Toujours la même question

Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, les autorités politiques et sanitaires québécoises et canadiennes – comme celles de beaucoup d’autres pays – évitent de répondre à cette question : qu’est-ce qu’il faudrait pour qu’on considère qu’il n’y a plus d’urgence sanitaire et pour qu’on décide de mettre fin à cet état d’exception ? En fait, elles ne se posent même pas cette question et elles feignent de ne pas l’entendre ou elles trouvent des échappatoires quand nous la leur posons. Car ce n’est certainement pas dans leur intérêt d’y répondre, ne serait-ce que parce qu’elles perdraient les pouvoirs d’exception auxquels elles ont manifestement pris goût, et qu’elles auraient peut-être des comptes à nous rendre, enfin.

Alors que l’état d’urgence sanitaire semble se pérenniser et que de nouvelles mesures sanitaires apparaissent – le passeport vaccinal et la vaccination obligatoire dans certains milieux de travail –, il serait temps que notre gouvernement daigne nous donner une réponse, même approximative. Il serait aussi grand temps que cette question soit discutée publiquement, car il ne s’agit pas avant tout d’un problème scientifique ou médical, mais d’un problème moral et politique qui nous concerne en tant qu’individus et citoyens. Nous ne saurions déléguer à la classe politique et bureaucratique, aux experts véritables ou autoproclamés et aux journalistes la résolution de ce problème, sans du même coup devenir des sujets et mêmes des serfs devant vivre sous la tutelle des autorités politiques et sanitaires, qui bien sûr veulent notre bien, même et surtout quand elles nous nuisent. Nous connaissons la chanson.

C’est pourquoi nous devons nous demander quelles conditions doivent être réunies pour qu’à nos yeux, il n’y ait plus ou pas d’urgence sanitaire, et pour que prenne fin l’état d’exception qui accompagne ce sentiment d’urgence, qui dure depuis beaucoup trop longtemps, et qui n’aurait jamais dû commencer. Pour ne pas nous égarer dans de vaines généralités, je décline cette question plus générale en une série de questions plus concrètes et plus précises.

  1. À combien fixons-nous le nombre d’hospitalisations et de décès, par année et par saison hivernale, attribuables en partie ou en totalité à la COVID-19 (en tenant compte des taux d’hospitalisation et de décès des dix années antérieures, ajustés au vieillissement de la population québécoise, et donc de l’augmentation du nombre de personnes susceptibles d’avoir de graves complications après avoir contracté le virus et d’en mourir) en deçà duquel nous pourrons recommencer à vivre normalement, comme avant et non pas d’après les règles d’une « nouvelle normalité », notamment le port du masque dans les lieux publics et la distanciation sociale ?

  2. Voulons-nous continuer encore longtemps à mettre ce seuil si bas que nous devrons continuer à nous imposer, à chaque nouvelle phase épidémique ou même de manière permanente, des contraintes cycliques et durables qui nous empêchent de vivre normalement, qui dissolvent notre société, qui détruisent notre économie et qui augmentent la fréquence et la gravité de la précarité économique et de la pauvreté, et qui permettent au gouvernement de diriger les affaires publiques de manière encore plus autoritaire que d’habitude ?

  3. Sommes-nous prêts à séparer la société en deux groupes de personnes, les vaccinés et les non-vaccinés, quand nous sommes au-delà de ce seuil ou même quand nous sommes en deçà, avec toutes les frictions, les heurts, les inégalités, la surveillance et le contrôle de nos actions que cela implique nécessairement ?

  4. Advenant que la campagne de vaccination massive ne donne pas les résultats escomptés, consentirons-nous à continuer sur la même voie, en vaccinant toute la population avec un nouveau vaccin supposément plus efficace contre un nouveau variant, mais qui le sera moins ou pas du tout contre les variants suivants, ou bien envisagerons-nous d’autres possibilités, par exemple des traitements précoces ou préventifs et l’utilisation des sommes d’argent destinées à la vaccination et au dépistage massif de la population pour augmenter le nombre de lits disponibles dans unités de soins intensifs, pour améliorer les conditions de travail du personnel soignant et pour réduire les probabilités d’engorgement dans les hôpitaux, qui d’ailleurs se produisaient déjà bien avant l’arrivée du virus, pendant la saison de la grippe ?

  5. Cesserons-nous – un an et demi après l’arrivée d’un virus dont on nous dit qu’il serait là pour rester – de considérer les infections, les hospitalisations et les décès comme des anomalies qui méritent d’être comptabilisées quotidiennement, sans qu’on reprenne le compte à zéro à chaque phase épidémique ou à chaque année, comme on le fait d’ailleurs pour toutes les autres maladies, respiratoires ou non, saisonnières ou non, peu mortelles ou très mortelles ?

Si nous ne nous posons pas sérieusement ces questions, si nous ne parvenons pas à leur répondre de manière satisfaisante et à agir en conséquence, si plutôt nous continuons de croire la couverture médiatique sensationnaliste et de remettre notre destinée individuelle et collective entre les mains de notre gouvernement et des experts patentés, il se pourrait bien qu’on nous mène tout droit dans une impasse économique, sociale et politique dont il sera très difficile de sortir, et dont les manières possibles d’en sortir pourraient s’avérer pires que les maux qu’il s’agirait d’éviter. Quiconque a fait un peu d’histoire et peut voir les événements dans une perspective plus large comprend qu’il ne sort généralement rien de bon de ce genre de crises, surtout quand les citoyens attendent docilement que leur salut leur vienne de l’extérieur. Si jamais nous en arrivions là, notre passivité, notre absence presque totale d’esprit d’initiative et notre obéissance nous rendraient aussi responsables de la situation que le gouvernement, les experts et les journalistes.