Sur une prétendue corrélation entre l’hésitation vaccinale et les accidents de la route

Les scientifiques ont décidément beaucoup d’imagination et de temps à perdre. En effet, une équipe de chercheurs a publié dans The American Journal of Medecine un article où on tente de montrer qu’il y a une corrélation entre ce qu’on appelle « l’hésitation vaccinale » et des risques accrus d’accident de la route (« COVID Vaccine Hesitancy and Risk of a Traffic Crash », 2 décembre 2022). Voici les résultats de cette « étude clinique » menée sur une partie de la population ontarienne de plus de 18 ans en 2021, tels qu’on les présente dans l’abstract de l’article :

« A total of 11,270,763 individuals were included, of whom 16% had not received a COVID vaccine and 84% had received a COVID vaccine. The cohort accounted for 6682 traffic crashes during follow-up. Unvaccinated individuals accounted for 1682 traffic crashes (25%), equal to a 72% increased relative risk compared with those vaccinated (95% confidence interval, 63-82; P < 0.001). The increased traffic risks among unvaccinated individuals extended to diverse subgroups, was similar to the relative risk associated with sleep apnea, and was equal to a 48% increase after adjustment for age, sex, home location, socioeconomic status, and medical diagnoses (95% confidence interval, 40-57; P < 0.001). The increased risks extended across the spectrum of crash severity, appeared similar for Pfizer, Moderna, or other vaccines, and were validated in supplementary analyses of crossover cases, propensity scores, and additional controls. »

Toujours dans l’abstract, voici ce qu’en concluent ces éminents chercheurs :

« These data suggest that COVID vaccine hesitancy is associated with significant increased risks of a traffic crash. An awareness of these risks might help to encourage more COVID vaccination. »

Ce qui revient pratiquement à dire que les « vaccins » contre la COVID-19 seraient aussi efficaces contre les accidents de la route, et qu’il faudrait « vacciner » pour réduire les risques d’accidents de la route ! Mais la position des chercheurs n’est pas aussi grossière, comme le montre le dernier paragraphe de l’introduction :

« COVID vaccination is an objective, available, important, authenticated, and timely indicator of human behavior—albeit in a domain separate from motor vehicle traffic crashes. Whether COVID vaccination is associated with increased traffic risks, however, has not been tested and might seem surprising. Simple immune activation against a coronavirus, for example, has no direct effect on traffic behavior or the risk of a motor vehicle crash. Instead, we theorized that individual adults who tend to resist public health recommendations might also neglect basic road safety guidelines. The study question was “Does COVID vaccine hesitancy correlate with the risks of a serious traffic crash? »

Puisque les chercheurs reconnaissent que l’immunité que procureraient les « vaccins » contre la COVID n’entraîne pas en elle-même une diminution des risques d’accidents de la route, ils font plutôt l’hypothèse d’une tendance des personnes qui résistent à la « vaccination » contre la COVID et, de manière plus générale, aux recommandations de santé publique, à résister aussi aux règles de sécurité routière. Il en résulte que, selon eux, il faudrait militer en faveur de la « vaccination » contre la COVID pour faire adopter à ces imprudents un comportement plus respectueux non seulement à l’égard des règles de sécurité en matière de santé, mais aussi à l’égard des règles de sécurité routière.

Fidèles à l’approche totalisante ou totalitaire en matière de santé, dite « une seule santé », promue par l’Organisation mondiale de la santé, les chercheurs déclarent, à la fin de la discussion de cet article soi-disant scientifique, que c’est l’affaire des médecins de sensibiliser leurs patients à la sécurité routière, ce qui devrait évidemment s’appliquer encore plus aux non-vaccinés :

« Our findings have direct relevance by highlighting how injury risks have continued despite the COVID pandemic. Primary care physicians who wish to help patients avoid becoming traffic statistics, for example, could take the opportunity to stress standard safety reminders such as wearing a seatbelt, obeying speed limits, and never driving drunk. »

Les chercheurs invitent aussi les ambulanciers, le personnel des urgences et les premiers répondants à se montrer particulièrement prudents quand ils ont affaire à des accidentés de la route, puisque les non-vaccinés y seraient surreprésentés :

« The observed risks are sufficiently large that paramedics, emergency staff, and other first responders should be aware that unvaccinated patients are overrepresented in the aftermath of a traffic crash. »

Tous les moyens étant bons pour discriminer ou attaquer les non-vaccinés, les chercheurs vont encore plus loin en affirmant que l’augmentation des risques d’accidents de la route chez les non-vaccinés justifierait des changements aux polices d’assurance, probablement des frais plus élevés pour les non-vaccinés :

« The observed risks might also justify changes to driver insurance policies in the future. »

Enfin, ces scientifiques de grand calibre concluent la discussion de leurs résultats en rappelant que les non-vaccinés représenteraient un danger non seulement pour eux, mais aussi pour les autres, à l’intérieur comme l’extérieur :

« Together, the findings suggest that unvaccinated adults need to be careful indoors with other people and outside with surrounding traffic. »

Ce n’est pas de la plaisanterie ! Au début de la discussion de leurs résultats, les chercheurs, dans leur zèle sécuritaire, vont jusqu’à comparer les risques d’accidents de la route selon eux liés à la non-vaccination avec les risques liés à la consommation irresponsable d’alcool, et aussi avec ceux liés à l’apnée du sommeil et le diabète, si bien que la non-vaccination se retrouvent assimilée au fait d’avoir des facultés réduites et au fait d’être malade :

« The magnitude of estimated risk was substantial and similar to the relative risk associated with sleep apnea, less than associated with alcohol misuse, and greater than associated with diabetes. A relative risk of this magnitude, furthermore, exceeds the safety gains from modern automobile engineering advances and also imposes risks on other road users. »

Mais si « l’hésitation vaccinale » semble être une sorte de maladie pour ces scientifiques, il ne s’agit pas d’une maladie physique, mais d’une maladie psychologique. Après avoir cité rapidement des études (dont ils ont au moins l’honnêteté d’exposer les faiblesses) selon lesquelles il y aurait une corrélation entre les troubles de la personnalité et les accidents de voiture, ils font des hypothèses sur les causes de cette corrélation, en énumérant des caractéristiques qui, visiblement, sont maladives pour eux :

« A limitation of our study is that correlation does not mean causality because our data do not explore potential causes of vaccine hesitancy or risky driving. One possibility relates to a distrust of government or belief in freedom that contributes to both vaccination preferences and increased traffic risks. A different explanation might be misconceptions of everyday risks, faith in natural protection, antipathy toward regulation, chronic poverty, exposure to misinformation, insufficient resources, or other personal beliefs. Alternative factors could include political identity, negative past experiences, limited health literacy, or social networks that lead to misgivings around public health guidelines. These subjective unknowns remain topics for more research. »

Car si la méfiance à l’égard du gouvernement et la « croyance en la liberté » (je parlerais plutôt de désir de liberté ou d’amour de la liberté) peuvent parfois entraîner des accidents de la route selon ces chercheurs et tous les fanatiques de la sécurité, ne faudrait-il pas en conclure que ce sont pour eux des maux dont les conséquences peuvent être graves pour les personnes qui en sont atteintes et les autres. Dans cette perspective fort bornée, pas question de se demander si la méfiance à l’égard du gouvernement et le désir de liberté peuvent avoir des bons effets, et si le manque de méfiance à l’égard du gouvernement et le manque de désir de liberté peuvent avoir des conséquences beaucoup plus nuisibles qu’une augmentation du risque relatif d’accidents de la route. Je pense par exemple à des effets moraux, sociaux et politiques qui contribuent à changer pour le pire nos modes de vie et à dégrader nos institutions politiques. Au lieu de se poser ces questions, les chercheurs formulent une autre explication possible, en invoquant des causes souvent peu flatteuses pour les personnes non vaccinées, comme l’incapacité d’évaluer correctement les risques de tous les jours, la foi en une protection naturelle, l’exposition à la désinformation et l’analphabétisme sanitaire.

N’aurait-il pas été intéressant que ces grands scientifiques, qui affectent d’être rigoureux en nous exposant les limites de leur étude prétendument scientifique, nous fassent part de cette limite qui consiste à ne pas se poser ces questions d’ordre moral, social et politique, et à subordonner sournoisement l’existence individuelle et collective à des enjeux qu’on dit être sanitaires et sécuritaires ? N’aurait-il pas encore été mieux de se poser aussi ces questions dans cette étude ? Ces omissions volontaires ou involontaires sont très révélatrices des limites intellectuelles, morales et politiques de ces scientifiques.


N’ayant pas les compétences mathématiques nécessaires, je laisse à d’autres le soin de mettre à l’épreuve les analyses statistiques présentées dans cette étude, en doutant toutefois qu’ils puissent avoir accès aux données brutes qui ont été utilisées pour faire cette étude.

Toutefois, je veux attirer l’attention de mes lecteurs sur une bizarrerie. Dans l’hypothèse où il existerait effectivement une corrélation entre le mépris des exhortations, des contraintes et des menaces du gouvernement pour obtenir la « vaccination » massive de la population, et un certain mépris des règles de sécurité routière pouvant provoquer des accidents de la route, il est étrange que l’augmentation du risque d’accidents de la route n’ait pas seulement été observée aussi chez les passagers.

(Extrait du tableau 3.)

On conviendra, j’espère, que le manque de respect de la réglementation routière qu’on suppose chez les non-vaccinés ne devrait pas résulter en un risque d’accident aussi grand quand ils sont passagers que quand ils sont conducteurs, puisque ce ne sont pas eux qui tiennent alors le volant de la voiture. S’il ne faut pas exclure que les passagers puissent déconcentrer le conducteur et faire des gestes qui provoquent des accidents, il est certain que les passagers imprudents ont moins souvent l’occasion de provoquer un accident de la route ou d’y contribuer que s’ils étaient conducteurs. Autrement dit, ces tendances imprudentes sont moins susceptibles d’avoir des effets, sans quoi il faudrait non seulement retirer son permis de conduire à un ivrogne qui conduit en étant saoul, mais il faudrait aussi lui interdire d’être présent à l’intérieur d’un véhicule en tant que passager – ce que nous avons le bon sens de ne pas faire. Pourtant, nous n’observons pas, dans les résultats de cette « étude clinique », une augmentation du risque significativement moins grande pour les passagers non vaccinés qu’on suppose imprudents, que pour les conducteurs non vaccinés qu’on suppose aussi imprudents, le risque relatif étant respectivement de 1,91 et de 1,99.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de cet écart négligeable ? Cela pourrait-il être l’indice d’une erreur méthodologique ou d’un bidouillage statistique, qui produirait la même augmentation des risques d’accidents de la route dans le cas des passagers et des conducteurs ? Aurait-il pu, par exemple, se produire des échecs d’appariement entre les personnes déclarées accidentées et la base de données vaccinale ontarienne, si bien que des accidentés de la route vaccinés auraient été considérés comme non-vaccinés, à défaut d’avoir été retrouvés dans cette base de données ? Car il ne semble pas que le statut vaccinal des non-vaccinés soit explicitement inscrit dans la base de données gouvernementale :

« COVID vaccination status was based on the COVAXON database, with further details on product (manufacturer), date of first dose (earlier or later), and completeness (1 or 2 doses). »

Quelle serait alors la proportion de ces erreurs d’attribution de statut vaccinal ? Dans quelle mesure affecteraient-elles l’évaluation des risques d’accidents de voiture ? Et comment expliquer que l’augmentation des risques est beaucoup plus faible chez les piétons que chez les passagers ?

À l’inverse, pourrait-on faire l’hypothèse que les passagers non vaccinés côtoient plus souvent d’autres non vaccinés, et qu’ils sont impliqués dans des accidents alors que la voiture où ils se trouvent est conduite par un non-vacciné ? Mais ce sont des données dont nous disposons pas, et il nous est impossible de savoir dans quelle mesure les autorités politiques et sanitaires ont réussi à obtenir la séparation tant désirée entre vaccinés et non-vaccinés.

Voilà des questions qu’on ne se pose pas et auxquelles on n’essaie pas de répondre dans cet article, à moins qu’on dise quelque chose à leur sujet dans une des notes méthodologiques, que le jargon technique rend difficile à comprendre pour des profanes comme moi, que les auteurs veulent de toute évidence tenir à l’écart.