Vaccination obligatoire dans certains milieux de travail et d’enseignement – perspective politique

« But in order to make the king more entirely master of his people, it was enacted, that he might hereafter, at his pleasure, change this act, or any provision in it. By this clause, both parties were retained in subjection: So far as regarded religion, the king was invested, in the fullest manner, with the sole legislative authority in his kingdom: And all his subjects were, under the severest penalties, expressly bound to receive implicitly, whatever doctrine he should please to recommend to them. » [...]

« The oaths, which Henry imposed for the security of his ecclesiastical model, were not more reasonable than his other measures. All his subjects of any distinction had already been obliged to renounce the pope’s supremacy; but as the clauses to which they swore had not been deemed entirely satisfactory, another oath was imposed; and it was added, that all those who had taken the former oaths, should be understood to have taken the new one. A strange supposition! to represent men as bound by an oath, which they had never taken. »

(David Hume, The History of England, volume III, XXXIII.)

 

Dans un billet précédent, je me suis intéressé aux implications de la vaccination obligatoire dans les milieux de travail et les institutions d’enseignement dans une perspective individuelle. Bien qu’il soit impossible de séparer complètement ce qui concerne les individus de ce qui relève de la politique, j’aborderai ici les implications politiques de cette mesure qui est dans l’air du temps. J’invite néanmoins mes lecteurs à faire des liens avec ce qui concerne les individus pris en eux-mêmes, et pas seulement en tant que citoyens, ou plutôt sujets ou serfs du nouvel ordre social et politique qui est en train de se mettre en place, sous prétexte d’impératifs sanitaires.

À moins qu’un puissant mouvement de résistance ne prenne forme bientôt, et peut-être même si un tel mouvement prend forme (c’est que notre gouvernement s’est manifestement déjà fait une idée de ce qu’il faut faire, c’est qu’il est têtu, c’est qu’il a à sa tête de grands enfants qui ne sont pas capables d’envisager qu’ils puissent se tromper depuis le début, et encore moins de le reconnaître publiquement, et qui n’y ont certainement pas intérêt), la question n’est pas tant de savoir si la vaccination deviendra obligatoire dans certains milieux de travail et institutions d’enseignement, et aussi dans d’autres organisations, mais de savoir quelle sera l’extension de cette obligation et de quelle manière on cherchera à nous l’imposer.

En ce qui concerne l’extension de l’obligation vaccinale, je ne veux pas faire de prédictions précises, si ce n’est que, vraisemblablement, on étendra progressivement la vaccination obligatoire à différents secteurs et à différentes catégories de travailleurs, et que la vitesse avec laquelle on procédera sera inversement proportionnelle à l’opposition rencontrée. Quant à la manière dont on pourra faire de la vaccination une exigence pour avoir accès aux milieux de travail, aux institutions d’enseignement et à d’autres organisations et institutions, il y a deux possibilités : ou bien cette obligation est décrétée par le gouvernement ; ou bien elle est décrétée par la direction des entreprises et des institutions. Je fais remarquer que ces deux possibilités ne s’excluent pas mutuellement. Le gouvernement peut décréter la vaccination obligatoire dans certains cas, en laissant aux administrations de ces entreprises et institutions la tâche de la rendre obligatoire dans d’autres cas. Qui plus est, il se peut qu’au sein d’une même entreprise ou institutions, la vaccination soit rendue obligatoire pour une partie des personnes en vertu d’un décret du gouvernement, et qu’elle soit rendue obligatoire pour d’autres personnes en vertu d’une décision de l’administration. Enfin, il se peut aussi que le gouvernement rende la vaccination obligatoire dans certaines entreprises et institutions, tout en laissant aux administrations de ces entreprises et de ces institutions la responsabilité d’établir les modalités de cette obligation, notamment les sanctions infligées aux personnes qui refusent de se faire vacciner.

Dans le premier cas de figure – c’est alors le gouvernement qui décrète l’obligation vaccinale, qui en fixe les modalités et qui établit les sanctions en cas de refus –, le pouvoir du gouvernement s’accroît dans beaucoup de lieux où il n’était pas coutumier de l’exercer aussi directement avant la venue du virus, mais à quoi l’on s’est habitué depuis, en raison des mesures dites sanitaires. La vaccination obligatoire vient s’ajouter à l’ingérence déjà existante du gouvernement. En plus de la vaccination elle-même, il y a les mesures prises pour s’assurer de son application. Ce qui serait assurément plus facile dans des organisations, des institutions et des milieux de travail qui relèvent directement de lui, par exemple les hôpitaux publics, les écoles et la fonction publique. Il pourrait exiger des administrations qu’elles demandent aux employés des preuves de vaccination et les résultats de tests de dépistage préventif récurrent (pour les non-vaccinés), et faire des contrôles aléatoires, périodiques ou systématiques pour s’assurer que c’est bien fait. À la rigueur, une brigade de surveillance gouvernementale pourrait même être constituée pour vérifier l’application de l’obligation vaccinale aux employés de l’État et à d’autres secteurs ciblés, peut-être en automatisant la vérification du statut vaccinal de tous ces employés dans la base de données du ministère de la Santé et des Services sociaux, en s’aidant aussi des informations disponibles dans les systèmes de l’Agence du Revenu, pour savoir qui est à l’emploi de qui. Ou bien les entreprises, institutions et organisations devraient transmettre régulièrement la liste de leurs employés au gouvernement, pour qu’il effectue les vérifications nécessaires. Ou bien les entreprises, à l’embauche de nouveaux employés, devraient soumettre leurs noms au gouvernement pour obtenir la confirmation d’un statut vaccinal adéquat. Ou bien le passeport vaccinal serait tout simplement utilisé par les administrations pour faire ces vérifications. Etc. Ce que je veux montrer, c’est l’accroissement de la surveillance et des contrôles faits par le gouvernement et les administrations et auxquels seraient assujettis les individus. On peut sans exagération dire de ce phénomène qu’il est une tendance totalitaire. Ou à tout le moins que c’est un pas considérable dans la direction du totalitarisme, qui entend régler le plus possible tous les aspects de la vie des individus et les secteurs de la société, et s’immiscer dans leur vie privée, à laquelle appartient assurément le dossier médical de chacun.

Dans le deuxième cas de figure – ce sont alors des entreprises, des organisations et des institutions qui exigent la vaccination des personnes qui y travaillent –, ce sont les administrations qui se retrouvent à exercer une partie du pouvoir qui appartient normalement au gouvernement. Ce dernier refusant de trancher la question de la vaccination obligatoire dans certains secteurs d’emploi – peut-être pour ne pas courir le risque de porter atteinte à sa popularité déjà fragile et pour laisser à d’autres l’odieux de cette obligation, en allant jusqu’à donner l’impression que cette initiative vient des hommes d’affaires, qui seraient d’importants représentants de la société civile –, la responsabilité de la décision reviendrait aux administrations concernées. J’imagine qu’un mouvement de troupeau pourrait avoir lieu : les administrations pourraient vouloir montrer qu’elles font tout – c’est-à-dire qu’elles font tout faire à leurs employés – pour protéger leurs employés et leurs clients et usagers, et aussi le reste de la société, surtout les plus vulnérables. Dans un contexte de tentative de reprise économique, de réintégration des bureaux en mode hybride (alternance du travail en présentiel et du télétravail) et de retour des étudiants dans les salles de classe, alors que le méchant variant Delta et ses successeurs (tous plus contagieux et virulents les uns que les autres, d’après ce qu’on raconte ou racontera) provoqueraient de nouvelles vagues et des vaguelettes dont la somme constituerait de nouvelles vagues, les entreprises, les institutions d’enseignement et les autres organisations cherchent à éviter des fermetures causées par des éclosions, alors que le gouvernement leur dit clairement ou leur laisse entendre que la décision de la Santé publique d’ordonner ces fermetures sera déterminée par la couverture vaccinale des employés et des autres personnes qui fréquentent ces lieux. L’obligation vaccinale semblera pour plusieurs administrations un bon moyen d’éviter ces fermetures, surtout si elles ont l’impression (à tort ou à raison) ou parviennent à donner l’impression que les employés, les clients et les usagers ne s’opposent pas à cette mesure ou la réclament même. Chaque entreprise, organisation ou institution aurait alors sa propre politique vaccinale, qui pourrait s’appliquer de la même manière à tous les employés, clients et usagers, ou s’appliquer différemment selon les catégories d’employés, de clients et d’usagers. Dans ce contexte, les décrets gouvernementaux, qui comportent déjà une grande part d’arbitraire, sont remplacés par des règlements internes propres à chaque entreprise, organisation ou institution, et susceptible de changer, pour un oui ou pour un non, selon les humeurs et caprices des membres de l’administration. Selon les endroits, telle catégorie de travailleurs devrait se faire vacciner ou non et devrait subir telles sanctions ou non en cas de refus, ce qui serait susceptible de changer, comme je l’ai dit. Le foisonnement réglementaire qui en résulterait ferait qu’on se retrouverait alors dans une situation semblable à celle qui existait quand les seigneurs féodaux étaient libres de faire la loi sur leurs terres et de traiter leurs serfs comme bon leur semblait, la loi pouvant changer du tout au tout de l’autre côté d’un ruisseau ou d’une colline qui délimite deux fiefs. Une telle organisation ou désorganisation de la réglementation serait peut-être plus nuisible pour la liberté des individus et contribuerait peut-être davantage à leur asservissement qu’une réglementation centralisée, qui peut difficilement être aussi minutieuse, ou du moins qui dépend des autres administrations, privées ou publiques, pour être appliquée dans son détail. Le totalitarisme n’est pas seulement l’affaire du gouvernement ou de l’État. Les entreprises privées et les autres organisations non étatiques peuvent très bien y jouer un rôle important, consolider le pouvoir du gouvernement sur les individus, et consolider leur pouvoir sur les individus grâce au gouvernement.

Dans le troisième cas de figure – quand le gouvernement décrète la vaccination obligatoire dans un secteur de l’économie ou dans une catégorie d’organisations ou d’institutions, tout en les laissant les administrations de ces dernières décider des modalités d’application particulières de cette directive générale –, on obtient une sorte de partenariat public-privé. Un peu comme quand on fait appel aux services d’agences de sécurité privées pour faire respecter la loi, en leur laissant une marge de manœuvre dans la manière de l’appliquer et même de l’interpréter. Les administrations qui disposent alors d’un pouvoir réglementaire accru et approuvé officiellement par le gouvernement pourraient imposer toutes sortes de contraintes arbitraires aux individus, en prétendant agir au nom du gouvernement et en prétendant se dégager de toute responsabilité. À l’inverse, le gouvernement pourrait prétendre qu’il n’a fait que donner les grandes lignes directrices, et qu’il n’est pas responsable de la manière dont les appliquent les différentes administrations, pour tenir compte de la réalité différente et des besoins différents de chaque milieu. Des trois possibilités, c’est peut-être la pire, car elle permet un accroissement du pouvoir du gouvernement par délégation à des administrations privées et à d’autres organisations, tout en autorisant une grande part d’arbitraire, sans compter que les administrations et le gouvernement peuvent se renvoyer la balle pour ne pas avoir de comptes à rendre, à supposer qu’on s’en soucie encore. Bref, le pouvoir central du gouvernement peut s’étendre, le pouvoir plus localisé des administrations est renforcé par ce pouvoir central, et tous étant responsables de définir la réglementation vaccinale (ses lignes directrices ou ses modalités d’application), plus personne n’est vraiment responsable. Tout ça au détriment des libertés individuelles, bien entendu. Ce qui revient à donner naissance à une sorte de créature aux multiples têtes, qui intègre les tendances autoritaires, voire totalitaires, du gouvernement et des administrations du secteur privé.

La question de savoir laquelle de ces trois possibilités ou quelle combinaison de ces trois possibilités se réalisera demeure ouverte. Mais si on juge que mes craintes ont d’assez bonnes chances de se concrétiser d’une manière ou d’une autre, on en vient à se poser cette question : se pourrait-il qu’on milite moins pour la vaccination de tous afin de pouvoir rouvrir l’économie et de reprendre une vie relativement « normale », que l’on rouvre l’économie et prétende vouloir reprendre une vie relativement « normale » afin d’imposer à grande échelle une mesure aussi attentatoire à la liberté individuelle que la vaccination obligatoire, laquelle constitue une invasion concertée du gouvernement et des administrations privées dans ce qui ne devrait aucunement relever d’eux, du moins dans une société qui se prétend démocratique ? Une fois qu’on aura établi un précédent aussi fort que la vaccination obligatoire, on peut craindre un véritable déferlement réglementaire ayant pour cible nos libertés individuelles. Voilà qui devrait nous inciter à résister farouchement avant qu’il ne soit trop tard. Il est déjà tard et la lutte s’annonce certes difficile. Mais continuer à se taire et à consentir n’est simplement pas une possibilité si on tient tant soit peu à sa liberté et à celle de ses concitoyens. Car le prix de la passivité, de la nonchalance ou même de la lâcheté, ce sera vraisemblablement la servitude, peut-être douce, ou peut-être pas. Et les personnes vaccinées pourraient, à terme, réaliser qu’elles ne sont pas plus à l’abri que les personnes non vaccinées, les vaccins n’ayant évidemment aucune efficacité contre les maux politiques.

 

« La mesure en question fut imaginée par l’Institut de Prophylactique des Mauvaises Intentions, mise à exécution sous la surveillance du Laboratoire du Lavage des Cerveaux, avec la collaboration de la Revue des Directives et répercutée par l’initiative de la base. Elle fut approuvée par le Numéro Un, les Adjoints, les Suppléants et tous les autres, à l’exception de quelques-uns dont l’opinion était erronée. Le but de la mesure était de découvrir les éléments qui désapprouvaient sa mise à exécution et de prendre les dispositions adéquates. »

(Alexandre Zinoviev, Les hauteurs béantes, SCABMLCBP, p. 9.)