Vaccination obligatoire dans certains milieux de travail et d’enseignement – perspective individuelle

« LE CRIEUR. Vous voyez, hommes d’Uri, vous voyez ce chapeau ; on va le placer au haut d’un mât, au milieu d’Altdorf, sur le point le plus élevé. L’intention et la volonté du gouverneur est que ce chapeau soit honoré comme lui-même ; on doit, quand on passera devant ce chapeau, fléchir le genou et se découvrir la tête. Le roi reconnaîtra par là ceux qui lui sont soumis. Quiconque méprisera cet ordre sera puni dans sa personne, et ses biens seront confisqués. »

(Friedrich Schiller, Guillaume Tell, acte I, scène III.)

 

Je fais ici abstraction des implications politiques du fait que nos gouvernements ont imposé, disent vouloir imposer, recommandent, suggèrent ou tolèrent la vaccination obligatoire pour avoir accès à certains milieux de travail ou d’enseignement. Je m’intéresserai à ces implications dans un autre billet. Ici il s’agira seulement des implications pour les individus de cette tendance sanitaire, en ce qu’elle nous affecte individuellement.

Si nous travaillons dans le secteur de la santé, de l’enseignement, de l’administration publique, des banques, des transports ou des services, il est fort probable ou du moins possible qu’on nous demande bientôt d’enregistrer notre statut vaccinal auprès de notre employeur, ou que le passeport vaccinal soit utilisé pour contrôler la circulation sur nos lieux de travail. Cela marquerait un point tournant dans nos rapports avec nos employeurs respectifs. Normalement, ceux-ci se préoccupent assez peu de ce qui touche à notre personne en dehors du travail, notamment notre santé. Dans certains milieux de travail, il y a même une sorte de secret qui entoure l’état de santé de chacun, et qui mettrait son nez dans des affaires qui ne le regardent pas, y compris des gestionnaires, pourrait être réprimandé ou recevoir un grief. Et nos employeurs songeraient encore moins à nous recommander ou à exiger de nous un traitement curatif ou préventif. Cela relève de notre vie privée et n’a rien à voir avec le travail.

Mais en raison de l’acharnement avec lequel on fait la promotion de la solution vaccinale, cette séparation entre la vie personnelle et la vie professionnelle est sur le point de se dissoudre, au moins sur ce point, peut-être sur d’autres. Car les employeurs ne s’ingéreront pas seulement dans la vie privée pour savoir si nous sommes adéquatement vaccinés ou non. Cette exigence, même avant cette vérification, dès qu’elle est formulée, constitue déjà une tentative de nous imposer des règles à propos de ce qui constitue une partie de notre être, à savoir notre corps, dont nous devrions pouvoir disposer librement, sans avoir à prendre en compte les désirs de nos employeurs et à leur rendre des comptes.

On dira peut-être que cette séparation entre ce qui nous constitue en propre (notre corps) et notre activité professionnelle n’est pas aussi claire que je semble le dire. C’est toujours notre corps (donc ce que nous sommes) qui travaille quand nous sommes au travail. Non seulement on exige que nous soyons présents de corps (et idéalement aussi d’esprit) au travail, mais on exige aussi que notre corps accomplisse des tâches, qu’elles soient strictement physiques ou aussi intellectuelles et sociales. C’est ce qui fait qu’il y a une part considérable de servitude dans le travail salarié. Que nous voulions nous l’avouer ou non, nous sentons souvent le poids de cette servitude. Mais que voulez-vous, diront beaucoup, c’est la vie ! Il faut bien gagner sa vie. Et ils continueront en affirmant qu’il y a des emplois qui modifient le corps des employés de manière beaucoup plus constante et durable que deux petites piqûres de rien du tout, qui sont d’ailleurs pour le bien des employés, de leurs collègues, de l’entreprise (qui n’aura pas à fermer ses portes à cause d’une éclosion), de leur famille et de toute la société. On ne peut pas en dire autant des conséquences à long terme du travail forestier et du travail de bureau, qui tous les deux tendent à provoquer de graves maux de dos, pour des raisons différentes. Et pourtant on les tolère, on les accepte comme un mal nécessaire auquel l’on doit s’attendre tôt ou tard quand on pratique ces métiers. Pourquoi traiterait-on autrement le cas de la vaccination obligatoire dans les milieux de travail ?

Outre le fait que les effets secondaires à long terme de ces deux petites piqûres sont assez mal connus (contrairement aux effets du travail forestier et du travail de bureau), outre le fait aussi que les bénéfices pour la population active en bonne en santé sont à peu près inexistants (ce sont essentiellement des personnes de plus de 70 ans qui tombent gravement malades après avoir contracté le virus et ce sont des personnes de plus 80 ans qui la plupart du temps en meurent), outre le fait qu’il est douteux, voire contesté, que les vaccins rendent les personnes vaccinées moins contagieuses en cas d’infection, je réponds que la principale différence, c’est que la vaccination n’a rien à voir avec le travail réalisé par les employés qui travaillent dans des milieux où on la rendra obligatoire. Les maux de dos sont un effet direct, bien que déplorable, du travail forestier et du travail de bureau, qu’on peut atténuer grâce à de bonnes techniques ou à de bonnes habitudes de travail et grâce à un bon équipement, mais qui tend à découler naturellement des tâches réalisées. On ne peut certainement pas dire la même chose de la vaccination contre la COVID-19 et de ses effets nuisibles possibles, qui ne sont évidemment pas une conséquence du travail accompli par les employés. C’est pourquoi la vaccination imposée par les employeurs constitue une intrusion dans la vie privée des employés et constitue même une atteinte à leur intégrité physique. Que ce soit une initiative des employeurs ou que ce soit le gouvernement qui fait faire son sale travail par les entreprises ou les institutions d’enseignement, cela ne change rien à l’affaire.

Mais il y a des journalistes et des juristes qui affirment qu’il ne s’agit pas réellement d’une obligation, puisqu’on prévoirait des solutions de rechange, des accommodements pour les employés qui ne voudraient pas se faire vacciner : des mesures sanitaires plus strictes et l’obligation de passer des tests de dépistage de manière récurrente même si on n’a pas le moindre symptôme. En fait, ces employés auraient le choix entre deux obligations. Les employés concernés auraient le choix entre se conformer à l’une de ces deux obligations, ou ne pas se conformer du tout, être mutés temporairement à des fonctions où, dit-on, ils ne mettraient pas les autres et eux-mêmes en danger, subir des sanctions disciplinaires et finalement être congédiés s’ils persistaient dans leur refus d’obtempérer.

Voilà, on dira que j’exagère : les employés concernés devraient se compter chanceux qu’on leur offre de passer des tests de dépistage de manière récurrente au lieu de les mettre simplement à la porte. Eh quoi ! il faudrait commencer par préciser les modalités de ce dépistage préventif et récurrent. Faudra-t-il faire le prélèvement en nous entrant dans le fond de la fosse nasale un écouvillon, une fois par semaine, deux fois par semaine, trois fois par semaine, quatre fois par semaine ? Ce n’est pas très plaisant, d’après ce que j’ai entendu dire. Je dirais même que c’est très intrusif, que c’est dégradant et que ça demande de s’abandonner à l’ordre sanitaire aussi bien que si l’on se faisait vacciner, voire davantage, compte tenu de la répétition. Reste aussi à savoir si les frais de ces tests de dépistage préventif et récurrent devraient être assumés par les employeurs ou par les employés pour avoir le droit d’aller travailler sans avoir été vaccinés. Loin d’être un accommodement pour ceux qui refusent de se faire vacciner, le dépistage préventif récurrent serait alors une sorte de punition.

Mais faisons comme si les frais de ces tests étaient assumés par les employeurs. Faisons aussi comme si on décidait d’opter pour des tests salivaires, qui si je ne me trompe pas sont plus faciles à faire (pas besoin de se déplacer dans un centre de dépistage, les prélèvements pouvant être faits dans les milieux de travail) et plus rapides. Voilà qui commencerait à me faire hésiter, comme beaucoup d’autres travailleurs dissidents qui refuseraient de consentir à leur vaccination. Ça serait quand même mieux que de débourser au moins quelques centaines de dollars pour se faire entrer régulièrement un écouvillon presque dans le cerveau ! Mais quand on y regarde de plus près, il y a de quoi avoir des réticences. Peu importe la sorte de tests qu’on décidera d’utiliser, de manière générale si le gouvernement impose des normes, ou au cas par cas si c’est laissé à la discrétion des employeurs, le risque d’être isolé préventivement à la maison à cause d’un faux positif n’est pas négligeable si on doit passer ces tests 50 fois, 100 fois, 150 fois, voire 200 fois par année. Mettons qu’un test a 98 % de spécificité (ce qui veut dire qu’il y a 2 % de faux positifs), ce qui est excellent, du moins si ces tests ne sont pas utilisés de manière récurrente. Cela voudrait dire qu’une personne qui passerait 50 tests de dépistage par année serait dans l’obligation de s’isoler préventivement en moyenne une fois par année ; une personne qui passerait 100 tests de dépistage devrait s’isoler en moyenne deux fois par année ; une personne qui en passerait 150 devrait s’isoler en moyenne trois fois par année ; et une personne qui en passerait 200 devrait s’isoler en moyenne quatre fois par année. Ce qui ferait respectivement 10 jours d’isolement, 20 jours d’isolement, 30 jours d’isolement et 40 jours d’isolement par année, avec de possibles pertes de revenus. Et s’il y a des erreurs de manipulation des prélèvements et si on use d’un nombre de cycles d’amplification exagérément élevé s’il s’agit de tests PCR, ce pourrait être pire. Bref, voilà de quoi mettre au pas bien assez vite plusieurs des employés dissidents les plus déterminés et obtenir d’eux qu’ils acceptent de se faire vacciner, pour ne plus être séquestrés à la maison de manière récurrente ou ne plus craindre de l’être. Et c’est sans parler des blâmes dont les employés non adéquatement vaccinés et déclarés contaminés (à tort ou à raison) seraient l’objet pour avoir gâché la performance sanitaire de l’entreprise pour laquelle ils travaillent ou de l’organisation à laquelle ils appartiennent. Car les gestionnaires bornés, les statisticiens incompétents ou tordus, les experts dévoyés, les journalistes serviles et décérébrés et les autorités politiques et sanitaires ne manqueraient assurément pas d’y voir une confirmation de ce qu’ils croient ou se plaisent à faire croire, à savoir que les personnes non adéquatement vaccinées seraient responsables de la majorité des cas d’infection et des éclosions (la quatrième vague sera la vague des non-vaccinés, comme on se plaît déjà à nous le répéter), sans tenir compte du fait que cette surreprésentation des non-vaccinés est vraisemblablement causée par la fréquence à laquelle on leur ferait passer des tests de dépistage, par opposition aux personnes vaccinées qui seraient exemptées de ce dépistage préventif et récurrent. Comme si l’adoption d’une politique de dépistage différente selon le statut vaccinal, qui suppose ce qu’il s’agit justement de montrer et qui le provoque même, pouvait être compatible avec une étude comparative des cas d’infection en fonction du statut vaccinal. Un étudiant de niveau collégial ou même secondaire un peu éveillé verrait bien que ça ne fonctionne pas… Alors si tout ce beau monde prétendait pouvoir tirer des statistiques valables de ce qui se prépare, il y aurait certainement là de quoi douter de leur intelligence ou de leur intégrité, pour ceux d’entre nous qui les prendraient encore au sérieux.

Le dépistage massif récurrent qu’on pourrait vouloir imposer aux employés dissidents est donc une autre manière d’obtenir leur soumission au nouvel ordre politique et sanitaire qui est en train de se mettre en place. Car ils se conforment aussi bien aux diktats de cet ordre en se faisant vacciner qu’en se prêtant au dépistage préventif récurrent, avec les conséquences qu’il peut avoir pour eux. Sans compter que les conséquences de cette obéissance finiront par inciter les dissidents les plus déterminés à se faire vacciner et à rentrer dans les rangs.

Alors que faire ? Si nous sommes décidés à ne pas nous faire vacciner, à résister et à ne pas nous laisser intégrer à ce nouvel ordre, il vaut certainement mieux refuser l’accommodement qu’on nous proposera vraisemblablement, qui consisterait déjà en lui-même à céder, et qui aurait tôt ou tard pour effet de nous faire consentir justement à ce à quoi nous ne voulions pas consentir en acceptant cet accommodement.

Je ne sais pas quoi dire à ceux que les confinements répétés ont mis dans une situation économique précaire et qui ont peut-être des obligations familiales. Je peux comprendre qu’ils ne sont pas en assez bonne position pour ne pas se conformer à une éventuelle obligation vaccinale au travail et pour refuser de se soumettre au dépistage préventif récurrent. D’un autre côté, qu’ils comprennent bien que s’ils cèdent simplement et ne trouvent pas une autre manière de résister, cette capitulation aura tôt fait de les dégrader moralement, alors que ses bénéfices sont loin d’être assurés à long terme et même à moyen terme, cette absence de résistance pouvant inciter les employeurs et le gouvernement à imposer toutes sortes de nouvelles conditions de travail abusives et intolérables, sans parler de possibles mesures d’austérité économique que le contexte économique paraîtrait rendre légitimes ou inévitables

Quant à ceux qui comme moi n’ont pas été affectés économiquement par les mesures sanitaires, qui ont même vu leur situation s’améliorer par un heureux coup du sort, et qui n’ont pas d’engagements familiaux ou autres, je leur recommande de réduire leurs dépenses au strict minimum si ce n’est pas déjà fait afin de se constituer des économies et de pouvoir survivre en cas de perte soudaine de revenus pendant une année, deux années, trois années, voire davantage. Quand le moment décisif viendra, qu’ils n’hésitent pas – seuls ou avec des collègues qui partagent leur point de vue, ce qui serait encore mieux et plus dommageables pour les employeurs – à se libérer des chaînes du travail, qui deviendront probablement de plus en plus lourdes à porter au cours des prochains mois, pour pouvoir concentrer tout leur temps et toute leur énergie à lutter contre la propagande sanitaire, même si c’est avec des moyens modestes. Et si jamais leurs employeurs protestaient vivement contre ce refus d’obtempérer aux nouvelles normes sanitaires et contre les conséquences de la suspension ou du congédiement précipité qui doit en découler pour l’entreprise et l’organisation, que ces employés leur disent franchement qu’il est hors de question pour eux de travailler pour des employeurs qui les traitent de cette manière et qui modifient leurs conditions de travail sans les consulter, et qu’il est aussi hors de question pour eux de contribuer par leur travail à la prospérité d’une société qui leur refuse le droit de disposer librement de leur propre corps. Qu’ils ajoutent ensuite que c’est aussi ça, la nouvelle normalité. Comment les employeurs pouvaient-ils croire que tous allaient accepter docilement ces nouvelles normes sanitaires ?

Les employeurs qui se heurteraient à une résistance farouche et idéalement organisée d’une part non négligeable de leurs employés pourraient en venir à comprendre que l’obligation vaccinale ne sert pas nécessairement leurs intérêts, surtout si les employés dissidents étaient parmi ceux les plus spécialisés et les plus difficiles à remplacer rapidement. Dans le contexte de la reprise économique automnale, les employeurs qui suspendraient ou congédieraient simplement ces employés pour se conformer aux exigences du gouvernement ou à leurs exigences propres saboteraient une partie de leurs activités, et ce, à un moment déterminant.

Voilà qui devrait refroidir le zèle sanitaire de plusieurs employeurs, ainsi que leur adhésion aux mesures gouvernementales. Ce qui serait déjà une sorte de victoire, puisque certains de ces employeurs se verraient certainement incités à revoir leurs règles internes et peut-être à réclamer l’abolition ou l’assouplissement de l’obligation vaccinale dans les milieux de travail quand elle aurait été décrétée par le gouvernement, quand ils n’iraient pas jusqu’à essayer d’accommoder véritablement les employés dont ils pourraient difficilement se passer, parfois à l’insu du gouvernement.