Une pétition contre un professeur d’histoire accusé de faire de la propagande pro-russe

Je ne lis pas souvent les médias de masse qui corrompent nos cerveaux. Je le fais juste assez pour avoir une idée de ce qui se passe dans la tête de beaucoup de mes concitoyens. C’est pourquoi il m’arrive de temps en temps de passer à côté de quelque chose d’intéressant, non pas au sens où les journalistes en auraient fait quelque chose d’intéressant, mais au sens où il est intéressant de savoir quel degré de bêtise et d’intolérance (les deux vont souvent de pair) a été atteint.

Depuis déjà quelques années, la liberté universitaire est régulièrement exposée à des attaques, au Canada et au Québec. Il y a des mots qu’on ne peut pas dire, même quand c’est pour analyser un texte où ils sont employés, sans s’exposer aux plaintes de certains étudiants moralisateurs. Selon qui sont les administrateurs des départements, des facultés et des universités, et quel est le rapport qu’elles ont avec les professeurs visés par ces plaintes, il y aura ou non des sanctions disciplinaires.

L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe ayant suscité l’indignation outrée et presque unanime des gouvernements occidentaux et des journalistes à la solde des médias de masse – lesquels adoptent une toute autre attitude quand il s’agit des guerres de l’OTAN –, on ne peut pas contredire la narration qu’on nous fait de cette guerre sans s’exposer à des plaintes et même à des attaques. C’est pour cette raison que des étudiants de l’Université de Montréal ont fait circuler une pétition contre Michael Jabara Carley, professeur d’histoire et chercheur spécialisé dans les relations de l’Union soviétique avec l’Europe occidentale, qui doit donc avoir une bien meilleure compréhension de la situation actuelle que le premier étudiant ou journaliste venu. Au lieu de condamner simplement les opinions divergentes qu’ils expriment, nous aurions intérêt à les examiner et à prendre grâce à elles une certain recul critique vis-à-vis du consensus en apparence unanime sur la guerre en Ukraine. Car à quoi cela servirait-il de faire des recherches pendant des années si c’était pour en arriver aux mêmes conclusions que des journalistes qui couvrent les guerres de la même manière que les matchs de hockey, et que des étudiants qui sont encore mouillés derrière les oreilles, la seule différence étant les références savantes et le vocabulaire plus recherché ? Mais qu’importe aux étudiants et aux journalistes de cette espèce : ils croient savoir ce qui est vrai et bon, et il n’est pas question d’en démordre.

Pour une analyse de la couverture médiatique de cette pétition, je vous renvoie à l’article d’Arnold August publié sur le site du média indépendant The Canada Files. Pour ma part, je m’en tiendrai à l’analyse du texte de la pétition. C’est à dessein que je n’en donne pas ici l’adresse. Si ce billet venait à être lu par des étudiants russophobes, dogmatiques et moralisateurs, je ne veux pas leur donner l’occasion de signer cette pétition en leur fournissant le lien. Je ne voudrais surtout pas attirer des ennuis supplémentaires à ce professeur d’histoire, alors que la pétition ne semble plus être signée par de nouvelles personnes depuis quelques semaines.

La pétition, adressée à quatre administrateurs de l’Université de Montréal, commence ainsi :

« Dans l’article de Romain Schué, publié le 23 mars 2022 à 12h37 par Radio-Canada, intitulé “Malaise à l’UdeM, un professeur pro-Poutine défend l’invasion russe”, il est question de M. Michael Jabara Carley, travaillant au Département d’histoire de l’Université de Montréal en tant que professeur titulaire. Il a été, dans le passé, directeur de ce même département et se spécialise dans l’étude des relations entre la Russie et les pays occidentaux. Bien qu’il n’enseigne pas à la session d’hiver 2022, M. Carley a notamment été responsable de diriger les cours suivants :

HST2296 - La Seconde Guerre mondiale

HST2297 - Histoire de la Guerre froide

HST3259 - Relations internationales : URSS et Russie

HST6701 - L’URSS/la Russie et l’Occident, de 1917 à nos jours »

Appelons les choses par leur nom : ce que ce journaliste de Radio-Canada fait, c’est de dénoncer publiquement ce professeur d’histoire comme un partisan du président russe et de l’invasion russe en Ukraine, ce qui est ou devrait être perçue comme une hérésie et même une trahison vis-à-vis du Canada, de l’Occident et de l’Ukraine ; et ce que font les signataires de cette pétition, c’est de relayer la dénonciation de ce journaliste à l’administration universitaire, dans l’espoir qu’elle prenne des sanctions contre lui, de manière fort semblable aux sanctions que les gouvernements occidentaux prennent contre la Russie, mais dont nous devons faire les frais.

Alors qu’on reconnaît son expertise dans les relations entre la Russie et les pays occidentaux, je me demande pourquoi on accorde la moindre importance à ce que dit ce journaliste, qui condamne quelqu’un qui est manifestement plus compétent que lui dans ce domaine. Mais c’est probablement que les rédacteurs et les signataires de cette pétition trouve qu’il est encore plus dangereux et plus impardonnable qu’un professeur d’université réputé dans le domaine fasse de la désinformation et même de la propagande pro-russe. Car on serait nécessairement et indiscutablement dans l’erreur en défendant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Car, en défendant cette invasion, on montrerait qu’on est nécessairement et indiscutablement pro-poutine c’est-à-dire méchant et trompeur. Voilà qui s’appelle penser de manière très dogmatique et très rudimentaire, même pour des journalistes et des étudiants mal dégrossis.

La pétition continue comme suit :

« Le journaliste, dès les premières lignes de son texte, revient sur des messages propagandistes particulièrement frappants publiés par M. Carley sur Twitter depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022.

Les troupes russes combattent les « fascistes » en Ukraine. « L’évacuation des civils » est bloquée par « les troupes d’Azov, les fascistes ». « L’horreur du fascisme en Ukraine devient de plus en plus évidente ». « Le Donbass et Marioupol sont en train d’être nettoyés des nazis ukrainiens” – Romain Schué, citant les tweets de M. Carley.

Dans l’ensemble de ces messages sur Twitter depuis le 24 février 2022, et même avant, M. Carley soutient une position nettement pro-Poutine, basée sur un discours de propagande anti-ukrainien. En procédant à un clair et net révisionnisme historique, le professeur d’histoire profite de la liberté des réseaux sociaux afin de démontrer son point de vue personnel sur une guerre. M. Carley adopte et met en avant la position de la Russie, définitivement s’ancrant dans une histoire revue, refaite et réécrite dans un objectif politique. Il emploie notamment des termes caractéristiques au discours de désinformation du Kremlin, tels que "fascistes", “néonazis”, partage des publications de médias pro-russes (Sputnik, RT), d’institutions officielles russes (Ambassade de la Russie au Canada, Ministère de la Défense de la Russie) tout en faisant la promotion d’un discours de haine et de guerre. En annexe de cette lettre ouverte, vous trouverez des captures d’écran, montrant uniquement la surface d’un problème bien plus profond. »

Les rédacteurs et les signataires de cette pétition devraient savoir – et peut-être certains d’entre eux le savent-ils très bien – que, depuis le début de la guerre civile ukrainienne en 2014 et aussi depuis l’invasion de l’armée russe, des journalistes et des reporters indépendants (par exemple Christelle Néant, Patrick Lancaster, Michel Collon et Anne-Laure Bonnel) affirment qu’il existe bien des groupes néo-nazis ou fascistes, intégrés aux forces armées ukrainiennes et armés et entraînés par les pays occidentaux, dont le Canada. Au lieu de faire la sourde oreille quant aux reportages faits sur les exactions contre les civils russophones et ukrainophones dont se rendent coupables ces groupes d’extrémistes, ou d’y voir simplement une reprise de la propagande de guerre pro-russe et anti-ukrainienne véhiculé par les médias financés par le gouvernement russe, les rédacteurs et les signataires de cette pétition auraient intérêt à se demander quelle part de vérité il peut y avoir dans les informations diffusées par ces organes de presse russes, et quelle part de fausseté il peut y avoir dans les informations diffusées par les organes de presse ukrainiens et occidentaux. Car la propagande à laquelle nous sommes tous exposés, surtout en temps de guerre, ne provient certainement pas toute de la Russie.

Sur l’accusation du révisionnisme en histoire, il y a beaucoup à dire. Je tâcherai d’être bref. Je n’ai jamais compris pourquoi ce terme est connoté aussi négativement. L’histoire n’est-elle pas affaire de révision, au sens où il est possible de se tromper et où il faut toujours avoir la possibilité de corriger ce qu’on pense être vrai à un moment donné ? En histoire comme en toutes choses, il est possible de se tromper. Bien entendu, il est aussi possible de se tromper en faisant des révisions. C’est pourquoi il est sain que des positions divergentes s’affrontent librement et continuellement. En général, cette concurrence des positions divergentes existe toujours, sauf quand on cherche à imposer un consensus apparent, par exemple par la censure et la persécution. À l’inverse, si on croit que la vérité historique est connue une fois pour toutes et qu’elle ne saurait admettre la moindre contradiction, sous prétexte qu’il s’agirait de désinformation ou de propagande, on se croit infaillible et on a une conception dogmatique de l’histoire et, de manière plus générale, de la vérité.

Les rédacteurs de la pétition gagneraient à se montrer plus précis quand ils accusent ce professeur d’histoire de révisionnisme. Tout ce qu’on sait, c’est que ce serait du révisionnisme de dire qu’il y a des néonazis ou des fascistes en Ukraine. Je suppose que ça a quelque chose à voir avec Stepan Bandera, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne et l’Organisation des nationalistes ukrainiens. Est-ce que les rédacteurs de la pétition veulent dire que c’est réviser l’histoire, ou plutôt la falsifier, que de rapprocher certains groupes armés ukrainiens de ce personnage et de ces organisations, pour ensuite dire d’eux qu’ils sont néonazis ou fascistes ? Ou serait-ce plutôt une falsification de l’histoire que de prétendre que Stepan Bandera, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne et l’Organisation des nationalistes ukrainiens sont nazis et fascistes, pour ensuite dire des groupes armés qui s’inspirent de ce personnage et de ces organisations qu’ils sont néonazis ou fascistes ? Voilà qui devrait être discuté, si on avait le courage de dire la chose franchement. Mais ce n’est certainement pas l’endroit dans une pétition qui réclame des sanctions disciplinaires contre un professeur d’université. Pas plus que dans de brefs gazouillis, même s’ils sont écrits par des universitaires.

Un autre point sur les accusations de falsification de l’histoire : ce qui peut sembler être une falsification historique pour les uns peut paraître pour les autres une simple évidence historique, et vice versa. Que Stepan Bandera et ses suivants aient collaboré avec l’occupant nazi et aient perpétré des massacres dans une logique d’épuration ethnique, voilà qui est une insupportable falsification de l’histoire, diront les Ukrainiens du centre et surtout de l’ouest. Que ces personnes soient plutôt dépeintes comme des héros nationaux, des résistants et des défenseurs de la liberté, voilà qui est une impardonnable falsification de l’histoire, diront les Russes et les Ukrainiens russophones du sud et de l’est. Il ne s’agit pas simplement de croire les uns pour accuser les autres de falsification historique, mais d’examiner les positions divergentes pour essayer de déterminer qui se trompe ou ment et qui dit vrai.

En ce qui concerne les captures d’écran dont on parle dans le passage cité ci-dessus, elles ne sont pas rendues disponibles aux signataires de la pétition par ses rédacteurs. De toute évidence, elles y seront seulement jointes après la signature de la pétition, sans que les signataires sachent de quoi il s’agit, et sans qu’on daigne leur expliquer quel est ce problème bien plus profond dont ces images montreraient seulement la surface. Drôle de procédé, qui se démarque par son manque de transparence.

Voyons maintenant quelles sont les sanctions réclamées contre ce professeur d’université. On n’y va pas de main morte :

« En effet, tel que l’avance M. Schué dans son article, le plus stupéfiant a été la réaction de l’Université de Montréal. Mme Geneviève O’Meara, porte-parole, a notamment spécifié que “[M. Carley] peut exprimer son opinion sur les réseaux sociaux, bien que celle-ci détonne avec les propos d’autres experts sur le sujet”.

Or, selon l’article 5 du Règlement disciplinaire concernant les membres du personnel enseignant de la Convention collective intervenue entre l’Université de Montréal et le Syndicat Général des Professeurs et Professeures de l’Université de Montréal (SGPUM), “Nul ne peut, dans le cadre d’activités de recherche ou d’enseignement, […] aller à l’encontre de ses obligations en matière de probité intellectuelle, notamment en induisant délibérément en erreur les membres de la communauté scientifique ou toute autre personne, […].”. L’article 7 du même document prévoit que “Toute personne qui enfreint le présent règlement est passible de réprimande, de suspension ou de renvoi de l’Université”.

Ainsi, considérant que M. Michael Jabara Carley a délibérément induit en erreur des centaines, voire des milliers, d’étudiants et de membres de la communauté scientifique en ce qui concerne la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine depuis 2014, ayant pris une ampleur bien plus grande le 24 février 2022, il est passible de réprimande, de suspension ou de renvoi de l’Université de Montréal. »

Ce qui est stupéfiant, ce n’est pas la déclaration de la porte-parole de l’Université de Montréal, qui reconnaît l’existence et l’important de la liberté académique et de la liberté d’opinion, sans lesquels l’université, en tant qu’institution d’éducation supérieure, pourrait difficilement exister. Non, ce qui est stupéfiant, c’est plutôt qu’on veuille infliger des sanctions disciplinaires à un professeur d’histoire sans avoir daigné montrer et expliquer pourquoi il a manqué de probité intellectuelle dans ses recherches et son enseignement – ce qui est encore plus aberrant étant donné que les déclarations qu’on lui reproche ont été faites en dehors de tout contexte académique, sur les réseaux sociaux. Non, ce qui est stupéfiant, c’est l’existence d’un tel article du Règlement universitaire imbriquée dans la convention collective des professeurs, lequel pourrait inciter l’administration universitaire, en tant qu’employeur, à jouer le rôle d’arbitre de la vérité et à sanctionner les professeurs qui ne se conforment pas aux opinions que le pouvoir politique, les médias de masse, le corps professoral ou des groupes d’étudiants-clients essaient d’imposer comme des dogmes indiscutables. Un tel article, surtout quand il est interprété comme le font les rédacteurs de la pétition, met en péril la fonction critique de l’université et affaiblit les valeurs et les institutions démocratiques, où la libre discussion est fondamentale.

La pétition se termine par des réclamations adressées à des personnes qui occupent des fonctions administratives à l’Université de Montréal, en commençant par le recteur :

« M. Jutras, en tant que recteur de l’Université de Montréal et premier représentant de notre institution au Québec, au Canada et à l’étranger, il est de votre responsabilité de faire respecter la vérité au sein de l’Université. Après de nombreux scandales concernant la liberté académique dans les dernières années, nous vous demandons de considérer cette notion avec un recul, puisqu’elle ne doit pas cautionner la diffusion de fausses informations qui contreviennent à la rigueur intellectuelle que l’on prône à l’Université de Montréal. »

Ce que demandent les rédacteurs de la pétition, c’est de restreindre la liberté académique pour empêcher la propagation de fausses informations, le tout au nom de la rigueur intellectuelle. Comme si la liberté académique – qui implique le droit d’exprimer et de discuter publiquement des opinions divergentes sans s’exposer à des sanctions ou à des représailles – n’était pas la meilleure garantie contre l’erreur et une condition importante de la rigueur intellectuelle ! Car comment faire preuve de rigueur intellectuelle si les points de vue divergents – surtout quand ils sont choquants et suscitent l’indignation – ne peuvent pas être exprimés, discutés, examinés et confrontés à d’autres points de vue ? En fait, c’est en refusant cette discussion critique, en cherchant à l’empêcher grâce à des sanctions disciplinaires, et en essayant d’imposer ainsi ce qu’on croit être une vérité indubitable, qu’on manque de rigueur intellectuelle. Ceux qui croient que M. Carley se trompe ou trompe à dessein les autres sur la guerre en Ukraine devraient, au lieu de réclamer des sanctions, organiser un débat avec lui, auquel pourrait participer un autre professeur d’histoire ou de science politique ayant une compréhension très différente de la sienne, par exemple. Et, cela va sans dire, les étudiants en désaccord avec la position de M. Carley sur la guerre en Ukraine devraient se garder de perturber ce débat par leurs protestations, ne pas priver les autres étudiants et membres de la communauté universitaire de la possibilité de juger librement des perspectives qui s’affrontent, et devraient eux-mêmes profiter de l’occasion pour examiner leurs propres opinions et les confronter à celles de M. Carley par des questions et des objections qu’ils pourraient lui adresser, en évitant de réclamer son adhésion ou sa conversion à leurs propres opinions. En ne respectant pas ces conditions, on se montre indigne de fréquenter l’université.

Voici maintenant ce qu’on demande au doyen de la Faculté des Arts et des Sciences :

« M. Bouchard, en tant que doyen de la Faculté des Arts et des Sciences de l’Université de Montréal, nous vous demandons de considérer cette situation d’urgence, puisqu’elle a un impact direct sur la renommée de notre faculté, pour le moment associée à un membre du corps professoral diffusant de la propagande infondée scientifiquement. »

Ici, il n’est aucunement question de vérité ou de recherche de la vérité. Ce qui importe, c’est l’urgence de protéger la réputation de la Faculté, laquelle serait ternie par les opinions fausses et nauséabondes de M. Carley.

L’expression « propagande infondée scientifiquement » est bizarre. La propagande étant ce qu’elle est, elle ne saurait être fondée scientifiquement. Si elle était fondée scientifiquement, elle ne serait pas de la propagande. Serait-ce que les rédacteurs de la pétition reconnaissent l’existence d’une « propagande fondée scientifiquement », c’est-à-dire la propagande pro-ukrainienne diffusée entre autres par cette pétition, par opposition à la « propagande infondée scientifiquement », à savoir la propagande pro-russe et anti-ukrainienne ?

C’est ensuite à la directrice du Département de science politique qu’on s’adresse :

« Mme Rothmayr, en tant que directrice du Département de science politique de l’Université de Montréal, nous vous demandons d’également considérer cette situation. Bien qu’elle ne concerne pas notre département sur le plan institutionnel, de nombreux étudiants suivent et ont suivi les cours de M. Carley, donc ont été directement sous son influence. Il est nécessaire de revoir la place de ses cours dans les cursus proposés par le Département. »

Voici ce qu’on demande sans autre forme de procès : pour protéger les étudiants inscrits aux programmes de ce département de la contamination pro-russe et anti-ukrainienne dont serait responsable M. Carley, il faudrait les priver de cours sur les relations entre l’URSS et la Russie et l’Occident, dont l’étude est pourtant essentielle pour comprendre l’histoire du XXe siècle, les relations internationales et le contexte géopolitique actuel, et plus particulièrement la guerre en Ukraine. En outre, une telle décision reviendrait à traiter ces étudiants comme des enfants qu’il faut protéger des mauvaises influences, ce qui est incompatible avec le développement de l’autonomie intellectuelle et la formation de l’esprit critique qui devraient compter parmi les objectifs des cursus proposés par le Département de science politique, et, de manière plus générale, des objectifs de l’éducation universitaire.

Et on termine en s’adressant au directeur d’un groupe de chercheurs auquel M. Carley appartenait :

« M. Mérand, en tant que directeur scientifique du Centre d’Études et de Recherches Internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), nous vous remercions pour votre position claire exprimée dans l’article de M. Schué, et vous demandons d’exclure M. Carley du CÉRIUM. Le centre de recherche prône l’esprit critique, la méthode scientifique et l’analyse rigoureuse d’événements de l’actualité, ce à quoi contrevient totalement M. Carley. »

Voici la déclaration de M. Mérand à laquelle on fait référence :

« On est favorables à la liberté académique, mais on ne cautionne pas le révisionnisme historique. »

Et aussi : « Jusqu’à quel moment peut-on dire des choses qui sont fausses ? s’interroge-t-il, tout en avouant ne pas être favorable à la censure. »

Ce qui revient à dire, deux fois plutôt qu’une, une chose et son contraire. Et c’est ce qu’on considère être une position claire. Pour y voir une position claire, il faut comprendre dans les paroles de M. Mérand qu’il est prêt, malgré des réserves purement verbales, à sacrifier la liberté académique à la lutte contre le « révisionnisme historique » et la propagation de « choses qui sont fausses ». C’est pourquoi M. Carley n’apparaît plus dans la liste des chercheurs du CÉRIUM et semble avoir été mis à l’écart de ce groupe de recherche.

Enfin la pétition se conclut par une affirmation absurde :

« En somme, nous ne demandons pas à l’Université de Montréal de prendre une position politique. Il est ici plutôt question de valeurs particulièrement chères aux membres de la communauté étudiante, du corps professoral et du personnel : rigueur scientifique et intellectuelle, vérité, liberté académique, esprit critique. »

Bref, c’est au nom de la rigueur scientifique et intellectuelle, de la vérité, de la liberté académique et de l’esprit critique qu’on réclame que M. Carley soit réprimandé, suspendu ou renvoyé de l’Université pour ses déclarations non orthodoxes, en ce qu’elles ne sont pas conformes à la posture politique de l’Ukraine, du Canada, des autres pays occidentaux et de l’OTAN vis-à-vis de la Russie. Et on a le culot de dire qu’on ne demande pas de l’Université de Montréal une prise de position politique. On aura tout vu !


Cette pétition, en raison des tendances dogmatiques, autoritaires et même inquisitoriales qui s’y manifestent, est incompatible avec les principes de la liberté académique, du débat public et de la démocratie. Que se passerait-il si, sur une question aussi importante qu’une guerre où on cherche à nous entraîner à force de propagande, une quelconque étudiante de premier cycle (Katerina ou Katia Sviderskaya), en s’appuyant sur l’article d’un journaliste tout aussi quelconque, réussissait à réduire au silence un professeur d’histoire qui ne succombe pas à la propagande pro-ukrainienne et anti-russe qui sévit ici depuis plusieurs années. Car le véritable danger, ici au Canada, ce n’est pas la propagande pro-russe, mais bien la propagande atlantiste et anti-russe que nous respirons en même temps que l’air ambiant.

Les rédacteurs de la pétition ne sont pas au-dessus de la mêlée, contrairement à ce qu’ils aimeraient faire croire et se faire croire. Pas plus que ne le sont les membres du gouvernement canadien et les journalistes. Pas que nous ne le sommes, M. Carley, moi-même et les autres opposants à la propagande pro-ukrainienne et anti-russe. Ce qui ne veut pas dire que nous faisons simplement de la propagande pro-russe et anti-ukrainienne, car on peut lutter contre la propagande en faisant autre chose que de la propagande.


Pour vous donner une idée de l’indigence intellectuelle et du fanatisme des signataires (pour la plupart des personnes d’origines ukrainiennes, d’après leurs noms), voici comment ils justifient leur prise de position contre les déclarations du professeur Carley et la liberté d’opinion, à l’université ou ailleurs :

« Putin’s supporters don’t belong in the academic world! »

« Totalement inacceptable qu’un professeur d’université répand de la propagande Russe et soutient la morts de milliers de civils en Ukraine. »

« Government of Canada, it's time to act on institutional level. You must Stop russian propaganda! Stop war support! »

« Pas de places aux Universités québécoises aux propagandistes du régime russe, le régime qui tuent des civiles en Ukraine et ailleurs sous les faux prétextes de combat contre "le fascism". Pour ces régimes, tout le monde qui refuse d’être contrôlé par Poutine est un fasciste. »

« I'm signing because this professor has infringed upon the basic values of freedom and democracy. To support a genocidal regime is truly disgusting and outright anti-Ukrainian. »

« This professor is not competent at this question and he is propeganding violence. »

« Un professeur qui se positionne publiquement du côté d’un criminel de guerre, n’a pas le droit d’enseigner. »

« The persons who lie about history do not have the right to teach in a university. Period. »

« Parce qu’il doit être renvoyé. »

« Such professors have no place in our institutions, teaching our kids. »

« I’m Ukrainian and I study in UdeM. I am ashamed of attending the same institution as this man regardless of his professional background. »

« Absolument dégoûtant qu’un professeur soit permis de propager de l’information encourageant un génocide et la haine des immigrants (alors qu’il est lui même immigrant américain...). La liberté d’expression ? Elle s’arrête lorsque l’individu qui propage son message violant jouit d’une position d’autorité dans un milieu dédié à l’éducation. »

« There is no place in University for people who support killing of Ukrainian civilians. »

« Vous pouvez tuer avec des bombes ou des mots. Qui est le plus coupable : le nazi qui a brûlé des condamnés à mort ou celui qui l’a appelé et justifié ? Les mots tuent plus que les balles. C’est un fait. Un meurtrier qui justifie un meurtre est aussi coupable qu’un meurtrier qui appuie sur la gâchette d’une mitraillette. »

« I'm signing to resist outrageous lies and propaganda spread by Putin's criminal dictatorship and its supporters. »

« Russia needs you...Go back to your homeland & enjoy freedom there. No brainwashing here...het, het, Soviet. »

« Dans mon pays, il n’existe pas des nazis. Les troupes d’Azov sont en train de sauver Marioupol et ses habitants. Cet homme n’a pas le droit d’enseigner car il est menteur. »

« Parce que la support de dictature et la propagande de regime fascist Russe est inacceptable a 21e scie le surtout par l’université si prestigieux. Si vous laisser faire cela- ca veux dire que vous êtes d’accord. J’ai la honte de faire parti de alumnus de UdeM….. »

On a l’impression que le lobby ukrainien de l’Université de Montréal s’y est mis tout entier pour sévir contre M. Carley. J’ignore si de telles attaques contre la liberté académique sont courantes en Ukraine, mais il y a lieu de nous demander si nous en voulons au Canada, et si le fait de soutenir l’Ukraine coûte que coûte contre la Russie peut raisonnablement être assimilé à une défense des valeurs démocratiques, en Ukraine et au Canada.