et de plus en plus faciles à manier, que nous soyons dupés ou que nous soyons plus ou moins lucides.

Au point où nous en sommes, il y a deux possibilités : ou bien c’est bientôt l’anesthésie générale et le début d’un état comateux proche de la mort ; ou bien les mensonges, l’imposture et leurs effets sur nous et le monde dans lequel nous vivons sont trop grands pour notre insensibilité, et ceux qui s’opposent et se révoltent deviennent plus nombreux. Au sein d’une même société ou civilisation, ces deux tendances peuvent se manifester et se renforcer simultanément, dans des milieux sociaux différents ou dans les mêmes milieux sociaux. Il me semble que c’est ce qui est en train de se produire dans plusieurs sociétés occidentales. Si c’est bien le cas, nous devons nous attendre à ce que les tensions qui existent déjà entre les deux groupes de personnes s’étendent et s’amplifient et à ce qu’elles dégénèrent tôt ou tard en graves troubles sociaux et politiques. N’ayons pas la naïveté de croire que nos concitoyens assoupis ne peuvent pas sortir de leur torpeur si nous les secouons ou qu’ils nous seraient reconnaissants de les avoir réveillés. S’ils sortent de leur torpeur en raison de nos actes de résistance et de nos révoltes, ce sera précisément pour faire taire ou éliminer ceux qui auront troublé leur sommeil, et mettre fin aux actes de résistance et aux révoltes auxquels ils ne sont pas insensibilisés ou pas encore insensibilisés, afin de se rendormir.