Transformation numérique et transformation politique (7)

Conclusion des billets du 26 avril, du 28 avril, du 2 mai, du 4 mai, du 7 mai et du 15 mai 2023.

J’ignore dans quelle mesure les maux que j’ai décrits dans les billets de cette série se réaliseront. Les chefs politiques, les gestionnaires de la bureaucratie publique et le département des relations publiques des banques et des grandes corporations impliquées de près ou de loin dans la transformation numérique des États occidentaux ne sont pas très bavards à ce sujet, sauf quand il s’agit de faire des déclarations sur les utilisations les plus immédiates et les plus accessibles des nouveaux dispositifs technologiques, et sur l’importance d’être à la fine pointe du progrès technologique. Il n’est presque jamais question des autres manières dont ces dispositifs pourraient être utilisés, ensemble ou séparément, et dans quel projet politique l’entrée en fonction et le développement de ces dispositifs s’inscrivent, comme si le progrès technologique était une sorte d’automate qui pouvait se donner à lui-même ses propres fins et auquel nos États et nos sociétés devaient se fier pour guider leur évolution, qui serait inéluctable. Aussi bien nous fier à la Providence des chrétiens ou à l’Histoire des marxistes.

Le fait que ces personnages, qui se plaisent à passer pour de grands planificateurs, ne nous exposent pas ouvertement un projet politique dont ces dispositifs technologiques seraient les moyens, et qu’ils ne discutent pas de projets politiques concurrents ayant besoin de moyens eux aussi différents, voilà qui est fort suspect. Et le renforcement de la surveillance de masse et du contrôle social et la destruction de la démocratie qu’ils rendent possibles ne devraient nous dire rien qui vaille. Ceux qui nous dirigent nous cachent peut-être quelque chose. Ou ils manquent à ce point de prévoyance et d’intelligence qu’ils sont incapables d’anticiper les conséquences politiques possibles de la transformation numérique à laquelle ils travaillent, et qu’ils se contentent de suivre ce qui passe pour les grandes tendances technologiques du moment. En fait, un mélange de ces personnages est possible : les décideurs qui n’entendent rien à rien, qui se laissent simplement emporter par le courant, et qui croient ainsi être à la fine pointe du progrès technologique, sont en réalité des imbéciles utiles qui jouent un rôle important dans les machinations des planificateurs qui savent de quoi il en retourne. Et même s’il n’y avait pas de machinations, même s’il y avait seulement des décideurs pas très futés, un tel manque de prévoyance serait blâmable, puisqu’un ces dispositifs pourrait plus tard être utilisé à des fins politiques incompatibles avec la démocratie qui ne sont pas envisagées ou discutées présentement, ou même être utilisé de manière nuisible par des personnes pleines de bons sentiments mais incurablement décérébrées, capables d’inventer des projets politiques aberrants ou de s’y rallier, ou qui ne comprennent rien à la démocratie.

Que nous ayons affaire à des planificateurs malveillants et autoritaires, à des imbéciles heureux ou à un mélange des deux, il n’est pas raisonnable d’espérer qu’ils se mettront à participer à un débat public sur le ou les projets politiques qu’ils défendent et qui sont sous-jacents à la transformation numérique. Les premiers sont assez intelligents pour savoir qu’ils n’y ont pas intérêt, et les seconds sont trop limités intellectuellement pour participer à un tel débat ou même avoir l’idée d’un tel débat. Il en résulte qu’il est difficile, pour nous qui sommes des opposants, de donner naissance à un débat public à ce sujet et de l’alimenter, puisque la position adverse n’est jamais exprimée ouvertement de manière articulée, et n’existe parfois que par l’idée que nous nous en faisons et que nous en donnons à ceux qui nous écoutent et qui peuvent nous croire ou ne pas nous croire. Alors que faire ?

Je me propose et je propose aux opposants de sortir de la seule critique des maux que nous anticipons quant à la transformation numérique. La meilleure manière de montrer ce qui manque et ce qui est dangereux dans la transformation numérique telle que la promeuvent nos gouvernements, c’est de proposer d’autres projets de transformation numérique et d’autres dispositifs technologiques, et de montrer quel rôle ils joueraient dans des projets politiques concurrents. Car on concevrait certainement autrement la transformation numérique de l’État si nous nous donnions comme projet politique :

    1. la protection de la souveraineté des États contre l’ingérence des puissances étrangères étatiques, supranationales et privées ;

    2. la subordination du gouvernement au corps des citoyens et l’existence de procédures pour qu’il lui rende des comptes et puisse être rappelé à l’ordre par lui ;

    3. l’institution de référendums d’initiative citoyenne pour que les droits politiques des citoyens ne se réduisent pas à l’élection de représentants que choisissent pour eux les partis politiques ;

    4. la simplification et la transparence de la bureaucratie publique ;

    5. la défense de la liberté de discussion, la protection de la vie privée des individus, la préservation de l’anonymat et la lutte contre la surveillance de masse ;

    6. la transformation de la monnaie pour qu’elle soit plus favorable à la liberté et à l’égalité des citoyens ou des individus, et puisse plus difficilement devenir un instrument de contrôle social et politique et d’oppression.