Sur l’usurpation

Sauf quand on parle d’usurpation d’identité, on n’aurait pas idée d’accuser quelqu’un chez nous – au Québec, au Canada ou en Occident – d’usurpation. Ce mot nous semble sortir tout droit du Moyen Âge. Un usurpateur, ce serait simplement quelqu’un qui s’approprie un titre – disons celui de roi – qui ne lui revient pas d’après les lois d’un pays, que ce soit par la force, par la ruse ou par la tromperie. Ce peut être le chef d’une puissante famille noble qui chasse du trône le roi légitime. Ce peut être un fils cadet ou un oncle qui prend la place du fils aîné, l’héritier légitime, à la mort du roi. Ce peut être un personnage important de la cour qui fait assassiner le roi pour le remplacer. Ce peut être un imposteur qui se fait passer pour un prince présumé mort et qui a l’appui d’une puissance étrangère pour monter sur le trône.

À la rigueur, nous pourrions considérer comme des usurpateurs ceux qui, à l’étranger, prennent le pouvoir grâce à un coup d’État. Que ce coup d’État serve la politique étrangère occidentale ou non, cela n’a rien à voir. C’est une question de légitimité. S’il y a prise de pouvoir sans légitimité, il y a usurpation. Même le fait qu’un usurpateur gouverne intelligemment et dans l’intérêt du pays et des gens, contrairement à celui qu’il a chassé du pouvoir, ne change rien au fait qu’il soit un usurpateur.

Nous pourrions néanmoins dire que l’usurpateur, dans la mesure où il respecterait les limites que les lois imposent à son pouvoir, ne profite pas de la position qu’il a usurpée pour usurper des pouvoirs dont ne dispose pas normalement celui qui occupe la position qu’il a usurpée et ainsi opprimer ceux qu’il gouverne. Sans cesser d’être un usurpateur, il peut ainsi donner une certaine apparence de légitimité au pouvoir qu’il exerce, si on fait abstraction de la manière illégitime dont il a obtenu ce pouvoir.

À l’inverse, un président, un premier ministre ou un ministre qui a obtenu la position qu’il occupe de manière légitime, c’est-à-dire conformément aux lois du pays, peut se rendre coupable d’usurpation en s’appropriant des pouvoirs que ces lois ne lui accordent pas ou même lui interdisent formellement. Il est alors un usurpateur même s’il a été élu ou nommé à la position politique qu’il occupe conformément aux lois du pays. Il a violé les lois qui font qu’il détient légitimement tels pouvoirs qu’il peut exercer de telle manière, en s’appropriant par la force, par la ruse ou par la tromperie des pouvoirs que ces lois ne lui reconnaissent pas ou ne lui reconnaissent qu’à certaines conditions qui ne sont pas remplies ou qui paraissent à tort l’avoir été. Ce qui nous mène à ces questions :

  • Un politicien ou un gouvernement qui serait assez effronté, bête ou fou pour s’approprier de manière illégitime des pouvoirs, et les conserver de manière tout aussi illégitime pendant plus de quinze mois, et ainsi étendre indûment son pouvoir et porter atteintes aux droits et aux libertés légitimes des citoyens, fait-il autre chose que de miner lui-même la légitimité de son propre pouvoir, et peut-il encore être considéré comme détenteur légitime du pouvoir ?

  • Dans la négative, est-il légitime que nos tribunaux (il ne faut pas compter sur notre parlement) destituent ce politicien ou dissolvent ce gouvernement et condamnent la ou les personnes concernées pour usurpation et atteinte aux droits et aux libertés légitimes des citoyens ?

  • Dans l’affirmative, serait-il légitime pour les citoyens, si les tribunaux ne faisaient pas leur travail, de ne plus reconnaître comme légitime tel ministre, tel premier ministre ou tel gouvernement, et de considérer comme nulles et non avenues les décisions prises par lui, ou à tout le moins celles qui ont été prises en exerçant des pouvoirs non légitimes et qui portent atteintes à leurs droits et à leurs libertés légitimes ?