Symptômes de la dissolution de notre démocratie

L’état d’urgence sanitaire dure depuis presque deux ans. Et nous pouvons difficilement nier que la démocratie canadienne (comme les autres démocraties occidentales) est en train de se dissoudre et d’être remplacée par un régime très autoritaire. Notre société et nos institutions sont malades. La phase terminale n’est peut-être pas loin.

Voici une vingtaine de graves symptômes de cette maladie très dangereuse, qui montrent bien que nous en sommes à un stade avancé.

  1. Sous prétexte d’urgence sanitaire, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s’accordent à eux-mêmes des pouvoirs exceptionnels pour une période indéfinie, en changeant les objectifs à atteindre et sans définir précisément quelles conditions devraient être réunies pour que l’urgence sanitaire prenne fin. Et quand ils se proposent de mettre fin à l’état d’urgence sanitaire, c’est pour ne pas passer à l’acte, ou en cherchant à rendre permanents certains de ces pouvoirs exceptionnels, pour pouvoir les utiliser sans avoir à déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire, ce qu’il pourrait faire à volonté, d’autant plus qu’il y a un précédent.

  2. Le gouvernement organise nos vies grâce à des décrets et, de plus en plus, grâce à des conférences de presse. Les décrets existent pour la forme. La communication se substitue au droit, et la parole des membres du gouvernement acquiert force de loi.

  3. Les partis d’opposition se rallient généralement au gouvernement, lui reprochent de ne pas faire preuve d’assez de fermeté, font de la surenchère morale et sanitaire, chicanent sur des points de détail ou sur les moyens auxquels il faudrait avoir recours sans remettre en questions les raisons et les objectifs, et critiquent les pouvoirs exceptionnels du gouvernement surtout parce que ce ne sont pas eux qui en disposent. Et quand certains d’entre eux finissent enfin par se réveiller, c’est après deux ans, quand des dégâts monumentaux ont déjà été causés par l’autoritarisme du gouvernement, et quand ils sentent que le vent commence à tourner. Il est à craindre que, s’ils avaient été au pouvoir, ils auraient fait à peu près la même chose que ceux qu’ils critiquent, et qu’ils le feraient à l’avenir, à quelques nuances près.

  4. L’obéissance est devenue la vertu cardinale des citoyens, si on en croit nos gouvernements et les journalistes. On exige d’eux la sagesse de l’enfant sage, qui accepte d’être dirigé par les grandes personnes, lesquelles sauraient mieux que lui ce qui est bon pour lui. Le plus grave, c’est que beaucoup de citoyens voient les choses de cette manière. Pour être un bon citoyen, il suffirait de faire ce que les autorités politiques et sanitaires demandent. Ces citoyens se rangent donc du côté de leurs oppresseurs. Comment pourraient-ils être maîtres de leur destin ? Comment pourraient-ils être autre chose que des sujets, voire des serfs ?

  5. Ces citoyens croient que la démocratie se réduit à être gouverné par dirigeants qui ont été élus au suffrage universel. À leurs yeux, l’autoritarisme de ces dirigeants, la suspension du fonctionnement normal des institutions politiques et la privation des droits et des libertés fondamentaux ne changent rien à l’affaire. À la rigueur, si des dirigeants élus au suffrage universel décrétaient l’abolition des élections et la dissolution permanente des parlements, ce serait encore une décision conforme à leur idée de la démocratie.

  6. Ces mêmes personnes n’ont aucune idée de ce qu’est la servitude. Ils n’en ont pas davantage le moindre sentiment. Les gouvernements les plus oppressifs que nous avons connus de mémoire d’homme au Canada leur semblent protéger leur santé et leur sécurité. Comment pourrait-il avoir une idée de ce qu’est la liberté et la désirer, puisqu’ils s’accommodent si bien de son opposé.

  7. Les citoyens s’habituent à être privés de certains de leurs droits et de leurs libertés du jour au lendemain, ou d’être attaqués dans leurs moyens de subsistance. Même les assouplissements découlent de l’autoritarisme du gouvernement, et contribuent donc à augmenter son emprise sur les citoyens. Ce qui est aggravé par le fait que les droits et les libertés qui sont partiellement rendus aux citoyens sont soumis à toutes sortes de conditions que les citoyens doivent respecter, et que la possibilité de leur retrait se fait sentir. C’est ainsi que la marge de liberté qu’on leur laisse ou leur rend contribue à renforcer leur docilité.

  8. Les citoyens ont peur quand leur gouvernement leur dit qu’il faut avoir peur. Et ils ont moins peur quand le gouvernement leur dit qu’ils peuvent avoir moins peur. Leurs sentiments découlent moins d’un jugement de la situation, que de ce qu’on leur dit de la situation. Ce faisant, on leur apprend à ne pas avoir recours à leur jugement, et à croire sur parole les déclarations de leurs chefs, même les plus gratuites et les plus farfelues.

  9. Les citoyens qu’on ne considère pas aptes à veiller eux-mêmes à leur propre sécurité et à leur propre santé, et qui acceptent que les gouvernements, les experts et les journalistes leur disent ce qu’ils peuvent faire et ne pas faire – quelles personnes ils peuvent rencontrer et ne pas rencontrer, à quelle heure ils doivent être rentrés à la maison, quelles interventions médicales qu’ils doivent recevoir, dans quelles circonstances ils doivent porter un masque et se désinfecter les mains – ne sont assurément pas capables de participer intelligemment aux délibérations politiques et au débat public. Comment pourrait-il l’être, alors qu’ils ne sont même pas capables de s’occuper d’eux-mêmes ? Ils ne sont alors des citoyens que de nom.

  10. Beaucoup de citoyens acceptent non seulement la réglementation à outrance de la société et de leur vie quotidienne, et d’être soumis à une surveillance et à des contrôles par le gouvernement, les policiers et les agents de sécurité, mais aussi de participer à la surveillance et au contrôle de leurs concitoyens. En d’autres termes, ils ne sont pas seulement dans la mire de l’état policier, mais ils y participent.

  11. Les politiciens peuvent mentir et ne pas tenir leurs promesses. Plusieurs ne le remarquent même pas, et beaucoup de ceux qui le remarquent ne s’en irritent pas. Loin de demander qu’ils rendent des comptes, ces personnes cherchent à les excuser, en disant que la situation est imprévisible et que le gouvernement fait du mieux qu’il peut et qu’il a cœur le bien de la population.

  12. La liberté doit presque toujours céder le pas aux impératifs sanitaires et sécuritaires. Elle n’est pas un absolu, dit-on pour justifier sa subordination et les restrictions qu’on impose sans délibérations dignes de ce nom. La liberté est réduite à bien peu de chose, et elle devient une liberté conditionnelle qui s’inscrit à merveille dans la logique carcérale ambiante. La liberté étant considérée comme dangereuse, il n’en faut pas trop. On peut dénigrer ceux qui la valorisent, et parler alors de radicalisation et d’extrémisme. Ce qui revient à criminaliser la liberté.

  13. Les droits qui sont censés nous être garantis par la loi peuvent nous être retirés selon le bon plaisir de notre gouvernement. En cela ils ne sont pas des droits au sens fort du terme, ou n’en sont qu’aussi longtemps que notre gouvernement ne décide pas de les suspendre ou de nous les retirer. De tels droits ne nous protègent pas contre l’arbitraire du gouvernement, mais dépendent de cet arbitraire.

  14. Sur beaucoup de points, la politique est, à première vue, subordonnée à la santé publique. Mais c’est le gouvernement, pour tuer dans l’œuf le débat politique, peut invoquer des avis d’experts et des données soi-disant scientifiques qui surplomberait la délibération politique et le débat public, mais dont il contrôle l’accès et la collecte. Tout devient alors question de santé publique, laquelle est instrumentalisée par la politique. Un tel recours à la santé publique pour gouverner la population est aussi incompatible avec la démocratie que le recours à la religion. Peu s’en faut que nous ne vivions dans une sorte de théocratie conforme à l’air du temps.

  15. Ne pas croire les experts qui abondent dans le même sens que le gouvernement, c’est ne pas croire en la science, dit-on. Comme si la foi et la science étaient compatibles ! Car la science implique le doute, la multiplicité des points de vue et leur affrontement. Une conception aussi autoritaire et naïve de la science, qui est alors idolâtrée, permet le déploiement du scientisme. Qui s’éloigne de l’orthodoxie scientiste, même s’il est scientifique, devient une sorte d’hérétique. Et où l’hérésie existe, la liberté de discussion est attaquée dans ses fondements mêmes, tout comme l’est la démocratie elle-même.

  16. Critiquer ce que dit le gouvernement, les journalistes et les experts serait bête, dangereux et criminel. Les paroles deviendraient alors aussi dangereuses que les actions, en tant qu’elles mineraient la mobilisation contre le virus, ou même prises en elles-mêmes. Il y a des choses qu’il ne faudrait pas dire ou même penser si on ne veut pas s’attirer la colère du virus. Comment les citoyens pourraient-ils alors participer activement à la prise de décisions politiques ?

  17. Beaucoup s’imaginent que la propagande gouvernementale et médiatique ne saurait exister ici. L’idée qu’ils pourraient être endoctrinés ne leur vient pas à l’esprit. La propagande n’en est que plus efficace. Comment pourrait ne pas être en danger une démocratie quand les citoyens, censés jouer un rôle politique important, ont le cerveau lessivé et ne sont que des marionnettes de leurs maîtres ? Alors ce n’est pas le gouvernement qui fait ce que veulent les citoyens, mais les citoyens qui veulent ce que fait le gouvernement.

  18. Il suffit d’envisager la possibilité que le gouvernement et les puissances financières puissent s’être concertés dans le but de subvertir ou de détruire notre démocratie, et d’accroître leur pouvoir et leur richesse à nos dépens, pour nous faire traiter de complotiste. Comme si les complots – c’est-à-dire l’association de plusieurs personnes pour planifier et commettre des actes criminels – n’existaient pas, ou ne pouvaient exister qu’ailleurs ! Comme si le crime organisé, qui étend ses tentacules dans de nombreux secteurs de la société, était l’invention d’un esprit malade ! Faute d’envisager la possibilité d’un complot, et se moquant même d’une telle idée, beaucoup de citoyens laissent le champ libre aux rapaces que nous avons pour maîtres.

  19. La religion sanitaire et vaccinale n’a que faire des causes et des effets. Ils y sont remplacés par la récompense des bonnes actions et la punition des mauvaises actions. Si vous respectez les consignes sanitaires et restez adéquatement vaccinés, si vous croyez les dogmes sanitaires, vous ne tomberez pas malades et vous ne mourrez pas. Tout va alors bien aller. Mais si vous ne respectez pas ces consignes et si vous n’êtes pas adéquatement vaccinés, si vous remettez en question les dogmes sanitaires, vous allez tomber malades et vous allez crever. Et si ça ne se produit pas, il faut vous punir parce que cela pourrait arriver, le tout conformément à l’ordre moral universel. Une telle attitude superstitieuse est incompatible avec l’attitude raisonnable attendue des citoyens, et la politique rationnelle attendue des gouvernements.

  20. Les médecins, les infirmières et les scientifiques qui expriment des points de vue incompatibles avec celui des autorités politiques et sanitaires peuvent être censurés et s’exposer à des représailles sans que s’en indignent beaucoup de citoyens, alors que les journalistes se réjouissent de ces atteintes à la liberté de discussion, et les demandes même.

  21. Au lieu d’ouvrir les pourparlers avec les citoyens canadiens qui manifestent à Ottawa, les autorités politiques parlent d’eux comme s’ils étaient des envahisseurs, des insurgés, des extrémistes et des terroristes dont il faudrait libérer la capitale canadienne, puisqu’ils représenteraient un danger pour la sécurité des résidents d’Ottawa et pour la démocratie. C’est pourquoi le conseil municipal a déclaré l’état d’urgence (ou l’état de siège) pour accorder des pouvoirs exceptionnels aux forces policières de la capitale, a demandé des renforts aux autres forces policières et a exhorté le premier ministre canadien à prendre les moyens qu’il faut pour s’occuper de ces terroristes. C’est pourquoi le gouvernement fédéral évoque la possibilité de faire appel non seulement à la Gendarmerie royale, mais aussi à l’armée, pour les déloger. Et pourtant manifester est le seul moyen qui reste aux citoyens pour se faire entendre du gouvernement, lequel n’a des comptes à rendre à personne et n’en fait qu’à sa tête.

  22. Beaucoup ne conçoivent pas que la démocratie n’est pas quelque chose de donné une fois pour toutes, et qu’elle est au contraire quelque chose qu’il faut défendre farouchement. C’est principalement pour cette raison qu’ils ne remarquent pas les symptômes des maux dont est atteinte notre démocratie, ou qu’ils n’y accordent guère d’importance quand ils les remarquent. Ils n’ont jamais connu autre chose et croient qu’ils ne connaîtront jamais autre chose.

Ça fait beaucoup de choses que vont mal. Et j’en ai sans doute oublié beaucoup. Le corps politique que nous, citoyens, constituons est donc en très mauvaise santé. Les comorbidités se multiplient. Nos gouvernements, loin de chercher des moyens de soigner ces maux, les aggravent dans l’espoir de profiter de cette maladie. Et on ose nous dire que ce sont des impératifs de santé publique qui guident leurs décisions. Si santé publique il y a, on en a une conception très étroite. Sous prétexte d’empêcher le virus de faire des ravages, on rend la démocratie – qui avait déjà une santé chancelante avant l’arrivée du virus – gravement malade.

Heureusement, il y a de plus en plus personnes qui se réveillent et qui se secouent. Les symptômes de ces maux leur ont ouvert les yeux.