Traitements dégradants et droits et libertés des citoyens

Traitements dégradants

Les gouvernements occidentaux méprisent depuis longtemps les citoyens. Selon eux, les citoyens sont tout juste bon à les élire et à leur donner une certaine légitimité. Une fois que les citoyens ont élu ceux qui les gouverneront pour quelques années, leur devoir serait de consentir et d’obéir à ce que décideront ces gouvernements, même s’il est manifeste qu’ils ne défendent pas leurs intérêts. Dans cette perspective, en votant ils accepteraient de confier les pleins pouvoirs aux élus. La politique serait donc l’affaire du gouvernement et, dans une moindre mesure, des parlementaires. Les citoyens, eux, ne devraient pas s’occuper sérieusement de politique, car en votant il confierait justement à d’autres les affaires politiques. Les citoyens sont donc des citoyens seulement pendant la campagne électorale et quand ils déposent leurs bulletins de votes dans les urnes. Dans l’intervalle, ils sont des sujets et les gouvernements les traitent en conséquence.

Dans cette conception minimaliste de la démocratie, les citoyens peuvent être traités n’importe comment sans que ça n’affecte la bonne marche des affaires politiques. Les gouvernements ne se gênent donc pas pour les traiter comme des enfants ou comme des animaux. En fait, il est plus facile pour les gouvernants de gouverner sans entrave quand ils infligent aux citoyens, à l’échelle de nos sociétés, des traitements qui dégradent leur esprit critique, leur autonomie et leur désir d’autodétermination individuelle et collective, pour les faire entrer pleinement dans leur rôle de simples sujets ou de serfs.

Depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, nos gouvernements nous traitent comme de petits enfants qui doivent suivre les consignes indiscutables que leur donnent papa et maman, les techniciennes en service de garde et les enseignantes à la maternelle. Il faut faire la file et se laver les mains quand nous entrons à l’intérieur. Il ne faut pas nous toucher le visage, les yeux, les narines et la bouche. Il faut rester sagement à notre place à l’école, au boulot et durant la récréation. Il faut éternuer et tousser dans notre coude. Il ne faut pas nous éloigner trop de la maison et être rentrés avant le coucher du soleil. Il faut éviter de fréquenter des étrangers et demander la permission pour aller voir nos amis. Il faut nous couvrir le visage pour ne pas mettre des microbes partout. Il nous faut accepter que les grandes personnes décident à notre place ce que nous voyons à la télévision et sur internet, afin de nous protéger des mauvaises influences. Il nous faut accepter les piqûres que veulent nous faire les docteurs pour notre bien. Il nous faut être prêts à ce que ceux qui nous servent de parents surveillent ce que nous faisons de notre argent et, en cas d’usage inapproprié et dangereux, nous punissent. Etc.

Pour ceux d’entre nous qui se considèrent des adultes autonomes et des citoyens, cette manière de les traiter est à la fois insultante et dégradante. Non seulement on nie notre capacité et notre désir de décider de nos propres affaires et de participer aux affaires politiques, mais on dégrade cette capacité et ce désir en faisant comme si nous étions des enfants ou même des animaux domestiques.

 

Droits et libertés de (la) personne versus droits et libertés des citoyens

Il n’est pas étonnant que nos gouvernements fassent bien peu de cas des droits et de libertés de ceux qu’ils traitent comme des enfants et des animaux domestiques. Le seul fait de nous traiter de cette manière implique la négation de nos droits et de nos libertés. Pourtant nous disposons, ici au Canada, d’une charte provinciale et d’une charte fédérale des droits et des libertés de la personne. Mais ces droits et ces libertés prétendument universels sont tellement abstraits qu’ils ne se rattachent à rien de concret. Nous aurions ces droits et ces libertés simplement parce que nous sommes des personnes humaines. Mais en même temps on nous dit que ces droits et ces libertés universelles peuvent être limités ou suspendus si nos gouvernements jugent que c’est nécessaire et raisonnable en raison d’un état d’urgence qu’ils peuvent déclarer et prolonger à volonté. Ce qui revient à dire que ces droits et ces libertés peuvent nous être retirés selon le bon plaisir des gouvernements, alors qu’ils sont censés ne pas pouvoir nous être retirés justement pour nous protéger des abus de pouvoir des gouvernements. En fait, tous disposent des droits et des libertés de la personne aussi longtemps que nos gouvernements ne décident pas du contraire. N’étant garantis à personne, ils sont en fait les droits et les libertés de personne. Il s’agit plutôt de permissions que les gouvernements condescendent à nous accorder et qu’ils peuvent nous refuser sans que cela n’entre en conflit avec leur conception de la démocratie et le rôle que nous devons y jouer en tant que sujets ou serfs. Bien au contraire, nos gouvernements peuvent nous refuser ces permissions justement parce que nous prétendons ne pas nous contenter d’obéir et voulons nous mêler des délibérations politiques, qu’ils considèrent comme leur chasse gardée.

Les droits et les libertés de (la) personne sont donc une armure de papier qui ne saurait nous protéger des abus de pouvoir du gouvernement. Ils nous procurent une illusion de protection. Mais il en serait autrement si, au lieu des droits et les libertés de (la) personne, nous avions des droits et des libertés des citoyens, lesquels trouveraient leur raison d’exister dans la participation plus active des citoyens dans le débat public et dans la direction des affaires publiques. Il ne serait pas possible de porter atteinte aux droits et aux libertés des citoyens sans attaquer du même coup la démocratie. Traiter les citoyens comme des enfants et des animaux domestiques en leur infligeant toutes sortes de traitements dégradants qui les rendent moins aptes à se gouverner eux-mêmes et à jouer leur rôle politique, et qui les rendent même incapables de le faire, reviendrait à faire un coup d’État, à provoquer un changement de régime. Car sans citoyens, pas de démocratie.

Si l’occasion se présente, c’est-à-dire si nous résistons suffisamment pour reprendre le contrôle des gouvernements que nous élisons, nous devrions remplacer les chartes des droits et des libertés de (la) personne par une déclaration des droits et des libertés de citoyens, lesquels jouent un rôle central dans nos démocraties. Le non-respect de cette déclaration ne serait pas seulement une atteinte criminelle aux droits et aux libertés individus que nous sommes, mais constituerait un crime de haute trahison contre nos démocraties. Et pour que cette primauté des citoyens n’existe pas seulement sur papier, il faudrait que ceux-ci disposent d’autres droits politiques que ceux d’élire les personnes qui les gouvernent, par exemple en mettant en place des procédures et des institutions pour qu’ils puissent demander aux élus de leur rendre des comptes ; pour qu’ils puissent, grâce à des référendums d’initiative citoyenne, annuler les lois, les décrets et les arrêtés qu’ils promulguent, et aussi proposer de nouvelles lois ; et pour qu’ils puissent obtenir des charges politiques même s’ils n’ont pas le sou et sans s’inféoder à un parti politique. Les droits non politiques qui permettent aux citoyens de vivre librement seraient, dans ce système politique, compris comme des conditions de l’exercice de ses droits politiques. Car comment quelqu’un qui voit sa vie gouverner par toutes sortes de consignes, à qui on impose ce qu’on prétend être bon pour lui sans même le consulter, et qui ne dispose même plus de lui-même, peut-il être apte à participer directement et indirectement à la prise de décisions politiques qui détermineront l’avenir de son pays et les formes de vie qui seront possibles pour ses concitoyens et lui-même, et aussi pour les générations futures ?